La légalite des moyens de preuve dans le procès pénal en droit français et libanaispar Ali Ataya Ecole doctorale 88 Pierre Couvrat (Poitiers) - Droit et Sciences Politique, Université du Maine - Thèse de doctorat en Droit privé 2013 |
Chapitre ITentative d'affirmation de l'existence du principe de la légalité des moyens de preuve 235. La notion classique du principe de légalité. C'est un principe essentiel, fondamental, que le droit pénal moderne est un droit légal, c'est-à-dire qu'il a uniquement sa source dans la
seule source naturelle du droit pénal moderne, étant une conséquence normale du 1330 développement directe du caractère légal, qui lui est reconnu . Selon M. Henri Donnedieu de Vabres, la légalité est un principe qui désigne qu'un fait ne peut occasionner ou déterminer l'intervention du juge répressif s'il n'a pas été formellement prévu par une loi promulguée
329 mettre fin à l'injustice qui a dominé longtemps avant de recevoir l'apparence du principe de la 1332 légalité en matière répressive . Bien évidemment, le principe de légalité est considéré comme la pierre angulaire du système pénal dans un État de droit1333. En revanche, un système pénal qui n'est pas attaché à la prééminence de la légalité criminelle est sans doute un système pénal arbitraire. Le principe de légalité constitue le noyau du système juridique moderne comme l'affirmait M. Léon Duguit : « le principe de légalité domine tout le droit 1329 J.-A. Roux, Cours de droit criminel français, 2e éd., Recueil Sirey, Paris, 1927, t. 1 Droit pénal, p. 16. 1330 J.-A. Roux, Cours de droit criminel français, 2e éd., Recueil Sirey, Paris, 1927, t. 1 Droit pénal, p. 24. 1331 H. Donnedieu De Vabres, Traité élémentaire de droit criminel et de législation comparée, 3e éd., Librairie Sirey, Paris, 1947, n° 93, p. 52. 1332 V. C. Barberger, Droit pénal, Coll. La Découverte, Éditions « Repères », 1997, p. 27 : « Depuis la Révolution française, la doctrine pénale résume le fondement et la spécificité du droit pénal par une locution qui réunit deux termes forts: principe et légalité. Le principe fondamental du droit pénal est donc que seule la loi peut définir les infractions et leurs peines ». 1333 V. G. Levasseur, A. Chavanne, J. Montreuil, B. Bouloc et H. Matsopoulou, Droit pénal général et procédure pénale, 14e éd., Dalloz, 2002, n° 81, p. 36 : « La liberté des citoyens serait gravement menacée, si les pouvoirs publics pouvaient les poursuivre pour des faits qui n'auraient pas été incriminés par un texte préexistant porté à leur connaissance. Il y a là une règle fondamentale de justice tendant à empêcher toute arrestation ou toute poursuite arbitraire. Il y a là aussi, corrélativement, un principe délimitant la zone de libre activité des honnêtes gens ». 13341335 moderne ». C'est un principe qui ne supporte aucune exception. En ce qui concerne le champ d'application relatif au principe de légalité. Il est absolu « le principe de légalité est 1336 . aussi absolu dans son application » 236. La contribution du pénaliste italien Beccaria. Selon M. Nicolas Catelan « il est de nos jours impossible de trouver un manuel de droit pénal où le nom de Cesare Beccaria n'est cité : il figure toujours en première ligne lorsqu'est abordé le principe de la légalité des délits et
puisse créer les incriminations et édicter les peines. Il a établi un régime de stricte légalité
330 individualiste des Lumières, l'Italien Beccaria a formulé pour la première fois la légalité des délits et des peines comme un principe fondamental pour punir 1339 . Dans son traité Des délits et des peines, qui paraît en 1764, M. Cesare Beccaria affirme que « les lois seules peuvent déterminer les peines des délits et que ce pouvoir ne peut résider qu'en la personne du législateur », et il affirme « je ne trouve aucune exception à cet axiome général : tout 1340 1341 citoyen doit savoir quand il est coupable et quand il est innocent » , et que « les citoyens doivent savoir ce qu'il faut faire pour être coupable, et ce qu'il faut éviter pour être 1334 L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, Ancienne libraire Fontemoing et Cie Editeurs, E. de Boccard, Paris, 1923, t. 3 La théorie générale de l'État, p. 552 1335 L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, Ancienne libraire Fontemoing et Cie Editeurs, E. de Boccard, Paris, 1923, t. 3 La théorie générale de l'État, p. 682 1336 L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, Ancienne libraire Fontemoing et Cie Editeurs, E. de Boccard, Paris, 1923, t. 3 La théorie générale de l'État, p. 682 1337 N. Catelan, L'influence de Cesare Beccaria sur la matière pénale moderne, P.U.A.M., 2004, V. spec. l'introduction. 1338 V. sur le principe de légalité criminelle: Ch. Claverie-Rousset, « La légalité criminelle », in Droit pénal, n° 9, Septembre 2011, étude 16, spec. n° 1 : « Le principe de légalité criminelle, généralement exprimé à travers l'adage « nullum crimen nulla poena sine lege », trouve sa source dans l'oeuvre de Beccaria et de Montesquieu. À l'origine, il signifie que l'infraction doit être créée uniquement par la loi : seule la loi en tant que manifestation de la volonté générale, dispose de la légitimité démocratique suffisante pour créer des infractions et des sanctions. L'objectif était d'éviter l'arbitraire judiciaire de l'Ancien Régime ». 1339 G. Minguan, Z. Bingzhi, L. Jianping, Z. Shihui, B. SuiXian, H. Xingwang et Y. Maokui, «Principes directeurs communs du droit pénal », in M. Delmas-Marty et G. Mingxuan (dir), Vers des principes directeurs internationaux. Criminalité économique et atteintes à la dignité de la personne Vol. V : Bilan comparatif et propositions, Fondation Maison des sciences de l'homme, Paris, 1997, p. 153. 1340 C. Beccaria, Des délits et des peines, traduit par Maurice Chevallier, Editeur : Flammarion, préface de R. Badinter, 1991, chap III, p. 65. 1341 C. Beccaria, Des délits et des peines, Traduit par P.-J.-S. Dufey et suivie du commentaire de Voltaire sur le Livre des délits et des peines, et du Discours de J.-M.-A. Servan, Dalibon librairie Palais Rroyal, Paris, 1821, p. 140. 1342 innocent » . En adoptant le principe de la légalité criminelle « chaque citoyen peut faire tout ce qui n'est pas contraire aux lois, sans craindre d'autres inconvénients que ceux qui
