Section II
La légalité criminelle appliquée
en matière de preuve
pénale
257. L'application du principe de légalité
dans le contexte des preuves. Selon MM. Serge Guinchard et Jacques
Buisson, « la légalité dans l'administration de la
preuve trouve donc essentiellement l'application en amont de l'audience
pénale, mais elle ne peut évidemment être
étrangère au juge de jugement, que ce soit au titre de
l'obligation qui lui est faite de vérifier la légalité de
la preuve produite, ou dans l'exécution du complément
d'enquête qu'il
peut - et même doit - ordonner »
1433
. La preuve pénale est soumise au principe de
la légalité.
1434
La procédure pénale fait une large place aux
règles de preuve . En général, la procédure
pénale dans tous les systèmes pénaux a pour objet
essentiel la constatation des infractions, le rassemblement de leurs preuves,
la recherche de leurs auteurs. Le principe de la légalité
procédurale trouve son application et son expression dans le cadre de la
preuve pénale. Le problème fondamental que doit aborder toute
procédure pénale est la preuve. Le but ultime de toute
procédure pénale, en effet, qu'elle soit système de droit
continental ou de common law vise à la manifestation de la
vérité à travers la recherche et l'administration de la
preuve. Pour autant, la recherche de la preuve ne peut se faire à
n'importe quel prix, mais uniquement par
1435
des voies non seulement légales, mais encore
légitimes . Le principe de légalité procédurale a
donc un rôle particulier à jouer en matière de preuve
pénale. « Mais cette liberté du moyen de preuve et de
son appréciation ne doit pas masquer l'existence d'un principe de
légalité de l'administration de la preuve, aspect de la
légalité procédurale, qui signifie que les moyens de
preuves doivent résulter d'actes d'investigation ou de recherche
régulièrement prévus par la
loi » 1436 . Ce principe de
légalité procédurale s'applique sur la preuve surtout si
on prend en compte que le principe de la légalité criminelle est
un excellent outil juridique qui contribue largement et efficacement en vue de
l'élaboration de l'État de droit. C'est autour de la preuve
1433 S. Guinchard et J. Buisson,
Procédure pénale, 9e édition, LEXIS
NEXIS/LITEC, 2013, n° 582, p. 587.
1434 P. Bolze, Le droit à la
preuve contraire en procédure pénale, Thèse de droit,
Université Nancy 2, 2010, p. 4.
1435 G. Guidicelli-Delage (dir.) et H.
Matsopoulou (coord.), « Synthèse », in Les transformations
de l'administration de la preuve pénale : perspectives comparées.
Allemagne, Belgique, Espagne, États-Unis, France, Italie, Portugal,
Royaume-Uni, Mission de recherche Droit et Justice / Synthèse 107 /
décembre 2003, p. 10.
1436 J.-Ch. Saint-Pau, «
L'enregistrement clandestin d'une conversation », in Droit
pénal, n° 9, Septembre 2008, étude 17, spec. n°
20.
pénale que la procédure pénale toute
entière gravite, affirment MM. Roger Merle et André Vitu:
« la procédure pénale toute entière gravite
autour du problème essentiel de la preuve, ce qui explique la place
prééminente que lui réservent certains droits
étrangers, par exemple
anglo-saxons »
|
1437
|
. Un arrêt rendu par la chambre criminelle de la
Cour de cassation française
|
le 19 juin 1989 constitue à notre avis une
reconnaissance presque parfaite de l'existence juridique du principe de la
légalité de preuve : « si, selon les dispositions
combinées des articles 342 et 451 du Code des douanes, tous
délits en matière douanière ou cambiaire peuvent
être prouvés par toutes les voies de droit, c'est à la
condition que les moyens de preuve produits devant le juge pénal ne
procèdent pas d'une méconnaissance des règles de
procédure et n'aient pas eu pour effet de porter atteinte aux droits de
la défense, ni au principe énoncé à l'article 8 de
la Convention européenne de sauvegarde des droits de
1438
.
l'homme et des libertés fondamentales»
§ 1. Légalité procédurale
appliquée en matière de preuve pénale.
258. Notion du principe de la légalité de
preuve. Selon Mme Michèle-Laure Rassat « chaque mode de
preuve est doté d'une procédure d'obtention particulière
qui fait l'objet d'une réglementation spécifique et
détaillée : l'aveu ne peut résulter d'un interrogatoire
dont tous les détails sont prévus par le Code de procédure
pénale ; le témoignage est recueilli au cours d'une audition,
etc. Des preuves obtenues sans respect de ces règles sont
irrecevables.
