Section II
La question de la légalité des
procédés scientifiques
195. Recevabilité des méthodes scientifiques
de preuve. Le fabuleux progrès scientifique et technique du monde
moderne a apporté un changement impressionnant dans plusieurs
domaines 1114 et a laissé des traces dans la
façon d'élucider des crimes, de les prouver et de retrouver les
coupables, et ce en utilisant des moyens techniques et scientifiques
révélés par le
monde moderne
|
1115
|
. Le développement des moyens de crimes s'est
ponctué aussi par le
|
274
développement des moyens de les élucider. Les
moyens classiques et traditionnels connus, comme la perquisition ou
l'interrogatoire 1116 , ne sont plus les seuls utilisés dans les
enquêtes criminelles et la recherche de preuves 1117 . Les techniques
modernes sont devenus des moyens des plus importants pour élucider les
crimes 1118 et trouver les preuves irréfutables de la
culpabilité de l'auteur du crime 1119 « et
sous l'angle de la procédure, et de la procédure pénale en
particulier, on se pose la question de savoir si le recours à certaines
techniques n'autoriserait pas une meilleure approche de la vérité
et bien sûr la découverte de
1114 V. sur ce point : M.-N. Georges, «
La preuve de la paternité et le progrès de la science », in
R.I.D.C., Vol. 9, n° 1, Janvier-mars 1957, pp. 43-55, V. spec. p.
44 : « Pour bien estimer l'influence que les progrès de la
science ont eus sur le droit, on doit savoir dans les grandes lignes quelles
sont la nature et la portée de ces progrès ».
1115 A. Diaa Eddine, « La preuve
scientifique et son rôle dans la preuve pénale », in
Magazine de la sécurité publique, n° 150,
année 37, Juillet 1995, p. 62.
1116 V. sur ce point l'avis de M. Roger Houin
: R. Houin, « Le progrès de la science et le droit de la preuve
», in R.I.D.C., Vol. 5, n° 1, janvier-mars 1953. pp. 69-75,
V. spec. pp. 69-70 : « Il ne semble pas, non plus, que ces
méthodes puissent fournir de nouvelles catégories juridiques de
preuve » ; M. R. Houin continue à dire : R. Houin, « Le
progrès de la science et le droit de la preuve », in R.I.D.C.,
Vol. 5, n° 1, janvier-mars 1953. pp. 6975, V. spec. p. 70 :
« Il s'agira toujours de recueillir ou bien la volonté, la
pensée, l'opinion des parties (c'est l'aveu, le serment, les titres
préconstitués), ou bien de recevoir les témoignages des
tiers, ou bien de réunir des indices matériels au moyen notamment
d'expertises ».
1117 V. sur ce point : V. Antoine, Le
consentement en procédure pénale, Thèse de droit,
Université Montpellier 1, 2011, n° 435, p. 294 : « L'aveu
serait désormais concurrencé par les preuves scientifiques et
médicales ».
1118 V. sur ce point : V. Antoine, Le
consentement en procédure pénale, Thèse de droit,
Université Montpellier 1, 2011, n° 433, p. 293 : « La
conception classique du droit de la preuve prônait l'aveu, qui s'oppose
à la conception moderne se fondant sur le support scientifique et
technique ».
1119 V. en ce sens : J. Magnol, « L'aveu
dans la procédure pénale », (Rapport oral) in R.I.D.C.,
Vol. 3, n° 3, juillet-septembre 1951, pp. 516-541, V. spec. pp.
523-524 : « En dehors des procédés abusifs de la police,
que l'on ne peut que réprouver, d'autres moyens peuvent être
appliqués pour obtenir l'aveu au cours de l'interrogatoire. Ils sont la
conséquence de découvertes scientifiques ou psychologiques qui
permettent d'explorer le subconscient de l'inculpé ».
coupable »
. Sans doute les progrès scientifiques peuvent contribuer
au développement
1121
dans la manifestation de la vérité
275
1120
surtout dans la progression de la qualité de la preuve,
. Mais l'utilisation
1123
de ces moyens et techniques modernes dans la preuve pénale
pose certains problèmes
1122
c'est-à-dire développer la satisfaction de
critères de vérité dans la preuve
.
Quel est le problème essentiel ? C'est le problème
de la légalité des méthodes scientifiques de preuve qui se
résume par le problème de la recevabilité des preuves
résultant des méthodes
1124
scientifiques . La recevabilité de ces méthodes
connaît des obstacles qui peuvent surgir pour écarter ces
méthodes scientifiques: les principes généraux de l'ordre
public, le respect
. Il est donc nécessaire et
1126
indispensable que le législateur encadre strictement
l'utilisation de la preuve scientifique
1125
des droits de la personnalité humaine et enfin le pouvoir
du juge
.
M. Mustapha Awji pense, à ce propos, qu'il n'y a pas
d'inconvénient juridique à utiliser ces
1120 H. Matsopoulou, Les enquêtes de
police, Thèse de droit, L.G.D.J., Paris, 1996, n° 880, p.
712.
1121 V. C. Ambroise-Castérot, «
Aveu », in Rép. pén. Dalloz., octobre 2006, n°
8, p. 3 : « Les procédés scientifiques de preuve ont
largement modifié la recherche de la vérité dans le
procès pénal ».
1122 V. sur ce point : R. Houin, « Le
progrès de la science et le droit de la preuve », in R.I.D.C.,
Vol. 5, n° 1, janvier-mars 1953. pp. 69-75, V. spec. p. 70 :
« Qu'est-ce donc que la science peut fournir dans cette recherche des
preuves ? Essentiellement une plus grande précision, une plus grande
certitude, en un mot la vérité. Car le but de la preuve est de
persuader le juge de la réalité d'un fait ou d'un état
psychologique. Or, la science, par définition même, tend à
la découverte de cette réalité. L'utilisation des
méthodes scientifiques permettra donc d'approcher cette
vérité de plus près sinon même de l'atteindre
».
1123 M. Roger Houin aborde le problème
: R. Houin, « Le progrès de la science et le droit de la preuve
», in R.I.D.C., Vol. 5, n° 1, janvier-mars 1953. pp. 69-75,
V. spec. p. 70 : « On reconnaît là les deux aspects
traditionnels du droit de la preuve : la recevabilité et la valeur
probante. Logiquement, les méthodes scientifiques devraient toujours
être recevables et les preuves scientifiques toujours
irréfragables. Telle n'est cependant pas la réalité
juridique et il faut rechercher les limites qui peuvent s'opposer à la
recevabilité des méthodes scientifiques ou qui peuvent limiter la
valeur probante des preuves scientifiques. Il n'y a nul illogisme à le
faire. Le droit n'est pas seulement ni même principalement une science ;
c'est un art politique qui doit tenir compte des moeurs et des valeurs
humaines. Il existe des vérités immorales qui ne sont pas bonnes
à dire ni à imposer ; il existe en tout cas des droits
supérieurs de la personnalité humaine devant lesquels la
recherche de la vérité scientifique peut avoir à
s'arrêter ».
1124 V. Intervention de M. Marc Ancel, «
L'aveu dans la procédure pénale », in R.I.D.C.,
Vol. 3, n° 3, juillet-septembre 1951. pp. 516-541, V. spec.
l'intervention de M. Marc Ancel p. 5 41: « Je dirai même que la
question qui se pose est peut-être moins de savoir absolument si un
individu a commis une infraction, que comment il a pu y arriver ; la question
n'est pas d'apporter une preuve irréfutable, une preuve légale de
la matérialité du fait, elle consiste à expliquer le fait
; c'est à cet égard qu'une procédure plus largement
comprise pourrait s'approprier des moyens d'investigation nouveaux sans danger
pour le respect de la personnalité humaine. Seulement, c'est là
un très grand problème ».
1125 R. Houin, « Le progrès de la
science et le droit de la preuve », in R.I.D.C., Vol. 5, n°
1, janvier-mars 1953. pp. 69-75, V. spec. pp. 70-71.
1126 V. en ce sens : P. Hennion-Jacquet,
« L'encadrement relatif de la liberté de la preuve par la
Convention européenne des droits de l'homme », in D.,
2005, p. 2575 et s., V. spec n° 3: « Les sciences et
techniques étant en constante évolution, il serait inconcevable
que leur progrès ne serve pas la justice criminelle. Cependant, à
l'instar de la science, la justice doit demeurer au service des hommes et
assurer le respect de leurs droits fondamentaux. Il est donc nécessaire
que les conditions d'obtention de la preuve soient encadrées par la loi
».
moyens modernes dans la recherche de vérité tant
que ceux-ci ne constituent pas une violation des droits consacrés par la
loi, le plus important étant la liberté de volonté (libre
arbitre) et la
1127
non-ingérence dans la vie privée des personnes
. Cette utilisation doit être faite dans les
276
limites autorisées par la loi et d'une façon qui
ne porte pas atteinte à l'humanité de l'individu, à sa
dignité, à ses affaires privées et à ses
correspondances privées à caractère confidentiel dans les
limites de ce qui est nécessaire pour élucider un crime et
prouver la relation de la personne avec ce crime 1128 . Contrairement à
l'avis de M. Mustapha Awji, nous pensons que l'application du principe de
légalité de la preuve pénale nécessite
forcément une intervention
et techniques
1129
du législateur pour qu'il légifère sur la
légalité du recours à ces moyens
modernes dans l'enquête car la liberté de rechercher
une preuve n'est limitée que par le
1130
principe de légalité de preuve, vu que le
législateur libanais adopte le principe de liberté de la preuve
pénale. Mais elle est limitée aux moyens et procédures
reconnues et légalisées par la loi. De surcroît, le recours
à certains procédés scientifiques pour obtenir des preuves
va
1131
s'opposer aux limites résultant de l'ordre public et des
droits de la personnalité humaine
.
Le problème essentiel du recours aux
procédés scientifiques ou plus exactement la prohibition
1127 M. Awji, Leçons de
procédure pénale, 1er éd., Éditions
juridiques Halabi, Beyrouth (Liban), 2002, p. 184. 1128 M.
Awji, Leçons de procédure pénale, 1er
éd., Éditions juridiques Halabi, Beyrouth (Liban), 2002, p.
