C. La légalité va réduire strictement
la liberté de preuve
39. La confrontation nécessaire entre
légalité et liberté. Il s'agit d'une confrontation
inévitable et nécessaire à ne pas négliger dans
l'État de droit entre le principe de la liberté de la preuve
pénale et celui de la légalité. Mme Marie-Emma Boursier
affirme l'exigence absolue du respect du principe de la légalité
dans la recherche et l'administration des preuves pénales qui sont
régies par les principes de liberté et de légalité
: « il est établi que
295
la recherche de la preuve pénale doit respecter la
légalité ». Cependant, tant que la preuve pénale
est libre, la question logique qui se pose est : pourquoi le principe de la
légalité de la preuve pénale est-il placé en
confrontation avec la liberté de la preuve ? En vérité, la
liberté de la preuve pénale ne peut pas être une
liberté absolue, extrême et sans restriction pour la simple raison
que la liberté excessive dans la recherche de la preuve pénale
menace les droits et les libertés des individus protégés
par la loi, soit avec des dispositions constitutionnelles soit avec des lois
communes. Par conséquent, cette liberté dans la recherche de la
preuve doit être
organisée avec une légalité juridique 296
, ou, en d'autres termes, elle doit être permise et basée sur un
texte juridique lui conférant une légalité. Par
conséquent, le rôle du Code de procédure pénale se
souciant essentiellement du sujet de la preuve pénale devient
évident, étant donné que les lois sont le seul
déterminant des procédures que les autorités publiques et
judiciaires
293 Cass crim. 19 juin 1989, B.C.,
n° 261, p. 648.
294 H. Leclerc, « Les limites de la
liberté de la preuve. Aspects actuels en France », in
R.S.C., 1992, p. 15.
295 M.-E. Boursier, Le principe de
loyauté en droit processuel, Dalloz, 2003, p. 96.
296 V. en ce sens : Ph. Conte et P. Maistre
Du Chambon, Procédure pénale, 4e éd.,
Armand Colin, Paris, 2002, n° 64, p. 40 : 3enwan 3an « Le
principe de la légalité de la preuve : « En amont de la
question de la détermination tant des modes de preuve que de la valeur
de chacun d'eux, se pose celle de savoir comment on procède à la
recherche et à l'administration des preuves devant les juges : il n'est
pas tout d'admettre telle preuve et de l'abandonner à
l'appréciation souveraine du juge, encore faut-il savoir comment elle a
été obtenue pour décider s'il pouvait en être fait
état devant un tribunal. Cette difficulté est double : faut-il,
tout d'abord, réglementer la recherche de la preuve, pour lui assigner
certaines limites ? La réponse est évidente : la fin ne
justifiant pas les moyens, la procédure pénale française
consacre le principe de la légalité, corollaire du principe de la
liberté de preuve. ».
68
297
ont le droit de mener et de réaliser dans le but de
rechercher la preuve. Cela signifie-t-il que la recherche de la preuve ne
dispose pas de liberté dans le cadre du droit pénal ?
Évidemment pas, car la preuve pénale est libre, notamment dans le
choix par l'autorité publique et judiciaire chargée de la
recherche de la preuve pénale des moyens sélectionnés
parmi plusieurs méthodes et procédures permises juridiquement
dans les textes de lois, ou en d'autres termes
parmi les moyens permis explicitement par la
loi298. Par conséquent, la liberté de la preuve est
pratiquée ou appliquée en conformité avec les limites
fixées par le législateur, ou par les principes juridiques
généraux. Conformément aux idées
précédentes, le principe général est la
liberté de la preuve dans le domaine pénal, en tenant compte des
contraintes et des contrôles contenus dans le principe de la
légalité des moyens et des procédures au cours de la
recherche et la production de la preuve pénale. Il convient de
préciser que ces limites ne constituent pas une exception à la
liberté de la preuve, mais plutôt des restrictions et des
contrôles associés à celle-ci et l'entourant en permanence
sans s'en éloigner. Ils sont assez différents des exceptions
relatives au principe de la liberté de la preuve pénale
décidées par le législateur à titre d'exception, et
qui sont de deux types : celles qui sont liées plus
précisément à la façon d'obtenir la preuve d'une
infraction spécifique et celles qui concernent la
prédétermination de la valeur probante de quelques preuves. Ces
deux hypothèses ne se rapportent nullement, de près ou de loin,
au principe de la légalité de la preuve pénale, ce qu'il
faut prendre en considération avec soin et prudence afin d'éviter
de confondre le principe de
297 V. en ce sens : le Conseil
