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La légalite des moyens de preuve dans le procès pénal en droit français et libanais


par Ali Ataya
Ecole doctorale 88 Pierre Couvrat (Poitiers) - Droit et Sciences Politique, Université du Maine - Thèse de doctorat en Droit privé 2013
  

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Chapitre I

La légalité, un outil d'encadrement du principe de la

liberté de preuve

32. La légalité représente le cadre qui entoure le principe de la liberté de la preuve pénale. La liberté de la preuve pénale comme principe général qui domine la recherche de la vérité ne signifie pas que cette liberté est absolue. Il n'est pas permis pendant la recherche de la preuve, de recourir à certains procédés qui sont qualifiés ou dits illégaux : « la manifestation de la

vérité ne justifie nullement le recours à tout moyen de preuve »

250

. Cette liberté de la preuve

n'est pas aveugle et n'est pas sans restriction : « la preuve doit être administrée

légalement » 251 . La liberté de la preuve n'échappe pas à l'obligation de respecter des principes

252

généraux et des droits fondamentaux des individus, afin d'atteindre la vérité dans le cadre du procès pénal. Comme l'affirme M. Vincent Lesclous, « l'administration de la preuve, notamment par l'autorité publique, est soumise à un principe de légalité soit par un formalisme particulier à un acte soit à raison d'un principe général (respect de l'intimité de la

vie privée et des droits de la défense par exemple) »

253

. Il est convenu sans réserve d'aucune

56

sorte que le principe de liberté de la preuve ne justifie pas le recours à certains procédés ou

moyens illégaux puisque le principe de la légalité de preuve encadre cette liberté 254 comme le

255

souligne Mme Coralie Ambroise-Castérot. En effet, cette légalité met la liberté de la preuve

250 G. Guidicelli-Delage (dir.) et H. Matsopoulou (coord.), « Les transformations de l'administration de la preuve pénale. Perspectives comparées. Allemagne, Belgique, Espagne, États-Unis, France, Italie, Portugal, Royaume-Uni », in Mission de recherche Droit et Justice / Synthèse 107 /, décembre 2003, p. 3.

251 F. Fourment, Procédure pénale, 14e édition, Larcier, 2013, n° 74, p. 55.

252 V. G. Guidicelli-Delage (dir.) et H. Matsopoulou (coord.), « Les transformations de l'administration de la preuve pénale. Perspectives comparées. Allemagne, Belgique, Espagne, États-Unis, France, Italie, Portugal, Royaume-Uni », in Mission de recherche Droit et Justice / Synthèse 107 /, décembre 2003, p. 8 : « L'encadrement de l'administration de la preuve se fait aussi nécessairement par le respect imposé de certains droits substantiels de l'homme, et plus précisément, par le respect de la dignité humaine, le respect du droit à la vie privée, ...».

253 V. Lesclous, « Enquête préliminaire », in J.-Cl. Procédure pénale, Art. 75 à 78, Fasc. 20, n° 45.

254 V. en se sens : H. Leclerc, « Les limites de la liberté de la preuve. Aspects actuels en France », in Revue de science criminelle, 1992, p. 15 : « Le formalisme et le légalisme obligatoires dans la recherche et la production des preuves par l'article 7 de la Déclaration des droits de l'homme » ; L'article 7 de la Déclaration des droits de l'homme dispose : « nul homme ne peut être accusé, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites ».

255 C. Ambroise-Castérot, « Recherche et administration des preuves en procédure pénale : la quête du Graal de

en conformité avec les droits de l'homme, pour éviter que la liberté de preuve soit un outil d'abus ou devienne arbitraire sous prétexte d'obtenir la preuve pénale. Cette liberté de preuve

256

est conditionnée par sa pratique dans le cadre du principe de la légalité

, en vue de rendre la

57

preuve conforme à la loi, étant donné qu'il est inadmissible d'accéder à la vérité en ayant recours à des moyens non autorisés par la loi. La loi a autorisé des moyens permettant la recherche de la vérité, en les prévoyant explicitement, en organisant la méthode et la façon de

257

leur utilisation, et en attribuant aux autorités compétentes en matière de recherche de la preuve, la liberté du choix des moyens qu'ils jugent nécessaires pour cette recherche, parmi les

.

