Conclusion générale
419. La preuve tend à l'établissement de la
vérité dans le procès pénal. Cette thèse est
une contribution à l'étude du principe de la
légalité de la preuve pénale sous l'angle du droit
comparé (Liban et France). Évidemment, le droit français
sous ses multiples aspects (loi, jurisprudence et doctrine) a exercé une
influence marquante sur le droit libanais et continue à le faire. Le
recours au droit comparé contribue au mouvement de la circulation des
solutions juridiques entre les pays. La procédure criminelle au Liban et
en France correspond à un système de procédure mixte entre
le modèle inquisitoire et le modèle accusatoire. La recherche des
preuves est dominée par un trinôme de principes : liberté,
légalité et loyauté. La liberté est le principe
essentiel dans la recherche de preuve en matière pénale.
L'importance de la preuve dans le contentieux pénal est indiscutable.
Dans le cadre du procès pénal, le principe de la liberté
de la preuve gouverne le processus de la recherche de la vérité,
ce qui laisse croire que tout mode de preuve est recevable sans limite puisque
la liberté est absolue dans la recherche des preuves pénales.
420. Le droit pénal libanais repose sur la
liberté de la preuve qui se manifeste clairement par une
consécration législative et jurisprudentielle du principe de
liberté de la preuve. Le principe de liberté de la preuve en
matière pénale trouve son fondement dans les dispositions de
l'article 179 du CPP libanais « les infractions
alléguées peuvent être établies par tout mode de
preuve, à moins que la loi n'en dispose autrement. Le juge ne peut
fonder sa décision que sur les preuves dont il dispose et qui ont fait
l'objet d'un débat contradictoire en audience publique... ».
En outre, ce principe est confirmé par une jurisprudence stable
dans les arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation
libanaise et du Conseil judiciaire libanais qui ont affirmé à
plusieurs reprises la dominance du principe de liberté comme un principe
général qui gouverne la recherche de preuve dans le contentieux
pénal. À son tour, la doctrine pénale libanaise est
presque unanime à cet égard en ce qui concerne l'application du
principe de la liberté dans la recherche des éléments de
preuve en droit libanais.
421. En droit français, le régime des preuves
en matière pénale est celui de la liberté de la preuve. La
liberté de la preuve en matière pénale est soutenue en
droit français par une consécration législative et
jurisprudentielle de ce principe. Le Code de procédure pénale
français adopte le système de la liberté des preuves en
matière pénale aux termes de l'article 427 du CPP qui affirme la
liberté de la preuve : « Hors les cas où la loi en
dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout
mode de preuve et le juge décide d'après son
549
intime conviction. Le juge ne peut fonder sa
décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des
débats et contradictoirement discutées devant lui ». La
doctrine pénale française reconnaît clairement et de
manière unanime que le principe de liberté de la preuve constitue
une règle générale en matière pénale, suivie
en cela par la chambre criminelle de la Cour de cassation française qui
a consacré ce principe grâce à une jurisprudence bien
établie dans les arrêts de cette Cour. Ce principe
général de la liberté de la preuve en matière
pénale adopté en droit libanais et français connaît
des limites. Sans doute, la liberté de preuve n'est pas une
liberté entière et absolue. Dans un État de droit, la
liberté de preuve s'incline parfois afin d'atteindre un équilibre
entre deux objets recherchés dans la politique criminelle qui ne sont
pas identiques et parfois soumis à deux pressions contradictoires. Le
premier objet est l'efficacité dans la recherche de la preuve pour
atteindre la vérité. Le deuxième objet est le respect des
droits fondamentaux de l'homme et les principes généraux de droit
qui assurent des garanties procédurales substantielles qui se
caractérisent par le respect de la légalité. En effet,
malgré la difficulté qui existe dans la recherche de la preuve et
qui justifie cette liberté de preuve, cela n'empêche pas de
préciser qu'il faut concilier la recherche de la vérité
avec d'autres principes, et donc, chercher à trouver un équilibre
satisfaisant entre l'efficacité du système pénal et la
garantie des droits de l'homme parce que l'efficacité de la recherche
des preuves ne doit pas être obtenue au prix d'atteintes aux droits
individuels. L'adoption du principe de la liberté de preuve
pénale par le législateur ne signifie pas que cette
liberté dans la recherche et l'administration des preuves pénales
est absolue et sans aucune restriction. En effet, une telle liberté de
preuve sans restriction constituerait un abus ouvrant la porte à la
violation de droits et libertés des individus sous prétexte de la
recherche de preuves. En dépit de l'importance de l'obtention de la
preuve pénale, il est inadmissible de sacrifier la totalité des
droits et libertés des individus pour cette fin. Le principe de la
légalité de la preuve pénale va dessiner les contours de
la liberté de preuve. Par conséquent, le principe de la
légalité de la preuve pénale dans ses deux aspects,
formelle et matérielle, constitue une restriction fondamentale à
la liberté de la preuve, afin d'empêcher tout extrémisme
dans le cadre du concept de cette liberté. Quel est le rôle que
peut et doit jouer le principe de la légalité dans la recherche
de preuve ? Le principe de la légalité exprime l'idée de
la primauté du texte de la loi qui est considéré comme une
conséquence normale et naturelle de l'État de droit. La
légalité en matière de preuve pénale apparaît
comme une exigence fondamentale de l'État de droit. Ce qui
précède offre l'occasion de souligner que l'adaptation du
principe de liberté de la preuve en matière pénale par les
législateurs libanais et français ne signifie pas que la fin
justifie les moyens. Les deux systèmes procéduraux libanais et
français soumettent la recherche de la preuve pénale à
diverses restrictions qui limitent cette liberté de preuve. Cependant,
le
550
principe de légalité souffre d'une
ambiguïté remarquable dans la culture juridique parce qu'il y a
confusion entre le principe de la légalité dans la recherche de
la preuve pénale, qui focalise sur la façon d'obtenir les preuves
et le système de la preuve légale, où la loi
énumère et définit les modes de preuve admissibles dont
elle détermine la force probante. Une distinction doit être faite
entre légalité des preuves et preuves légales pour
éviter de confondre les notions de « légalité des
preuves » et de « preuves légales ». La
légalité des preuves désigne le caractère
légal de la preuve qui est bien différent de la preuve
légale. Le système dit de preuve libre ou morale qui est
basé sur l'intime conviction du juge pénal est le contraire du
système de la preuve légale. En fait, la légalité
est un principe qui offre un outil juridique qui peut contrôler une
application libérale du principe de la liberté de la preuve qui
peut se transformer au nom de l'efficacité du système
répressif en un outil permettant de commettre des violations graves et
systématiques des droits humains et des droits fondamentaux du suspect
et accusé dans le procès pénal. La légalité
vient freiner toute dérive possible dans l'application de la
liberté dans la recherche des preuves. Le principe de la
légalité constitue un rempart efficace contre l'injustice et
l'arbitraire qui peuvent naître de la liberté de preuve. En
réalité, en présence du principe de
légalité, il sera difficile de considérer que le principe
de liberté de preuve consiste en une liberté infinie et radicale.