constitutionnel français a considéré dans la
décision n° 2010-25 QPC du 16 septembre 2010 : §10. «
Considérant, en premier lieu, que le législateur tient de
l'article 34 de la Constitution l'obligation de fixer lui-même le champ
d'application de la loi pénale ; que, s'agissant de la procédure
pénale, cette exigence s'impose notamment pour éviter une rigueur
non nécessaire lors de la recherche des auteurs d'infractions »
; §11. « Considérant, en second lieu, qu'il
appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part,
la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des
auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de
droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, la
protection des droits et libertés constitutionnellement garantis, au
nombre desquels figurent le respect de la vie privée,
protégé par l'article 2 de la Déclaration de 1789, le
respect de la présomption d'innocence, le principe de dignité de
la personne humaine, ainsi que la liberté individuelle que l'article 66
place sous la protection de l'autorité judiciaire ; qu'ainsi, si le
législateur peut prévoir des mesures d'investigation
spéciales en vue de constater des crimes et délits d'une
gravité et d'une complexité particulières, d'en rassembler
les preuves et d'en rechercher les auteurs, c'est sous réserve que ces
mesures soient conduites dans le respect des prérogatives de
l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle en
vertu de l'article 66 de la Constitution, et que les restrictions qu'elles
apportent aux droits et libertés constitutionnellement garantis soient
nécessaires à la manifestation de la vérité,
proportionnées à la gravité et à la
complexité des infractions commises et n'introduisent pas de
discriminations injustifiées ».
298 V. R. Legros, «La preuve
légale en droit pénal», in J.T., Editeurs : maison
Ferd. Larcier S.A., Bruxelles, numéro 5055, 28 octobre 1978, pp.
589-595, V. spec. p. 591 : « En droit pénal comme en droit
civil, la loi a adopté un régime légal de preuves : d'une
part, elle détermine, dans les deux domaines, un ensemble de preuves
admises par elle, les éléments de preuves que le juge peut
retenir, elle exige que ces preuves soient administrées suivant
certaines formes, et, parfois, elle précise la force probante à
leur attribuer : d'autre part, et toujours dans les deux domaines, la loi
laisse au juge une certaine liberté d'appréciation indispensable,
à ne pas confondre ni avec l'idée d'une preuve libre ou morale,
ni avec l'intime conviction ».
la légalité de la preuve pénale avec les
quelques exceptions contenues dans la loi sur le principe de la liberté
de la preuve. La problématique soulevée dans la liberté de
la preuve pénale donne une réponse claire et sans
équivoque à la question suivante : quels sont les contraintes et
les contrôles entourant le principe de la liberté de la preuve
pénale?
§ 2. La légalité, une garantie
procédurale substantielle
40. Pas de liberté sans légalité dans
la recherche des preuves. La légalité dans la recherche et
l'administration de la preuve pénale constitue un moyen de protection
des droits substantiels parce que recourir à une notion absolue ou
souveraine du principe de la liberté dans la recherche de la preuve met
en péril les différents droits qui composent le droit à un
procès équitable. Il est reconnu que le principe de la
liberté de la preuve comporte
normalement des limites imposées par des principes
généraux non écrits 299 . La légalité comme
principe essentiel de la procédure pénale tient une telle place
dans le droit de la preuve que « le principe de la liberté de
la preuve pénale [...] apparaît finalement d'une
application
circonscrite »
|
300
|
. En effet, au-delà de la seule
légalité formelle, la légalité de la preuve
pénale
|
implique le « respect des valeurs fondamentales de la
civilisation »
|
301
|
. Une mesure d'enquête
|
69
visant à rechercher des éléments de
preuve peut menacer les droits de l'individu si elle est absolument libre. Le
principe de légalité représente la frontière entre
l'efficacité de la recherche de preuve et le respect des droits
substantiels qui doivent être protégés. La
légalité dans la recherche de la preuve est
considérée comme un correctif nécessaire à la
liberté de la preuve en matière pénale en assurant
plusieurs garanties procédurales dans l'intérêt de la
personne poursuivie. Le prévenu ou l'accusé doit naturellement
bénéficier de plusieurs garanties essentielles qui sont
strictement liées au droit de la preuve dont la violation ou
l'inobservation entraîne l'illégalité de la preuve.