258

moyens autorisés par le législateur, en tenant compte des principes généraux

33. Liberté de preuve et l'administration de la preuve. Si la loi pénale permet d'utiliser tous les modes de preuves parce que tant le Code de procédure pénale libanais que le français consacrent le système de la liberté des preuves pénales, elle ne laisse pas pour autant une liberté absolue quant à l'administration de ceux-ci. M. Édouard Verny affirme que « la liberté de la preuve comprend néanmoins des limites qui résultent d'une exigence de modération

dans les moyens de recherche des preuves » 259 . La liberté de la preuve est limitée par l'application de certains principes généraux qui interdisent de rechercher la vérité par n'importe quel procédé. En principe, la procédure pénale est au service du droit pénal dont le

la Vérité », in AJ Pénal, 2005, pp. 261 et s. : « En effet, ce principe de liberté de la preuve ne signifie pas que n'importe quel procédé puisse être utilisé : torture, sérum de vérité, polygraphe (détecteur de mensonge), etc. Il existe donc des procédés interdits. La liberté des preuves est une liberté encadrée par la légalité : seuls les modes de preuves légalement prévus sont admissibles devant les tribunaux... ».

256 V. en ce sens: J. Buisson, « Sonorisation illégale du parloir d'une maison d'arrêt : constitue une ingérence étatique au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH 20 décembre 2005, Wisse c/ France, n° 71611/01) », in R.S.C., 2007, p. 607: « On se fige trop souvent sur le fait qu'en matière pénale, la preuve est libre alors que, contrairement à une vision sommaire de la preuve en cette matière, ce principe de la liberté a, dans un État de droit, un empire nécessairement limité par le principe de la légalité, particulièrement lorsque l'administration de la preuve est le fait des agents de l'autorité publique ».

257 V. sur ce point : M-L. Rassat, Procédure pénale, 2e édition, Éditeur : Ellipses, 2013, n° 256, p. 265 : « Chaque mode de preuve est doté d'une procédure d'obtention particulière qui fait l'objet d'une réglementation spécifique et détaillé.».

258 V. J. Buisson, « Sonorisation illégale du parloir d'une maison d'arrêt : constitue une ingérence étatique au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH 20 décembre 2005, Wisse c/ France, n° 71611/01) », in R.S.C., 2007, p. 607: « L'agent public peut, par exemple, décider de parvenir à la preuve espérée par le biais de l'audition d'un témoin, de l'interrogatoire d'un suspect ou du mis en examen, d'une perquisition, d'une interception de correspondances, mais une fois son choix opéré, la légalité reprend son empire : il ne peut administrer la preuve comme il l'entend, contraint qu'il est d'exécuter l'un des actes que le législateur a prévus à cette fin probatoire ».

259 É. Verny, Procédure pénale, 3e éd., Dalloz, 2012, n° 30, p. 22.

but principal est de chercher, trouver et punir les coupables d'une infraction pénale

260

. Mais

58

pour atteindre le but principal de la procédure pénale, c'est-à-dire l'objectif louable de rechercher la vérité et les coupables dans le procès pénal, il faut trouver un équilibre entre la nécessité de préserver l'efficacité de la justice pénale et celle de préserver les libertés

261

individuelles et publiques . Si la preuve est libre en principe dans les systèmes pénaux libanais et français qui adoptent le principe de la liberté de la preuve, cette liberté ne peut et ne

doit pas être absolue 262 . L'administration et la recherche de la preuve dans le domaine pénal sont toujours soumises à des règles, n'importe quelle preuve ne peut être présentée pour

former l'intime conviction du juge ou des jurés 263 . En effet, la preuve en matière pénale est libre, ce qui caractérise et domine le système des preuves pénales, mais la liberté de la preuve

264

comporte des limites imposées par des principes généraux qui ne sont pas écrits . La légalité tient une place importante dans le droit de la preuve. En effet, il existe certaines restrictions, dans la recherche des preuves, qui sont imposées au juge pénal par le législateur ou la jurisprudence, mais qui ne constituent pas en tout cas de véritables exceptions au principe de

liberté des preuves qui domine la procédure pénale française 265 et libanaise en matière de

260M. Trevidic, « La recherche de la preuve en droit français », in La preuve au coeur du débat judiciaire : discovery, cross-examination et expertise contradictoire regards croisés franco-américains, colloque du 24 mars 2010 organise par l'association France-Amériques (A.F.D.D.), disponible en ligne sur le site officiel des juges d'instruction français : http://www.afmi.asso.fr/

261 M. Trevidic, « La recherche de la preuve en droit français », op. cit.

262 V. en ce sens : F. El Hajj Chehade, Les actes d'investigation, Thèse de droit, Université du Maine, 2010, p. 25 : « Si la preuve pénale peut être rapportée par tout moyen, cela ne signifie pas pour autant qu'elle se soustraie totalement au droit et s'exerce au détriment des droits des parties ».