La légalité dans la recherche de preuves en matière
pénale va remplir une mission essentielle tout au long du processus de
recherche des preuves qui est le fait de réduire strictement la
liberté de la preuve dans la mesure du possible pour garantir
l'efficacité de la répression à travers la manifestation
de la vérité en droit processuel, et d'autre part dans le but de
garantir les droits de la défense et du procès équitable
tout au long de la conduite de la procédure pénale. Le principe
de la légalité trace le contour du principe de la liberté
de preuve pénale. La légalité contribue à former un
outil d'encadrement du principe de la liberté de preuve.
Évidemment, la recherche des preuves pénales peut porter atteinte
aux droits individuels et seul le législateur est compétent pour
en décider et fixer la marge de l'atteinte nécessaire sur les
droits individuels qu'on l'appelle atteinte légale au service de la
manifestation de la vérité dans le procès pénal.
422. La légalité en matière de preuve
pénale se divise en deux aspects : légalité formelle et
légalité matérielle. La légalité formelle de
la preuve pénale signifie que la recherche de celle-ci est le
résultat d'une procédure pénale admise par la loi, en
veillant à l'application de cette procédure produisant cette
preuve pénale selon le modèle légal imposé par le
législateur. La légalité formelle de la preuve
pénale indique également le respect du droit à la
protection de la vie privée, et l'interdiction d'obtenir les
éléments de preuve en violation des principes
généraux de droit intimement liés à la preuve
pénale. En d'autres termes, la légalité formelle signifie
la non-violation des principes liés à la preuve pénale
à la phase de jugement dans le
551
procès. Ces principes sont la publicité,
l'oralité et le contradictoire, dont la violation représente une
violation de la légalité formelle de la preuve.
423. Relativement à la légalité
formelle, le respect de la légalité formelle impose que la
liberté de preuve comme principe général est soumise
à des formes et restrictions imposées par les dispositions des
lois qui régissent le processus de la recherche de preuve. Sans doute,
il faut distinguer entre deux sortes de formalités, connues d'une part
sous le nom de formalités substantielles dont l'inobservation rend les
preuves illégales, et d'autre part les formalités non
substantielles ou secondaires, dont l'inobservation ne rend pas les preuves
illégales. La liberté de la preuve doit respecter la
légalité formelle s'agissant de toutes les conditions,
interdictions ou entraves que le législateur a voulu déterminer
dans la procédure pénale lors de la recherche de la preuve ou sa
production. Ainsi, le respect de la légalité formelle impose de
respecter l'application des principes directeurs relatifs à la preuve
qui sont : le respect du principe de l'oralité du débat, du
principe du contradictoire et la publicité des débats. Les
éléments de preuve dans un procès pénal doivent
faire l'objet d'un débat contradictoire pour que la preuve soit conforme
au principe de la légalité formelle de la preuve pénale.
Par conséquent, le juge du fond ne peut pas prendre en compte des
éléments de preuve qui portent atteinte au principe du
contradictoire, de l'oralité et de la publicité des débats
parce que cela est contraire à la légalité formelle de la
preuve. Enfin, la légalité formelle de la preuve désigne
le respect et la protection de l'intimité de la vie privée,
c'est-à-dire que la liberté dans la recherche de preuve ne peut
pas porter atteinte à l'intimité de la vie privée, sauf si
le législateur a encadré légalement cette atteinte afin de
collecter la preuve, qui est nommée dans ce cas une atteinte
légale à l'intimité de la vie privée, notamment
l'encadrement de l'écoute téléphonique judiciaire par le
législateur en droit libanais et en droit français.
424. Quant au concept de la légalité
matérielle en matière de preuve, il se traduit par une exigence
du respect de la dignité humaine et de la loyauté dans la
recherche de preuves pénales. La légalité
matérielle de la preuve signifie l'interdiction d'obtenir la preuve
pénale en violation du principe du respect de la dignité humaine,
ainsi que de l'intégrité physique et morale de la personne. La
protection de la dignité humaine est une préoccupation centrale
du droit. Certains avis doctrinaux en France considèrent que le principe
de la loyauté de la preuve pénale fait partie de celui de la
légalité matérielle. En dépit de ce point de vue,
il est préférable d'aborder ce principe à part
entière. En effet, le principe de loyauté de la preuve
pénale est un principe complémentaire à celui de la
légalité de la preuve pénale, en se basant sur la
moralité, sans pour autant être soutenu par un texte juridique.
Ainsi, la loyauté de la preuve comme principe faisant partie de la
légalité matérielle (selon la doctrine française)
est moins prise au
552
sérieux parce qu'elle est considérée
comme une simple exigence morale ou éthique. En revanche, le respect de
la dignité humaine est une exigence fondamentale de la
légalité matérielle dans la recherche de preuve qui ne
souffre aucune exception parce que le respect de la dignité humaine dans
la recherche de preuve est une garantie essentielle pour éviter la
coercition et son utilisation pour obtenir des aveux et éviter la
torture, des traitements inhumains et dégradants. En ce qui concerne la
loyauté dans la recherche des preuves, nous avons
préféré dans cette thèse étudier ce principe
dans un chapitre entier indépendant de la légalité
matérielle.