Poncela affirment que la légalité de la peine apparaît comme l'image et comme un trait distinctif de la modernité du droit pénal1344 . Le principe de la légalité des délits et des peines dispose qu'on ne peut condamner pénalement une personne qu'en application d'un texte de loi pénal précis et clair. Ce principe a été notamment développé par le pénaliste italien Cesare Beccaria qui réclamait l'abandon de l'arbitraire et la nécessité que les infractions soient définies par des textes. Mais il faut noter que si le principe de légalité criminelle contemporain est toujours basé sur les mêmes fondements théoriques du principe évoqué par l'Italien Cesare Beccaria, aujourd'hui, vu l'émergence de notions et de valeurs constitutionnelles des droits de l'homme, le principe de légalité s'est modernisé et enrichi. Le principe de la légalité procédurale dans la recherche de preuve se rapproche du principe de la légalité en droit
« l'exercice de la fonction administrative est dominé par le principe fondamental de la légalité. Ce principe signifie que les autorités administratives sont tenues, dans les décisions qu'elles prennent, de se conformer à la loi ou plus exactement à la légalité, c'est-à-dire à un 1346 . ensemble de règles de droit de rangs et de contenus » 237. La contribution du pénaliste allemand Von Feuerbach. M. Paul Johann Anselm Ritter Von Feuerbach, célèbre pénaliste allemand, a enrichi et développé la pensée de Beccaria, et a
331 signifie en langue française que « Nul crime, nulle peine sans loi » ou « pas de crime, pas de 1342 C. Beccaria, Des délits et des peines, Traduit de l'italien par Collin de Plancy, Éditions du boucher, Paris, 2002, p. 101. 1343 C. Beccaria, Des délits et des peines, Traduit de l'italien par Collin de Plancy, Éditions du boucher, Paris, 2002, p. 82. 1344V. G. Casadamont et P. Poncela, Il n'y a pas de peine juste, Odile Jacob, 2004, p. 14 : « la légalité de la peine est l'un des traits distinctifs de sa modernité ». 1345 V. sur la légalité en droit administratif libanais et français : A. Dennawi, Etude comparée du principe de légalité en droit administratif libanais et en droit administratif français, Thèse de droit, Université Paris 2, 1985. 1346 A. De Laubadère, Traité élémentaire de droit administratif, Librairie générale de droit et de jurisprudence, Paris, 1963, vol. 1, p. 193. 1347 M.-D. Mouchy, « Les Droits Fondamentaux en Droit Pénal International », in Les Droits fondamentaux : Inventaire et théorie générale, Beyrouth, 2003, CEDROMA. Centre d'études des droits du monde arabe. Faculté de droit et des sciences politiques, p. 6 peine sans loi » 1348 . Les juges répressifs ne peuvent retenir l'existence d'une infraction ni prononcer une peine sans s'appuyer sur une loi. Cet adage rappelle la plus importante, peut- être, des garanties en matière pénale 1349 . La pensée de M. Paul Johann Anselm Ritter Von Feuerbach a joué un rôle décisif dans l'adoption de la légalité des peines 1350 . Le système de légalité proposé par M. Paul Johann Anselm Ritter Von Feuerbach a été adopté à Bavière en Allemagne, et le nouveau Code criminel bavarois de 1813, rédigé par M. Paul Johann Anselm Ritter Von Feuerbach qui y introduisit, conformément à sa doctrine et à ses recommandations, est entièrement basé sur le projet et l'idée de ce jurisconsulte 1351 qui a joué un rôle particulièrement important. Il ne fait aucun doute que sa contribution a été très efficace dans le développement et a apporté réellement la diffusion du principe de la légalité criminelle. 238. Principe général de la légalité. Mme Elisabetta Grande affirme que : « depuis la Révolution française il est admis que le principe de légalité en droit criminel, tel qu'il est énoncé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme du 26 août 1789 représente la
Beccaria la légalité des délits et des peines n'est pas seulement une question de source, mais
332 qu'il existe un principe général de la légalité séparé du principe de la légalité criminelle, qui ne doit pas être confondu avec le principe de la légalité des délits et des peines qui impose que 1348 G. Minguan, Z. Bingzhi, L. Jianping, Z. Shihui, B. SuiXian, H. Xingwang et Y. Maokui, «Principes directeurs communs du droit pénal », in M.Delmas-Marty et G. Mingxuan (dir), Vers des principes directeurs internationaux. Criminalité économique et atteintes à la dignité de la personne Vol. V : Bilan comparatif et propositions, Fondation Maison des sciences de l'homme, Paris, 1997, p. 153 ; V. Signification initiale du principe : W. Benessiano, Légalité pénale et droits fondamentaux, Thèse de droit, Université Paul Cézanne-Aix-Marseille III, Presse Universitaire d'Aix-Marseille, 2011, Préface Guy Canivet, n° 12, p. 23 : « Le principe de légalité des délits et des peines trouve son expression dans l'adage latin nullum crimen, nulla poena sine lege, qui signifie « pas de délit, pas de peine sans loi ». 1349 M. Cliquennois, La Convention européenne des droits de l'homme et le juge français : Vademecum de pratique professionnelle, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 109 1350 V. W. Benessiano, Légalité pénale et droits fondamentaux, Thèse de droit, Université Paul Cézanne-Aix-Marseille III, Presse Universitaire d'Aix-Marseille, 2011, Préface Guy Canivet, n° 13, p. 23 : « La formule latine nullum crimen, nulla poena sine lege exprimant le principe légaliste a été introduite, semble-t-il, par Paul Johann Anselm Ritter Von Feuerbach dans son Lehrbuch des gemeinen in Deutschland gültigen peinlichen Rechts, dont la première édition paru en 1801 ». 1351 D. Pistor, « Esquisse historique des théories allemandes sur le fondement légal et le but de la punition », in Revue de législation et de jurisprudence, Paris, Avril-septembre 1835, t. 2, p. 425. 1352 E. Grande, « Droit pénal, principe de légalité et civilisation juridique : vision globale », in R.I.D.C., 1-2004, vol. 56, pp. 119-129. 1353 P. Beauvais, Le principe de la légalité pénale dans le droit de l'union européenne, Thèse de droit, Université Paris X Nanterre, 2006, n° 55, p. 56. l'infraction soit préalablement définie et punie par un texte législatif clair et précis. Le principe suppose l'existence d'un texte préalable et donc il ne peut y avoir rétroactivité en matière pénale. À la différence de la légalité des délits et des peines, le principe de la légalité générale tire son origine du libéralisme politique et sa quintessence réside dans le fait qu'une autorité politique, administrative ou judiciaire ne peut agir qu'en vertu et en conformité avec la loi écrite qui est un des éléments principaux de l'État de droit. En France, par exemple, le principe de la légalité est synonyme de l'État de droit. À notre avis, le droit pénal général et spécial comme notion d'infractions et peines respecte uniquement le principe de légalité des délits et des peines. Cependant, et en général, il existe un principe de légalité générale qui englobe la légalité procédurale. En fait, l'application et la domination de la légalité générale ou la conformité de la loi doivent envahir tout acte de procédure dans le cadre du procès pénal dans un État de droit pour assurer le règne de la loi et comme une garantie essentielle et fondamentale des droits reconnus à la personne suspectée ou poursuivie pénalement combinée avec les droits processuels conformément à l'exigence du procès équitable. M. Wilfrid Jeandidier affirme que le principe de la légalité ne concerne pas seulement le droit pénal en sens strict : « ce principe est généralement connu sous l'appellation du principe de la légalité des délits et des peines ; quoique courante, cette expression n'est pas pleinement satisfaisante car elle laisse, croire que le principe de la légalité concerne uniquement le droit pénal au 1354 . sens strict et non les autres branches du droit criminel, ce qui est inexact » 239. La légalité de la preuve pénale. Le principe général de la liberté de la preuve en matière pénale ne signifie pas que la preuve pénale échappe à la loi car une preuve doit être recueillie en respect avec la loi. Mme Michèle-Laure Rassat souligne que « si, sauf cas particuliers, tous les modes de preuve sont admissibles, il est également vrai qu'on ne peut ni