Il y a là des formalités spécifiques
à chaque élément de preuve ... »
|
1439
|
. La loi réglemente la
|
353
recherche de la preuve, la constatation, la production et la
discussion ; c'est ce qu'on appelle le principe de la légalité
dans la recherche et l'utilisation des preuves, prolongement du principe
général de la légalité criminelle comme l'affirment
MM. Roger Merle et André
Vitu 1440 . La recherche des preuves en matière
pénale ne peut non plus être abandonnée à
l'arbitraire des autorités parce que la procédure pénale
ne doit pas être fortement axée vers la recherche des preuves
à tout prix. La liberté de preuve ne signifie pas qu'il convienne
d'obtenir à tout prix les preuves ou le droit de rechercher les preuves
à tout prix et de n'importe quelle manière comme l'affirme M.
Jean Pradel : « n'importe quelle preuve peut être
utilisée, mais
1437 R. Merle et A. Vitu, Traité De
Droit Criminel, 5e éd., Cujas, Paris, 2001,
t. 2 Procédure Pénale n°140, p. 177.
1438 Cass. crim., 19 juin 1989, B.C.,
n° 261.
1439 M-L. Rassat, Procédure
pénale, 2e édition, Éditeur : Ellipses,
2013, n° 256, p. 265.
1440 R. Merle et A. Vitu, Traité
de droit criminel, 5e éd., Cujas, Paris, 2001, t. 2
Procédure pénale, n° 168, p. 211.
elle ne peut pas être recherchée de n'importe
qu'elle manière. En d'autres termes, s'il n'y a pas de régime
légal des preuves, il y a un régime de la recherche et de
l'administration des
1441
preuves »
. La liberté de preuve donne le pouvoir de
choisir tout moyen de preuve pour
354
établir la vérité et laisse aux
autorités étatiques la liberté de choisir entre les
différents procédés de preuve sans reconnaître une
hiérarchie entre les moyens et les modes de preuve, ou imposer un moyen
de preuve recevable notamment pour prouver une infraction spécifique. Il
résulte de ce qui précède que les procédés
ou moyens de preuve non expressément prévus
1442
par le Code de procédure pénale devraient
être bannis. En effet, la procédure pénale en droit
libanais et français est régie par le principe de la
liberté des preuves. Cette liberté n'est toutefois pas sans
limites. Il ne peut être recouru à des moyens qui sont
incompatibles avec les principes fondamentaux et généraux du
droit reconnus ou consacrés par les lois, qui portent atteinte à
la dignité humaine, qui entament la liberté personnelle sans base
légale suffisante ou encore qui sont formellement interdits par la loi
elle-même et encore avec des nuances.
A. L'application des principes de procédure
pénale en matière de preuve.
259. La légalité s'applique à la
preuve. Après avoir identifié et justifié l'existence
du principe de légalité procédurale, la question
fondamentale qui est posée concerne l'application de ce principe en
matière de preuve pénale. Les principes généraux
relatifs à la procédure pénale s'appliquent
également en matière de preuve. Le système pénal
libanais et français ne consacre pas un Code spécifique et
indépendant à la recherche et l'administration de la preuve
pénale. Face à l'unité des règles de preuve en
common law, dans les pays appartenant au système romano-germanique
notamment le Liban et la France, on peut parler de l'unité des
règles de procédure pénale étant donné que
la procédure pénale repose beaucoup sur la question des preuves
et tient à organiser légalement les moyens de rechercher et
d'établir la
culpabilité et l'innocence.1443
1441 J. Pradel, Procédure
pénale, 17e éd., Cujas, 2013, n° 782, p.
716.
1442 V. sur la réglementation de la
recherche des preuves : H. Matsopoulou, Les enquêtes de police,
Thèse de droit, L.G.D.J., Paris, 1996, n° 1074, p. 498 :
« Entendue dans son sens matériel, cette réglementation
de la recherche des preuves signifie que chaque acte d'administration de la
preuve est régi strictement par un texte ».
