Chapitre I
La légalité, un outil d'encadrement du
principe de la
liberté de preuve
32. La légalité représente le cadre
qui entoure le principe de la liberté de la preuve pénale.
La liberté de la preuve pénale comme principe
général qui domine la recherche de la vérité ne
signifie pas que cette liberté est absolue. Il n'est pas permis pendant
la recherche de la preuve, de recourir à certains procédés
qui sont qualifiés ou dits illégaux : « la manifestation
de la
vérité ne justifie nullement le recours
à tout moyen de preuve »
|
250
|
. Cette liberté de la preuve
|
n'est pas aveugle et n'est pas sans restriction : «
la preuve doit être administrée
légalement » 251 . La liberté de
la preuve n'échappe pas à l'obligation de respecter des
principes
252
généraux et des droits fondamentaux des
individus, afin d'atteindre la vérité dans le cadre du
procès pénal. Comme l'affirme M. Vincent Lesclous, «
l'administration de la preuve, notamment par l'autorité publique, est
soumise à un principe de légalité soit par un formalisme
particulier à un acte soit à raison d'un principe
général (respect de l'intimité de la
vie privée et des droits de la défense par
exemple) »
|
253
|
. Il est convenu sans réserve d'aucune
|
56
sorte que le principe de liberté de la preuve ne justifie
pas le recours à certains procédés ou
moyens illégaux puisque le principe de la
légalité de preuve encadre cette liberté 254 comme le
255
souligne Mme Coralie Ambroise-Castérot. En effet, cette
légalité met la liberté de la preuve
250 G. Guidicelli-Delage (dir.) et H.
Matsopoulou (coord.), « Les transformations de l'administration de la
preuve pénale. Perspectives comparées. Allemagne, Belgique,
Espagne, États-Unis, France, Italie, Portugal, Royaume-Uni », in
Mission de recherche Droit et Justice / Synthèse 107 /,
décembre 2003, p. 3.
251 F. Fourment, Procédure
pénale, 14e édition, Larcier, 2013, n° 74,
p. 55.
252 V. G. Guidicelli-Delage (dir.) et H.
Matsopoulou (coord.), « Les transformations de l'administration de la
preuve pénale. Perspectives comparées. Allemagne, Belgique,
Espagne, États-Unis, France, Italie, Portugal, Royaume-Uni », in
Mission de recherche Droit et Justice / Synthèse 107 /,
décembre 2003, p. 8 : « L'encadrement de l'administration de la
preuve se fait aussi nécessairement par le respect imposé de
certains droits substantiels de l'homme, et plus précisément, par
le respect de la dignité humaine, le respect du droit à la vie
privée, ...».
253 V. Lesclous, « Enquête
préliminaire », in J.-Cl. Procédure pénale,
Art. 75 à 78, Fasc. 20, n° 45.
254 V. en se sens : H. Leclerc, « Les
limites de la liberté de la preuve. Aspects actuels en France », in
Revue de science criminelle, 1992, p. 15 : « Le formalisme et
le légalisme obligatoires dans la recherche et la production des preuves
par l'article 7 de la Déclaration des droits de l'homme » ;
L'article 7 de la Déclaration des droits de l'homme dispose : «
nul homme ne peut être accusé, arrêté ou
détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les
formes qu'elle a prescrites ».
255 C. Ambroise-Castérot, «
Recherche et administration des preuves en procédure pénale : la
quête du Graal de
en conformité avec les droits de l'homme, pour
éviter que la liberté de preuve soit un outil d'abus ou devienne
arbitraire sous prétexte d'obtenir la preuve pénale. Cette
liberté de preuve
256
est conditionnée par sa pratique dans le cadre du principe
de la légalité
, en vue de rendre la
57
preuve conforme à la loi, étant donné qu'il
est inadmissible d'accéder à la vérité en ayant
recours à des moyens non autorisés par la loi. La loi a
autorisé des moyens permettant la recherche de la vérité,
en les prévoyant explicitement, en organisant la méthode et la
façon de
257
leur utilisation, et en attribuant aux autorités
compétentes en matière de recherche de la preuve, la
liberté du choix des moyens qu'ils jugent nécessaires pour cette
recherche, parmi les
.