425. La loyauté dans la recherche de preuves est un
principe controversé. D'abord, il souffre d'une
définition imprécise et d'un manque de détermination en ce
qui concerne la notion. Ensuite, la loyauté selon beaucoup d'auteurs est
un principe d'inspiration morale, ce qui soulève des questions à
propos de sa valeur juridique. Le Code de procédure pénale
libanais et le Code de procédure pénale français ne
consacrent pas formellement et d'une manière claire l'adoption du
principe de loyauté dans la recherche de preuves. Le principe de
loyauté est la conséquence d'une pure construction
jurisprudentielle. En 1888, la célèbre affaire Wilson
offre l'occasion pour la Cour de cassation française d'exprimer sa
volonté expresse de créer le principe de loyauté dans la
recherche de preuve pénale. Ensuite, ce principe de loyauté
revêt une portée générale après une
consécration lumineuse par la jurisprudence de la Cour de cassation
française dans une autre affaire célèbre qui est
l'arrêt Imbert du 12 juin 1952. En définitive, la loyauté
comme principe est une invention jurisprudentielle de la Cour de cassation
française dans l'arrêt Wilson (1888), qui s'est
développée ultérieurement dans la célèbre
affaire Imbert rendue le 12 juin 1952. Le principe de la loyauté est
reconnu par la majorité de la doctrine pénale française.
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme
interprète d'une manière très extensive la notion et le
champ d'application de procès équitable ce qui permet au principe
de loyauté d'être appliqué d'une manière implicite
en droit français sous couvert de l'article 6 de la Convention
européenne bien que les juges de Strasbourg considèrent que la
Convention ne réglemente pas l'admissibilité des modes de preuve,
matière qui relève au premier chef des règles de droit
interne. Toutefois, la Cour européenne des droits de l'homme n'applique
pas d'une manière efficace le principe de loyauté dans la
recherche des preuves et les juges de Strasbourg devraient réformer leur
jurisprudence pour assurer une application effective et réelle du
principe de loyauté de la preuve. En droit libanais, on ne peut passer
sous silence l'influence ou la contribution négative de la doctrine et
de la jurisprudence libanaise qui n'ont pas fait d'effort dans la production et
la diffusion du principe de loyauté dans la culture juridique
553
libanaise. Cependant, le principe de la loyauté de la
preuve pénale souffre d'une baisse significative en raison de l'absence
de consécration législative dans le droit libanais et
français. Cette situation a engendré deux résultats
négatifs. En premier lieu, les parties privées dans le
procès pénal ne sont pas soumises aux restrictions du principe de
la loyauté de la preuve pénale selon la jurisprudence de la
chambre criminelle de la Cour de cassation française, en raison de
l'absence d'un texte explicite permettant à la justice d'écarter
la preuve déloyale apportée par les parties, contrairement aux
autorités publiques qui sont soumises à ce principe. En droit
libanais, la reconnaissance de ce principe de loyauté souffre d'une
très grande timidité de la part de la jurisprudence. En
deuxième lieu, le principe de la loyauté de la preuve
pénale peut être surmonté à travers une
législation claire et explicite permettant l'utilisation d'un outil ou
d'un moyen déloyal pour l'obtention d'une preuve pénale, mais
admissible et légal, parce que prévu par la loi. Cette situation
est répandue en France et dans d'autres pays, notamment dans le but de
lutter contre les crimes graves, en particulier le terrorisme. Quant au Liban,
le principe de la loyauté de la preuve pénale est
négligé et non répandu dans la culture juridique
libanaise, en dépit de la forte influence du droit français, de
sa jurisprudence, de ses points de vue doctrinaux, de ses principes, ainsi que
de la plupart des lois, notamment en droit pénal. Le législateur
libanais n'a pas rectifié des lois pour pouvoir continuer à
utiliser des moyens de recherche de preuve déloyale dans le but de
l'obtention de preuves liées aux crimes graves et terroristes. Les
autorités procédant à la recherche de la preuve
pénale au Liban utilisent des moyens déloyaux sans pour autant
être sanctionnées par les tribunaux en raison des preuves obtenues
au moyen de procédés déloyaux.
426. Une preuve peut être illégale lorsqu'elle
est entachée d'une illégalité formelle ou d'une
illégalité matérielle. Il était nécessaire
de déterminer un concept minimal fixe à la preuve
illégale. L'illégalité de la preuve pénale a
plusieurs causes, notamment l'absence d'un texte juridique justifiant la
procédure pénale produisant la preuve, ou encore l'existence de
ce texte sans que l'application effective de la procédure produisant la
preuve soit en conformité avec le modèle exigé par le
législateur, rendant ainsi la preuve illégale. De plus,
l'obtention de la preuve pénale en violation des trois principes
prédominants dans le procès pénal, qui sont la
publicité, l'oralité et le contradictoire intimement liés
à la preuve pénale, rend la preuve illégale en raison de
cette violation.
La preuve est entachée d'une illégalité
formelle si la recherche et l'administration de cette preuve portent atteinte
à la légalité procédurale, mais également si
les procédés de preuves ont porté atteinte à
l'intimité de la vie privée. La légalité formelle
de la preuve pénale regroupe les conditions à respecter dans le
processus de recherche de la preuve. Ces conditions sont
554
imposées par le Code de procédure pénale
parce que la recherche de la preuve pénale est un acte de
procédure prescrit dans le Code. Le respect de la légalité
formelle dans la recherche de preuve se réalise par l'application
minutieuse du texte de loi qui est la base de l'acte de recherche de preuve. Ce
dernier texte de loi qui légalise la recherche des preuves constitue la
base légale de cet acte et impose qu'il soit appliqué en
respectant minutieusement les diverses dispositions relatives aux restrictions
et aux conditions prévues dans le texte du Code de procédure
pénale. En effet, la preuve qui porte atteinte à la
légalité procédurale trouve la source de
l'illégalité dans l'absence de base légale, la violation
d'une formalité substantielle, ou la violation des conditions fixant les
actes de recherche des preuves strictement réglementées et enfin
l'atteinte au droit à un procès équitable. La
légalité formelle englobe encore le respect des principes
généraux liés directement au droit de la preuve qui sont
l'oralité, la publicité et le contradictoire.