184.
1129 V. R. Houin, « Le progrès de
la science et le droit de la preuve », in R.I.D.C., Vol. 5,
n° 1, janvier-mars 1953. pp. 69-75, V. spec. p. 72 : « Ce premier
obstacle à la recevabilité des méthodes scientifiques est
donc avant tout un problème législatif ; le juge ne semble pas
avoir les moyens de le résoudre. S'il apparaît que certains
procédés scientifiques sont utiles et ne heurtent pas les moeurs,
c'est au législateur d'intervenir ».
1130 V. sur ce point et sur aveu involontaire
en droit français: V. Antoine, Le consentement en procédure
pénale, Thèse de droit, Université Montpellier 1,
2011, n°463, p. 319 : « Si la recherche de la preuve est au coeur
de l'investigation policière, comme le rappelle l'article 14 du Code de
procédure pénale, elle est gouvernée par le principe de la
légalité qui interdit l'utilisation de certains
procédés, largement attentatoires à certains droits et
libertés fondamentaux de l'individu concerné. Les
procédés comme l'hypnose, la narcose, le détecteur de
mensonges sont des techniques qui permettent d'agir sur le consentement
à parler de la personne en annihilant sa volonté »
1131 V. sur ce point : R. Houin, « Le
progrès de la science et le droit de la preuve », in R.I.D.C.,
Vol. 5, n° 1, janvier-mars 1953. pp. 69-75, V. spec. p. 72 :
« En dehors des textes précis, les principes
généraux du droit fournissent d'autres limites à la
recevabilité des méthodes scientifiques de preuve et ce sont,
sans doute, les limites les plus graves. Certains procédés
scientifiques intéressent en effet l'homme dans sa personne physique ou
psychique ... Ce sont les procédés psychologiques ou
physiologiques destinés à vérifier la
véracité d'un aveu ou d'un témoignage ou même
destinés à provoquer cet aveu ou ce témoignage, tel
l'emploi des « sérums de vérité », scopolamine,
penthotal, etc. Peut-on contraindre une partie au procès, un
prévenu, un témoin à subir de tels examens, de tels
traitements ? N'est-ce pas une atteinte aux droits de la personne humaine ?
Question ardemment discutée qui a déjà été
portée dans les enceintes judiciaires. Aux droits de l'individu on
oppose les droits de la société, plus énergiques
d'ailleurs en droit pénal qu'en droit privé. A la recherche de la
vérité absolue on oppose le droit de l'accusé de mentir
pour se défendre. Aux nécessités de la justice on oppose
la crainte que des atteintes successives à la personnalité
finissent par faire disparaître cette personnalité ».
de l'aveu provoqué par des procédés
scientifiques est dû aux conditions nécessaires de l'aveu
1132
comme l'indique Mme Coralie Ambroise-Castérot
.
§ 1. Moyens d'obtenir la preuve qui vise à
affaiblir et anéantir la volonté.
196. Procédé de preuve et
volonté. Mme Coralie Amboise-Casterot affirme que « le
procès pénal doit être conduit selon le respect de
principes fondamentaux : respect de la dignité de l'individu et aussi de
la justice, mais aussi respect du procès équitable. De plus, la
procédure pénale doit répondre à l'exigence selon
laquelle nul ne peut être contraint de participer à sa propre
incrimination. Par conséquent, les policiers, le juge ou le
Ministère public sont tenus
de rechercher la preuve loyalement. »
|
1133
|
. La preuve pénale, spécialement l'aveu,
doit être
|
277
volontaire, ce qui désigne le rejet de tout moyen qui
peut menacer la volonté de l'individu. L'usage des
procédés scientifiques porte un risque considérable sur la
volonté de l'individu
afin d'obtenir des éléments de preuve 1134 .
Certains procédés scientifiques présentés comme de
nouveaux outils pour produire des preuves probantes peuvent affaiblir la
volonté individuelle de façon efficace, et peuvent même
anéantir la volonté. Ce qui précède ouvre le
débat sur la légalité des procédés
utilisés et certainement sur la légalité d'un
élément de preuve résultant
1135
.
d'un procédé scientifique qui a affaibli ou
anéanti la volonté de l'individu qui a avoué
A. Preuve obtenue de l'emploi de la narco-analyse
(sérum de vérité).
197. Que signifie le sérum de vérité.
Il s'agit d'un anesthésique utilisé afin de produire une
certaine réduction ou un dysfonctionnement sur le contrôle
volontaire de la personne, ainsi que la suppression des entraves posées
par son inconscient de façon qu'on puisse obtenir des
1132 V. C. Ambroise-Castérot, «
Aveu », in Rép. pén. Dalloz., octobre 2006, n°
35, p. 7 : « L'individu doit avoir la possibilité de se
défendre comme il l'entend. Le droit au silence, qui lui est aujourd'hui
reconnu constitue l'expression de cette liberté de choix dans sa
défense. Provoquer son aveu en altérant ou en annihilant sa
volonté et sa conscience contreviendrait à ses droits
fondamentaux ».
1133 C. Ambroise-Casterot, La
procédure pénale, 2e éd., Gualino
éditeur, Paris, 2009, n° 246-1, p. 173.
1134 V. Antoine, Le consentement en
procédure pénale, Thèse de droit, Université
Montpellier 1, 2011, n° 433, p. 293.
1135 V. Lesclous, « Enquête
préliminaire », in J.-Cl. Procédure pénale,
Art. 75 à 78, Fasc. 20, n° 71 : « Des
procédés tels que l'hypnotisme, l'injection de narcotiques ou
l'emploi de détecteur de mensonges, même avec le consentement de
la personne concernée ou le concours d'un expert, sont
nécessairement attentatoires à la dignité humaine
».
informations emmagasinées dans son inconscient, ce qui
induit un état de sommeil ou de relaxation pour un certain temps
où la volonté de la personne est anéantie sans que sa
1136
conscience ne soit affectée
. Or, sa résistance à dissimuler ce qu'elle ne veut
pas divulguer
s'affaiblit. Ainsi, il sera facile de la pousser à
faire des aveux car elle développe une volonté d'exprimer ses
sentiments internes, le contrôle par l'accusé de sa volonté
et de son choix est alors objet de dysfonctionnement, par conséquent, il
avoue des propos qu'il ne veut pas divulguer grâce à ce
procédé. On peut dire alors que l'utilisation du sérum de
vérité dans l'interrogatoire et l'audition de l'accusé ou
du suspect constitue à la fois une contrainte matérielle et
morale à cause de l'injection de ce sérum dans le corps de
l'accusé, l'exposant,
ainsi, au danger et exerçant indubitablement une
pression morale sur sa volonté
|
1137
|
. De ce fait,
|
278
tout aveu résultant de l'utilisation de ce
procédé ou de son effet est considéré comme aveu
obtenu sous contrainte, ce qui est inacceptable et ne peut être pris pour
une preuve pénale car incompatible avec le principe de la
légalité des preuves et parce que dans un État de droit,
la question de la preuve est nécessairement soumise au principe de
légalité et au respect des droits fondamentaux qui gouvernent la
recherche et la production des preuves. Concernant l'utilisation des
anesthésiques, qui consiste à injecter au suspect un
anesthésique appelé Penthotal ou sérum de
vérité, une substance pouvant faire perdre à
l'accusé le contrôle de sa volonté et l'induisant à
parler sans contrôler les informations ni les aveux qu'il divulgue
volontairement ou involontairement, il s'agit de l'évacuation
involontaire des informations contenues dans l'esprit de l'accusé sans
qu'il puisse les contrôler. Ainsi, la majorité de la doctrine
considère que ce procédé transgresse le principe
d'intégrité, loyauté et légalité dans la
recherche, ainsi que les droits de l'accusé, notamment son droit
à la défense, à la sécurité de son corps et
d'avouer ce qu'il veut en toute liberté fondé sur le respect de
son droit inné au silence et à l'utilisation de l'aubaine de
conscience.
198. Nature de l'atteinte induite par l'utilisation de la
narco-analyse. Au Liban, ce sujet ne revêt aucune importance d'un
point de vue doctrinal, et est complètement négligé dans
les ouvrages juridiques libanais. Le droit libanais n'y fait
référence dans aucun texte juridique, et si nous le recherchons
dans les livres libanais, nous ne pourrons que rarement trouver
1136 V. en ce sens : V. Antoine, Le
consentement en procédure pénale, Thèse de droit,
Université Montpellier 1, 2011, n° 464, p. 319 : Narcose:
« Il s'agit de provoquer un sommeil artificiel à l'aide de
médicaments. L'utilisation de ce procédé est interdite car
il vise à briser les résistances de l'individu à l'aide de
la science, afin de l'obliger à avouer ».
1137 V. R. Houin, « Le progrès de
la science et le droit de la preuve », in R.I.D.C., Vol. 5,
n° 1, janvier-mars 1953. pp. 69-75, V. spec. p. 70 : « Pour
l'aveu ou le témoignage, des procédés psychologiques ou
chimiques permettront d'en apprécier la véracité ou
même de les obtenir par la contrainte ».
quelques idées traduites en arabe à partir de
quelques avis de la doctrine française. Il est important de signaler
qu'à ce jour, aucun système de sécurité libanais ou
police judiciaire n'a avoué avoir utilisé le sérum de
vérité dans une quelconque enquête judiciaire et aucun
accusé
1138
n'a proclamé avoir subi un interrogatoire ou une audition
avec le sérum de vérité
.