258
moyens autorisés par le législateur, en tenant
compte des principes généraux
33. Liberté de preuve et l'administration de la
preuve. Si la loi pénale permet d'utiliser tous
les modes de preuves parce que tant le Code de procédure pénale
libanais que le français consacrent le système de la
liberté des preuves pénales, elle ne laisse pas pour autant une
liberté absolue quant à l'administration de ceux-ci. M.
Édouard Verny affirme que « la liberté de la preuve
comprend néanmoins des limites qui résultent d'une exigence de
modération
dans les moyens de recherche des preuves » 259
. La liberté de la preuve est limitée par l'application
de certains principes généraux qui interdisent de rechercher la
vérité par n'importe quel procédé. En principe, la
procédure pénale est au service du droit pénal dont le
la Vérité », in AJ Pénal,
2005, pp. 261 et s. : « En effet, ce principe de liberté
de la preuve ne signifie pas que n'importe quel procédé puisse
être utilisé : torture, sérum de vérité,
polygraphe (détecteur de mensonge), etc. Il existe donc des
procédés interdits. La liberté des preuves est une
liberté encadrée par la légalité : seuls les modes
de preuves légalement prévus sont admissibles devant les
tribunaux... ».
256 V. en ce sens: J. Buisson, «
Sonorisation illégale du parloir d'une maison d'arrêt : constitue
une ingérence étatique au sens de l'article 8 de la Convention
européenne des droits de l'homme (CEDH 20 décembre 2005, Wisse c/
France, n° 71611/01) », in R.S.C., 2007, p. 607: «
On se fige trop souvent sur le fait qu'en matière pénale, la
preuve est libre alors que, contrairement à une vision sommaire de la
preuve en cette matière, ce principe de la liberté a, dans un
État de droit, un empire nécessairement limité par le
principe de la légalité, particulièrement lorsque
l'administration de la preuve est le fait des agents de l'autorité
publique ».
257 V. sur ce point : M-L. Rassat,
Procédure pénale, 2e édition,
Éditeur : Ellipses, 2013, n° 256, p. 265 : « Chaque mode
de preuve est doté d'une procédure d'obtention
particulière qui fait l'objet d'une réglementation
spécifique et détaillé.».
258 V. J. Buisson, « Sonorisation
illégale du parloir d'une maison d'arrêt : constitue une
ingérence étatique au sens de l'article 8 de la Convention
européenne des droits de l'homme (CEDH 20 décembre 2005, Wisse c/
France, n° 71611/01) », in R.S.C., 2007, p. 607: «
L'agent public peut, par exemple, décider de parvenir à la preuve
espérée par le biais de l'audition d'un témoin, de
l'interrogatoire d'un suspect ou du mis en examen, d'une perquisition, d'une
interception de correspondances, mais une fois son choix opéré,
la légalité reprend son empire : il ne peut administrer la preuve
comme il l'entend, contraint qu'il est d'exécuter l'un des actes que le
législateur a prévus à cette fin probatoire
».
259 É. Verny, Procédure
pénale, 3e éd., Dalloz, 2012, n° 30, p.
22.
but principal est de chercher, trouver et punir les coupables
d'une infraction pénale
260
. Mais
58
pour atteindre le but principal de la procédure
pénale, c'est-à-dire l'objectif louable de rechercher la
vérité et les coupables dans le procès pénal, il
faut trouver un équilibre entre la nécessité de
préserver l'efficacité de la justice pénale et celle de
préserver les libertés
261
individuelles et publiques . Si la preuve est libre en
principe dans les systèmes pénaux libanais et français qui
adoptent le principe de la liberté de la preuve, cette liberté ne
peut et ne
doit pas être absolue 262 . L'administration et
la recherche de la preuve dans le domaine pénal sont toujours soumises
à des règles, n'importe quelle preuve ne peut être
présentée pour
former l'intime conviction du juge ou des jurés 263 .
