A. Principe d'origine constitutionnelle.
305. Principe intégré à la
Constitution de la Vème République française de 1958.
On peut remarquer que le principe de la légalité criminelle
a été intégré à la Constitution du 4 octobre
1958 en vigueur qui est le texte fondateur de la Ve République
française. L'art. 34 de la
Constitution française de 4 octobre 19581641
dispose : « la loi fixe les règles concernant : la
détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur
sont applicables ; la procédure
1638 V. sur La notion de principes
supra-constitutionnels : M. Troper, « La notion de principes
supra-constitutionnels », in R.I.D.C., Journées de la
Société de législation comparée, 1993, vol. 15,
n° spécial, pp. 337 - 355.
1639 L. Duguit, Traité de droit
constitutionnel, 2e éd., Ancienne libraire Fontemoing et
Cie Editeurs, E. de Boccard, Paris, 1923, t. 2 La théorie
générale de l'État, pp. 200-201.
1640 L. Duguit, Traité de droit
constitutionnel, Ancienne libraire Fontemoing et Cie Editeurs, E. de
Boccard, Paris, 1923, t. 3 La théorie générale de
l'État, p. 686.
1641 V. sur ce point: Ch. Claverie-Rousset,
« La légalité criminelle », in Droit
pénal, n° 9, Septembre 2011, étude 16, spec. n° 6
: « L'article 34 de la Constitution prévoit que la loi fixe les
règles concernant la détermination des crimes et des
délits ainsi que des peines qui leur sont applicables, et les
règles concernant la procédure pénale... ».
pénale ; l'amnistie ; la création de nouveaux
ordres de juridiction et le statut des
1642
magistrats »
. M. Raymond Gassin affirme que la prise de conscience
en droit français de
l'existence d'un principe de légalité
procédurale en matière pénale n'a véritablement
commencé à se manifester qu'avec la Constitution de 1958,
précisément sur la base de
l'article 34 de la Constitution
|
1643
|
. De même comme en droit libanais, l'article 34 de la
|
Constitution française a également affirmé
la valeur constitutionnelle du principe de légalité
criminelle. Le principe de légalité criminelle
figure à l'art. 8 de la DDHC
|
1644
|
, qui énonce que
|
404
« la loi ne doit établir que des peines
strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être
puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée
antérieurement au délit, et légalement appliquée
». Le principe a été internationalisé (cf.
l'art. 7 de la Convention européenne, la Déclaration universelle
des droits de l'homme de 1948 et le Pacte international relatif aux droits
civils et politiques). Il a été répété aux
articles 111-2 et 111-3 du Code pénal
français 1645 . Il demeure essentiel de trancher la
question de la valeur juridique accordée au Préambule de la
Constitution de 1958 en vigueur. Il est nécessaire de préciser la
valeur
1646
juridique de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de 1789, d'autant plus que la reconnaissance de la valeur
constitutionnelle du Préambule de la Constitution signifie que la
légalité criminelle constitue un principe de valeur
constitutionnelle, ce qui implique que le principe de la légalité
de preuve est un principe à valeur constitutionnelle dans le
système pénal français : « le principe de
légalité des délits et des peines a donc valeur
constitutionnelle
1647
et
en droit français. Il s'impose au
législateur comme au juge. Dans ses décisions de 1973
1648
1982
|
, le Conseil constitutionnel estime en effet que le
législateur est tenu de respecter les
|
éléments du bloc de constitutionnalité,
parmi lesquels figure la Déclaration des droits de
1642 V. B. De Lamy, « Le principe de la
légalité criminelle dans la jurisprudence du Conseil
constitutionnel », in Cahiers du Conseil constitutionnel,
Août 2009, n° 26.