333 rechercher la preuve, on ne peut commettre une infraction ou user des modes de preuve illégaux en se basant sur le principe de liberté de preuve en matière pénale. La preuve doit être acquise d'une manière conforme à la loi et ne peut être obtenue par des procédés illégaux. L'existence du principe de la légalité comme principe directeur qui gouverne la preuve pénale et sa relation avec le principe général de la légalité sont restées longtemps vagues et peu précises. Cette imprécision du principe de légalité de preuve fait l'objet de multiples controverses, hésitations et discussions. Quels sont donc les conséquences et les effets du 1354 W. Jeandidier, JurisClasseur Pénal Code > Art. 111-2 à 111-5, V. spec. n° 4. 1355 M-L. Rassat, Procédure pénale, 2e édition, Éditeur : Ellipses, 2013, n° 256, p. 264. 334 principe de légalité sur la procédure pénale, surtout sur la preuve pénale au niveau de la légalité ? Dans un premier temps, on va consacrer la première section de ce chapitre, à discuter et justifier l'existence et le contenu du principe de la légalité procédurale. Dans la deuxième section de ce chapitre, on va aborder la question de l'application de la légalité procédurale dans le domaine de l'obtention des preuves en matière pénale en droit libanais et français connue sous le nom le principe de la légalité des preuves. La première section de ce chapitre porte sur les différents aspects du principe de la légalité criminelle. La deuxième section de ce chapitre porte sur la légalité criminelle appliquée en matière de preuve pénale. Section ILes différents aspects du principe de la légalité criminelle 240. Nécessité de justifier l'existence du principe de légalité. M. Raymond Gassin considère que la notion de légalité procédurale en matière pénale constitue une notion floue, incertaine, fuyante et il explique que la raison de ce phénomène se trouve dans le fait que, à la différence du principe de la légalité des délits et des peines, la légalité procédurale n'appartient pas à la tradition du droit pénal moderne née de la révolution et des Codes 1356 napoléoniens. À vrai dire, l'expression de la légalité procédurale sous le vaste empire du principe de la légalité des délits et des peines n'est pas d'un usage fréquent. Dans le langage courant, la légalité est le caractère de ce qui est légal, c'est-à-dire conforme à la loi. La légalité révèle quatre sens dans la langue juridique. Si le premier sens de la légalité est, comme dans le langage courant, la conformité à la loi, la légalité s'entend aussi, en un deuxième sens, du «caractère de ce qui doit être établi par la loi », par exemple dans le principe de la légalité des délits et des peines, en un troisième sens, du « caractère de ce que la loi impose de faire », par exemple dans le système de la légalité des poursuites, et, en un quatrième sens, le plus large, comme « l'ensemble des dispositions de la loi ou du droit écrit, ou du droit positif » : la légalité, c'est alors l'ordre juridique, le droit objectif1357 . La preuve occupe une place centrale
335 justifier ce principe général? La question principale à laquelle notre étude doit répondre est la suivante : le principe de légalité a-t-il un impact sur la procédure pénale et plus précisément sur l'admissibilité des différents modes de preuve? Si le principe de la légalité des délits et peines est considéré parmi les principes fondamentaux au Liban et en France et ne souffre aucune ambiguïté c'est parce que c'est un principe reconnu expressément depuis longtemps et consacré par les législateurs libanais et français sans aucun doute et aucune hésitation. Par contre, la question de l'application du principe de la légalité dans la procédure pénale souffre 1356 R. Gassin, « Le principe de la légalité et la procédure pénale », in R.P.D.P., Avril-Juin 2001, numéro spécial, pp. 300-334, V. spec. p. 300. 1357 L. Cadiet, « la légalité procédurale en matière civile », in Cycle Droit et technique de cassation 2005-2006, 6 février 2006, disponible sur le site de la cour de
cassation française : 1358 M. Sanchez, Contribution à l'étude de la preuve pénale, Thèse de droit, Université Toulouse 1, 2010, V. spec. le résumé. 336 vraiment d'une ambiguïté remarquable : la légalité procédurale est un principe incertain et controversé. Allons plus loin, pour justifier que la légalité est un principe fondamental applicable à la recherche et à l'administration de la preuve pénale, il faut tout d'abord justifier que le principe de la légalité est applicable dans le cadre des procédures pénales, ensuite il faut justifier que le principe de légalité procédurale est également applicable dans le cadre de la preuve pénale. La légalité est connue en matière pénale sous le nom du principe de la légalité des délits et des peines qui est la garantie fondamentale des droits de la personne devant les juridictions répressives dans le but de protéger l'homme contre toute forme d'arbitraire. Donc, l'expression de légalité procédurale semble pour beaucoup d'auteurs, juristes et pénalistes un terme inconnu ou une innovation dans le principe de la légalité criminelle ou un nouveau concept d'application du principe de la légalité criminelle. Mais la légalité procédurale existe, malgré le doute qui plane sur le sujet et bien que certains auteurs n'utilisent pas le terme de la légalité expressément. Dans le vocabulaire juridique, la légalité envahit le droit administratif et constitutionnel. Mais dans la pratique les juridictions répressives et la plupart des juristes n'utilisent pas le terme légalité devant les juridictions. De surcroît, le terme légalité n'est évoqué que rarement dans les manuels de procédure pénale, les revues juridiques et même dans les plaidoiries des avocats. Ce qui est remarquable, c'est que les pénalistes abandonnent le principe de légalité en mélangeant l'exigence de la légalité avec les nullités de procédure. § 1. La légalité criminelle appliquée à la procédure pénale. 