427. Un autre aspect de la légalité formelle
dans la recherche de preuve concerne les moyens qui portent atteinte à
la vie privée. En ce qui concerne l'illégalité qui entache
la preuve provenant des procédés de preuves portant atteinte
à l'intimité de la vie privée, cette
illégalité trouve sa source dans la preuve obtenue par la mise
sur écoute de conversations téléphoniques et dans la
preuve obtenue au moyen d'un enregistrement par magnétophone. Ces
procédés constituent une violation du droit au respect de la vie
privée. Les législateurs libanais et français sont
soucieux d'encadrer strictement certains moyens de preuve qui sont
considérés normalement comme une atteinte illicite à
l'intimité de la vie privée. L'écoute
téléphonique figure parmi les violations les plus importantes du
droit de l'individu à protéger sa vie privée.
Évidemment, les écoutes téléphoniques sont
l'essentielle atteinte au respect de la vie privée de la personne durant
la recherche de la preuve pénale. C'est pourquoi le législateur
dans un État de droit doit être très soucieux d'encadrer
légalement cette atteinte à la vie privée par une loi qui
assure un équilibre satisfaisant entre la recherche de la preuve
nécessaire pour la manifestation de la vérité et le droit
au respect de la vie privée. Une loi qui réglemente et encadre
légalement l'écoute téléphonique va formellement
assurer des sauvegardes adéquates contre divers abus à redouter.
En outre, l'obtention de cette preuve pénale en violation du droit au
respect de la vie privée ouvre le débat sur l'écoute
téléphonique et sur les lois libanaises et françaises dans
ce domaine où la loi libanaise est très influencée par la
loi française en dupliquant la plupart des articles de la loi en
vigueur. Pour la nécessité de combler un vide juridique et sous
l'influence du droit français, notamment de la loi du 10 juillet 1991
sur les écoutes téléphoniques, le législateur
libanais a pris soin de réglementer l'écoute
téléphonique par la loi n° 140/99. Après plusieurs
années de retard, le décret pour l'application de la loi n°
140/99 qui réglemente l'écoute téléphonique en
droit
555
libanais a été adopté. Pourtant, cette
loi a besoin d'une réforme complète parce qu'elle contient
beaucoup trop d'ambiguïtés. En droit libanais, la jurisprudence
admet l'utilisation des enregistrements sur bande magnétique comme moyen
de preuve dans le domaine pénal. Cette solution jurisprudentielle ne
repose sur aucune source légale. En droit français, avant que le
législateur français n'adopte la loi Perben II qui a
légalisé la sonorisation de lieux privés et
l'enregistrement de conversations privées, cette procédure
spéciale était faite et appliquée en pratique sans base
légale claire et précise, portant ainsi atteinte à
l'esprit de l'article 8, alinéa 2, de la Convention européenne.
En conséquence, la justice française peut autoriser le placement
de caméras et de micros-espions dans les lieux privés afin de
faciliter la recherche des preuves. Le législateur libanais serait bien
avisé d'encadrer légalement la sonorisation de lieux
privés et l'installation d'une caméra surveillance dans un lieu
privé pour mettre fin à la violation des droits et
libertés individuels pratiquée par les autorités publiques
sans base légale dans la recherche de preuve pénale en droit
libanais.
428. La preuve est dite entachée d'une
illégalité matérielle si elle a été obtenue
par le biais d'un moyen qui porte atteinte à la dignité humaine.
Le respect de la dignité humaine proscrit toute forme de recours
à la violence physique ou morale afin d'obtenir l'aveu ou des
éléments de preuves. Le respect de la dignité humaine
figure parmi les principes dont la violation est totalement inadmissible et par
conséquent toute preuve émanant des moyens classiques tels que la
contrainte sous toutes ses formes, la torture physique et morale, la menace ou
encore la pression rend cette preuve illégale. Malgré l'abandon
de l'expression classique « l'aveu : reine des preuves »,
l'aveu dans la procédure pénale revêt une importance
capitale, ce qui a poussé la doctrine libanaise et la doctrine
française à imposer des conditions de recevabilité de
l'aveu comme moyen de preuve en justice de sorte que l'aveu soit compatible
avec le principe de la légalité de la preuve en matière
pénale. Le problème de la légalité de l'aveu en
matière pénale se caractérise par l'aveu arraché
par la violence ou la contrainte. L'aveu peut être encore obtenu en
exerçant la contrainte matérielle ou morale et la ruse. En droit
français, la torture et la violence physique sont quasiment absentes de
nos jours. Au contraire, la torture et la contrainte sous toutes ses formes
font partie intégrante de l'enquête dans la pratique libanaise
durant l'enquête pénale. La position de la jurisprudence libanaise
nous paraît honteuse par rapport à l'aveu obtenu sous l'influence
de la coercition et la violence. Le juge libanais n'accorde pas d'importance
à la souffrance de l'homme qui a subi contrainte, violence et torture
pour se voir arracher l'aveu involontairement. Le juge ne prend en compte que
la fiabilité de la preuve arrachée illégalement à
la personne suspecte ou accusée. Sans doute, la jurisprudence libanaise
est une jurisprudence primitive en matière de protection de la
dignité
556
humaine. Nous avons proposé une réforme
législative en droit libanais qui peut contribuer d'une manière
efficace à mettre fin à cette tragédie libanaise qui
entraîne la souffrance de la contrainte et de la torture pendant la garde
à vue et l'enquête faite par l'autorité publique. À
titre de réforme, nous suggérons, afin de garantir la
déclaration volontaire, que le législateur libanais
légifère sur l'obligation d'enregistrement des interrogatoires
des gardés à vue et des interrogatoires simples pendant le
déroulement de l'enquête (flagrante et préliminaire). Cette
réforme proposée pourrait contribuer efficacement et lutter
contre les déclarations extorquées sous torture, contrainte
physique ou psychologique et assurer que toute personne a droit à une