279
La position de la doctrine se divise, concernant la
légalité de l'utilisation des anesthésiques dans les
enquêtes criminelles, en deux courants :
Premier courant qui admet l'utilisation des
anesthésiques. Ce courant doctrinal appuie le recours aux
anesthésiques, mais cet appui n'est pas total et les partisans de ce
courant ont émis des réserves. Certains d'entre eux pensent que
ce recours ne doit être autorisé que dans certains crimes
dangereux, comme les meurtres, incendies, obstructions de voies publiques, et
les crimes qui menacent la sûreté et la sécurité de
l'État1139, qu'il ne doit se faire que sur arrêt
motivé pouvant faire l'objet de recours devant les juges, et que la
procédure doit avoir lieu en
1140
présence de l'avocat de l'accusé. Nous leur
répondons à ce propos que le principe fondamental de la preuve
pénale est la liberté de choisir le moyen de preuve, et donc, il
est illogique de consacrer des moyens de preuves spécifiques à
certaines infractions car il s'agit d'une transgression de la règle de
liberté de la preuve pénale, et il n'y a aucun motif justifiant
de l'ajouter aux exceptions citées dans les Codes libanais et
français dans le domaine de la liberté de la preuve. De plus, la
gravité d'un crime ne justifie pas de sacrifier tous les principes
juridiques généraux consacrés qui protègent les
droits de l'homme, sa liberté et ses droits fondamentaux lorsqu'il fait
l'objet d'une enquête pénale. D'autres avis et opinions doctrinaux
ont exigé de ne pas avoir recours à cette méthode pour
avoir des aveux de l'accusé ou connaître des données
générales sur le crime, mais plutôt pour la recherche
psychologique, c'est-à-dire pour démontrer la personnalité
de l'accusé et dévoiler les différents mobiles
1138 V. sur la prohibition de
l'interrogatoire sous penthotal : C. Ambroise-Castérot, « Aveu
», in Rép. pén. Dalloz., octobre 2006, n° 37,
p. 7 : « La narco- analyse, par emploi du penthotal ou sérum de
vérité, duquel on doit rapprocher le procédé de
recours à l'hypnose, vise à briser les résistances de
l'individu à l'aide de la science, afin de l'obliger à avouer
».
1139 V. en ce sens : J. Magnol, « L'aveu
dans la procédure pénale », (Rapport oral) in R.I.D.C.,
Vol. 3, n° 3, juillet-septembre 1951, pp. 516-541, V. spec. p. 528 :
« La narco-analyse, écrit M. Graven à la fin de son
étude précitée sur le problème des nouvelles
techniques d'investigation au procès pénal, où il
résume à ce point de vue l'opinion générale, ne
devrait pouvoir être décidée que dans l'instruction
judiciaire poursuivie sur des crimes graves de droit commun, comme le meurtre
et l'assassinat, l'incendie et l'explosion, le brigandage, le viol, etc., et
à l'encontre d'inculpés sur lesquels pèsent des charges
sérieuses ne pouvant être infirmées ou confirmées
par les procédés ordinaires ».
1140 J. Graven, « Le
problème des nouvelles techniques d'investigation au procès
pénal », in R.S.C., 1950, n° 3, pp.
312-357, V. spec. p. 326.
1141
intimes . Là aussi, cet argument paraît peu
convaincant car la condamnation dans le
280
domaine pénal s'appuie sur la conviction du juge que
l'accusé a commis le crime appuyé en cela par la preuve
pénale, la pierre angulaire de cette conviction étant la preuve
pénale correcte capable de convaincre le juge, c'est-à-dire que
le juge focalise son jugement sur la conviction, elle-même basée
sur la preuve et non sur des motifs psychologiques ou sur les études de
criminologie ou de pénologie (science pénitentiaire). La doctrine
pénale s'est arrêtée à ce que le motif amenant
à commettre le crime ne soit pas pris en compte car il fait partie des
mobiles qui n'influent pas sur la vérité de la
perpétration du crime et sa sanction. Ainsi, utiliser cet argument pour
justifier le recours au sérum de vérité est
réfuté et inadmissible car il ne revêt aucune conviction
rationnelle.
Deuxième courant qui n'admet pas l'utilisation des
anesthésiques. Ce courant doctrinal refuse le recours à la
narco-analyse 1142 dans les enquêtes criminelles 1143 , et ce courant est
celui
1144
de la majorité de la doctrine française et de la
doctrine égyptienne en général auxquelles on
a eu recours puisque la doctrine libanaise n'accorde pas autant
d'importance à cette
vu qu'il respecte les droits de l'homme et
11451146
question. Nous le soutenons sans hésitation
1141 P. Bouzat, « Les
procédés modernes d'investigation et la protection des droits de
la défense », Cinquième Congrès international de
droit comparé, Bruxelles, 4-9 août 1958, in R.S.C., 1958,
n° 2, avril-juin, Supplément, p. 3-15, V. spec. p. 12.
1142 V. J. Magnol, « L'aveu dans la
procédure pénale », (Rapport oral) in R.I.D.C.,
Vol. 3, n° 3, juillet-septembre 1951, pp. 516-541, V. spec. p. 525 :
« Le deuxième Congrès international de défense
sociale, tenu à Liège en octobre 1949, a voté à la
majorité la résolution suivante : Le Congrès condamne la
narco-analyse sous toutes ses formes, de même que toutes les
méthodes provoquant une modification de l'état de conscience
comme moyen d'investigation judiciaire », tout en l'admettant « comme
moyen thérapeutique employé par le médecin traitant
lié par le secret professionnel ».
1143 V. sur ce point : Intervention de M.
Alfredo Molinario, « L'aveu dans la procédure pénale »,
in R.I.D.C., Vol. 3, n° 3, juillet-septembre 1951. pp. 516-541,
V. spec. l'intervention de M. Alfredo Molinario précisément p.
533 : « Je m'oppose formellement à l'emploi de ce sérum
comme moyen d'investigation de la procédure pénale parce qu'il ne
faut pas oublier, au point de vue juridique, que si l'aveu est un fait, lorsque
la loi reconnaît ce fait pour lui accorder un effet juridique, ce fait se
transforme en un acte juridique, et cet acte juridique ne peut avoir de valeur
que lorsque la partie, qui l'a fait, a agi en pleine conscience et pleine
liberté. La règle sur la théorie générale
des actes juridiques est, applicable à l'aveu de l'inculpé. Son
aveu est un acte juridique comme n'importe quel autre : dès lors pour
qu'il ait une valeur légale, il faut absolument qu'il soit conscient et
libre comme tous les actes juridiques ».
1144 V. J. Magnol, « L'aveu dans la
procédure pénale », (Rapport oral) in R.I.D.C.,
vol. 3, n° 3, juillet-septembre 1951, pp. 516-541, V. spec. p. 525 :
« L'Académie de médecine de chez nous s'est
prononcée à l'unanimité le 22 mars 1949 contre l'emploi du
prétendu « sérum de la vérité » dans les
expertises judiciaires (Bulletin de l'Académie, 1949, p., 266). De
même le Conseil de l'Ordre des avocats de Paris s'est élevé
contre l'emploi de la narco-analyse comme moyen d'obtenir l'aveu dans le
procès pénal, sur le rapport de Me Coulhac-Mazérieux, le
13 juillet 1948 {Gaz. Pal., 21-23 juillet 1948) ».
1145 V. l'avis de la doctrine
égyptienne en langue arabe : M. Mustapha, Explication de la
procédure pénale, 12e éd., imprimerie de
l'université du Caire, 1988, p. 303 ; A. Fathi Srour,
L'intermédiaire dans la procédure pénale,
imprimerie de l'université du Caire, édition 1979, tome 1, pp.
524-425 ; A. Abdarrahim Othmane, L'expertise
ses libertés fondamentales consacrés par la loi
et les conventions internationales. Le recours à la narco-analyse ou au
sérum de vérité est refusé par la doctrine
française. Mme Haritini Matsopoulou considère que l'emploi de la
narco-analyse comme moyen d'obtenir l'aveu dans le procès pénal
est « incompatible avec les droits de la défense - qui
impliquent un droit au silence, ainsi qu'un droit au mensonge et à la
simulation -, et même il constitue une atteinte à
l'intégrité corporelle, puisqu'il faut
administrer une piqûre à l'intéressé »
|
1147
|
. Mme Michèle-
|
281
Laure Rassat souligne que l'utilisation de la narco-analyse dans
la recherche de la preuve est
inadmissible parce que le suspect ou l'accusé a le
droit de mentir 1148 . Les principes de liberté et de
légalité sont le fruit du développement des
sociétés modernes et il faut y rester attaché
1149
car elles sont inviolables sous quelque prétexte ou
raison que se soit . Certains partisans de ce courant ont
considéré le recours à cette méthode comme une
forme de contrainte matérielle pour l'accusé qui la subit, et
certains l'ont considéré comme une contrainte matérielle
et
1150
morale à la fois.
dans les affaires pénales. Etude comparative,
Thèse de droit, le Caire 1964, p. 167 ; M. Najib Hosni,
Explication de la procédure pénale, 3e
éd., Dar Ennahda el arabia, 1998, p. 585 ; S. Sadek El Malla, L'aveu
de l'accusé, édition 1986, pp. 177-178 ; H. Sadek El
Merssafaoui, L'enquêteur pénal, Dar manchaat el maaref,
édition 1996, p. 78 et s. ; A. Khalil, L'aveu de l'accusé
doctrinalement et juridiquement, Dar el kotob el kanounia, 2004, p. 98 ;
I. El Ghemaz, Le témoignage comme preuve en matière
pénale, alem el kotob, 1980, p. 258 ; A. Mohamed Khalifa, « Le
sérum de vérité et le détecteur de mensonges
», in Magazine pénale nationale, Egypte, premier
numéro-Mars 1958, p. 95.
1146 V. J. Magnol, « L'aveu dans la
procédure pénale », (Rapport oral) in R.I.D.C.,
Vol. 3, n° 3, juillet-septembre 1951, pp. 516-541, V. spec. p. 525 :
« D'une façon générale la narco-analyse, la
narco-enquête comme on l'a appelée quelquefois, est
repoussée dans l'instruction judiciaire en tant que
procédé d'interrogatoire à l'effet d'obtenir des aveux
».
1147 H. Matsopoulou, Les enquêtes de
police, Thèse de droit, L.G.D.J., Paris, 1996, n° 890, p.
720.