241. Un principe négligé. Il est regrettable de constater que ce principe fondamental est encore mal connu dans la culture juridique pour plusieurs raisons. Les causes de la négligence du principe de la légalité procédurale ou les raisons paraissent multiples. D'une part, il nous semble que l'absence d'études académiques précises sur le principe de la légalité procédurale est la cause la plus importante. Ajoutons à cela que la procédure pénale a été envahie ou dominée par le principe de la liberté des preuves en matière pénale qui a contribué pleinement à fragiliser le principe de la légalité dans la recherche et l'administration de la preuve pénale. D'autre part, le principe de la légalité procédurale a été négligé par la majorité de la doctrine pénale. Selon M. Loïc Cadiet, l'expression de légalité procédurale « n'est pas d'un usage fréquent, quel que soit du reste le domaine du droit considéré, public, privé ou pénal, interne ou international » 1359 . De ce qui précède, on peut conclure que l'expression légalité procédurale souffre d'une négligence totale de la part des juristes dans les différentes branches du droit. En droit libanais, il est remarquable qu'on ne trouve pas l'existence du principe de la légalité procédurale dans la plupart des ouvrages spécialisés en procédure pénale et on peut dire sans aucune réserve que le principe de la légalité procédurale est un principe qui a été négligé par la doctrine pénale libanaise jusqu'à aujourd'hui. On peut affirmer sans doute que c'est un principe reconnu en droit français par plusieurs auteurs pénalistes, mais non reconnu en droit libanais qui souffre vraiment d'une ignorance flagrante et évidente. A. La doctrine française sur l'existence du principe de la légalité procédurale. 242. Une position doctrinale affirmative en France. La doctrine française a répondu par l'affirmative pour l'existence du principe de la légalité procédurale. Une forte affirmation doctrinale justifie l'existence quasi unanimement admise du principe de la légalité procédurale en matière pénale. La première affirmation, celle de M. André Vitu se révèle très absolue et péremptoire et affirme que le principe de la légalité criminelle constitue « la clef de voûte du droit pénal et de la procédure pénale, impose au législateur, comme une exigence logique de sa fonction normative, la rédaction de textes définissant sans ambiguïté les comportements qu'ils érigent en infractions, et les sanctions qui leur sont attachées. La loi criminelle ne peut assurer pleinement et véritablement son rôle de protection contre l'arbitraire possible des juges et de l'administration, sa mission pédagogique à l'égard des citoyens soucieux de connaître le champ de liberté qui leur est reconnu, et son devoir de prévention générale et spéciale à l'encontre des délinquants potentiels, que si elle détermine avec soin les limites du
337 nettement affirmé que le principe de la légalité criminelle est applicable sur la procédure pénale en écrivant : « Il est aujourd'hui bien connu que le principe de la légalité criminelle signifie triplement : ni infraction, ni peine, ni procédure sans loi. Sa valeur juridique, triple également, est tout aussi nettement affirmée : valeur législative, internationale et 1359 L. Cadiet, « La légalité procédurale en matière civile », in Cycle Droit et technique de cassation 20052006, 6 février 2006, Bulletin d'information n° 636 du 15/03/2006 (Cour de cassation française), V. spec. n° 2 ; disponible en ligne sur le site officiel de la Cour de
cassation française : 1360 A. Vitu, « Le principe de la légalité criminelle et la nécessité de textes clairs et précis », Observations sous Cass.crim. 1er février 1990, in R.S.C., 1991, p. 555. constitutionnelle » 1361 . M. Wilfrid Jeandidier affirme encore qu'« en réalité, comme le souligne une partie de la doctrine, le principe de légalité doit dominer le droit criminel tout entier et notamment la procédure pénale » 1362 . Mme Charlotte Claverie-Rousset affirme très clairement que le principe de légalité consacré en droit français s'applique en procédure pénale comme en droit pénal : « Le principe de légalité formelle est consacré par le Code pénal aux articles 111-2 et 111-3. Il trouve à s'appliquer en droit pénal substantiel mais aussi en procédure pénale » 1363 . Jean Pradel et André Varinard auteurs de l'ouvrage intitulé « les grands arrêts de la procédure pénale » présentent leur livre en écrivant : « bien que le principe de la légalité criminelle s'applique autant à la procédure pénale qu'au droit pénal de fond, on retrouve en procédure aussi bien qu'en droit de fond la jurisprudence comme source importante de la matière » 1364 . Sans doute l'application des règles de procédure pénale traduit le souci réel que l'on a de protéger et de préserver les droits et les libertés individuelles des personnes. Selon M. Henri Donnedieu de Vabres, il faut considérer le principe de légalité 1365 . M. criminelle comme constituant le fondement nécessaire de la liberté individuelle Georges Levasseur attire l'attention sur l'importance capitale de ces règles de procédure pour la protection du citoyen contre une action intempestive du pouvoir exécutif, qu'il s'agisse de la garde à vue, de la perquisition, de la citation, de la juridiction compétente et de la conduite des débats devant celle-ci, d'autant plus que la loi a réglementé les atteintes inévitables que les pouvoirs publics peuvent apporter à la liberté des citoyens pour assurer le cours nécessaire de
338 1361 R. Koering-Joulin et J.-F. Seuvic, « Droits fondamentaux et droit criminel », in AJDA, 1998, p. 106. 1362 W. Jeandidier, Droit pénal général, 2e éd., Montchrestien, Paris, 1991, n° 77. 1363 Ch. Claverie-Rousset, « La légalité criminelle », in Droit pénal, n° 9, Septembre 2011, étude 16, spec. n° 2. 1364 J. Pradel et A. Varinard, Les grands arrêts de la procédure pénale, 5e éd., Dalloz, Paris, 2006. 1365 H. Donnedieu De Vabres, Traité élémentaire de droit criminel et de législation comparée, 3e éd., Librairie Sirey, Paris, 1947, n° 96, p. 53 : « Si ces règles n'étaient pas observées, s'il était admis que l'action publique peut être mise en mouvement pour la répression d'un fait que la loi n'incriminait pas lorsqu'il a été commis, que le juge peut prononcer une peine à laquelle le délinquant n'a pas dû s'attendre, la justice pénale serait une justice de circonstance, d'occasion, abandonnée à l'influence des passions individuelles ». 