263 V. J. Buisson, « Sonorisation illégale du parloir d'une maison d'arrêt : constitue une ingérence étatique au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH 20 décembre 2005, Wisse c/ France, n° 71611/01) », in R.S.C., 2007, p. 607: « l'enquêteur ou le juge est libre de choisir tel mode de preuve parmi ceux qui sont à sa disposition, mais il est contraint dans la mise en oeuvre de son choix par l'existence des actes d'administration de la preuve limitativement mis à sa disposition ».

264 R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, 4e éd., Cujas, Paris, 1989, t. 2 Procédure pénale, n° 129, p. 162 ; G. Stefani, G. Levasseur et B. Bouloc, Procédure pénale, 23e éd., Dalloz, 2012, n° 145, p. 124 : Les limites à la liberté des preuves : « Une deuxième limite résulte du respect des valeurs fondamentales de la civilisation. Quoique la manifestation de la vérité soit l'objectif capital du procès répressif, cette vérité ne peut être recherchée par n'importe quel moyen. Il importe à la dignité de la justice et au respect qu'elle doit inspirer, de ne mettre en oeuvre aucun moyen qui attente aux droits fondamentaux de la personne humaine ou aux droits de la défense. C'est pour cette raison que la torture est interdite ... ». ; Ph. Conte et P. Maistre Du Chambon, Procédure pénale, 4e éd., Armand Colin, Paris, 2002, n° 46, p. 31 : « ... d'un point de vue plus large, il faut examiner, également, la façon dont les preuves sont recherchées et administrées : la règle de la liberté pourrait affaiblie dans sa portée si des restrictions excessives entravaient la découverte de la vérité. C'est le principe de la légalité qui fixe, ici, les limites. ».

265C. Mascala, « Le juge répressif doit apprécier la valeur probante des moyens de preuve produits par les parties même obtenus de manière illicite ou déloyale », Note sous Cass. crim., 15 juin 1993 in D., 1994, jurisprudence p. 613.

59

preuve. La recherche des preuves de manière illégale est interdite ; les procédés qui portent atteinte à la dignité humaine et à l'intégrité corporelle des prévenus sont interdits et prohibés. « Quoique la manifestation de la vérité soit l'objectif capital du procès répressif, cette vérité ne peut être recherchée par n'importe quel moyen. Il importe à la dignité de la justice et au respect qu'elle doit inspirer, de ne mettre en oeuvre aucun moyen qui attente aux droits fondamentaux de la personne humaine ou aux droits de la défense. C'est pour cette raison que

266

la torture est interdite ... ». Selon M. Marc Trevidic, les principes qui gouvernent la façon dont la preuve est recherchée sont le principe de la liberté de la preuve atténuée par les

267

principes du contradictoire et de loyauté. En premier lieu, la preuve doit être admissible sur le plan de la légalité formelle. Elle doit en outre avoir été obtenue et recueillie loyalement. La preuve ne saurait résulter de l'utilisation d'un moyen illégal, comme l'usage de la force physique, ou de mauvais traitements. En droit communautaire, M. Michel Van de Kerchove croit que même si l'admissibilité des modes de preuve est en principe considérée comme relevant du droit interne, les organes de la Convention se sont néanmoins fondés sur l'article 6, § 2, en ce qu'il prévoit que la culpabilité de l'accusé doit être « légalement établie », pour lui

268

imposer certaines limites.