1148 V. M-L. Rassat, Procédure
pénale, 2e édition, Éditeur : Ellipses,
2013, n° 254, p. 263 : « C'est ainsi que le droit français
a toujours refusé d'utiliser le polygraphe ou prétendu
détecteur de mensonge. Cet appareil d'enregistrer les modifications
subies par diverses fonctions physiologiques de l'individu interrogé. Il
serait censé signaler les mensonges commis qui seraient la source d'une
agitation du sujet perceptible par l'appareil... Même fiable, au surplus,
l'appareil aurait l'inconvénient de révéler des signes qui
ne sont pas sous la domination de la volonté du sujet interrogé
ce qui est contraire au droit élémentaire de se défendre
et même de mentir pour assurer sa défense. C'est la même
idée qui conduit à repousser l'utilisation de la narcose pour
procéder à un interrogatoire. Abolissant la volonté du
sujet celle-ci aurait pour effet de le priver de la faculté de mentir ce
qui est, en soi inacceptable surtout combiné avec la remarque que ce
prétendu « sérum de vérité »
apparaît parfois comme un « sérum de déballage »
où l'individu révèle des choses ne correspondant par
forcément à ce qui est exact. ... Il nous paraît certain,
en tout hypothèse, que ce n'est pas le procédé de
l'hypnose, lui-même qui est, en soi, condamnable, mais son utilisation
pour rechercher des preuves pénales spécifiquement
identifiées (interrogatoire et, selon la jurisprudence
témoignage)».
1149 V. en ce sens : V. Antoine, Le
consentement en procédure pénale, Thèse de droit,
Université Montpellier 1, 2011, n° 467, p. 321 : « En ce
qui concerne ces procédés scientifiques, le polygraphe et le
« sérum de vérité » : L'utilisation de ces
procédés porterait atteinte à la dignité de la
personne humaine et au principe de loyauté dans la recherche des
preuves, en annihilant sa volonté par le biais de son consentement
à parler et le contrôle de soi. L'aveu pour être exploitable
doit être libre. Le suspect ne doit pas devenir un simple instrument
destiné à livrer des aveux par des méthodes censées
agir directement sur sa volonté, sur son consentement à parler
»
1150 V. sur ce point : W. P. J. Pompe, «
La preuve en procédure pénale », in R.S.C., 1961,
p. 274. : « Même si la
199. Les critiques juridiques de cette méthode.
M. Alec Mellor soulève une critique immanente qui nous semble assez
complète et ferme « c'est en dehors de l'accusé qu'il
faut
1151
découvrir les preuves »
. Le consentement préalable et libre de la
personne concernée pour
282
être soumise à l'utilisation de sérum de
vérité ne peut plus être une excuse pour violer les
droits humains et fondamentaux 1152 . Cette méthode ne
respecte pas la personnalité1153 de l'être
1154
humain, et comprime sa liberté d'exprimer sa
volonté. La personne peut réfuter l'accusation qui lui est
reprochée ou se justifier ou se défendre, étant dans un
état où il lui est difficile de se concentrer et d'avoir les
idées claires pour choisir volontairement ce qu'elle veut dire pouvant
influer sur la justesse de ses aveux et anéantir ses garanties à
choisir et présenter sa défense. Et ceci constitue une atteinte
inadmissible à la liberté personnelle de l'individu qui est sous
l'effet de cette méthode, et une atteinte à sa dignité, du
fait que cette méthode vise à lui soutirer des informations
confidentielles au lieu que celles-ci émanent de lui volontairement dans
les situations normales de l'enquête. En plus, l'utilisation de cette
méthode renferme une contrainte matérielle qui gène la
liberté de l'accusé pour se défendre et organiser cette
défense comme d'utiliser son droit de citation qu'il doit exercer lors
de son interrogatoire. Les aveux et informations qu'il fait sous l'effet de
cette méthode doivent être considérés comme nuls et
il ne faut pas leur donner la moindre valeur juridique ni les
contrainte envisagée n'implique aucune torture
physique, elle enlève à l'inculpé sa liberté
humaine. Ainsi, cette trouvaille de la science moderne, la narco-analyse, le
soi-disant sérum de vérité, est interdit. Le
"détecteur de mensonge" me paraît également interdit :
cette détection du mensonge implique un quasi-cambriolage dans le for
intérieur de l'inculpé. En dépit de leur aspect
scientifique, ces méthodes modernes présentent les mêmes
inconvénients que le banc de torture de jadis. Elles ne respectent pas
la dignité de l'homme qui y est considéré comme un objet,
et elles n'offrent aucune garantie quant à la véracité de
l'aveu [...] » ; V. en langue arabe : S. Hamad Salah, Les
garanties du droit de l'accusé à se défendre devant la
cour pénale, Thèse de droit, Université Ain chams
(Egypte), 1997-1998, p. 338 ; A. Abdarrahim Othmane, L'expertise dans les
affaires pénales. Etude comparative, Thèse de droit, le
Caire (Egypte), 1964, p. 167.
1151 A. Mellor, Les grands
problèmes contemporains de l'instruction criminelle,
Domat-Montchrestien, 1952, p. 75.
1152 V. sur en ce sens sur le consentement de
la personne concernée sur l'utilisation de Penthotal ou sérum de
vérité: C. Ambroise-Castérot, « Aveu », in
Rép. pén. Dalloz., octobre 2006, n° 38, p. 7 :
« Le consentement d'un individu en situation de faiblesse, puisqu'il
est le sujet de la procédure, ne saurait être regardé comme
excusant une telle violation des libertés et droits fondamentaux de
l'individu (dans le cas contraire, pourquoi ne pas admettre un consentement
à la torture ?). Il est des droits et libertés qui ne se
négocient pas et qui ne sauraient souffrir la moindre violation
».
1153 V. Intervention de M. René de
Sola, « L'aveu dans la procédure pénale », in
R.I.D.C., Vol. 3, n° 3, juillet-septembre 1951. pp. 516-541, V.
spec. l'intervention de M. René de Sola p. 535 : « on doit
considérer, d'une part, l'aspect de protection de la
société, d'autre part, l'aspect de protection de la
personnalité humaine »
1154 V. J. Pradel, Procédure
pénale, 17e éd., Cujas, 2013, n° 466, p. 414
: «... est à rejeter l'emploi de procédés
scientifiques pouvant porter atteinte à l'intégrité de la
personne ».
1155
considérer comme des preuves dans la citation. Ces aveux
doivent être écartés de
283
l'évaluation de l'autorité des juges du fond, et le
principe de la liberté du juge pénal de construire sa conviction
pour juger l'affaire ne peut justifier leur admission. Il ne faut pas
davantage autoriser l'utilisation de cette méthode
même si l'accusé la demande 1156 dans une tentative de prouver son
innocence, car cela touche aux valeurs humaines de l'individu. Son
utilisation dans les enquêtes, même sur demande de
l'accusé ou du suspect 1157 , en ferait
1158
graduellement une méthode acceptable pour certains, et
à force de répéter son utilisation, elle deviendrait
acceptable de façon indirecte car elle créerait la
présomption que tout accusé qui ne proposerait pas
spontanément ou volontairement d'y être soumis aurait peur
qu'on
découvre qu'il a commis le crime 1159 . Cette
présomption serait le coup de grâce porte au droit de
défense comme concept et qui est un droit consacré dans sa forme
actuelle, et constituerait
1155 J. Magnol, « L'aveu dans la
procédure pénale », (Rapport oral) in R.I.D.C.,
Vol. 3, n° 3, juillet-septembre 1951, pp. 516-541, V. spec. p. 525 :
« les aveux obtenus à l'aide de la narcose me paraissent
dépourvus de valeur légale et ne peuvent être retenus comme
preuve judiciaire, pas plus que ne peuvent l'être les aveux
extorqués à l'aide de la torture. Non pas que l'application de
ces substances à l'aide d'une piqûre provoque une souffrance
physique appréciable et de très loin comparable à celle
résultant de la torture, mais parce que dans l'un et l'autre cas l'aveu
ne résulte pas d'une volonté consciente et libre ».
1156 V. sur ce point : Intervention de M.
Alfredo Molinario, « L'aveu dans la procédure pénale »,
in R.I.D.C., Vol. 3, n° 3, juillet-septembre 1951. pp. 516-541,
V. précisément p. 532 :« Je crois que tout ce qu'on dit
à propos du consentement de l'inculpé pour l'application de ce
sérum de vérité n'a aucune valeur juridique parce que
l'inculpé ne peut pas disposer des garanties constitutionnelles qui
doivent entourer sa défense. Ces garanties appartiennent à la
société tout entière et non pas à lui seul ; il n'a
pas le droit de renoncer à ses immunités .... Je crois que la
législation procédurale doit s'orienter sur cette ligne
générale ; il faut cependant diminuer le rôle de l'aveu
sans arriver à le supprimer totalement. Je crois qu'un aveu
sincère, spontané, rehausse la dignité humaine
».
1157 V. J. Magnol, « L'aveu dans la
procédure pénale », (Rapport oral) in R.I.D.C.,
Vol. 3, n° 3, juillet-septembre 1951, pp. 516-541, V. spec. p. 525 :
« On est à peu près d'accord pour reconnaître
qu'il n'existe pas de « sérum de la vérité » et
qu'il faut se garder d'avoir recours à ce prétendu sérum,
même du consentement de l'inculpé ».
1158 V. Intervention de M. René de
Sola, « L'aveu dans la procédure pénale », in
R.I.D.C., Vol. 3, n° 3, juillet-septembre 1951. pp. 516-541, V.
spec. l'intervention de M. René de Sola p. 535 : « il
était très délicat de fixer, de façon
satisfaisante, les véritables limites de ces deux protections,
protection de la société et protection de la personnalité
humaine ; lorsqu'on soumet l'individu à des interrogatoires, à
des moyens contraires à la dignité humaine, on peut bien, ce
faisant, croire protéger la société, mais il est indigne
de la société elle-même de recourir à de tels moyens
».
1159 V. sur ce point : J. Magnol, «
L'aveu dans la procédure pénale », (Rapport oral) in
R.I.D.C., Vol. 3, n° 3, juillet-septembre 1951, pp. 516-541, V.
spec. pp. 528-529 : « On exigerait le consentement de
l'inculpé. Mais puisque le procédé est bénin, sans
souffrance appréciable et sans entraîner de suites fâcheuses
pour la santé, comment pourrait-il dépendre de cet inculpé
de son application étant donné le droit supérieur de la
Société à établir sa culpabilité ? Que si
l'inculpé refusait, avec le système de l'intime conviction du
juge, ne pourra-t-il pas entraîner dans l'esprit de ce dernier une
certaine présomption de culpabilité et ne sera-t-il pas
porté à voir dans ce refus une sorte d'aveu tacite ?