1366 G. Levasseur, « Réflexions sur la compétence, un aspect négligé du principe de la légalité », in Mélanges Hugueney, Paris, Sirey, 1964, pp. 13 et s., V. spec n° 4 ; V. spec. encore : G. Levasseur, « Réflexions sur la compétence, un aspect négligé du principe de la légalité », in Mélanges Hugueney, Paris, Sirey, 1964, pp. 13 et s., V. spec. n° 5 : « Les règles de compétence doivent être soumises au principe de la légalité de façon non moins stricte que le domaine des incriminations et que le taux des peines. Seul le législateur est habilité à les poser, en tant qu'interprète qualifié de la volonté générale ; seul il est habitué à les modifier, encore ne doit-il le faire qu'en observant certaines précautions. Tout délinquant doit savoir devant quelle juridiction il sera appelé à comparaître, et cela dès le jour même où il commet son infraction. Tout honnête homme doit être assuré de la juridiction compétente et de la procédure applicable pour le jour où on lui demanderait compte éventuellement de son comportement actuel. On justifie l'adoption du principe de la légalité par des considérations d'équité élémentaire et de politique criminelle ; on fait valoir en effet que le délinquant a pu mesurer le risque qu'il 1367 que le principe de la légalité dût s'appliquer à la procédure pénale ». On peut citer ainsi l'affirmation doctrinale de Mme Renée Koering-Joulin et M. Jean-François Seuvic que « le procès pénal baigne dans la légalité, qu'il s'agisse, au stade des poursuites, de vérifier l'existence de toutes les exigences juridiques pour une mise en oeuvre de la répression, au stade de l'enquête, de rechercher loyalement les preuves de la vérité et, lors de l'audience de
M. Jacques Buisson souligne qu'« À la vérité, ce principe de la liberté de la preuve doit forcément se concilier avec un autre principe, aussi fondamental, celui de la légalité à
Haritini Matsopoulou reconnaissent que le principe de légalité concerne la procédure pénale : « bien que l'article 4 du Code pénal n'affirmait le principe de légalité que pour la définition des infractions et des peines, on a toujours pensé que ce principe concernant également 1370 l'organisation de la procédure pénale » . M. Jean-Christophe Saint-Paul affirme 339 d'une manière très ferme que le principe de la légalité criminelle s'applique sur la procédure pénale : « ..., il ne fait aucun doute que le principe de la légalité criminelle ne vise pas seulement les délits et les peines, mais également la procédure : nullum crimen, nullum 1371 poena, nullum judicium sine lege » . B. La doctrine libanaise sur l'existence du principe de la légalité procédurale. 243. Position de la doctrine pénale libanaise. Malheureusement, la légalité procédurale est un principe très important, mais qui ne connaît aucun développement dans le système pénal libanais. Le principe de légalité procédurale ne figure pas dans les ouvrages de procédure pénale édités jusqu'à aujourd'hui. La seule exception se trouve dans l'ouvrage de MM. Samir prenait le jour où il a enfreint la loi pénale ; il ne peut se plaindre d'une répression dont les modalités ont été établies à l'avance, de façon objective et sans considération de personne ». 1367 G. Levasseur, « Réflexions sur la compétence, un aspect négligé du principe de la légalité », in Mélanges Hugueney, Paris, Sirey, 1964, pp. 13 et s., V. spec n° 4. 1368 R. Koering-Joulin et J.-F. Seuvic, « Droits fondamentaux et droit criminel », in A.J.D.A., Juillet-Août 1998, numéro spécial consacré aux droits fondamentaux, pp.106-129, V. spec. p. 112. 1369 J. Buisson, «Preuve», in Rép. Pén. Dalloz, février 2003, n° 43, p. 10. 1370 B. Bouloc et H. Matsopoulou, Droit pénal général et Procédure pénale, 18e éd., Sirey, Paris, 2011, n° 100, p. 59. 1371 J.-Ch. Saint-Pau, « L'enregistrement clandestin d'une conversation », in Droit pénal, n° 9, Septembre 2008, étude 17, spec. n° 20. Alye et Hayssam Alye qui ont exprimé clairement l'existence du principe de légalité procédurale dans le système pénal libanais en affirmant que la formulation connue du principe de légalité criminelle « pas d'infraction, pas de peine sans texte » peut laisser croire ou penser que la légalité criminelle s'applique uniquement aux règles pénales de fond (les lois de fond) et ne s'applique pas aux lois pénales de procédure 1372 . Nous pensons que le principe de légalité criminelle s'applique également à la procédure pénale. C'est inévitable d'affirmer que le principe de la légalité procédurale existe vraiment sans aucune hésitation parce qu'il repose évidemment sur les épaules du pouvoir législatif d'élaborer des lois pénales de fond et des lois pénales de forme et parce que les lois pénales de forme constituent aussi une limite importante à la liberté individuelle des citoyens 1373 . En ce qui concerne la doctrine arabe, M. Hassan
le fait que la formule célèbre du principe de légalité criminelle connue « ni infraction ni peine sans texte » doit nécessairement être modifiée et obligatoirement remplacée par une autre qui
340 cet avis sur la nécessité de reformuler l'idée du principe de légalité criminelle, mais nous proposons une formule différente qui est « ni infraction, ni peine, ni procédure sans texte légal ». Notre proposition introduit expressément et clairement les lois pénales de fond et de forme c'est-à-dire de droit pénal et de procédure pénale dans l'adage qui exprime le principe de la légalité criminelle. Ce qui va accélérer l'émergence du principe de légalité procédurale au niveau de la culture juridique. On peut également mentionner l'avis d'un juge libanais, celui de Mme Marie-Denise Mouchy qui nous paraît un avis timide en ce qui concerne le droit libanais car elle n'a pas dit expressément que le principe de légalité procédurale s'applique en droit libanais, qui affirme le principe de légalité procédurale de manière générale et abstraite en écrivant: « Traduit par l'adage Nullum crimen nulla poena sine lege dont la paternité est attribuée à M. Anselm Feuerbach, ce droit couvre tout le champ pénal, c'est-à-dire le droit pénal matériel comprenant les règles définissant les infractions et les peines, et le droit pénal formel englobant les règles d'organisation, de compétence et de 1372 S. Alye et H. Alye, La théorie générale de la procédure pénale et les caractéristiques de la nouvelle loi 2001, Entreprise Universitaire d'Etudes et de Publication (MAJD), Beyrouth, 2004, p. 15. 1373 V. en même sens: Alye et H. Alye, La théorie générale de la procédure pénale et les caractéristiques de la nouvelle loi 2001, Entreprise Universitaire d'Etudes et de Publication (MAJD), Beyrouth, 2004, p. 16. 1374 Etude comparée (jordanien et égyptien). 