34. La légalité contribue à l'humanisation de la recherche des preuves. Le principe de la légalité de la preuve pénale est un outil qui rend le principe de la liberté de la preuve non radical et compatible avec les principes généraux du droit de la preuve, en particulier avec la

269 270

tendance à humaniser les moyens de la preuve pénalenotamment au cours de l'évolution rapide et croissante des moyens et des modes de recherche des éléments de preuve qui

266 Stefani, G. Levasseur et B. Bouloc, Procédure pénale, 23e éd., Dalloz, 2012, n° 145, p. 124.

267 M. Trevidic, « La recherche de la preuve en droit français », op. cit.

268 M. Van de Kerchove, « La preuve en matière pénale dans la jurisprudence de la Cour et de la Commission européennes des droits de l'homme », in R.S.C., 1992, n° 1, pp. 1-14 ; A cet égard, v. notamment Cour EDH, arrêt Salabiaku, 7 oct 1988, série A n° 141, p. 16 : Dans l'arrêt Salabiaku contre France, paragraphe 28, la Cour Européenne a retenu que : « le législateur national pourrait à sa guise priver le juge du fond d'un véritable pouvoir d'appréciation, si les mots « légalement établie » impliquaient un renvoi inconditionnel au droit interne. Un tel résultat ne saurait se concilier avec l'objet et le but de l'article 6 (art. 6) qui, en protégeant le droit de chacun à un procès équitable et notamment au bénéfice de la présomption d'innocence, entend consacrer le principe fondamental de la prééminence du droit».

269 V. J.-C. Soyer, «L'avenir de la vie privée face aux effets pervers du progrès et de la vertu », in P. Tabatoni (Sous dir.), La protection de la vie privée dans la société d'information, P.U.F., Collection : Cahiers Sciences Morales Et Politiques, 2000, tome 1, chapitre 1, pp. 7-12, V. spec. p. 10 : « Pour une démocratie contemporaine et soumise à la prééminence du droit, la vertu civique se mesurera donc par le respect effectif, au quotidien, des droits de l'homme dont les individus peuvent se réclamer ».

270 V. Ch. Perelman, « La preuve en droit : essai de synthèse », in La preuve en droit, études publiées par Ch. Perelman et Paul Foriers, Travaux du CNRL, Bruylant, Bruxelles, 1981, p. 364 : « La preuve et la vérité ne sont que des moyens de réaliser la justice, telle qu'elle est conçue dans une société donnée».

peuvent menacer les droits en général et surtout les libertés individuelles, la dignité de la

271

personne humaine et l'intimité de la vie privée

. La liberté de la preuve est en mesure de

60

servir l'objectif du Code de procédure pénale, qui est la découverte de la vérité par le biais de moyens de preuve cohérents et compatibles avec le principe de la légalité de la

272

preuve pénale . La recherche de la preuve est le chemin qui conduit à l'apparence de la vérité souhaitable dans la société, mais cette vérité ne doit pas sacrifier les libertés individuelles au profit de l'autorité étatique afin d'obtenir des éléments de preuve. À cet égard, s'agissant du droit de la société d'être protégée contre le crime, ce droit ne doit pas se faire au détriment des droits humains et des principes généraux, comme M. Bernard Bouloc l'a écrit : « sans doute, la société est en droit de se défendre contre le crime et contre ceux qui n'entendent pas respecter les règles de la vie en société. Mais, ce droit de la société doit être exercé avec

273

mesure et raison »

.

La première section de ce chapitre porte sur la légalité, une limite à la liberté de la preuve. La deuxième section de ce chapitre porte sur la légalité, frein au caractère absolu de la liberté de la preuve.

271 V. sur ce point : D. Coujard, « instruction à l'audience », in Rép. pén. Dalloz, avril 1997, n° 1, p .4 : « Sujet permanent de controverse, la procédure pénale est soumise à deux impératifs contradictoires qui doivent coexister : le respect des droits de l'Homme, d'une part, l'efficacité du procès, de l'autre ».

272 V. en ce sens : M.-E. Boursier, Le principe de loyauté en droit processuel, Dalloz, 2003, p. 95 : « En effet le principe de liberté tend à assurer la sécurité dans un premier temps publique par la répression efficace des comportements pénalement sanctionnées et par la répression appliquée aux auteurs des infractions. Cette sécurité matérielle est nécessaire mais au même titre que la sécurité juridique. Or pour assurer cette sécurité juridique qui permet une protection contre l'arbitraire (menace pour tout citoyen), il faut concilier la recherche de la preuve avec le respect de la légalité, c'est-à-dire avec le respect de l'ensemble des règles juridiques qui organisent la société ».