1643 R. Gassin, « Le principe de la
légalité et la procédure pénale », in
R.P.D.P., avril-juin 2001, numéro spécial, pp. 300-334,
V. spec. p. 301.
1644 La Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen.
1645 V. en même sens : W. Benessiano,
Légalité pénale et droits fondamentaux,
Thèse de droit, Université Paul Cézanne-Aix-Marseille III,
Presse Universitaire d'Aix-Marseille, 2011, Préface Guy Canivet, n°
22, p. 30 : « Les fondements législatifs. Il est
réaffirmé par le Code pénal dans son article 111-2, ...
».
1646 V. en ce sens : W. Benessiano,
Légalité pénale et droits fondamentaux,
Thèse de droit, Université Paul Cézanne-Aix-Marseille III,
Presse Universitaire d'Aix-Marseille, 2011, Préface Guy Canivet, n°
23, p. 30 : Principe de légalité : « Les fondements
constitutionnels. Il est inscrit à l'article 8 de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen qui est, cela va sans dire, l'un des
éléments du boc de constitutionnalité ».
1647 V. Décision n° 73-51 DC du 27
décembre 1973 (Loi de finances).
1648.V. Décision n° 81-132 DC du
16 janvier 1982 (Loi de nationalisation).
l'homme et du citoyen »
1649
. Ce qui précède est confirmé encore par le
Conseil constitutionnel
dans la décision Sécurité et
Liberté des 19 et 20 janvier 1981 où il rappelle qu'
« aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen, nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi
établie et promulguée antérieurement au délit et
légalement appliquée
1650
» .
B. Valeur constitutionnelle du Préambule de la
Constitution française.
306. Principes fondamentaux. En France, les principes
fondamentaux 1651 sont des principes dégagés, par le Conseil
constitutionnel, du Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 et
particulièrement de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de 1789. Il s'agit notamment des principes de la légalité
des délits et des peines, de la liberté individuelle, de la
non-rétroactivité de la loi pénale plus
sévère et de la rétroactivité de la loi nouvelle
plus douce, de la nécessité de la proportionnalité des
peines, de la responsabilité personnelle ainsi que la
personnalité des peines. En procédure pénale, les
principes des droits de la défense, de l'inviolabilité du
domicile et de la présomption d'innocence sont des principes
fondamentaux
|
1652
|
, comme l'affirme le Conseil constitutionnel qui en a fait une
énumération
|
quasi exhaustive dans une décision capitale du 22 janvier
1999 relative à la Cour pénale
internationale
|
1653
|
. Donc, à l'occasion de la ratification du traité
portant statut de la Cour
|
405
pénale internationale signé à Rome le 18
juillet 1998 qui doit être précédée d'une
révision de la Constitution, le Conseil Constitutionnel français
a jugé que « considérant que l'article 66 affirme la
présomption d'innocence dont bénéficie toute personne
jusqu'à ce que sa culpabilité ait été
établie devant la Cour ; qu'il incombe au procureur de prouver la
culpabilité de l'accusé ; qu'en application de l'article 67,
celui-ci bénéficie de la garantie de "ne pas se voir imposer le
renversement du fardeau de la preuve ni la charge de la réfutation" ;
que sont en
1649 W. Benessiano,
Légalité pénale et droits fondamentaux,
Thèse de droit, Université Paul Cézanne-Aix-Marseille III,
Presse Universitaire d'Aix-Marseille, 2011, Préface Guy Canivet, n°
23, p. 30.
1650 V. Décision n° 80-127 DC des
19 et 20 janvier 1981, (Loi renforçant la sécurité et
protégeant la liberté des personnes) ; V. sur en ce sens: W.
Benessiano, Légalité pénale et droits
fondamentaux, Thèse de droit, Université Paul
Cézanne-Aix-Marseille III, Presse Universitaire d'Aix-Marseille, 2011,
Préface Guy Canivet, n° 23, p. 31.
1651 V. T. Meindl, La Notion De Droit
Fondamental Dans Les Jurisprudences Et Doctrines Constitutionnelles
Françaises Et Allemandes, Thèse de droit, L.G.D.J., 2003,
Préface de Dominique Rousseau.