1375 H. Joukhadar, L'application de la loi pénale dans le temps, Thèse de droit, université du Caire, 1975, pp. 370-371. procédure qui assurent la mise en oeuvre du droit matériel » 1376 . Pour cette raison Mme Marie- 341 Denise Mouchy affirme avec M. Marc Verdussen que l'adage traditionnel de la légalité criminelle « nullum crimen, nulla poena sine lege » doit être complété par le principe «Nullum 1377 judicium sine lege ». Le principe de légalité est devenu: « nullum crimen, nulla poena, 1378 nullum judicium, sine lege » signifiant qu'il ne peut y avoir ni crime, ni sanction, ni n'importe quelle procédure qu'en vertu d'une loi préalablement établie. C. La doctrine européenne implicite sur l'existence du principe de la légalité procédurale. 244. Position de la doctrine pénale européenne. Selon M. Pascal Beauvais, le principe de la légalité dans le droit de l'Union européenne ne prend pas la forme classique de la légalité des peines et des délits, car le principe n'a pas pour objet de sélectionner les sources formelles de droit pénal, notamment en réservant à la loi parlementaire un rôle prééminent, mais d'établir et d'assurer des mécanismes permettant de garantir un certain niveau ou degré de 1379 sécurité juridique en matière répressive . En 1992, à l'audience solennelle de rentrée à la Cour d'appel de Paris, l'avocat général M. Régis de Gouttes déclarait : « l'ordre public européen repose sur quelques grands principes : le premier de ces principes est celui de la légalité européenne démocratique ayant pour caractéristique : qu'elle inclut le droit écrit et le droit non écrit ; qu'elle suppose une qualité de la loi, qui doit être prévisible, énoncée avec 1380 précision et accessible au citoyen ». Cette réflexion de l'avocat général M. Régis de Gouttes montre à quel point le principe de légalité fonde l'État de droit au sens européen du . M. Jean-Christophe Saint-Pau souligne que « ce principe de légalité procédurale,... 1381 terme trouve d'ailleurs sa consécration dans la Convention européenne des droits de l'homme qui 1376 M.-D. Mouchy, «Les Droits Fondamentaux en Droit Pénal International », in Les droits fondamentaux : inventaire et théorie générale, Beyrouth, Date de publication : novembre 2003, Éditeur : Université Saint-Joseph, Faculté de droit et des sciences politiques, CEDROMA : Centre d'études des droits du monde arabe, p. 6, disponible en ligne sur : http://www.cedroma.usj.edu.lb/pdf/drtsfond/meouchy.pdf 1377 M. Verdussen, Contours et enjeux du droit constitutionnel pénal, Bruylant, Bruxelles, 1995, p. 93. 1378 Rappelons qu'un crime au sens large désigne toute infraction. 1379 P. Beauvais, Le principe de la légalité pénale dans le droit de l'union européenne, Thèse de droit, Université Paris X Nanterre, 2006, n° 28, p. 34. 1380 R. De Gouttes, « La Convention européenne des droits de l'homme et la justice française en 1992 », in Droit et Société, 1992, n° 20-21, p. 161. 1381M. Cliquennois, La Convention européenne des droits de l'homme et le juge français : Vademecum de pratique professionnelle, L'Harmattan, Paris, 1997, p. 109. 342 indique, d'une part, à l'article 6, § 2, que la culpabilité d'une personne doit être « légalement » établie et, d'autre part, à l'article 8, § 2, admettant la légitimité d'une ingérence dans la vie privée à la condition impérative d'être prévue par une loi claire et précise. Comme la Convention produit un effet vertical (entre l'État et les particuliers) et horizontal (entre particuliers), cette exigence de légalité devrait s'imposer pour les actes d'espionnage réalisés par l'autorité publique, mais également par les particuliers : la légalité 1382 . ne se divise pas » § 2. La reconnaissance du principe de légalité procédurale.
1382 J.-Ch. Saint-Pau, « L'enregistrement clandestin d'une conversation », in Droit pénal, n° 9, Septembre 2008, étude 17, spec. n° 20. 1383 C. Ambroise-Castérot, « Recherche et administration des preuves en procédure pénale : la quête du Graal de la Vérité », in AJ Pénal, 2005, n° 7-8, pp. 261-267 : «n'importe quel moyen ne pourra pas pour autant être employé... En effet, ce principe de liberté de la preuve ne signifie pas que n'importe quel procédé puisse être utilisé : torture, sérum de vérité, polygraphe (détecteur de mensonge), etc. Il existe donc des procédés interdits. La liberté des preuves est une liberté encadrée par la légalité : seuls les modes de preuves légalement prévus sont admissibles devant les tribunaux... ». l'existence du principe afin d'éliminer et de supprimer toute ambiguïté. L'émergence du principe de la légalité procédurale dans la culture judiciaire nécessite de prouver son existence. Si le principe de légalité procédurale en matière pénale avait été appliqué correctement en droit libanais et français, sans doute cette étude n'aurait aucune base et aucun intérêt. Mais, puisqu'il s'agit d'un principe d'application largement circonscrit selon le point de vue qu'on adopte, cette méconnaissance du principe a rendu nécessaire de justifier son existence afin de respecter ce principe fondamental. Il faut noter que l'affirmation timide que le principe de la légalité s'applique à la procédure pénale par la majorité de la doctrine ne suffit pas pour appliquer le principe de la légalité criminelle à la procédure pénale. Il faut présenter un fondement solide indépendant de la position doctrinale pour prouver que le principe de la légalité criminelle s'applique à la procédure pénale. Une fois le principe de la légalité procédurale reconnu, on peut essayer d'imposer des jalons s'agissant de l'exigence du respect du principe dans le système pénal libanais et français. A. La procédure pénale, complément naturel du droit pénal.247. Le lien étroit entre le droit pénal et la procédure pénale. Le droit pénal est intimement lié à la procédure pénale 1384 , la procédure pénale constitue le trait d'union impératif, le chaînon 1385 nécessaire entre l'infraction et la sanction. MM. Pierre Bouzat et Jean Pinatel affirment que la procédure pénale a, par rapport au droit pénal, une importance beaucoup plus grande que la procédure civile par rapport au droit civil car le droit civil peut se détacher de la procédure