».
200.
un passage spontané d'un système qui glorifie le
droit de défense à un système qui oblige
1160
l'accusé à témoigner contre sa propre
personne
.
284
L'aveu résultant de l'effet des
anesthésiques. L'utilisation de cette méthode fait perdre
à la personne sa capacité de choisir et son contrôle
volontaire, ce qui la rend plus encline à l'insinuation et à
vouloir avouer et exprimer ses sentiments. Et vu que ces substances diminuent
le contrôle de la personne sur sa volonté, et gênent la
faculté d'attention chez elle, la poussant à parler sans retenue
et involontairement contrariant sa libre volonté, le désaccord
naît de l'illégalité de cette contrainte
matérielle... donc les aveux qui en résultent sont inacceptables,
car ils ne sont pas faits de façon libre 1161 et sont involontaires 1162
. La majorité de la doctrine considère que l'aveu de
l'accusé sous l'effet du sérum de vérité n'est pas
accepté comme preuve. A partir de là, nous réalisons que
cette méthode ne peut absolument pas être utilisée dans le
droit libanais : premièrement, parce qu'elle est en contradiction avec
tous les principes juridiques reconnus dans le droit libanais, et
deuxièmement : parce qu'elle constitue une contrainte matérielle
et morale, annulant ainsi toute preuve qui en découlerait directement ou
sous son effet et qui sera en contradiction avec le principe de la
légalité de la preuve pénale. On ne peut compter sur cette
preuve comme preuve productive et ayant une valeur probante dans la preuve
pénale et bien entendu parce que le droit libanais ne contient aucun
texte juridique garantissant une couverture légale qui légalise
ou autorisant l'utilisation du sérum de vérité.
201. Notre avis sur la question. Il faut d'abord
commencer à dire que des questions sur la
1163
certitude
|
et la fiabilité1164 de preuves
résultantes1165 de l'utilisation de la
narco-analyse1166,
|
1160 V. en ce sens : V. Antoine, Le
consentement en procédure pénale, Thèse de droit,
Université Montpellier 1, 2011, n° 464, p. 319 : « L'aveu,
pour être pris en compte, doit avoir été librement
consenti, l'individu doit être en pleine possession de ses moyens
intellectuels ».
1161 V. Intervention de Mlle Lila Prati,
(avocat à Montevideo), « L'aveu dans la procédure
pénale », in R.I.D.C., Vol. 3, n° 3,
juillet-septembre 1951. pp. 516-541, V. spec. l'intervention de Mlle Lila Prati
p. 538 : « Les sérums de vérité, le penthotal, le
nesdonal, la narco-analyse, ou toute autre méthode ayant pour but de
faciliter l'aveu ou de le provoquer et ayant effet sur l'esprit de
l'accusé, limitant la plénitude de sa liberté morale par
l'affaiblissement de sa volonté, ne peuvent pas être admis dans le
système de notre procédure criminelle parce qu'ils sont
contraires aux règles et aux principes exposés sur l'aveu. Un
aveu, ainsi obtenu, n'aurait pas de valeur légale parce qu'il n'est ni
libre ni volontaire ».
1162 V. en langue arabe : J. Mohammed
Mostapha, « Les aveux de l'accusé, aveux résultant de
l'utilisation des moyens de tromperie et de duperie », in La revue
arabe de jurisprudence et de magistrature, n° 25, pp. 360-380, V.
spec. p. 379.
1163 V. J. Pradel, Procédure
pénale, 17e éd., Cujas, 2013, n° 470, p. 418
: « Le narco-interrogatoire (narco-audition), qui tend à
l'obtention d'aveux est d'une efficacité réduite : l'aveu ne peut
être obtenu avec certitude et celui qui est obtenu n'est pas
forcément vrai si l'on songe à l'existence d'un
phénomène d'auto-accusation ».
ce qui marque un manque de confiance 1167 concernant
l'utilisation de cette moyenne 1168 . Nous
pensons que l'utilisation de la narco-analyse sur l'accusé
afin d'obtenir l'aveu est
condamnée
|
1169
|
car elle constitue en même temps une agression
matérielle et morale à son
|
285
encontre. Cette méthode constitue une agression
matérielle pour celui qui la subit, à savoir que l'injection
laisse une cicatrice à cause de l'aiguille de l'injection, et il ne fait
aucun doute que cette blessure touche à l'intégrité
physique de l'accusé, et lui inflige un mal corporel, et ceci est
suffisant pour considérer l'utilisation du sérum de
vérité comme une contrainte matérielle
qui pousse l'accusé à avouer 1170 . D'autre
part, injecter des anesthésiques à l'accusé perturbe le
bon fonctionnement des organes du corps, car l'utilisation de substances induit
au changement de la tension artérielle, des battements de coeur,
dilatation des pupilles, et d'autres effets néfastes. En outre, il
lève, ou au moins affaiblit la barrière entre le conscient et
l'inconscient et
la personne se retrouve dans un état oscillant entre le
conscient et l'inconscient, 1171 bien loin
1164 V. C. Ambroise-Casterot, La
procédure pénale, 2e éd., Gualino
éditeur, Paris, 2009, n° 236, p. 164 : « Il faut convenir
qu'un éventuel aveu fait sous penthotal ne constitue nullement la
garantie d'obtention de la vérité. ».
1165 V. C. Ambroise-Castérot, «
Aveu », in Rép. pén. Dalloz., octobre 2006, n°
39, p. 7 : « il faut convenir que la reconnaissance des faits obtenue
par narcose n'est en aucun cas une garantie d'obtention de la
vérité matérielle ».
1166 V. Rapport de M. Christo P. Yotis,
« L'aveu dans la procédure pénale » in R.I.D.C.,
Vol. 4, n° 4, Octobre-décembre 1952, pp. 788-789, V. spec. p.
789 : « Les progrès des sciences positives ont apporté
récemment un nouveau procédé d'investigation, la
narco-analyse. Sans entrer ici dans la discussion de l'admissibilité de
ce procédé en matière répressive, je me demande :
ce procédé peut-il permettre d'obtenir un « aveu » au
sens généralement connu du mot ? ».
1167 V. J. Pradel, Procédure
pénale, 17e éd., Cujas, 2013, n° 470, p. 418
: L'obtention scientifique d'indices : « Le premier obstacle touche
à la fiabilité des moyens scientifiques. Tous les
procédés modernes sont-ils susceptibles d'une égale et
totale confiance ? Certes non ».
1168 V. R. Houin, « Le progrès de
la science et le droit de la preuve », in R.I.D.C., Vol. 5,
n° 1, janvier-mars 1953. pp. 69-75, V. spec. pp. 74-75 : « il
semble douteux que les procédés de narco-diagnostic ou de
narco-analyse permettent de découvrir de façon absolue -- dans
l'état actuel de la science -- la véritable pensée d'un
témoin ou d'un prévenu. Leurs résultats, pour
précieux qu'ils soient, ne s'imposent donc pas au juge ».
1169 V. en même sens : J. Magnol,
« L'aveu dans la procédure pénale », (Rapport oral) in
R.I.D.C., Vol. 3, n° 3, juillet-septembre 1951, pp. 516-541, V.
spec. p. 525 : « La narco-analyse en tant que narco-enquête
à l'effet d'obtenir l'aveu de la culpabilité paraît donc
généralement condamnée et c'est ce qui nous
intéresse dans la question de l'aveu en procédure pénale
».
1170 V. en ce sens: J. Pradel, « La
preuve en procédure pénale comparée (Rapport
général) », in Revue internationale de droit
pénal, 1er-2e trimestre1992, vol. 63, Actes
du Séminaire International organisé par l'Institut
Supérieur International de Sciences Criminelles à Syracuse
(Italie) du 20 au 25 janvier 1992, pp.13-32. V. spec. p. 26 : « La
loyauté implique également toute exclusion de
procédés attentant à la liberté (narco-analyse,
torture, interrogatoires captieux...) ».
1171 V. Rapport de M. Alfredo Molinario,
« L'aveu dans la procédure pénale » in R.I.D.C.,
Vol. 4, n° 4, octobre-décembre 1952, pp. 769-776, V. spec. p.
77 6: « On ne peut pas dire, en effet, que l'aveu est conscient
à travers l'emploi de substances, comme le penthotal, qui, en dissociant
la zone corticale du cerveau des centres inférieurs, rendent
physiologiquement et psychiquement impossible l'exercice de ces fonctions
d'attention et
du contrôle intellectuel individuel conscient, ce qui lui
cause un handicap momentané durant
1172
toute la période d'anesthésie
. Ceci signifie que l'accusé avoue involontairement
sous
286
l'effet du sérum de vérité et ceci
constitue une atteinte à la liberté de choisir de l'accusé
des termes de sa déposition lors de l'enquête ou de
l'interrogatoire 1173 , et donc son aveu ne peut
être considéré comme légitime ou
acceptable comme preuve correcte et productive 1174 . Quant au préjudice
moral causé par l'injection d'anesthésiques à
l'accusé, il réside à notre avis dans ce qu'induit la
narco-analyse de privation de l'accusé qui la subit de sa
volonté. En outre, elle lui fait perdre le contrôle sur son
cerveau et sa conscience et gêne sa faculté de concentration, il
se met donc à parler sans se contrôler, et il ne fait aucun doute
que ceci constitue une humiliation et une atteinte à la dignité
de l'homme car ceci est, sans nul doute, une violation de la volonté de
la personne interrogée et une infiltration de ses pensées et de
son inconscient d'une façon inacceptable humainement. Le moins que l'on
puisse en dire est que c'est un mode de preuve illégitime que les hommes
ne sauraient utiliser et qui est inacceptable. Voire plus, car la narco-analyse
constitue une atteinte à l'intégrité des personnes 1175 ,
mais aussi une atteinte à l'homme, car elle pénètre au
plus profond de lui, dans une partie de sa personne qui ne devrait concerner
que lui et ne devrait sortir que conformément à sa propre
volonté directe et spontanément. L'utilisation de cette
méthode peut être considérée comme une
ingérence
1176
dans les hautes fonctions du cerveau humain . On peut ainsi
conclure que ce n'est pas
d'inhibition qui constituent précisément la
conscience psychologique. On ne peut pas dire non plus que soit libre,
juridiquement parlant, l'aveu provoqué au moyen de tels
procédés ou substances ».