En effet, la preuve en matière pénale est libre, ce qui
caractérise et domine le système des preuves pénales, mais
la liberté de la preuve
264
comporte des limites imposées par des principes
généraux qui ne sont pas écrits . La
légalité tient une place importante dans le droit de la preuve.
En effet, il existe certaines restrictions, dans la recherche des preuves, qui
sont imposées au juge pénal par le législateur ou la
jurisprudence, mais qui ne constituent pas en tout cas de véritables
exceptions au principe de
liberté des preuves qui domine la procédure
pénale française 265 et libanaise en matière de
260M. Trevidic, « La
recherche de la preuve en droit français », in La preuve au
coeur du débat judiciaire : discovery, cross-examination et expertise
contradictoire regards croisés franco-américains, colloque
du 24 mars 2010 organise par l'association France-Amériques (A.F.D.D.),
disponible en ligne sur le site officiel des juges d'instruction
français : http://www.afmi.asso.fr/
261 M. Trevidic, « La recherche de la
preuve en droit français », op. cit.
262 V. en ce sens : F. El Hajj Chehade,
Les actes d'investigation, Thèse de droit, Université du
Maine, 2010, p. 25 : « Si la preuve pénale peut être
rapportée par tout moyen, cela ne signifie pas pour autant qu'elle se
soustraie totalement au droit et s'exerce au détriment des droits des
parties ».
263 V. J. Buisson, « Sonorisation
illégale du parloir d'une maison d'arrêt : constitue une
ingérence étatique au sens de l'article 8 de la Convention
européenne des droits de l'homme (CEDH 20 décembre 2005, Wisse c/
France, n° 71611/01) », in R.S.C., 2007, p. 607: «
l'enquêteur ou le juge est libre de choisir tel mode de preuve parmi ceux
qui sont à sa disposition, mais il est contraint dans la mise en oeuvre
de son choix par l'existence des actes d'administration de la preuve
limitativement mis à sa disposition ».
264 R. Merle et A. Vitu, Traité de
droit criminel, 4e éd., Cujas, Paris, 1989, t. 2
Procédure pénale, n° 129, p. 162 ; G. Stefani, G.
Levasseur et B. Bouloc, Procédure pénale, 23e
éd., Dalloz, 2012, n° 145, p. 124 : Les limites à la
liberté des preuves : « Une deuxième limite
résulte du respect des valeurs fondamentales de la civilisation. Quoique
la manifestation de la vérité soit l'objectif capital du
procès répressif, cette vérité ne peut être
recherchée par n'importe quel moyen. Il importe à la
dignité de la justice et au respect qu'elle doit inspirer, de ne mettre
en oeuvre aucun moyen qui attente aux droits fondamentaux de la personne
humaine ou aux droits de la défense. C'est pour cette raison que la
torture est interdite ... ». ; Ph. Conte et P. Maistre Du Chambon,
Procédure pénale, 4e éd., Armand
Colin, Paris, 2002, n° 46, p. 31 : « ... d'un point de vue plus
large, il faut examiner, également, la façon dont les preuves
sont recherchées et administrées : la règle de la
liberté pourrait affaiblie dans sa portée si des restrictions
excessives entravaient la découverte de la vérité. C'est
le principe de la légalité qui fixe, ici, les limites.
».
265C. Mascala, « Le juge
répressif doit apprécier la valeur probante des moyens de preuve
produits par les parties même obtenus de manière illicite ou
déloyale », Note sous Cass. crim., 15 juin 1993 in D.,
1994, jurisprudence p. 613.