273 B. Bouloc, « Les abus en matière de procédure pénale », in R.S.C., 1991, p. 221.

61

Section I

La légalité, une limite à la liberté de la preuve

35. La liberté de la preuve n'autorise pas le recours à tout moyen de preuve. La preuve ne

saurait être recherchée par n'importe quel moyen et à n'importe quel prix 274 . Cependant, une question peut être soulevée : comment le principe peut-il être nommé un principe de liberté de preuve alors qu'il connaît des limites ? Est-il normal que la liberté de la preuve ait des limites ? La réponse la plus logique est qu'il est en effet normal que le principe de la liberté de la preuve dispose de limites et de contraintes qui sont représentées par le principe de la légalité de la preuve pénale de sorte que la liberté de preuve consiste en la liberté de choisir uniquement entre les modes de preuve licites. La recherche de la preuve pénale ne doit pas tendre à la recherche de la vérité matérielle au nom du principe de la liberté de preuve par n'importe quels moyens et techniques. Les moyens de la preuve sont limités et les limites sont établies par la loi comme l'a indiqué M. Jean-Claude Soyer : « la manière de se procurer les preuves n'est pas entièrement libre. Elles doivent être obtenues suivant une procédure que la loi réglemente. Cette procédure a pour but, ou bien d'assurer l'efficacité de la preuve, afin qu'elle soit incontestable, ou bien d'éviter les abus qui pourraient résulter d'investigations sans limites. Une telle procédure devient d'autant plus stricte et minutieuse que le procès

275

pénal avance ». En effet, la preuve pénale ainsi que sa recherche menacent directement les droits et libertés individuels protégés par la loi. Par conséquent, il était nécessaire que le législateur détermine un cadre ou une marge particulière pour le principe de la liberté de la preuve, afin d'atteindre son objectif qui consiste à rechercher la preuve, sans que cet objectif soit un outil d'abus ou de violation des droits des individus, notamment du principe de la présomption d'innocence, selon lequel l'accusé reste innocent au cours de toutes les phases du procès, ainsi que pendant la phase de déduction et d'investigations, jusqu'à l'émission du jugement final contre lui, c'est-à-dire jusqu'au jugement au fond. Il est donc clair que le principe de la légalité de la preuve pénale représente une limite naturelle de l'application du principe de la liberté de la preuve pénale, étant donné que la légalité du moyen de la recherche de la preuve pénale constitue l'outil principal de l'entrave contre l'abus et la

274 V. Ph. Conte et P. Maistre Du Chambon, Procédure pénale, 4e éd., Armand Colin, Paris, 2002, n° 65, p. 40 : « En application du principe de la légalité, il est, parfois, interdit d'administrer des preuves obtenues par certains procédés de recherche ; dans d'autres cas, ces procédés sont réglementés. ».

275 J-C. Soyer, Droit pénal et Procédure pénale, 21e éd., L.G.D.J., Paris, 2012, n° 746, p. 317.

62

violation des droits au cours de la recherche de la preuve pénale. En outre, le principe de la légalité de la preuve pénale est une garantie procédurale fondamentale protégeant les droits du suspect ou de l'accusé lors de l'exécution ou l'application de la procédure pénale tendant à la recherche de preuves et visant à produire la preuve pénale selon les règles

276

prévues par le législateur.

§ 1. La légalité, une limite à l'arbitraire de la liberté de la preuve

36. Le principe de la légalité de la preuve pénale entre l'existence et l'inexistence. Souvent l'abus et l'arbitraire commis au nom de la justice surtout pendant la recherche de la preuve pénale, évoquent la nécessité d'une protection des droits des individus associés à l'efficacité de la procédure comme le souligne M. Jérôme Benedict : « la nécessité de protéger les individus contre les abus inquisitoriaux de la justice n'est pas une préoccupation nouvelle.

277

Mais sans doute elle revêt aujourd'hui une ampleur exceptionnelle ». La preuve pénale est l'essence de la procédure pénale dans le champ de la démonstration de l'accusation et son attribution à son auteur. Mlle Hélèna Houbron pose la problématique essentielle de la

278

recherche de la preuve: « la question est de savoir s'il faut voir dans la vérité l'expression d'un idéal au point que tout puisse être sacrifié à sa découverte. La réponse, bien sûr, ne peut

279

être que négative ». Il est reconnu que la preuve pénale est l'un des sujets les plus