1172 V. sur ce point en langue arabe
(doctrine égyptienne) : H. Mahmoud Ibrahim, Les moyens scientifiques
modernes dans la preuve pénale, Dar Ennahda El arabia, 1981, pp.
147-148.
1173 V. sur ce point : C.
Ambroise-Castérot, « Aveu », in Rép. pén.
Dalloz., octobre 2006, n° 39, p. 7 : « L'aveu doit toujours
être librement consenti : il doit être donné alors que
l'individu est en pleine possession de ses moyens intellectuels ».
1174 V. Rapport de M. Alfredo Molinario,
« L'aveu dans la procédure pénale » in R.I.D.C.,
Vol. 4, n° 4, octobre-décembre 1952, pp. 769-776, V. spec. p.
775 : « Donc, raisons juridiques et motifs d'ordre pratique nous
décident à nous prononcer catégoriquement contre remploi
de procédés hypnotiques de narcotiques ou de stupéfiants
pour capter l'aveu des inculpés. Il semble inutile d'ajouter que, dans
notre opinion, un aveu obtenu grâce à l'emploi de tels
procédés et substances manque de toute valeur probatoire
».
1175 V. J. Magnol, « L'aveu dans la
procédure pénale », (Rapport oral) in R.I.D.C.,
Vol. 3, n° 3, juillet-septembre 1951, pp. 516-541, V. spec. p. 525 :
« en dehors de leur incertitude, ces procédés abolissent
à peu près complètement chez l'individu qui y est soumis
sa personnalité consciente, même parfois après le
réveil ; ils portent atteinte à l'intégrité de la
conscience et de la volonté. On a ainsi pu parler, d'une façon
peut-être exagérée, de l'effraction des consciences
».
1176 V. R. Houin, « Le progrès de
la science et le droit de la preuve », in R.I.D.C., Vol. 5,
n° 1, janvier-mars 1953, pp. 69-75, V. spec. p. 75 : « En
conclusion, il apparaît que les juristes se doivent d'utiliser, en
principe, toutes les méthodes scientifiques de preuve qui leur
permettent, de se rapprocher, sinon toujours d'atteindre, la
réalité, la vérité. Mais ils doivent le faire avec
circonspection. Non seulement parce que la science n'aboutit pas du premier
coup ni toujours à des résultats absolument certains, mais aussi
parce que ces résultats doivent être écartés
lorsqu'ils risquent de porter atteinte à des principes supérieurs
de morale ou d'ordre social, notamment
possible de considérer la narco-analyse comme un moyen
de recherche de preuve car elle appartient aux procédés
illégaux non compatibles avec le principe de la légalité
des moyens de preuve pénale.
B. Éléments de preuve obtenus sous
hypnose.
202. Que signifie l'hypnose? C'est une
opération artificielle de provocation de sommeil de certaines
facultés apparentes du cerveau. C'est une opération suggestive
utilisée par l'hypnotiseur pour donner des ordres à la personne
endormie, pour la priver de sa volonté et son autocontrôle, sous
l'effet de sa domination par l'hypnotiseur qui prend le contrôle de son
inconscient pour accéder, ainsi, à ses contenus. En d'autres
termes, les aveux de l'hypnotisé émanent de son inconscient, et
donc, l'interrogatoire de l'accusé pour l'inciter à faire des
aveux est une sorte de contrainte matérielle contre lui. L'hypnotiseur
devient le dominateur de l'hypnotisé, car ce dernier est souvent soumis
à l'exécution des ordres donnés par l'hypnotiseur. Les
réponses de l'hypnotisé ne sont que l'écho de la
suggestion de l'hypnotiseur. L'hypnose a un passé historique, en effet,
les prêtres traitaient les malades mentaux à l'époque
à travers la suggestion et la longue invocation des dieux, cette
méthode était appelée « le sommeil de la chapelle
». Le savant anglais James Braid est le premier à
1177
.
avoir utilisé le mot hypnose en 1843
203. Définition de l'hypnose. L'hypnose
|
1178
|
est une sorte de sommeil de certaines facultés
|
1179
.
287
apparentes du cerveau. Elle se fait artificiellement par la
suggestion du sommeil L'hypnose s'effectue à travers les réflexes
conditionnels concernant le sommeil qui sont ancrés dans l'esprit de
l'homme depuis son enfance, en dormant sur le dos avec la suppression de toutes
les causes de souci avant son hypnose. Par la suite, son hypnotiseur commence
à lui insinuer de dormir de façon graduelle, alors, il
répond effectivement et il devient
aux droits les plus élevés de l'homme. Le
droit a pour mission de protéger l'individu avant même de
rechercher la vérité. Le juriste doit donc conserver tout son
esprit critique et apprécier en toute liberté les
résultats que lui fournissent les méthodes scientifiques
».
1177 V. en langue arabe : A. Elkadi, «
L'interrogatoire inconscient », in Revue de la sécurité
publique, Égypt, 8 juillet 1965, numéro 30.
1178 V. sur l'hypnose : V. J. Susini, «
L'hypnose d'investigation : des faits troublants ou prodromatiques? (les
contenus nouveaux de l'enquête spécifique de police)», in
R.S.C., 1986, pp. 915-920.
1179 A. Mellor, «Vers un renouveau du
problème de l'hypnose en droit criminel?», in R.S.C.,
n° 2 avril - juin 1958, pp. 373 et s.
288
1180
hypnotisé. Selon Mme Haritini Matsopoulou, «
en ce qui concerne les méthodes utilisées pour l'interrogatoire,
une chose est certaine : ni le juge ni les policiers ne sauraient
procéder sous la suggestion de l'hypnose. Ce que l'on cherche,
grâce à cette technique, c'est à sonder
1181
le for intérieur de l'interrogé.
».
204. L'utilisation de l'hypnose dans l'enquête
pénale. Comme résultat de l'hypnose, la personne devient
incapable de contrôler sa volonté de façon que
l'inconscient la prédomine. Alors, l'hypnotiseur lui pose n'importe
quelle question et elle répond sans aucune discrétion 1182 .
Quant à l'hypnose qui consiste à la provocation du sommeil chez
le conscient de l'accusé ou du suspect de façon qu'ils
répondent aux questions posées par l'hypnotiseur, l'avis
répandu parmi la doctrine et de la jurisprudence tend à refuser
l'utilisation de cette méthode en vue d'élucider l'infraction,
car elle constitue une atteinte aux droits de l'homme en général
et aux droits de l'accusé à l'autodéfense en particulier ;
de même, c'est une méthode de contrainte qui prive l'homme de sa
libre volonté 1183 . Dans une affaire américaine, cette
méthode a été utilisée auprès d'une personne
accusée d'avoir assassiné son père et sa mère avec
un marteau, et qui, lors de son interrogatoire, a insisté sur sa
non-perpétration du crime. Alors, la police a convoqué un
psychologue qui est resté avec l'accusé dans une pièce
équipée de microphones, le psychologue a hypnotisé
l'accusé, puis lui a insinué qu'il avait tué
1184
.
son père et sa mère avec un marteau,
l'accusé a reconnu avoir commis son crime
205. Nature de l'atteinte causée par l'utilisation
de cette méthode. La doctrine semble être unanime quant au
rejet de l'utilisation de l'hypnose auprès des accusés lors de
l'interrogatoire, le Professeur Graven s'oppose à l'idée de
recourir à cette méthode pour obtenir des aveux des
accusés 1185 , car l'hypnose est un acte illicite qui
prive l'accusé de sa volonté et constitue une
1180 V. en langue arabe : A. Mohamed Salem
Enouaissa, Les garanties de l'accusé lors de l'enquête
préliminaire. Étude comparative de la législation
Égyptienne et Jordanienne, Thèse de droit, Université
Ain Chams (Égypt.), 2000, p. 244.
1181 H. Matsopoulou, Les enquêtes de
police, Thèse de droit, L.G.D.J., Paris, 1996, n° 883, p.
714.
1182 V. en langue arabe : A. Mohamed Salem
Enouaissa, Les garanties de l'accusé lors de l'enquête
préliminaire. Étude comparative de la législation
Égyptienne et Jordanienne, Thèse de droit, Université
Ain Chams (Égypt.), 2000, p. 244
1183 V. Rapport de M. Alfredo Molinario,
« L'aveu dans la procédure pénale » in R.I.D.C.,
Vol. 4, n° 4, octobre-décembre 1952. pp. 769-776, V. spec. p.
77 6: « Dans l'aveu obtenu par des moyens d'hypnose ou par des
stupéfiants, la conscience et la liberté de l'inculpé
brillent par leur absence ».
1184 V. en langue arabe : S. Sadek El-Malla,
L'aveu de l'accusé, édition 1986, pp. 166-167.
1185 J. Graven, « Le problème des
nouvelles techniques d'investigation au procès pénal [aveu,
narco-analyse] », in R.S.C., 1950, n° 3, pp. 312-357, V.
spec. pp. 314 et s.