59
preuve. La recherche des preuves de manière
illégale est interdite ; les procédés qui portent atteinte
à la dignité humaine et à l'intégrité
corporelle des prévenus sont interdits et prohibés. «
Quoique la manifestation de la vérité soit l'objectif capital du
procès répressif, cette vérité ne peut être
recherchée par n'importe quel moyen. Il importe à la
dignité de la justice et au respect qu'elle doit inspirer, de ne mettre
en oeuvre aucun moyen qui attente aux droits fondamentaux de la personne
humaine ou aux droits de la défense. C'est pour cette raison que
266
la torture est interdite ... ». Selon M. Marc
Trevidic, les principes qui gouvernent la façon dont la preuve est
recherchée sont le principe de la liberté de la preuve
atténuée par les
267
principes du contradictoire et de loyauté. En premier
lieu, la preuve doit être admissible sur le plan de la
légalité formelle. Elle doit en outre avoir été
obtenue et recueillie loyalement. La preuve ne saurait résulter de
l'utilisation d'un moyen illégal, comme l'usage de la force physique, ou
de mauvais traitements. En droit communautaire, M. Michel Van de Kerchove croit
que même si l'admissibilité des modes de preuve est en principe
considérée comme relevant du droit interne, les organes de la
Convention se sont néanmoins fondés sur l'article 6, § 2, en
ce qu'il prévoit que la culpabilité de l'accusé doit
être « légalement établie », pour lui
268
imposer certaines limites.
34. La légalité contribue à
l'humanisation de la recherche des preuves. Le principe de la
légalité de la preuve pénale est un outil qui rend le
principe de la liberté de la preuve non radical et compatible avec les
principes généraux du droit de la preuve, en particulier avec
la
269 270
tendance à humaniser les moyens de la preuve
pénalenotamment au cours de l'évolution rapide et croissante des
moyens et des modes de recherche des éléments de preuve qui
266 Stefani, G. Levasseur et B. Bouloc,
Procédure pénale, 23e éd., Dalloz,
2012, n° 145, p. 124.
267 M. Trevidic, « La recherche de la
preuve en droit français », op. cit.
268 M. Van de Kerchove, « La preuve en
matière pénale dans la jurisprudence de la Cour et de la
Commission européennes des droits de l'homme », in R.S.C.,
1992, n° 1, pp. 1-14 ; A cet égard, v. notamment Cour EDH,
arrêt Salabiaku, 7 oct 1988, série A n° 141, p. 16 : Dans
l'arrêt Salabiaku contre France, paragraphe 28, la Cour Européenne
a retenu que : « le législateur national pourrait à sa
guise priver le juge du fond d'un véritable pouvoir
d'appréciation, si les mots « légalement établie
» impliquaient un renvoi inconditionnel au droit interne. Un tel
résultat ne saurait se concilier avec l'objet et le but de l'article 6
(art. 6) qui, en protégeant le droit de chacun à un procès
équitable et notamment au bénéfice de la
présomption d'innocence, entend consacrer le principe fondamental de la
prééminence du droit».
269 V. J.-C. Soyer, «L'avenir de la vie
privée face aux effets pervers du progrès et de la vertu »,
in P. Tabatoni (Sous dir.), La protection de la vie privée dans la
société d'information, P.U.F., Collection : Cahiers Sciences
Morales Et Politiques, 2000, tome 1, chapitre 1, pp. 7-12, V. spec. p. 10 :
« Pour une démocratie contemporaine et soumise à la
prééminence du droit, la vertu civique se mesurera donc par le
respect effectif, au quotidien, des droits de l'homme dont les individus
peuvent se réclamer ».
270 V. Ch. Perelman, « La preuve en
droit : essai de synthèse », in La preuve en droit,
études publiées par Ch. Perelman et Paul Foriers, Travaux du
CNRL, Bruylant, Bruxelles, 1981, p. 364 : « La preuve et la
vérité ne sont que des moyens de réaliser la justice,
telle qu'elle est conçue dans une société
donnée».