1652 A. Beziz-Ayache, Dictionnaire de droit
pénal général et procédure pénale,
op. cit., p. 144.
1653 J. Pradel, « Les principes
constitutionnels du procès pénal », in Cahiers du
Conseil constitutionnel, n° 14 (Dossier : La justice dans la
constitution) - mai 2003.
1654
.
406
conséquence respectées les exigences qui
découlent de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen »
307. Bloc de constitutionnalité. Selon M.
Michel Lascombe l'apparition du contrôle de constitutionnalité a
conduit très logiquement à la naissance d'un « bloc de
constitutionnalité »
. Le
1655
regroupant l'ensemble des actes par rapport auxquels cette
constitutionnalité s'apprécie
Conseil constitutionnel a donc commencé à
apprécier la constitutionnalité des lois pénales en se
basant sur le contenu du « bloc de constitutionnalité ».
Cette expression a été forgée par le
doyen M. Louis Favoreu qui est considéré comme
son père putatif1656 . Selon M. Bernard Chantebout, communément
regroupées sous le nom de bloc de constitutionnalité, les normes
à valeur constitutionnelle par rapport auxquelles le Conseil
constitutionnel exerce son contrôle sur les lois et les traités,
comportent trois éléments : la Constitution de 1958, la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le
Préambule de la Constitution de 1946 et la Charte de l'environnement de
2004, auxquels le Préambule de la Constitution de 1958 se
réfère et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la
république et déclarés tels par
le Conseil constitutionnel.
1657
Ce dernier n'établit pas de hiérarchie entre les
principes à valeur
1658
constitutionnelle en fonction de leur origine.
308. Le Conseil constitutionnel garant de la
suprématie de bloc de constitutionnalité. La
suprématie du bloc de constitutionnalité sur les autres normes
est assurée par le contrôle de constitutionnalité de ces
dernières. Ce contrôle est exercé par le Conseil
constitutionnel, mais
et
1659
uniquement, jusqu'en 2008, à la demande des
personnalités habilitées à le saisir
seulement à condition qu'elles agissent dans le bref
délai qui sépare le vote définitif de la loi de sa
promulgation par le chef d'État. Depuis la révision de la
Constitution française de juillet 2008 et l'instauration de la question
prioritaire de constitutionnalité, la saisine du Conseil constitutionnel
est également ouverte aux justiciables qui, par voie d'exception,
invoquent l'inconstitutionnalité d'une loi qui leur est opposable. Mais
ils ne peuvent d'eux-mêmes saisir
1654 Décision n° 98-408 DC du 22
janvier 1999, § 21.
1655 M. Lascombe, Le Droit Constitutionnel
De La Ve République, L'harmattan, Paris, 2005, p. 339.
1656 V. sur le bloc de
constitutionnalité : Ch. Denizeau, Existe-t-il un bloc de
constitutionnalité ?, Mémoire de DEA Droit Public Interne,
Université Paris 2, 1996, L.G.D.J., Paris, 1997.
1657 B. Chantebout, Droit
constitutionnel, 27e éd., Sirey, coll. Sirey
Université, Paris, 2010, p. 597. 1658 B. Chantebout,
Droit constitutionnel, 27e éd., Sirey, coll. Sirey
Université, Paris, 2010, p. 597.
1659 Le président de la
république, le premier ministre, les présidents des deux
assemblées, et soixante sénateurs.
le juge constitutionnel. Ce sont le Conseil d'État ou la
Cour de cassation qui le feront, s'ils
1660
jugent que leur requête a des chances de succès
.