1186
atteinte à son droit à la défense tout comme
la torture . Certains juristes considèrent
289
l'hypnose comme une contrainte matérielle contre
l'accusé, car l'hypnotisé est assujetti à la
1187
.
domination et à la merci de son hypnotiseur. Sa
réponse est l'écho de ce qui lui est insinué
En outre, l'hypnose est un moyen pour subjuguer la volonté
et pour la désactiver, et constitue
. D'autres
1188
une agression contre la sécurité du système
nerveux et sensoriel lui étant soumis
estiment que l'hypnose implique, en fait, l'atteinte à la
liberté psychique et la sécurité
1189
.
corporelle de l'hypnotisé à l'instar des
anesthésiques
206. Impact de l'hypnose sur la volonté.
L'hypnose est considérée comme une contrainte morale de
l'hypnotisé. L'hypnose de l'accusé pour son interrogatoire
à ce moment-là en vue d'obtenir des aveux est une
procédure illégale, car l'accusé est soumis à
l'effet de son hypnotiseur, alors sa réponse est l'écho de ce
dernier, et l'hypnotisé est contraint matériellement à ses
actes. A cet effet, il est interdit tout recours à l'hypnose lors de
l'interrogatoire. L'enquêteur ou le juge n'ont pas le droit d'hypnotiser
l'accusé pour obtenir de cette façon des aveux que
l'accusé aurait refusé de révéler dans son
état naturel lorsqu'il jouit de sa libre volonté et du
contrôle de toutes ses facultés mentales. Les propos et les aveux
émanant de l'accusé par le biais de l'hypnose ne revêtent
aucune valeur et ne peuvent pas être pris en considération, car
l'hypnose figure parmi les actes illicites exactement comme la torture qui lui
ôte sa volonté et enfreint la liberté d'autodéfense.
Dans une affaire judiciaire en Italie, l'accusé fut hypnotisé
lors de l'interrogatoire de la police à Milan en 1947, et avait
1190
.
reconnu avoir commis le crime. Or, le tribunal n'avait pas pris
cet aveu en compte
207. Impact de l'approbation de l'accusé de se
soumettre à l'hypnose. Parmi les questions qui ont fait couler
beaucoup d'encre, le cas du consentement de l'accusé ou du suspect
à être
1186 A. Mellor, « Vers un renouveau du
problème de l'hypnose en droit criminel? », in R.S.C.,
Paris, Nouvelle série n° 2 (avr.-juin 1958), pp.371-378, v.
spec. p. 373.
1187 V. en langue arabe : M. Mostafa,
Explication du code de procédures pénales, Dar Al-Nahda
Al-Arabia (maison de la renaissance arabe), Le Caire (Egypte), 1988, p. 303 ;
M. Najib Housni, Explication du code de procédure
pénale, Dar Al-Nahda Al-Arabia (maison de la renaissance arabe), Le
Caire (Egypte), 1998, p. 585 ; A. Mohamed Salem Enouaissa, Les garanties de
l'accusé lors de l'enquête préliminaire. Étude
comparative de la législation Égyptienne et Jordanienne,
Thèse de droit, Université Ain Chams (Égypte), 2000,
p. 344.
1188 V. en langue arabe : H. Essmni,
Légalité des preuves prises de moyens scientifiques,
Thèse de droit, Université du Caire (Égypte),
édition 1983, p. 356.
1189 V. en langue arabe : A. Fathi Srour,
L'intermédiaire dans le code de procédures pénales,
imprimerie de l'université du Caire, édition 1996, p.
425.
1190 V. en langue arabe : J. Mohammed
Mostapha, « Les aveux de l'accusé, aveux résultant de
l'utilisation des moyens de tromperie et de duperie », in La revue
arabe de jurisprudence et de magistrature, numéro 25, pp. 360380,
V. spec. p. 377.
interrogé sous l'effet de l'hypnose. D'aucuns pensent
qu'il n'y a aucune objection légale contre l'hypnose de l'accusé
pour le soumettre à l'interrogatoire, s'il accepte ou la demande
lui-même librement. Il serait plutôt injuste de refuser la demande
de l'accusé qui pourrait être
1191
en sa faveur
, d'autant plus s'il peut prouver son innocence via l'hypnose.
Dans un
290
jugement prononcé par le tribunal allemand de Hamn, le
tribunal a jugé que les aveux ou les simples propos émanant de
l'accusé sous l'effet de l'hypnose ne peuvent pas être admis dans
les procédures du jugement visant à l'établissement de la
vérité, même si c'est l'accusé qui l'avait
réclamée, sinon le moindre échec de cette méthode
pour obtenir des aveux concernant sa perpétration du crime serait une
preuve de son innocence. L'accusé a le droit de faire ses
. M. Jean
1192
aveux en toute liberté sans être contraint par la
force de ces méthodes coercitives
1193
.
Pradel affirme clairement qu' « une preuve ne peut
être obtenue au moyen d'une atteinte à l'intégrité
physique ou morale de la personne, même si celle-ci donne son
consentement »
Enfin, M. Jamal Moustapha estime qu'il est interdit d'utiliser
l'hypnose lors des procédures pénales, même avec le
consentement de l'accusé ou du suspect car son consentement pourrait
être dû à sa crainte qu'on considère son refus de se
soumettre à cette méthode comme une preuve de sa
culpabilité. Ajouté à cela que le consentement de
l'accusé n'a aucune valeur légale puisque l'accusé ne peut
pas renoncer aux garanties constitutionnelles qui protègent son exercice
des droits de la défense. Ces garanties ne le concernent pas lui seul
mais concernent également la société. La
société a le droit de garantir la sécurité du corps
de l'être humain, du fait que ce dernier en est membre. Cela dit, il ne
faut pas considérer son refus comme une raison pour autoriser l'atteinte
à son corps. Par ailleurs, le consentement préalable de la
personne objet d'interrogatoire ne peut pas être pris en
considération, car elle ignore sur quoi elle a consenti du moment
qu'elle ne l'avait pas expérimenté avant son consentement. De
plus, elle ne pourra pas prévoir ses sentiments sous l'effet de
l'hypnose, et ne pourra, donc,
pas garder ses secrets personnels qui doivent être
respectés 1194 . On devrait oeuvrer pour appuyer ces droits afin
d'assurer un procès équitable et loyal pour l'accusé, car
le fait
1191 V. en langue arabe : J. Mohammed
Mostapha, « Les aveux de l'accusé, aveux résultant de
l'utilisation des moyens de tromperie et de duperie », in La revue
arabe de jurisprudence et de magistrature, n° 25, pp. 360-380, V.
spec. p. 378.
1192 V. en langue arabe : J. Mohammed
Mostapha, « Les aveux de l'accusé, aveux résultant de
l'utilisation des moyens de tromperie et de duperie », in La revue
arabe de jurisprudence et de magistrature, n° 25, pp. 360-380, V.
spec. p. 378.
1193 J. Pradel, « La preuve en
procédure pénale comparée (Rapport général)
», in Revue internationale de droit pénal,
1er-2e trimestre1992, vol. 63, Actes du
Séminaire International organisé par l'Institut Supérieur
International de Sciences Criminelles à Syracuse (Italie) du 20 au 25
janvier 1992, pp.13-32. V. spec. p. 26.
1194 V. en langue arabe : J. Mohammed
Mostapha, « Les aveux de l'accusé, aveux résultant de
l'utilisation des moyens de tromperie et de duperie », in La revue
arabe de jurisprudence et de magistrature, n° 25, pp. 360-380, V.
spec. p. 378-379.
291
d'accepter d'exercer cette méthode anormale qui s'oppose
à la nature humaine et sa dignité signifie que nous soutenons la
violation des droits de l'homme et du principe de la légalité de
la preuve pénale, chose que nous refusons catégoriquement.
208. L'utilisation de l'hypnose en droit libanais et
français. En droit libanais, la question ne s'est pas encore
posée dans la jurisprudence libanaise. En droit français, Mme
Coralie Ambroise-Castérot se montre ferme vis-à-vis de
l'utilisation de l'hypnose « l'hypnose, pas
. L'utilisation de
1195
plus que le penthotal, ne saurait être un moyen
légal d'investigation »
l'hypnose en procédure pénale pose un
problème : d'une part, en ce qu'elle met un individu dans une situation
dont il n'a plus aucune maîtrise et, d'autre part, en ce qu'elle est un
moyen encore expérimental et incertain de remémoration. Elle
soulève donc des difficultés, aussi bien par rapport à
l'impératif de respect des droits des personnes que par rapport à
l'objectif de
recherche de la vérité, qui sont, l'un et
l'autre, inhérents à la preuve pénale 1196 . La question
qui se pose est alors la suivante : le fait de soumettre une personne à
l'hypnose lors d'une enquête
1197
pénale est-il qualifié d'illégal par la
jurisprudence française? Un arrêt rendu par la chambre criminelle
de la Cour de cassation française a considéré que «
si le juge d'instruction peut, en application de l'article 81 du Code de
procédure pénale, procéder ou faire procéder
à tous actes d'information utiles à la manifestation de la
vérité, encore faut-il qu'il se conforme aux dispositions
légales relatives au mode d'administration des preuves. Viole les
dispositions légales relatives au mode d'administration des preuves et
compromet ainsi l'exercice des droits de la défense l'audition
effectuée par les gendarmes, sur commission rogatoire, d'un
témoin placé, avec son consentement, sous hypnose, par un expert
désigné par le juge
1198
d'instruction »
. La chambre criminelle française
considère implicitement que l'hypnose en
1199
.
tant que moyen de preuve dépasse la frontière de la
légalité de la recherche des preuves
1195 C. Ambroise-Casterot, La
procédure pénale, 2e éd., Gualino
éditeur, Paris, 2009, n° 237, p. 165.
1196 D. Mayer et J.-F. Chassaing, « Y
a-t-il une place pour l'hypnose en procédure pénale ? », in
D., 2001, p. 1340.
1197 V. sur ce point : C.
Ambroise-Castérot, « Aveu », in Rép. pén.
Dalloz., octobre 2006, n° 44, p. 8 : « En matière
d'hypnose, on est confronté à la même difficulté que
pour la narcose. L'hypnose peut-elle être utilisée comme moyen
d'investigation lors d'une enquête pénale ? En transposant la
jurisprudence relative au penthotal, la réponse s'impose
d'elle-même. Si un expert, désigné par le juge, utilise
l'hypnose afin de réaliser sa mission (par ex., vérifier si le
sujet est réellement aphasique ou non), le procédé ne
saurait être banni. En revanche, s'il est requis du professionnel la
réalisation d'un interrogatoire, les frontières de la
légalité sont franchies ».
1198 Cass crim., 12 décembre 2000,
B.C., n° 369, p. 113.