procédure judiciaire équitable. Il est important de mentionner
que l'utilisation de certains moyens non classiques permettant l'obtention de
la preuve pénale ouvre le débat sur leur degré de
légalité. Nous pensons à l'hypnose, au sérum de
vérité, au détecteur de mensonges, ou encore aux tests
ADN, et à leur conformité avec le principe de la
légalité de la preuve pénale. La question de la
légalité de l'utilisation des procédés
scientifiques dans la recherche de preuve a fait couler beaucoup d'encre. Les
procédés scientifiques peuvent être des moyens d'obtenir la
preuve qui vise à affaiblir et anéantir la volonté comme
le sérum de vérité et l'hypnose. D'autre part, le recours
à certains procédés scientifiques pour obtenir des preuves
peut être attentatoire à l'inviolabilité du corps humain et
à l'inviolabilité de la pensée, comme l'usage du
détecteur de mensonges (polygraphe) et la preuve par l'ADN. Par
conséquent, il est possible de considérer la preuve
émanant de ces moyens comme illégaux, à l'exception du
test ADN que la loi au Liban et en France a rendu légal. En droit
libanais, la loi n° 625 qui a été promulguée le
20/11/2004 sous le nom d'analyses génétiques humaines vient
combler un vide juridique dans cette matière. En droit libanais, la
personne intéressée a le droit de refuser un
prélèvement ADN. Le refus de prélèvement ADN n'est
pas sanctionné en droit libanais, mais la loi n° 625 doit subir une
réforme pour éclairer le but de l'utilisation du test d'ADN dans
la recherche de preuve pénale et préciser le rôle et la
compétence de l'autorité judiciaire permettant d'ordonner un test
d'ADN. La loi libanaise concernant l'ADN n'est pas en mesure de répondre
aux besoins de la recherche de preuve et en même temps ne consacre pas
une vraie protection des droits fondamentaux liée au test ADN.
Cependant, il est fréquent de s'interroger sur la légalité
d'obliger le suspect ou l'accusé à subir involontairement
l'examen de l'ADN, et la légalité de ce moyen, ainsi que
l'admission de la preuve qui en résulte, en dépit de la
permission légale d'utiliser la force afin de subir cet examen, qui est
d'ailleurs un abus sur la volonté de l'individu. Il est indispensable
que le législateur libanais exprime une volonté claire sur la
question de l'obligation du recours aux tests ADN en matière
pénale. Donc, il est nécessaire d'évoquer la
réforme de la loi sur les tests ADN en droit libanais. En droit
français, la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 sur les infractions de
nature sexuelle et la
557
protection des mineurs victimes est venue combler le vide
juridique qui existait dans cette matière dans la procédure
pénale française et consacre cette technique en matière de
preuve. En droit français, le prélèvement peut être
effectué dans certains cas sans l'accord de l'intéressé et
le fait de refuser de se soumettre au prélèvement biologique est
puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende. Les lois des 15
novembre 2001, 18 mars 2003, 9 mars 2004 et 4 avril 2006 apportent quelques
retouches à la liste des infractions qui était limitée
à certaines infractions relatives aux infractions sexuelles dans la loi
du 18 juin 1998. Les trois lois postérieures prévoient
d'étendre la liste des infractions (loi 15 novembre 2001, loi 18 mars
2003 et loi 9 mars 2004). La liste des infractions selon l'article 706-55 du
CPP français en vigueur est vaste, il est souhaitable que le
législateur français abandonne un jour le système de la
liste des infractions pour utiliser un critère différent en se
basant sur le montant de la peine ou autre critère. Dans sa
décision n° 2010-25 QPC du 17 septembre 2010, le Conseil
constitutionnel a jugé que l'utilisation de la contrainte afin
d'effectuer un prélèvement biologique sans l'accord de
l'intéressé est conforme à la Constitution
française.
En ce qui concerne les éléments de preuve
obtenus par l'emploi de la narco-analyse (sérum de
vérité), la majorité de la doctrine française est
contre l'utilisation de ces procédés. Ce sujet n'attire pas
l'attention de la doctrine libanaise, mais généralement la
doctrine arabe est contre l'utilisation du sérum de vérité
en matière de preuve.
En ce qui concerne les éléments de preuve
obtenus sous hypnose, on remarque qu'en droit libanais, la question ne s'est
pas encore posée. En droit français, certains pénalistes,
comme Mme Coralie Ambroise-Castérot, se montrent fermes vis-à-vis
de l'utilisation de l'hypnose : la jurisprudence de la chambre criminelle de la
Cour de cassation française refuse l'utilisation de l'hypnose en
considérant que le juge d'instruction ne jouit pas d'une liberté
totale et absolue dans la recherche de preuve parce que l'article 81 du CPP
français apporte une limite à la liberté de la preuve qui
se caractérise par le principe de la légalité applicable
dans la procédure pénale qui fait que l'accord ou le consentement
libre et préalable de l'intéressé de se mettre
volontairement dans un état hypnotique ne rend pas l'acte conforme
à la légalité.
En ce qui concerne les éléments de preuve
obtenus par l'usage du détecteur de mensonges ou polygraphe, le Code de
procédure pénale libanais de même que le Code
français sont muets sur cette question, ce qui n'empêche pas la
doctrine française d'affirmer le rejet de ce moyen dans la recherche de
preuve. L'usage du détecteur de mensonges ou polygraphe n'occupe pas la
place qu'il mérite en droit libanais parce que la doctrine libanaise
néglige le traitement de cette question. Il serait
préférable que les législateurs libanais et
français adoptent des textes clairs dans le Code de procédure
pénale qui privent, empêchent et sanctionnent pénalement
l'emploi de l'hypnose, du sérum de vérité et du
détecteur de mensonges dans la recherche et
558
l'administration de la preuve pénale. Un
législateur qui refuse textuellement l'utilisation des
procédés comme l'hypnose, le sérum de vérité
et le détecteur de mensonges est un législateur soucieux du
respect des droits de l'homme.