peuvent menacer les droits en général et surtout
les libertés individuelles, la dignité de la
271
personne humaine et l'intimité de la vie privée
. La liberté de la preuve est en mesure de
60
servir l'objectif du Code de procédure pénale,
qui est la découverte de la vérité par le biais de moyens
de preuve cohérents et compatibles avec le principe de la
légalité de la
272
preuve pénale . La recherche de la preuve est le chemin
qui conduit à l'apparence de la vérité souhaitable dans la
société, mais cette vérité ne doit pas sacrifier
les libertés individuelles au profit de l'autorité
étatique afin d'obtenir des éléments de preuve. À
cet égard, s'agissant du droit de la société d'être
protégée contre le crime, ce droit ne doit pas se faire au
détriment des droits humains et des principes généraux,
comme M. Bernard Bouloc l'a écrit : « sans doute, la
société est en droit de se défendre contre le crime et
contre ceux qui n'entendent pas respecter les règles de la vie en
société. Mais, ce droit de la société doit
être exercé avec
273
La première section de ce chapitre porte sur la
légalité, une limite à la liberté de la preuve. La
deuxième section de ce chapitre porte sur la légalité,
frein au caractère absolu de la liberté de la preuve.
271 V. sur ce point : D. Coujard, «
instruction à l'audience », in Rép. pén.
Dalloz, avril 1997, n° 1, p .4 : « Sujet permanent de
controverse, la procédure pénale est soumise à deux
impératifs contradictoires qui doivent coexister : le respect des droits
de l'Homme, d'une part, l'efficacité du procès, de l'autre
».
272 V. en ce sens : M.-E. Boursier, Le
principe de loyauté en droit processuel, Dalloz, 2003, p. 95 :
« En effet le principe de liberté tend à assurer la
sécurité dans un premier temps publique par la répression
efficace des comportements pénalement sanctionnées et par la
répression appliquée aux auteurs des infractions. Cette
sécurité matérielle est nécessaire mais au
même titre que la sécurité juridique. Or pour assurer cette
sécurité juridique qui permet une protection contre l'arbitraire
(menace pour tout citoyen), il faut concilier la recherche de la preuve avec le
respect de la légalité, c'est-à-dire avec le respect de
l'ensemble des règles juridiques qui organisent la société
».
273 B. Bouloc, « Les abus en matière
de procédure pénale », in R.S.C., 1991, p. 221.
61
Section I
La légalité, une limite à la
liberté de la preuve
35. La liberté de la preuve n'autorise pas le recours
à tout moyen de preuve. La preuve ne
saurait être recherchée par n'importe quel moyen
et à n'importe quel prix 274 . Cependant, une question peut être
soulevée : comment le principe peut-il être nommé un
principe de liberté de preuve alors qu'il connaît des limites ?
Est-il normal que la liberté de la preuve ait des limites ? La
réponse la plus logique est qu'il est en effet normal que le principe de
la liberté de la preuve dispose de limites et de contraintes qui sont
représentées par le principe de la légalité de la
preuve pénale de sorte que la liberté de preuve consiste en la
liberté de choisir uniquement entre les modes de preuve licites. La
recherche de la preuve pénale ne doit pas tendre à la recherche
de la vérité matérielle au nom du principe de la
liberté de preuve par n'importe quels moyens et techniques. Les moyens
de la preuve sont limités et les limites sont établies par la loi
comme l'a indiqué M. Jean-Claude Soyer : « la manière de
se procurer les preuves n'est pas entièrement libre. Elles doivent
être obtenues suivant une procédure que la loi réglemente.