1443 V. E. Verges, Procédure
pénale, 2e éd., Litec, 2007, n°107, p. 80 :
« le principe de licéité de la preuve signifie avant
tout que la recherche, la production et l'appréciation des preuves
pénales doivent se faire conformément au droit. Il s'agit
là d'un énoncé tout à fait trivial, mais encore
faut-il préciser ce que l'on entend par conforme au droit. D'un
côté l'établissement de certaines preuves est soumis
à un cadre législatif très précis. Ainsi en est-il
des perquisitions, des écoutes téléphoniques ou
procédures de sonorisation. Ces preuves sont, en réalité,
des actes de procédures soumis à un formalisme lourd... Pour
autant, la licéité de la preuve ne s'étend
355
B. La légalité procédurale
applicable à la preuve pénale.
260. L'application de la légalité
procédurale à la preuve. Dans un système fondé
sur la prééminence du droit, le principe de
légalité, ou encore l'exigence d'une « loi
préalable » occupent pourtant une place centrale très
essentielle en procédure pénale, même s'ils n'ont, en cette
matière, ni la même raison d'être, ni la même
portée qu'en droit pénal de fond1444
.
Pendant la recherche des preuves, les agents d'investigation
ne sont pas libres, car si la présentation des preuves est bien libre,
leur recueil ne l'est pas. Dans un État de droit comme en France et au
Liban, les policiers et les magistrats sont tenus de respecter diverses
conditions légales pendant tout acte de procédure tendant
à rechercher les preuves. Le processus d'obtention de la preuve en
matière pénale est strictement réglementée parce
qu'il est sous-tendu par certains principes eux-mêmes presque
sacrés. Certains auteurs croient que la légalité
procédurale issue du principe de légalité des
délits et des peines autorise les autorités étatiques
(surtout judiciaires) à faire tout ce qui n'est pas interdit par la loi.
Cette notion précédente ou interprétation est
erronée, car tout acte de procédure criminelle attentatoire
à la liberté individuelle ou contrevenant à la vie
privée est interdit sauf si la loi prévoit légalement
cette atteinte légale. Le Code de procédure pénale doit
justifier expressément ces atteintes à la liberté
individuelle afin de rechercher la preuve, mais à condition de ne pas
porter atteinte aux garanties constitutionnelles, d'où la
nécessité de réglementer légalement les
différents procédés de preuve sans reconnaître
aucune hiérarchie entre les divers modes de preuve et sans fixer la
valeur probante des preuves. En matière criminelle, toute preuve est
admise pour prouver une infraction, mais ceci ne veut pas dire que
l'administration des preuves n'est pas réglementée. La
légalité procédurale est applicable dans la recherche de
preuve pénale. Le Conseil constitutionnel français dans sa
décision n° 2004492 DC du 02 mars 2004 concernant la loi portant
adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a
confirme l'application du principe de légalité criminelle sur les
règles des preuves pénale : « 5. considérant,
enfin, que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution,
ainsi que du principe de légalité des délits et des
peines, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi
pénale et de définir les crimes et délits en termes
suffisamment clairs et précis ; que cette exigence s'impose non
seulement pour exclure
pas uniquement de l'encadrement formel prévu par la
loi. Elle consiste aussi dans le respect de principes inscrits dans le Code de
procédure pénale ou établis par la jurisprudence
».
1444 F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer,
Traité de procédure pénale, 3e
éd., Economica, 2013, n° 248, p. 153.
l'arbitraire dans le prononcé des peines, mais
encore pour éviter une rigueur non nécessaire lors de la
recherche des auteurs d'infractions ... »1445.
C. La preuve pénale, l'essence de la
procédure pénale.
261. La preuve est l'objet de la procédure
pénale. Selon M. René Garraud, l'idée de
l'instruction et de la preuve dans le cadre du procès pénal,
c'est-à-dire tous les procédés qui seront employés
pour rechercher les délits et les délinquants et sans doute pour
convaincre le juge de la culpabilité de l'accusé constituent le
fond même de la procédure pénale, dont toutes les
règles sont dirigées vers ce but : des moyens légaux, la
découverte des crimes et la
1446
punition des criminels. Ensuite de la bonne ou de la mauvaise
organisation de ces règles, dépend, avant tout, la
sécurité de la société et celle de l'individu,
c'est ce qu'affirme M. René
Garraud
|
1447
|
. Les règles de procédure pénale sont
orientées vers la recherche et la production
|
356
de preuves. En réalité, la plupart des actes de
procédure pénale visent l'obtention des éléments de
preuve d'une infraction, par exemple, le procès-verbal constitue un
instrument essentiel de la preuve au pénal, la perquisition ne peut
avoir d'autre objet que de rassembler les preuves relatives à une
infraction 1448 . L'interrogatoire n'a pas cessé d'être un moyen
important de preuve. L'expertise est un moyen qui permet d'obtenir un avis non
juridique basé sur des connaissances scientifiques, techniques ou
artistiques spéciales et qui sert à découvrir certains
indices et certaines preuves. À vrai dire, la preuve constitue
l'essentiel de la procédure, ce qui confirme que la
légalité procédurale doit être appliquée en
matière de preuve pour encadrer légalement l'étendue de la
liberté de preuve.