276 V. J. Buisson, « L'audition sous hypnose est interdite. Est permis l'enregistrement, au parloir d'une maison d'arrêt, de propos tenus entre des mis en examen et leurs proches », in Procédures, n° 3, Mars 2001, comm. 70 : « ... pour les enquêteurs, le champ du principe de la liberté de la preuve soit très limité au profit du principe de la légalité. Certes comme le particulier, l'enquêteur ou le juge est libre de choisir un mode de preuve, mais, à la différence de celui-ci, il est contraint dans la mise en oeuvre de son choix par l'existence des actes limitativement mis à sa disposition. Il peut, par exemple, décider de parvenir à la preuve espérée par le biais de l'audition d'un témoin, de l'interrogatoire d'un suspect ou du mis en examen, d'une perquisition, d'une interception de correspondances..., mais une fois son choix opéré, la légalité reprend son empire : il ne peut administrer la preuve comme il l'entend, contraint qu'il est d'exécuter à cette fin probatoire l'un des actes que le législateur a prévus ».

277 J. Benedict, Le sort des preuves illégales dans le procès pénal, op. cit., p. 18.

278 V. sur ce point : P. Ricoeur, Le juste, édition Esprit, Paris, 1995, p. 25 : « Le traitement des questions de preuve place le juge dans une situation délicate dès lors qu'il se trouve soumis à deux pressions contradictoires : d'un côté, il doit mettre un terme définitif au litige dont il est saisi, ce qui est un devoir de sa charge mais aussi une condition du maintien de la paix civile, d'un autre côté, il est sommé de répondre aux attentes des citoyens qui, le plus souvent, estiment que justice est rendue à la condition que la vérité soit faite. Tout système de preuve est donc à la croisée de ces deux exigences et la preuve est intimement liée à la fonction même du procès ».

279 V. H. Houbron, Loyauté et vérité. Etude de droit processuel, Thèse de droit, Université de Reims Champagne Ardenne, 2004, n° 55, p. 42.

importants des procédures pénales, qui ont pour but essentiel d'atteindre la vérité et de découvrir le coupable. M. Édouard Verny souligne que « l'étude de la procédure pénale porte précisément pour une part importante sur les prérogatives accordées en ce domaine à

l'autorité publique ainsi que sur leurs conditions et limites.»

280

. Sans doute la vérité ne peut

63

être atteinte par la violation du droit substantiel et des atteintes aux personnes afin de collecter

. L'accès

281

la preuve. Il faut éviter de sacrifier les droits substantiels pour l'intérêt de la vérité

à la vérité ne se fait pas à n'importe quel prix. « La découverte de la vérité absolue risque de se heurter, non plus à des considérations liées à la procédure, mais cette fois, à des

considérations relatives au droit substantiel » 282 . Il faut rappeler toujours que le respect des règles de procédure par l'autorité qui recherche les preuves est essentiel pour une démocratie parce que ces règles de procédure ne sont pas prévues seulement pour faciliter la recherche de la preuve pénale mais elles ont aussi un objectif très important qui est de protéger les honnêtes gens contre toute forme d'arbitraire et contre les abus d'autorité.

A. La légalité souffre d'une ambiguïté remarquable

37. Des points d'ombre entourent le principe de la légalité de la preuve. Sous la domination du principe de la liberté de la preuve en matière pénale, il est timidement clair qu'il existe un autre principe important lié à la preuve pénale, qui est d'ailleurs le principe de la légalité de la preuve pénale. La question se pose quant à la signification du principe de la légalité de la preuve pénale. En outre, et sous cette domination croissante exercée par le principe de la liberté de la preuve pénale dans le cadre du système répressif en droit libanais et français, la légalité de la preuve pénale représente un retour au système des preuves légales ou au système de la preuve restreinte qui a prévalu précédemment en France. Afin d'éliminer les ambiguïtés qui existaient, il faut bien préciser que le principe général est toujours la liberté dans la recherche de la preuve pénale qui est la base du système répressif libanais et

français 283 . M. Robert Legros exprime clairement l'idée de la différence entre la légalité de la

280 É. Verny, Procédure pénale, 3e éd., Dalloz, 2012, n° 30, p. 23.

281 V. D. Dechenaud, L'égalité en matière pénale, Thèse de droit, L.G.D.J., 2008, Préface de Patrick Maistre du Chambon, n° 230, p. 158 : « La procédure pénale n'est pas tout entière tournée vers la recherche de la vérité, dans la mesure où elle doit également veiller à assurer le respect des intérêts des personnes impliquées. Les règles de forme tendent à garantir leur droit de se défendre face à l'accusation portée contre elles ».