Cette procédure a pour but, ou bien d'assurer l'efficacité de la
preuve, afin qu'elle soit incontestable, ou bien d'éviter les abus qui
pourraient résulter d'investigations sans limites. Une telle
procédure devient d'autant plus stricte et minutieuse que le
procès
275
pénal avance ». En effet, la preuve
pénale ainsi que sa recherche menacent directement les droits et
libertés individuels protégés par la loi. Par
conséquent, il était nécessaire que le législateur
détermine un cadre ou une marge particulière pour le principe de
la liberté de la preuve, afin d'atteindre son objectif qui consiste
à rechercher la preuve, sans que cet objectif soit un outil d'abus ou de
violation des droits des individus, notamment du principe de la
présomption d'innocence, selon lequel l'accusé reste innocent au
cours de toutes les phases du procès, ainsi que pendant la phase de
déduction et d'investigations, jusqu'à l'émission du
jugement final contre lui, c'est-à-dire jusqu'au jugement au fond. Il
est donc clair que le principe de la légalité de la preuve
pénale représente une limite naturelle de l'application du
principe de la liberté de la preuve pénale, étant
donné que la légalité du moyen de la recherche de la
preuve pénale constitue l'outil principal de l'entrave contre l'abus et
la
274 V. Ph. Conte et P. Maistre Du Chambon,
Procédure pénale, 4e éd., Armand
Colin, Paris, 2002, n° 65, p. 40 : « En application du principe
de la légalité, il est, parfois, interdit d'administrer des
preuves obtenues par certains procédés de recherche ; dans
d'autres cas, ces procédés sont réglementés.
».
275 J-C. Soyer, Droit pénal et
Procédure pénale, 21e éd., L.G.D.J.,
Paris, 2012, n° 746, p. 317.
62
violation des droits au cours de la recherche de la preuve
pénale. En outre, le principe de la légalité de la preuve
pénale est une garantie procédurale fondamentale
protégeant les droits du suspect ou de l'accusé lors de
l'exécution ou l'application de la procédure pénale
tendant à la recherche de preuves et visant à produire la preuve
pénale selon les règles
276
prévues par le législateur.
§ 1. La légalité, une limite
à l'arbitraire de la liberté de la preuve
36. Le principe de la légalité de la preuve
pénale entre l'existence et l'inexistence. Souvent l'abus et
l'arbitraire commis au nom de la justice surtout pendant la recherche de la
preuve pénale, évoquent la nécessité d'une
protection des droits des individus associés à
l'efficacité de la procédure comme le souligne M.
Jérôme Benedict : « la nécessité de
protéger les individus contre les abus inquisitoriaux de la justice
n'est pas une préoccupation nouvelle.
277
Mais sans doute elle revêt aujourd'hui une ampleur
exceptionnelle ». La preuve pénale est l'essence de la
procédure pénale dans le champ de la démonstration de
l'accusation et son attribution à son auteur. Mlle Hélèna
Houbron pose la problématique essentielle de la
278
recherche de la preuve: « la question est de savoir
s'il faut voir dans la vérité l'expression d'un idéal au
point que tout puisse être sacrifié à sa découverte.
La réponse, bien sûr, ne peut
279
être que négative ». Il est reconnu
que la preuve pénale est l'un des sujets les plus
276 V. J. Buisson, « L'audition sous
hypnose est interdite. Est permis l'enregistrement, au parloir d'une maison
d'arrêt, de propos tenus entre des mis en examen et leurs proches »,
in Procédures, n° 3, Mars 2001, comm. 70 : « ...
pour les enquêteurs, le champ du principe de la liberté de la
preuve soit très limité au profit du principe de la
légalité. Certes comme le particulier, l'enquêteur ou le
juge est libre de choisir un mode de preuve, mais, à la
différence de celui-ci, il est contraint dans la mise en oeuvre de son
choix par l'existence des actes limitativement mis à sa disposition. Il
peut, par exemple, décider de parvenir à la preuve
espérée par le biais de l'audition d'un témoin, de
l'interrogatoire d'un suspect ou du mis en examen, d'une perquisition, d'une
interception de correspondances..., mais une fois son choix
opéré, la légalité reprend son empire : il ne peut
administrer la preuve comme il l'entend, contraint qu'il est d'exécuter
à cette fin probatoire l'un des actes que le législateur a
prévus ».
277 J. Benedict, Le sort des preuves
illégales dans le procès pénal, op. cit., p.
18.