343 toutefois certaines particularités dans sa relation avec la procédure pénale par rapport à la relation qui existe entre le Code civil et la procédure civile : « le procès pénal est plus 1384 L. Aubert, R. Eccli, M.-H. Renault, J. Eggers, M. Samson, Législation, éthique et déontologie, responsabilité, organisation du travail, 4e éd., Masson, 2007, p. 3. 1385 É. Mathias, Procédure pénale, op. cit., p. 9. 1386 P. Bouzat et J. Pinatel, Traité de droit pénal et de criminologie, Dalloz, 1963, Vol. 2, p. 725. 1387 V. sur ce point : J.-L.-E. Ortolan, Résumé des éléments de droit pénal: pénalité, juridictions, procédure suivant science rationnelle, la législation positive et la jurisprudence, avec les données de nos statistiques criminelles, Plon, Paris, 1867, n° 1023, p. 351 : « Pour produire un effet quelconque, il faut une force, une puissance; et pour mettre cette force, cette puissance en jeu, un procédé. L'effet à produire, en droit pénal, une fois donné le précepte ou la détermination de la pénalité, c'est la mise en application de cette pénalité; la force destinée à produire cet effet, ce sont les juridictions pénales, avec l'ensemble des autorités diverses ou des personnes qui concourent à l'effet voulu ; et le procédé destiné à mettre cette force en jeu, c'est la procédure pénale ». étroitement lié au droit pénal que le procès civil ne l'est au droit civil » 1388 . Le principe de la légalité criminelle est un principe commun à l'ensemble du droit criminel donc s'applique à la procédure pénale. Notre avis précédent est renforcé par l'avis de MM. Philippe Conte et Patrick Maistre Du Chambon dans leur ouvrage de procédure pénale. Les deux professeurs soulignent qu'en matière pénale, la forme (la procédure pénale) est intimement liée au fond (le droit pénal), car le procès pénal est la condition même de la réalisation du droit substantiel : la condamnation, conclusion logique et nécessaire de la commission d'une infraction, vient s'intercaler entre l'incrimination et la sanction 1389 . Les deux professeurs finissent par conclure que « le principe essentiel de la légalité criminelle est commun à l'ensemble du droit
344 du principe de légalité procédurale en matière pénale et l'application du principe général de légalité sur la procédure pénale : « en effet, le principe de légalité ne joue pas seulement au profit des délits et des peines, mais aussi de la procédure pénale. Le droit pénal substantiel et la procédure pénale sont trop intimement liés pour que ce principe essentiel ne garantisse pas le droit criminel dans son ensemble. Il est donc préférable d'utiliser l'expression plus globale 1391 . de « légalité criminelle » pour marquer son appréhension de l'ensemble de la matière » 248. Les nécessités de la politique criminelle exigent le respect de la légalité procédurale. L'objet de la politique criminelle est d'établir un équilibre entre les exigences de l'efficacité de la répression destinée à protéger la société et le respect des droits individuels, des droits de défense et du procès équitable. Donc, la politique criminelle doit établir un équilibre entre intérêt général et droit individuel qui se caractérise par l'équilibre entre légalité et efficacité dans le respect de la liberté dans la recherche des preuves. Selon M. Robert Cario, la politique criminelle recherche un équilibre entre les nécessités de la protection sociale contre le crime et la promotion des droits individuels ou collectifs qui sont apparues fondatrice de la politique criminelle 1392 . Les nécessités de la politique criminelle, qui correspondent à l'idée que la loi doit avertir avant de frapper, de manière à avoir un rôle préventif est encore une nécessité 1388 M. Franchimont, A. Jacobs et A. Masset, Manuel de procédure pénale, 3e éd., Larcier, Bruxelles, 2009, p. 18. 1389 Ph. Conte et P. Maistre Du Chambon, Procédure pénale, 4e éd., Armand Colin, Paris, 2002, n° 26, pp. 1314. 1390 Ph. Conte et P. Maistre Du Chambon, Procédure pénale, 4e éd., Armand Colin, Paris, 2002, n° 26, p. 14. 1391 B. De Lamy, « Le principe de la légalité criminelle dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », in Cahiers du Conseil constitutionnel n° 26 (Dossier : La Constitution et le droit pénal) - Août 2009. 1392 R. Cario, Introduction aux sciences criminelles: pour une approche globale et intégrée, 6e éd., L'Harmattan, Paris, 2008, p. 267. dans le domaine de la procédure pénale. M. Achille Morin souligne que les lois humaines
frapper constitue une théorie en soi en affirmant que parmi les mille et une théories sur la légitimité de la peine et le droit de punir, se présente la théorie de l'avertissement. D'après cette théorie, la société doit, avant de frapper, avertir par la loi1394 . Il va de soi que ceci
entre procédure pénale et droit pénal, c'est qu'ils sont tous deux à haut risque pour les droits de l'individu. La procédure pénale est la mise en oeuvre concrète du droit pénal, donc le principe que la loi doit avertir avant de frapper doit être appliqué aussi sur la procédure pénale puisque ce principe est fermement affirmé et a sans doute été appliqué en droit pénal. 249. La nécessité démocratique. La légalité criminelle est le principe fondateur et
345 légalité pénale. Le respect de la légalité criminelle est l'un des principes les plus importants dans une démocratie, car il est une garantie à la liberté des individus. Ce principe est une garantie contre l'arbitraire, cela assure le respect de la démocratie. Ce principe constitue un impératif démocratique. Il faut contenir le pouvoir répressif dans des limites légales, elles-mêmes législatives, en raison de la séparation des pouvoirs. Un tel impératif s'impose
principe de légalité criminelle représente la garantie minimale pour le citoyen de tout pays civilisé 1398 . L'accueil formel du principe de légalité criminelle était la condition nécessaire 1399 pour être civilisé. Le principe de légalité criminelle se présente comme l'affirmation du principe de participation démocratique où le législateur, et non le juge, serait l'organe adéquat 1393 A. Morin, Répertoire général et raisonné du droit criminel, Chez A. Durand Libraire-éditeur, Paris, 1851, t. 2, p. 284. 1394 J.-S.- G. Nypels, Législation criminelle de la Belgique ou commentaire et complément du Code pénal Belge, Bruylant -Christophe et compagnie éditeur, Bruxelles, 1867, Vol. 1, n° 274, p. 120. 1395 M. Herzog-Evans, « Le principe de légalité et la procédure pénale », in LPA., 6 août 1999, n° 156, p. 4. 1396V. Wester-Ouisse, « Le droit pénal face aux codes de bonne conduite », in R.S.C., 2000, n° 2 (Avril-juin), p. 351. 1397 M. Herzog-Evans, Procédure pénale, 2e éd., Vuibert, 2009, n° 146, p. 54. 1398 E. Grande, «Droit pénal et principe de légalité : la perspective du comparatiste », in R.I.D.C., 2005, Vol. 56, n° 1, pp. 119-129, v. spec. p. 119. 1399 E. Grande, «Droit pénal et principe de légalité : la perspective du comparatiste », in R.I.D.C., 2005, Vol. 56, n° 1, pp. 119-129, v. spec. p. 129. 346 pour assurer la voix du citoyen dans la démarcation des contours du droit pénal, et donc dans 1400 la délimitation de ses libertés individuelles. 