429. Comment est-il possible d'évaluer l'application
effective du principe de la légalité de la preuve pénale ?
Il était nécessaire a priori de confirmer l'existence
réelle du principe de la légalité de la preuve
pénale. En droit libanais et en droit français, le principe de
légalité connaît une crise d'identité et d'existence
dans la procédure pénale, notamment en matière de preuve
pénale, contrairement à la situation de ce principe dans le droit
pénal. La légalité de la preuve pénale est l'un des
éléments du principe fondamental et général connu
sous l'appellation de la légalité criminelle, qui contient le
droit pénal dans ces deux aspects, de fond ou en d'autres termes le Code
pénal, et formel qui est présent dans le Code de procédure
pénale. La procédure pénale est en effet au service du
droit pénal. Par conséquent, le principe de la
légalité criminelle connu sous le nom du principe de la
légalité procédurale est appliqué également
aux procédures pénales conformément à plusieurs
affirmations doctrinales en France. En droit libanais, on peut trouver une
affirmation timide par quelques rares avis juridiques puisque ce principe
souffre d'une négligence remarquable de la part de la doctrine
libanaise. La légalité procédurale signifie que seul le
législateur possède le pouvoir de déterminer
minutieusement dans un texte clair et précis du Code de procédure
pénale les divers actes de procédure et les principes
généraux dès le début des différentes phases
de la procédure, depuis l'enquête jusqu'au jugement. À
cette fin, le Code de procédure pénale énumère les
atteintes aux libertés qui sont devenues nécessaires pour
l'efficacité de la répression généralement et
notamment pour la manifestation de la vérité. Ce sont des
atteintes légales autorisées par le législateur et
encadrées par le texte de loi. La légalité
procédurale interdit à l'autorité publique d'accomplir un
acte de procédure qui porte atteinte aux droits et libertés de la
personne, ou encore qui constitue une violation des principes
généraux de droit. Elle ne permet pas de revêtir ces actes
de légalité. À cet égard, le principe de la
légalité dans le droit pénal (légalité des
délits et des peines constitue) est le premier élément du
principe de la légalité criminelle, qui comprend également
un deuxième élément qui est le principe de la
légalité procédurale, et un troisième
élément connu sous le nom du principe de la
légalité de la preuve pénale. Évidemment, puisque
la légalité criminelle s'applique en droit pénal de forme,
c'est-à-dire dans la procédure pénale, il est logique de
considérer que la légalité criminelle s'applique encore en
matière de preuve pénale parce que la légalité
procédurale s'applique à la preuve pénale, qui constitue
l'un des sujets les plus importants du Code de procédure pénale,
dû à l'importance de la recherche de cette preuve. Cette
étude a cherché à montrer que le
559
principe de la légalité de la preuve
pénale existe bien, en soulignant que le principe de la
légalité criminelle qui est appliqué au Code pénal,
dont l'application sur les procédures pénales sous le nom du
« principe de la légalité procédurale »
est précédemment justifiée, il est ainsi à son tour
appliqué à la preuve pénale sous le nom du principe de la
« légalité de la preuve pénale ».
Étant donné la confirmation de l'existence d'un principe
négligé dans la loi, le principe de la légalité de
la preuve pénale, il est devenu nécessaire d'évaluer son
application effective en pratique dans les tribunaux par les juges en droit
libanais et en droit français. Cependant, il faut appliquer une
première condition avant l'évaluation de l'application effective
et pratique du principe de la légalité de la preuve
pénale. Il s'agit de l'évaluation de la valeur juridique de ce
principe en droit libanais, et également en droit français. Sans
doute, le principe de la légalité criminelle admet une valeur
juridique triple qui doit être une valeur commune à tous les
aspects du principe de légalité, notamment le principe de
légalité de la preuve pénale. En droit libanais et en
droit français, ces principes de légalité qui englobent le
principe de la légalité de preuve en matière pénale
ont une valeur législative, supra-législative et
constitutionnelle. La valeur juridique attribuée au principe de la
légalité de preuve en matière pénale dans notre
étude est la conséquence d'une longue synthèse faite sur
les différentes valeurs juridiques attribuées par la loi, la
jurisprudence et la doctrine libanaise et française au principe
général de la légalité criminelle qui est
consacré par plusieurs sources juridiques (constitution,
préambule, loi, convention ...) et revêt diverses valeur juridique
en droit libanais et en droit français.
430. La nullité de l'acte de procédure qui a
produit l'élément de preuve illégal est sans doute la
sanction procédurale la plus efficace qui assure la bonne application du
principe de la légalité de preuve pénale. Par
conséquent, il était nécessaire d'exposer et analyser dans
cette étude le régime des nullités en matière de
procédure pénale en droit libanais et droit français pour
évaluer la capacité de ces régimes des nullités
à appliquer une sanction procédurale proportionnelle à la
valeur juridique du principe de légalité violée.
Effectivement, la théorie des nullités en droit libanais et
français n'a pas pu assurer une bonne application du principe de la
légalité de la preuve pénale. D'abord, cette
théorie des nullités n'a pas pu sanctionner
l'illégalité de la preuve, parfois elle a pu sanctionner quelques
sortes d'illégalités de preuve produite par les autorités
publiques, mais ceci n'empêche pas de dire que même devant les
autorités publiques cette théorie n'a pas pu sanctionner
effectivement les divers cas d'illégalité de la preuve
pénale. Ensuite, les éléments de preuve produits par les
parties privées sont toujours exempts du principe de
légalité étant donné que ces preuves ne sont pas
considérées comme des actes de procédure pénale
pour que ces éléments de preuves soient sanctionnés par
560
la théorie des nullités. C'est ainsi que les
juges répressifs, conformément à une jurisprudence stable
de la chambre criminelle de la Cour de cassation française, refusent
d'écarter les moyens de preuve produits par les parties privées.