299 V. R. Merle et A. Vitu, Traité
de droit criminel, t. 2, Procédure pénale, 4e
éd., 1989, n° 129, p. 162 ; G. Stefani, G. Levasseur et B. Bouloc,
Procédure pénale, 23e éd., Dalloz,
2012, n° 145, p. 124 ; Ph. Conte et P. Maistre Du Chambon,
Procédure pénale, 4e éd., Armand
Colin, Paris, 2002, n° 48, p. 32 ; P. Bouzat, « La loyauté
dans la recherche des preuves », in Mélanges Hugueney,
1964, pp. 155 et s. ; H. Leclerc, « Les limites de la liberté
de la preuve : aspects actuels en France », in R.S.C., 1992, pp.
15 et s.
300 S. Guinchard et J. Buisson,
Procédure pénale, 9e édition, LEXIS
NEXIS/LITEC, 2013, n° 552, p. 572.
301 Stefani, G. Levasseur et B. Bouloc,
Procédure pénale, 23e éd., Dalloz,
2012, n° 145, p. 124.
. A. L'encadrement par la loi des mesures portant
atteinte aux droits fondamentaux
41. Les règles de la procédure pénale
visent à garantir les libertés individuelles. Le
procès criminel constitue « un instrument de recherche de la
vérité permettant la punition du
302
coupable et la libération de l'innocent ».
Ce qui précède est vrai, mais incomplet, parce que la
procédure pénale vise à protéger la
société par la mise en oeuvre du droit pénal afin de
découvrir l'infraction et sanctionner son auteur, mais vise
également à garantir la liberté individuelle et les droits
de défense de la personne poursuivie qui est présumée
innocente tant qu'elle n'est pas déclarée coupable. Il faut donc
lui permettre d'exercer ses droits de la défense
et de se protéger contre la menace d'un procès
pénal
|
303
|
. Il est possible de dire que le
|
principe de la légalité de la preuve
pénale, dans son aspect formel ou matériel est devenu une
garantie procédurale fondamentale irremplaçable vis-à-vis
du suspect, défendeur ou accusé, le protégeant
personnellement ainsi que sa libre volonté durant toutes les phases du
procès pénal, en protégeant également ses droits et
lui permettant enfin de les exercer. « Les enquêteurs sont tenus
au respect des principes fondamentaux et des textes notamment ceux qui
organisent le
respect de la vie privée ou encore les droits de la
défense »
|
304
|
. Il est donc constaté que le
|
70
principe de la légalité de la preuve
pénale est la seule garantie du respect des droits de l'homme, tant en
termes d'intégrité physique que de volonté, ce qui
l'empêche donc d'être forcé à fournir des preuves
contre lui ou contre son gré, et entrave également la violation
de son droit à la vie privée ou encore de ses droits à la
défense légalement consacrés
305
et relatifs à la preuve pénale.
302 P. Arguin, « Les règles
procédurales entourant la recevabilité des déclarations
extrajudiciaires », in Les Cahiers de droit, vol. 32, n° 1,
1991, pp. 103-152, V. spec. p. 105.
303 V. en ce sens : M. Trevidic, « La
recherche de la preuve en droit français », in La preuve au
coeur du débat judiciaire: discovery, cross-examination et expertise
contradictoire regards croisés franco-américains, Colloque
du 24 mars 2010 organisee par l'association France-Ameriques (a.f.d.d.) :
« L'une des fonctions principales du code de procédure
pénale est d'ailleurs de protéger les citoyens contre la
puissance publique, de mettre des limites aux importants pouvoirs
d'investigation de celle-ci ».
304 V. Lesclous, « Enquête
préliminaire », in J.-Cl. Procédure pénale,
Art. 75 à 78, Fasc. 20, n° 49.
305 V. H. Leclerc, « Les limites de la
liberté de la preuve. Aspects actuels en France », in Revue de
science criminelle, 1992, p. 15 : « La preuve est libre mais la
doctrine est unanime : toutes les preuves ne sont pas admissibles et tous les
moyens ne sont pas bons pour les réunir. La loi fixe des limites. La
morale et les principes aussi ».
71
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