407
309. Valeur constitutionnelle de l'article 8 de la
Déclaration des droits de l'homme de 1978. Le Conseil
constitutionnel français confirme la valeur constitutionnelle du
principe de la légalité consacré par l'article 8 de la
Déclaration des droits de l'homme de 1978 dans deux décisions,
une des 19 et 20 janvier 1981 1661 et l'autre du 11 octobre 1984 1662 . C'est
toutefois une décision du 17 janvier 1989, du Conseil supérieur
de l'audiovisuel, qui est la plus prometteuse. Outre que le Conseil y
prône l'application du principe de légalité à des
sanctions administratives - ce qui montre qu'il faut avoir une vision
compréhensive de son domaine -, il
1664
,
1663
en donne aussi une définition élargie: «
considérant qu'il résulte de ces dispositions
comme des principes fondamentaux reconnus par les lois de
la République, qu'une peine ne peut être infligée
qu'à la condition que soient respectés le principe de
nécessité des peines, le principe des droits de la défense
». Donc on peut affirmer de nouveau que le principe de
1665
,
légalité criminelle est un principe à
valeur constitutionnelle dans le système pénal français
1660 B. Chantebout, Droit
constitutionnel, 27e éd., Sirey, coll. Sirey
Université, Paris, 2010, p. 599.
1661 Décision n° 802-127 DC des
19 et 20 janvier 1981, cons. n° 75: « 7. Considérant
qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen de 1789 nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi
établie et promulguée antérieurement au délit et
légalement appliquée ; qu'il en résulte la
nécessité pour le législateur de définir les
infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure
l'arbitraire ».
1662 Décision du Conseil
constitutionnel n° 84-181 DC du 10 octobre 1984: « 8.
Considérant que les députés auteurs de l'une des saisines
soutiennent que les définitions ainsi énoncées
présentent un caractère extensif et imprécis ; que, par
suite, les dispositions pénales de la loi qui font
référence, directement ou indirectement, à ces notions
insuffisamment définies enfreignent le principe constitutionnel de la
légalité des délits et des peines proclamé par
l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de
1789 ; qu'en outre lesdites définitions permettent l'application de la
loi aux partis politiques en violation de l'article 4 de la Constitution ; que
les sénateurs auteurs de l'autre saisine reprennent ce dernier grief
à propos de l'article 21 de la loi » ; « 19.
Considérant que les députés auteurs de l'une des saisines
font valoir que ni l'article 3 ni l'article 26 précités ne
définissent les éléments constitutifs de l'infraction de
prête-nom, notamment en ce qui concerne le domaine de l'interdiction, et
sont ainsi contraires au principe de la légalité des
délits et des peines proclamé par l'article 8 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 » ;
« 20. Considérant, d'une part, que les éléments
constitutifs de l'infraction ressortent des termes mêmes de l'article 3
dont il reviendrait aux juridictions compétentes de faire application
dans les espèces qui leur seraient soumises ; que, d'autre part, il
résulte nécessairement de la place de ces dispositions dans une
loi tendant à assurer la transparence financière des entreprises
de presse que l'interdiction de prête-nom visée par ces
dispositions ne concerne, sans préjudice de semblable interdiction en
d'autres matières, que les actes de prête-nom pouvant porter
atteinte aux règles de transparence financière intéressant
les entreprises de presse ; qu'ainsi les articles 3 et 26 de la loi ne sont pas
contraires à la Constitution »;
1663 M. Herzog-Evans, Procédure
pénale, 2e éd., Éditions Vuibert, 2009,
n° 143, p. 52.
1664 Le Conseil visait ici les articles 8 de la
Déclaration des droits de l'homme et 34 de la Constitution de 1958.
1665 V. F. Fourment, Procédure
pénale, 14e édition, Larcier, 2013, n° 51,
p. 43 : « Associés à des garanties puisées dans
le bloc de constitutionnalité et dans la Convention européenne
des droits de l'homme, ils forment
408
ce qui nous conduit à admettre la valeur
constitutionnelle du principe de légalité de preuve en
matière pénale pour la même raison que celle
déjà indiquée en droit libanais.
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