250. La nécessité d'éviter l'arbitraire. Ce risque d'arbitraire explique la diffusion du principe de la légalité criminelle dans les divers États afin d'éviter les dérives vers un pouvoir arbitraire 1401 . La recherche de la preuve pénale nécessite de conférer des pouvoirs de contrainte aux officiers de police judiciaire, au parquet et au juge du fond dans la phase de . M. William Benessiano 1402 jugement, mais l'acte de contrainte n'échappe pas de la légalité indique dans sa thèse intitulée « légalité pénale et droits fondamentaux » qu'« originellement le principe de légalité des délits et des peines est un outil de lutte contre l'arbitraire judiciaire » 1403 . Le danger est du côté de la multitude des actes de procédure, spécialement dans l'instruction et plus encore dans la phase d'enquête, sans texte ou sur la base de textes si flous et ouverts 1404 . Dans un État de droit fondé sur la garantie de libertés individuelles, les 1405 . variations de cette liberté sont soumises à des règles très strictes de forme et de procédure Le fait de réserver au législateur le pouvoir d'édicter des incriminations permet d'établir un contre-pouvoir à l'égard de l'intervention arbitraire du juge 1406 . De même, le fait de réserver la détermination des actes de procédure pénale au seul pouvoir législatif contribue directement à éviter toute sorte d'arbitraire parce que la procédure pénale doit garantir contre toute forme d'arbitraire. Selon le point de vue qu'on adopte, si la procédure pénale s'échappe de l'application du principe de légalité, ceci implique que la procédure pénale méconnaît le grand 1400 E. Claes, « La légalité criminelle au regard des droits de l'homme et du respect de la dignité humaine », in Y. Cartuyvels, H. Dumont, F. Ost, S. Van Drooghenbroeck et M. Van De Kerchove (dir), Les droits de l'homme, bouclier ou épée du droit pénal ?, Publications des facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles et Bruylant, 2007, pp. 211-234, V. spec. p. 213. 1401 V. Ch. Claverie-Rousset, « La légalité criminelle », in Droit pénal, n° 9, Septembre 2011, étude 16, spec. n° 3: « Le principe de légalité criminelle est l'essence de tout État de droit, État qui accepte de limiter ses propres pouvoirs pour protéger les libertés individuelles des citoyens ». 1402 L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, Ancienne libraireFontemoing et Cie Editeurs, E. de Boccard, Paris, 1923, t. 2 La théorie générale de l'État, p. 44 : « Qu'on ne croie pas cependant que l'acte de contrainte échappe à la prise du droit. Dans les pays qui sont parvenus, comme la plupart des pays modernes, à la notion de légalité, cet acte de contrainte ne peut être fait que dans les limites fixées par la loi. Seuls peuvent être employés les moyens de contrainte déterminés par là loi et seulement dans les conditions légales ». 1403 W. Benessian, Légalité pénale et droits fondamentaux, Thèse de droit, Université Paul Cézanne - Aix-Marseille III, 2008, V. spec. le résumé. 1404 M. Herzog-Evans, « Le principe de légalité et la procédure pénale », in LPA., 6 août 1999, n° 156, p. 4. 1405M. Bornicchia et M. Gottraux Prisons, droit pénal: le tournant ?, Édition d'en bas, Lausanne, 1987, p. 97. 1406 E. Claes, « La légalité criminelle au regard des droits de l'homme et du respect de la dignité humaine », in Y. Cartuyvels, H. Dumont, F. Ost, S. Van Drooghenbroeck et M. Van De Kerchove (dir), Les droits de l'homme, bouclier ou épée du droit pénal ?, Publications des facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles et Bruylant, 2007, pp. 211-234, V. spec. p. 212. principe de la légalité criminelle et risque d'entraîner l'arbitraire dans le système répressif. Ce qui n'est pas souhaitable et n'est pas acceptable dans un État de droit. Il est convenu que naturellement l'État de droit est considéré comme le contraire de l'arbitraire, M. Yves Le Roy et Mme Marie-Bernadette Schoenenberger définissent l'État de droit comme un « État qui
347 une loi pouvait incriminer un acte et prévoir une peine, et seule une loi pouvait autoriser un acte procédural. Ce qui implique que la notion du principe de la liberté de preuve en droit libanais et français doit se concilier avec l'impératif du respect de la légalité procédurale dans lequel les parties ont la liberté de choisir entre les différents procédés de preuve ou les actes de procédure qui existent dans le Code de procédure pénale libanais et français. M. Didier Rebut écrit dans sa conclusion lors du colloque « Procédure pénale et droits de l'homme » : « nous sommes dans un domaine qui n'est pas comparable aux autres branches du droit. Et pour ce faire, eh bien le législateur - et c'est valable dans tous les pays -, dès lors qu'on est en procédure pénale, prévoit des actes, des procédures coercitives qui donc portent en elles 1408 . une atteinte aux droits fondamentaux » 251. La légalité procédurale comme exigence formelle est une nécessité substantielle. M. Didier Rebut confirme l'existence du principe de légalité procédurale en matière pénale, il considère encore que la légalité procédurale apparaît à la fois comme une exigence formelle et 1409 une nécessité substantielle en matière pénale . La légalité procédurale est une exigence formelle car le principe de la légalité criminelle s'applique aussi à la procédure pénale, elle constitue aussi une nécessité substantielle parce qu'elle tient à l'objet même des dispositions de procédure pénale dont le caractère attentatoire aux libertés impose qu'elles soient prévues 1410 par la loi dont il appartient au juge répressif de veiller au respect de la légalité procédurale . M. Bertrand De Lamy croit que le principe de légalité ne joue pas seulement au profit des délits et des peines, mais aussi de la procédure pénale puisqu'il existe un lien direct entre le droit pénal substantiel et la procédure pénale qui sont trop intimement liés. C'est pourquoi cet 1407 Y. Le Roy et M.-B. Schoenenberger, Introduction générale au droit Suisse, L.G.D.J. (Paris), Bruylant (Bruxelles), Schulthess (Zurich), 2002, p. 59. 1408D. Rebut, « Synthèse des débats », in Procédure pénale et droits de l'homme, Colloque organisé par Institut de droit pénal du barreau de Paris Centre de droit pénal et de criminologie de l'Université Paris Ouest Nanterre, 4 février 2010. 1409 D. Rebut, « la légalité procédurale en matière criminelle », in Cycle Droit et technique de cassation 20052006, 6 mars 2006. 1410 D. Rebut, « la légalité procédurale en matière criminelle », in Cycle Droit et technique de cassation 20052006, 6 mars 2006. auteur souligne qu'il est préférable d'utiliser l'expression plus globale de « légalité criminelle 1411 » pour marquer son appréhension de l'ensemble de la matière . Pour M. Raymond Gassin, « il y a atteinte à la légalité procédurale lorsque le résultat auquel aboutit l'application d'une disposition de procédure serait condamnable s'il était obtenu par l'effet d'une disposition de 1412 fond » . L'avis précédent nous semble très restrictif, le principe de la légalité procédurale est plus étendu que le suggère M. Raymond Gassin. |
|