278 V. sur ce point : P. Ricoeur, Le
juste, édition Esprit, Paris, 1995, p. 25 : « Le
traitement des questions de preuve place le juge dans une situation
délicate dès lors qu'il se trouve soumis à deux pressions
contradictoires : d'un côté, il doit mettre un terme
définitif au litige dont il est saisi, ce qui est un devoir de sa charge
mais aussi une condition du maintien de la paix civile, d'un autre
côté, il est sommé de répondre aux attentes des
citoyens qui, le plus souvent, estiment que justice est rendue à la
condition que la vérité soit faite. Tout système de preuve
est donc à la croisée de ces deux exigences et la preuve est
intimement liée à la fonction même du procès
».
279 V. H. Houbron, Loyauté et
vérité. Etude de droit processuel, Thèse de droit,
Université de Reims Champagne Ardenne, 2004, n° 55, p. 42.
importants des procédures pénales, qui ont pour
but essentiel d'atteindre la vérité et de découvrir le
coupable. M. Édouard Verny souligne que « l'étude de la
procédure pénale porte précisément pour une part
importante sur les prérogatives accordées en ce domaine
à
l'autorité publique ainsi que sur leurs conditions
et limites.»
|
280
|
. Sans doute la vérité ne peut
|
63
être atteinte par la violation du droit substantiel et des
atteintes aux personnes afin de collecter
. L'accès
281
la preuve. Il faut éviter de sacrifier les droits
substantiels pour l'intérêt de la vérité
à la vérité ne se fait pas à
n'importe quel prix. « La découverte de la vérité
absolue risque de se heurter, non plus à des considérations
liées à la procédure, mais cette fois, à
des
considérations relatives au droit substantiel
» 282 . Il faut rappeler toujours que le respect des
règles de procédure par l'autorité qui recherche les
preuves est essentiel pour une démocratie parce que ces règles de
procédure ne sont pas prévues seulement pour faciliter la
recherche de la preuve pénale mais elles ont aussi un objectif
très important qui est de protéger les honnêtes gens contre
toute forme d'arbitraire et contre les abus d'autorité.
A. La légalité souffre d'une
ambiguïté remarquable
37. Des points d'ombre entourent le principe de la
légalité de la preuve. Sous la domination du principe de la
liberté de la preuve en matière pénale, il est timidement
clair qu'il existe un autre principe important lié à la preuve
pénale, qui est d'ailleurs le principe de la légalité de
la preuve pénale. La question se pose quant à la signification du
principe de la légalité de la preuve pénale. En outre, et
sous cette domination croissante exercée par le principe de la
liberté de la preuve pénale dans le cadre du système
répressif en droit libanais et français, la
légalité de la preuve pénale représente un retour
au système des preuves légales ou au système de la preuve
restreinte qui a prévalu précédemment en France. Afin
d'éliminer les ambiguïtés qui existaient, il faut bien
préciser que le principe général est toujours la
liberté dans la recherche de la preuve pénale qui est la base du
système répressif libanais et
français 283 . M. Robert Legros exprime clairement
l'idée de la différence entre la légalité de la
280 É. Verny, Procédure
pénale, 3e éd., Dalloz, 2012, n° 30, p.
23.
281 V. D. Dechenaud,
L'égalité en matière pénale, Thèse
de droit, L.G.D.J., 2008, Préface de Patrick Maistre du Chambon, n°
230, p. 158 : « La procédure pénale n'est pas tout
entière tournée vers la recherche de la vérité,
dans la mesure où elle doit également veiller à assurer le
respect des intérêts des personnes impliquées. Les
règles de forme tendent à garantir leur droit de se
défendre face à l'accusation portée contre elles
».
282 V. H. Houbron, Loyauté et
vérité. Etude de droit processuel, Thèse de droit,
Université de Reims Champagne Ardenne, 2004, n° 55, p. 42.
283 V. en droit français : H. Leclerc,
« Les limites de la liberté de la preuve. Aspects actuels en France
», in R.S.C., 1992, p. 15 : « La preuve est libre en
droit pénal français. Chacun le sait depuis qu'on a jeté
dans le feu
preuve en droit pénal et le système de la preuve
légale en écrivant : « en droit pénal comme en
droit civil, il faut reconnaître le caractère légal de la
preuve, sans pour autant en revenir à la
284
preuve légale au sens de l'ancien droit...