282 V. H. Houbron, Loyauté et vérité. Etude de droit processuel, Thèse de droit, Université de Reims Champagne Ardenne, 2004, n° 55, p. 42.

283 V. en droit français : H. Leclerc, « Les limites de la liberté de la preuve. Aspects actuels en France », in R.S.C., 1992, p. 15 : « La preuve est libre en droit pénal français. Chacun le sait depuis qu'on a jeté dans le feu

preuve en droit pénal et le système de la preuve légale en écrivant : « en droit pénal comme en droit civil, il faut reconnaître le caractère légal de la preuve, sans pour autant en revenir à la

284

preuve légale au sens de l'ancien droit... »

. Donc, le principe de la légalité dans la

285

recherche de la preuve pénale ne constitue pas un retour au système des preuves légales

,

64

étant donné que simplement et clairement, la légalité de la preuve pénale est limitée ou se

286

préoccupe du moyen ou de la manière d'obtention de la preuve pénale. Plus précisément, la légalité de la preuve pénale dépend du contrôle de la légalité des moyens et des procédures

auxquels il a été recouru afin d'obtenir la preuve pénale 287 . Cette légalité n'est pas donc liée à la force probante de la preuve qui reste toujours soumise à la liberté d'appréciation du juge pénal, ou en d'autres termes, le principe de la liberté du juge pénal dans la formation de sa conviction ou encore l'intime conviction du juge dans le fondement de son jugement. Le principe de la légalité de preuve pénale se focalise sur le problème de l'admission d'éléments de preuve obtenus illégalement. Donc, la légalité de la preuve dépend de la façon ou de la manière dont la preuve a été obtenue qui doit être recherchée en respectant la loi et les principes généraux du droit de la preuve. Cependant, il est à remarquer que la légalité de la preuve pénale en tant que principe, concept et idée vit une véritable problème, sous la forme d'une crise d'identité et d'existence, notamment qu'on remarque à la lecture des ouvrages juridiques libanais et français qui s'intéressent uniquement à généraliser l'idée de la liberté de la preuve dans la recherche des éléments de preuve, sans prise en considération des limites de cette liberté et sans intérêt porté à la description et à l'explication du principe de la légalité de la preuve pénale. Il est nécessaire de prouver la réalité de l'existence du principe de la légalité de la preuve pénale, afin de mettre fin à l'hésitation existentielle qui entoure ce principe pourtant important dans les systèmes juridiques libanais et français, malgré la domination du principe de la liberté de la preuve pénale dans les deux pays. La liberté de la preuve semble dominante dans la culture juridique pénale et dans les ouvrages juridiques

révolutionnaire l'absurde système des preuves légales ».

284 R. Legros, «La preuve légale en droit pénal», in J.T., Editeurs : maison Ferd. Larcier S.A., Bruxelles, numéro 5055, 28 octobre 1978, pp. 589-595, V. spec. p. 592.

285 V. sur le système de preuve légale : F. Terré, Introduction générale au droit, Dalloz, 2006, p. 490 : « Le système dit de la preuve légale confie au législateur le soin d'apprécier la valeur respective des procédés de preuve. Ce système consacre une hiérarchie entre les preuves, limite, selon les cas, l'admissibilité de certains procédés... ».

286 J. R. Spencer, « Les limites en matière de preuve. Aspects actuels », in R.S.C., 1992, pp. 42-51, V. spec. p. 42 : « En droit français moderne la preuve est libre en ce que tout moyen de preuve est recevable : mais le moyen par lequel la preuve a été obtenue peut la rendre inutilisable en provoquant une nullité ».

287 V. en ce sens : Ph. Conte et P. Maistre Du Chambon, Procédure pénale, 4e éd., Armand Colin, Paris, 2002, n° 65, p. 40 : « Le principe de la légalité doit être d'emblée bien compris, qui touche aux moyens non aux buts à atteindre. ».

spécialisés dans le sujet de la preuve pénale au détriment de la légalité de la preuve pénale. De ce fait, il convient de dire que l'idée de la légalité de la preuve pénale ne nie pas le principe de la liberté de la preuve, mais plutôt désigne les limites de ce principe. Il n'existe pas de principe sans limites qui le contrôlent. Dans le cas de la liberté de la preuve, le contrôle consiste à surveiller les autorités publiques et judiciaires lorsqu'elles appliquent ce principe. Notamment, la recherche de la preuve pénale est étroitement liée aux droits et libertés des individus.

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