En outre, selon la règle générale dans la théorie
des nullités en droit français, le juge ne peut prononcer la
nullité s'il n'existe pas de grief selon l'expression «pas de
nullité sans grief». Le législateur français a
limité dans le Code de procédure pénale le champ
d'application de la théorie des nullités à la condition
d'existence de grief, ce dernier étant une condition de la
nullité. Il n'y aurait donc pas lieu à annulation sans grief
prouvé dans beaucoup de violations du principe de la
légalité de preuve parce que le grief en matière de
nullité est une notion floue, vaste, vague et indisciplinée. En
second lieu, la décision de mise en accusation a pour effet de purger la
procédure antérieure en droit français. L'article 181 du
CPP français précise que, lorsqu'elle est devenue
définitive, l'ordonnance de mise en accusation couvre, s'il en existe,
les vices de la procédure antérieure. Couvrir ou purger les vices
de légalité par un texte de loi clair comme dans le cas du Code
de procédure pénale française montre que le
législateur français a instauré une entrave juridique et
un obstacle à l'application effective du principe de
légalité de preuve pénale et a empêché la
théorie des nullités de sanctionner les éléments de
preuve illégaux.
431. En droit libanais, cette théorie des
nullités a rencontré plusieurs problèmes qui ont
empêché l'application effective de la sanction des violations des
formalités prévues par la loi qui assure une application efficace
du principe de la légalité de preuve pénale. D'abord, la
théorie des nullités en droit libanais souffre de l'absence de
critère solide, clair et stable dans le Code de procédure
pénale libanais et dans la jurisprudence qui peut servir pour distinguer
les différentes catégories de nullités. En droit libanais,
la notion de nullité d'ordre public est floue et il manque donc un
critère stable et clair de distinction pour qualifier avec
précision si la règle violée constitue une nullité
relative ou absolue et même si la nullité est d'ordre public ou
non. Donc, le problème en droit libanais est de trouver un concept et
une notion stables qui distinguent les différents cas de nullités
qui sont en relation avec le droit de la preuve pénale. Quant aux
nullités textuelles en droit libanais, les cas limitativement
énumérés dans le Code de procédure pénale
devraient être revus pour mettre fin aux lacunes et incertitudes qu'ils
entraînent. Le problème fondamental dans la théorie des
nullités en droit libanais réside dans la jurisprudence rigide et
stable de la chambre criminelle de la Cour de cassation libanaise qui
considère qu'une décision de mise en accusation définitive
a pour effet de purger la procédure illégale et les causes de
nullités antérieures s'il en existe. L'arrêt de mise en
accusation de la chambre d'accusation purge les vices de nullités de la
procédure antérieure. La jurisprudence libanaise considère
que l'irréfutabilité de la décision de mise en accusation
définitive protège la preuve illégale de toute
nullité. Ceci rend difficile, voire impossible la sanction de la
preuve
561
illégale par la théorie des nullités, ce
qui est regrettable, car il faudrait au contraire donner à
l'accusé toutes les voies possibles pour exercer ses droits de
défense, notamment le droit de demander les nullités des
éléments de preuves illégaux jusqu'à la
dernière minute dans la plaidoirie devant le juge de fond.
Compte tenu de ce qui précède, la théorie
des nullités en droit libanais et en droit français est incapable
d'assurer une application effective et efficace du principe de
légalité de la preuve pénale. À cette fin, il est
nécessaire de développer la théorie de la nullité
en droit libanais et français pour donner au principe de
légalité de la preuve légale sa valeur réelle, en
utilisant d'autres modes et mécanismes légaux inédits dans
le but d'assurer l'efficacité de l'application du principe de
légalité de la preuve dans le domaine pénal pour assurer
toutes les garanties qui doivent être fournies par le principe de
légalité de preuve pénale. De surcroît, la
théorie des nullités en matière pénale des preuves
obtenues d'une manière illégale par les parties privées a
connu un échec tout à fait remarquable parce que la jurisprudence
de la chambre criminelle de la Cour de cassation française et
implicitement la chambre criminelle de la Cour de cassation libanaise ont
considéré que ces éléments de preuve
illégaux sont en dehors du champ d'application de la théorie de
nullités et ne sont susceptibles d'aucune annulation malgré
l'illégalité de ces preuves dans la mesure où la
jurisprudence ne qualifie pas d'acte de procédure les preuves obtenues
par les parties privées et ce qui constitue la raison de
l'admissibilité d'une preuve recueillie de manière
illégale par la partie privée. On pourrait ajouter qu'un autre
argument plus général doit être mis en débat, celui
de l'absence de texte juridique permettant aux juges répressifs
d'écarter des moyens de preuve illégaux, donc une application
explicite de la liberté absolue du juge du fond d'apprécier
n'importe quelle preuve, même d'origine illégale, à
condition qu'elle soit débattue contradictoirement entre les parties
devant le juge. Ce qui précède va ouvrir le débat dans les
années qui viennent sur l'importance de trouver une solution autre que
la théorie des nullités pour contribuer à appliquer d'une
façon efficace le principe de légalité de la preuve
pénale. Dans cette thèse, nous avons proposé plusieurs
outils et mécanismes juridiques qui peuvent combler cette lacune et
manier de façon satisfaisante le principe de la légalité
de la preuve pénale en droit libanais et français comme la
question prioritaire de légalité qui est une proposition qui
mérite qu'on s'y intéresse parce qu'elle peut constituer un outil
juridique très important qui rendrait le principe de
légalité de la preuve pénale applicable en droit libanais
et français et contribuerait sans doute à humaniser la recherche
de la preuve pénale. La question prioritaire de légalité
que nous proposons est inspirée de la « question prioritaire de
constitutionnalité » qui est en vigueur en droit
français. Nous avons proposé dans cette thèse que la
question prioritaire de légalité soit un moyen pour chaque partie
au procès pénal d'exprimer son droit de demander la
nullité des
562
éléments de preuve illégaux du dossier de
l'affaire. La chambre criminelle de la Cour de cassation libanaise et de la
Cour de cassation française seront seules compétentes pour
trancher la question de l'illégalité de la preuve sans juger
l'affaire (l'innocence ou la culpabilité). À cette fin, la
question prioritaire de légalité permet à la chambre
criminelle de la Cour de cassation d'examiner la légalité de la
preuve loin du juge du fond qui juge l'affaire et décide de l'innocence
ou la culpabilité, afin d'exclure tout acte de procédure ou
élément de preuve illégal, illicite ou déloyal
avant la clôture de la phase de jugement. La question prioritaire de
légalité offre des garanties essentielles qui contribuent
à assurer le droit à un procès équitable en
éloignant le juge du fond qui juge selon son intime conviction de la
question de la légalité de preuve pour garantir
l'impartialité intellectuelle du juge du fond face à la
fiabilité de la preuve illégale.