»
. Donc, le principe de la légalité dans
la
285
recherche de la preuve pénale ne constitue pas un retour
au système des preuves légales
,
64
étant donné que simplement et clairement, la
légalité de la preuve pénale est limitée ou se
286
préoccupe du moyen ou de la manière d'obtention
de la preuve pénale. Plus précisément, la
légalité de la preuve pénale dépend du
contrôle de la légalité des moyens et des
procédures
auxquels il a été recouru afin d'obtenir la
preuve pénale 287 . Cette légalité n'est pas donc
liée à la force probante de la preuve qui reste toujours soumise
à la liberté d'appréciation du juge pénal, ou en
d'autres termes, le principe de la liberté du juge pénal dans la
formation de sa conviction ou encore l'intime conviction du juge dans le
fondement de son jugement. Le principe de la légalité de preuve
pénale se focalise sur le problème de l'admission
d'éléments de preuve obtenus illégalement. Donc, la
légalité de la preuve dépend de la façon ou de la
manière dont la preuve a été obtenue qui doit être
recherchée en respectant la loi et les principes généraux
du droit de la preuve. Cependant, il est à remarquer que la
légalité de la preuve pénale en tant que principe, concept
et idée vit une véritable problème, sous la forme d'une
crise d'identité et d'existence, notamment qu'on remarque à la
lecture des ouvrages juridiques libanais et français qui
s'intéressent uniquement à généraliser
l'idée de la liberté de la preuve dans la recherche des
éléments de preuve, sans prise en considération des
limites de cette liberté et sans intérêt porté
à la description et à l'explication du principe de la
légalité de la preuve pénale. Il est nécessaire de
prouver la réalité de l'existence du principe de la
légalité de la preuve pénale, afin de mettre fin à
l'hésitation existentielle qui entoure ce principe pourtant important
dans les systèmes juridiques libanais et français, malgré
la domination du principe de la liberté de la preuve pénale dans
les deux pays. La liberté de la preuve semble dominante dans la culture
juridique pénale et dans les ouvrages juridiques
révolutionnaire l'absurde système des preuves
légales ».
284 R. Legros, «La preuve légale
en droit pénal», in J.T., Editeurs : maison Ferd. Larcier
S.A., Bruxelles, numéro 5055, 28 octobre 1978, pp. 589-595, V. spec. p.
592.
285 V. sur le système de preuve
légale : F. Terré, Introduction générale au
droit, Dalloz, 2006, p. 490 : « Le système dit de la
preuve légale confie au législateur le soin d'apprécier la
valeur respective des procédés de preuve. Ce système
consacre une hiérarchie entre les preuves, limite, selon les cas,
l'admissibilité de certains procédés... ».
286 J. R. Spencer, « Les limites en
matière de preuve. Aspects actuels », in R.S.C., 1992, pp.
42-51, V. spec. p. 42 : « En droit français moderne la preuve
est libre en ce que tout moyen de preuve est recevable : mais le moyen par
lequel la preuve a été obtenue peut la rendre inutilisable en
provoquant une nullité ».
287 V. en ce sens : Ph. Conte et P. Maistre
Du Chambon, Procédure pénale, 4e éd.,
Armand Colin, Paris, 2002, n° 65, p. 40 : « Le principe de la
légalité doit être d'emblée bien compris, qui touche
aux moyens non aux buts à atteindre. ».
spécialisés dans le sujet de la preuve
pénale au détriment de la légalité de la preuve
pénale. De ce fait, il convient de dire que l'idée de la
légalité de la preuve pénale ne nie pas le principe de la
liberté de la preuve, mais plutôt désigne les limites de ce
principe. Il n'existe pas de principe sans limites qui le contrôlent.
Dans le cas de la liberté de la preuve, le contrôle consiste
à surveiller les autorités publiques et judiciaires lorsqu'elles
appliquent ce principe. Notamment, la recherche de la preuve pénale est
étroitement liée aux droits et libertés des individus.
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