1445 DC n° 2004-492 du 02 mars 2004
concernant la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la
criminalité.
1446 R. Garraud, Traité
théorique et Pratique d'instruction criminelle et de procédure
Pénale, L. Larose & L. Tenin, 1907, t. 1, p. 9.
1447 R. Garraud, Traité
théorique et Pratique d'instruction criminelle et de procédure
Pénale, L. Larose & L. Tenin, 1907, t. 1, p. 9.
1448 J. De Codt, Des nullités de
l'instruction et du jugement, Larcier, Bruxelles, 2006, p. 54.
357
§ 2. Reconnaissance du principe de
légalité de la preuve pénale.
262. Résoudre le conflit entre droits individuels et
efficacité de la répression. Selon M. Bernard Bouloc et Mme
Haritini Matsopoulou, la liberté de la preuve subit une restriction
extrêmement importante du fait qu'il est exclut- en principe - qu'un
policier ou tout autre
1449
.
citoyen se permette de commettre une infraction afin
d'acquérir la preuve d'une infraction
M. Jacques Buisson affirme que « ... dans un
État de droit, la légalité imprègne
forcément l'administration de la preuve, c'est-à-dire dans la
recherche ou le recueil de la preuve, à
1450
. La
peine de nullité, voire de condamnation civile ou
pénale de l'enquêteur responsable »
procédure pénale vise d'abord à
l'efficacité de la répression par la recherche des preuves afin
de trouver l'auteur de l'infraction. Cette procédure vise encore
à garantir les droits individuels des personnes pendant les
différentes phases du procès. La recherche de preuve
évoque plusieurs conflits entre intérêt public et
intérêt privé, droits de l`individu et droits de la
société, entre l'atteinte au droit individuel et
l'intérêt général sauvegardé. La
procédure pénale doit être équitable, elle doit donc
trouver l'équilibre entre les droits des parties et
l'équité de la procédure pénale, afin d'assurer les
intérêts de la société et les droits des individus.
En ce qui concerne la preuve, le principe, en droit pénal, est celui de
la liberté de preuve. Cette liberté de preuve largement reconnue
dans le domaine pénal ne nous empêche pas d'affirmer que lors de
la recherche des preuves, toute procédure pénale tend à
trouver l'équilibre entre le respect des droits de la défense et
l'efficacité niveau des preuves suffisantes. La procédure
pénale doit réserver l'équilibre des droits des parties.
La reconnaissance d'une liberté absolue en matière de preuve
détruirait l'équilibre en donnant à la recherche de la
preuve la dominance sur la légalité. La procédure
pénale recherche l'équilibre entre la protection des
libertés individuelles, notamment ceux de la défense, et
l'efficacité de la répression destinée à
protéger
1451
la société . La légalité de preuve
est un principe qui tend à renforcer l'équilibre de la
procédure pénale et, en même temps, à l'humaniser et
à améliorer l'équilibre des droits entre les parties. Le
principe de la légalité de preuve vient résoudre
complètement les conflits qui interviennent dans la recherche de preuve
et leur efficacité qui peuvent porter atteintes à certains droits
et libertés individuels. Contrairement à l'idée
traditionnelle présentée,
1449 B. Bouloc et H. Matsopoulou, Droit
pénal général et Procédure pénale,
18e éd., Sirey, Paris, 2011, n° 441, p. 255.
1450 J. Buisson, « La
légalité dans l'administration de la preuve pénale »,
in Procédures, Décembre 1998, Chr. n° 14, pp. 3-6,
V. spec. p. 3.
1451 É. Espérance Nana,
Droits de l'homme et justice: le délai de procédure
pénale au Cameroun, L'Harmattan, Paris, 2010, Préface de
Jean-Didier Boukongo, p. 34.
l'efficacité de la répression n'est pas toujours
en opposition avec les droits et libertés. Le principe de la
légalité de preuve offre une très bonne figure d'une
procédure pénale respectueuse des droits individuels et efficace
en même temps.
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