432. Y a-t-il une nécessité de réformer
le régime de nullité au Liban et en France ? Il apparaît
que le régime de nullité en vigueur en droit libanais et en droit
français est loin d'être satisfaisant et que seule une
réforme législative pourrait y remédier et être
efficace. Est-ce que l'application effective de la légalité
constitue un idéal qui ne peut pas être atteint ? Il est
nécessaire de développer la théorie de la nullité.
Le développement de la théorie de la nullité veut dire
l'orienter dans le sens où elle assimilerait un nombre plus grand et
plus précis de procédures pénales et
précisément les procédures qui produisent les
éléments de la preuve pénale. Il est souhaitable que les
législateurs libanais et français essaient d'inventer un
mécanisme juridique permettant au juge d'annuler un
élément de preuve obtenu d'une manière illégale et
détruire ainsi sa force probante. En droit libanais, il faut que le
législateur développe les cas des nullités textuelles,
définisse et détermine des critères d'évaluation
des cas de nullités d'ordre public et mette fin à la
jurisprudence établie qui considère que l'ordonnance de mise en
accusation purge les nullités antérieures concernant les
éléments de preuve obtenus illégalement. En droit
français, le législateur doit réformer le régime
actuel des nullités par la modification de la condition de preuve de
l'existence de grief pour la recevabilité de la demande de
nullité en déterminant une notion exacte et claire de grief
minimum ou même éliminer le grief comme condition pour sanctionner
par la nullité un acte de procédure. De surcroît, le
législateur français doit ouvrir le droit de demander la
nullité d'un acte de procédure illégal ou
irrégulier à n'importe quelle phase tout au long du procès
pénal en éliminant le système adopté «
purge les nullités antérieures ». Une telle
réforme nous paraît être le minimum nécessaire en vue
de corriger les défauts du régime actuel.
La théorie des nullités en droit libanais et en
droit français peut être reformée d'une manière
claire et efficace par la transformation de la théorie
générale des nullités vers une
563
théorie de la nullité de la preuve
pénale. Ce mécanisme juridique peut traiter les problèmes
de la légalité de la preuve pénale d'une manière
stricte et directe à travers des textes de loi spéciaux qui
visent à sanctionner par la nullité la preuve obtenue d'une
manière illégale.
433. Nous avons proposé dans cette étude aux
législateurs libanais et français d'ajouter dans le Code de
procédure pénale libanais et dans le Code de procédure
pénale français, un texte qui ajouterait une nouvelle cause de
cassation qui serait le « fondement de la décision sur une
preuve illégale ». Un tel texte pourrait garantir une
application efficace du principe de la légalité de preuve
pénale en considérant que fonder une décision sur la base
d'un élément de preuve illégal est une violation des
droits de procédure substantiels qui ouvrent le droit à la
cassation.
434. Mme le professeur Michèle-Laure
Rassat a déjà proposé en 1997 dans les « propositions
de réformes de la procédure pénale », une
reformulation d'un article du Code de procédure pénale
français de la façon suivante: « La preuve pénale
est libre. Sont toutefois irrecevables les éléments de preuve
recueillis au moyen d'infractions pénales. Un élément de
preuve n'est, d'autre part, recevable qu'autant que la procédure
prévue pour son recollement a été intégralement et
régulièrement respectée et que la mise en oeuvre de cette
procédure ne porte pas atteinte à la dignité de la
personne humaine ». Cette proposition est valable et efficace pour
mettre fin au vide juridique qui existe en droit libanais et en droit
français qui concerne l'exclusion des éléments de preuve
illégaux. De même, cette proposition de Mme le professeur
Michèle-Laure Rassat mettrait fin à la jurisprudence de la
chambre criminelle de la Cour de cassation française qui refuse
d'exclure les éléments de preuve illégaux pour l'absence
de texte juridique. Également, si le législateur libanais prenait
en compte cette proposition de réforme, cela aurait pour effet de
paralyser la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui
refuse d'exclure les éléments de preuve illégaux pour
l'absence d'un texte juridique clair et explicite qui motive l'exclusion de
preuve dans un système de liberté d'appréciation de preuve
ou d'intime conviction du juge. En définitive, la proposition du
professeur Michèle-Laure Rassat contribue au renforcement de
l'application du principe de la légalité de la preuve
pénale.
435. L'application effective et efficace du principe de
légalité de la preuve en matière pénale peut avoir
une conséquence choquante qui est « une dispense de peine
» ou « le rejet de la peine » si la preuve
illégale exclue du dossier est la seule preuve qui existe dans le
dossier et que la force et la fiabilité de cette preuve sont la seule
manière d'établir une vérité même
entachée d'illégalité. Pour justifier les outils et
mécanismes juridiques que nous proposons et qui ont dans certains cas
pour effet « une dispense de peine » résultant de
l'exclusion d'un élément de preuve de culpabilité fiable,
nous avons eu recours aux différents
564
arguments traditionnels de la doctrine libanaise et de la
doctrine française qui justifient l'admission de la théorie et
des règles de la prescription de l'action publique dans le Code de
procédure pénale français et libanais, de la prescription
de la peine et de l'amnistie générale ou spéciale.
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