1199 V. A. Giudicelli, «
Témoignage sous hypnose ou expertise hypnotique ? (Cass. crim., 12
déc. 2000)», in R.S.C., 2001, p. 610 : «
Concernant le principe affirmé par la Cour de cassation, il est une
parfaite illustration de ce que la théorie de la preuve pénale
combine, en ce qui concerne les moyens de preuve, liberté et
légalité. Si les infractions peuvent être établies
par tout mode de preuve, si plus particulièrement le juge d'instruction
peut
L'arrêt précédent montre que la Cour de
cassation française n'accepte pas l'hypnose comme procédé
afin de rechercher la vérité en matière pénale
parce qu'il n'est pas conforme aux
dispositions légales relatives au mode d'administration
des preuves
|
1200
|
et il est incompatible
|
avec l'exercice des droits de défense 1201 . Selon Mme
Catherine Puigelier, dans cet arrêt, « pour les juges
suprêmes, le recours à l'hypnose est irrégulier parce qu'il
ne se conforme pas aux dispositions légales relatives au mode
d'administration des preuves et compromet les
droits de la défense » 1202 . Sans
hésitation la chambre criminelle de la Cour de cassation a
considéré dans cet arrêt que l'article 81 de CPP
français ne peut servir de base pour fonder une audition sous hypnose
pour accomplir un acte nécessaire à la manifestation de la
vérité dans le procès pénal. « Par
arrêt en date du 12 décembre 2000 (Crim. 12 déc. 2000,
Wisse et a., Juris-Data n° 007696), la Cour de cassation avait d'abord
censuré une audition opérée sous hypnose en
exécution de la commission rogatoire, en rappelant que la liberté
laissée au juge d'instruction d'accomplir tous actes utiles à la
manifestation de la vérité en application de l'article 81 du Code
de procédure pénale ne peut se concevoir que dans le respect de
la
légalité »
|
1203
|
. M. Jean Pradel considère que cette décision
« a annulé l'audition d'un témoin
|
292
sous hypnose pour réactiver sa mémoire sur
des détails précis : quoique l'audition ait été
menée avec l'aide d'un hypnologue et que le témoin ait
été d'accord, la Cour de cassation y a vu une atteinte aux
dispositions légales sur les modes d'administration des preuves et
à
l'exercice des droits de la défense »
1204 . À son tour M. Jacques Buisson considère que
cet arrêt vient de rappeler que le juge d'instruction ne jouit pas d'une
liberté totale et absolue dans la recherche de preuve parce que
l'article 81 du CPP français apporte une limite à la
liberté de la
procéder ou faire procéder à tous les
actes utiles à la manifestation de la vérité (c. pr.
pén., art. 81, al. 1er), encore faut-il que les preuves soient
légalement rapportées ».
1200 V. A. Giudicelli, «
Témoignage sous hypnose ou expertise hypnotique ? (Cass. crim., 12
déc. 2000)», in R.S.C., 2001, p. 610 :«
L'utilisation de l'hypnose à des fins probatoires en procédure
pénale, qui pourrait certes s'appuyer sur le principe de la
liberté de la preuve, vient buter sur l'exigence de la
légalité qui somme tous ceux qui contribuent à la
recherche de la vérité de respecter le texte et la substance des
normes de procédure pénale ».
1201 V. C. Ambroise-Castérot, «
Aveu », in Rép. pén. Dalloz., octobre 2006, n°
45, p. 8 : « En l'occurrence, l'expert avait hypnotisé un
témoin afin que les enquêteurs puissent ensuite interroger celui-
ci. Ce mélange des genres entre expertise et audition a
été clairement sanctionné par la Cour de cassation. La
solution peut être transposée à l'interrogatoire. Un
accusé, même consentant, ne saurait valablement se soumettre
à ce type d'opération médicale détournée et
dont le cadre légal (expertise ? interrogatoire ?) demeure flou
».
1202 C. Puigelier, «
Impossibilité pour un juge d'instruction de recourir à l'hypnose
», in JCP G., n° 12, 21 Mars 2001, II 10495.
1203 J. Buisson, « Sonorisation
illégale du parloir d'une maison d'arrêt : constitue une
ingérence étatique au sens de l'article 8 de la Convention
européenne des droits de l'homme (CEDH 20 décembre 2005, Wisse c/
France, n° 71611/01) », in R.S.C., 2007, p. 607.
1204 J. Pradel, Procédure
pénale, 17e éd., Cujas, 2013, n° 470, p.
419.
preuve qui se caractérise par le principe de la
légalité applicable dans la procédure pénale
d'où l'accord ou le consentement libre et préalable de
l'intéressé de se mettre volontairement dans un état
hypnotique (à l'hypnose) ne rend pas l'acte conforme à la
légalité : « C'est précisément ce que la
Cour de cassation vient de rappeler. Même le juge instruction n'a pas la
faculté d'administrer librement la preuve pénale ; car
après avoir prévu la liberté de ce magistrat de choisir le
mode de preuve utile, l'article 81 du Code de procédure pénale
précise normalement le principe de la légalité qui lui
interdit de sortir des règles régissant l'administration de la
preuve et de concevoir en quelque sorte ex nihilo un acte d'administration de
la preuve. Sous ce regard, on comprend que l'accord de la personne
1205
. Par
concernée est juridiquement indifférent,
puisqu'il aboutit à la violation de la légalité
»
contre, certains auteurs font une distinction entre l'utilisation
de l'hypnose comme expertise et
l'audition de témoin sous hypnose.
|
1206
|
Il nous semble que cette distinction n'existe pas en
|
pratique parce qu'on parle toujours des éléments
de preuve qui restent sous l'appréciation libre du juge de fond en vertu
de son intime conviction qui ne distingue pas en fait entre audition de
témoin sous hypnose et expertise sous hypnose pour forger son opinion
malgré les
forts arguments proposés par MM. Daniel Mayer et de
Jean-François Chassaing 1207 . En ce qui concerne l'effet du
consentement de la personne soumises à l'hypnose, Mme Catherine
Puigelier considère que «le consentement de
l'intéressé hypnotisé par un expert désigné
par un juge d'instruction est, à cet égard, indifférent.
Seul le fait de porter atteinte aux intérêts des
personnes mises en examen l'emporte»
|
1208
|
. Même avec le consentement de la personne
placée
|
293
sous hypnose, nous considérons que l'usage de l'hypnose
dans la procédure pénale est toujours contraire à l'ordre
public contrairement à l'avis de MM. Daniel Mayer et de
Jean-François Chassaing qui considèrent qu'« en effet,
dès lors que celle-ci a consenti à être placée sous
hypnose, elle a exercé son libre arbitre pour abandonner
d'elle-même les possibilités de
1205 J. Buisson, « L'audition sous
hypnose est interdite. Est permis l'enregistrement, au parloir d'une maison
d'arrêt, de propos tenus entre des mis en examen et leurs proches »,
in Procédures, n° 3, Mars 2001, comm. 70.
1206 D. Mayer et J.-F. Chassaing, « Y
a-t-il une place pour l'hypnose en procédure pénale ? », in
D., 2001, p. 1340 : « Ce procédé est-il
irréductible aux règles actuelles de la procédure
pénale ? Nous ne le pensons pas. L'expertise semble de nature à
permettre l'utilisation de cette technique à condition de distinguer
très clairement l'audition du témoin et l'expertise de son
discours sous hypnose. Il nous semble envisageable de charger un expert
d'entendre le témoin sous hypnose et de faire état des propos
tenus dans son rapport ».
1207 D. Mayer et J.-F. Chassaing, « Y
a-t-il une place pour l'hypnose en procédure pénale ? », in
D., 2001, p. 1340 : « Le refus de toute utilisation de
l'hypnose nous paraît même contraire aux droits de la
défense lorsque la demande d'investigation sous hypnose concernant la
personne poursuivie émane d'elle-même : est-il légitime,
sous un régime de liberté de la preuve, de priver le mis en
examen d'une possibilité de faire avancer la recherche de la
vérité ? N'est-ce pas amputer le droit des parties de participer
à cette recherche qui se trouve pourtant consacré par les
réformes législatives des dix dernières années
».
1208 C. Puigelier, «
Impossibilité pour un juge d'instruction de recourir à l'hypnose
», in JCP G., n° 12, 21 Mars 2001, II 10495.
contrôler sa parole. Il est difficile de soutenir
qu'une telle renonciation serait contraire à
l'ordre public... »
|
1209
|
. Il faut rappeler que certains législateurs
énoncent très clairement dans
|
un article du Code de procédure pénale que
l'utilisation de l'hypnose est strictement prohibée dans l'audition et
l'interrogatoire en matière pénale. Il serait
préférable que les législateurs français et
libanais précisent cette interdication en prévoyant
expressément que l'usage de l'hypnose dans l'administration de la preuve
pénale est prohibé par un texte de loi
suffisamment clair, en suivant le modèle de certains
législateurs
|
1210
|
. Pour conclure, nous
|
294
approuvons la position de la chambre criminelle de la Cour de
cassation qui vient de juger irrecevable un témoignage sous hypnose et
nous soutenons entièrement l'avis de M. Jacques
1211
Buisson favorable à la position de la Cour de cassation
: « Une telle position ne peut
qu'être approuvée. L'acte consistant dans une
audition sous hypnose n'obéissait ni aux règles de la
légalité matérielle puisqu'il méconnaissait le
principe du respect de la dignité humaine, ni à celles de la
légalité formelle dès lors qu'il n'était pas
prévu par la loi. Contrairement à une vision sommaire de la
preuve en matière pénale, le principe de la liberté a,
dans un État de droit, un empire nécessairement limité par
le principe de la légalité, particulièrement
1212
. La
lorsque l'administration de la preuve est le fait des agents
de l'autorité publique »
chambre criminelle de la Cour de cassation française a
confirmé sa position précédente dans un nouvel arrêt
rendu le 28 novembre 2001 en affirmant que le recours à l'hypnose dans
le procès pénal n'est pas conforme aux dispositions
légales relatives au mode d'administration
1213
des preuves en matière pénale :« Attendu
que, d'autre part, par application des articles 81,
1209 D. Mayer et J.-F. Chassaing, « Y
a-t-il une place pour l'hypnose en procédure pénale ? », in
D., 2001, p. 1340.
1210 V. par exemple le legislateur allemand:
Aux termes de l'article 136a du Code de procédure pénale,
concernant les méthodes d'interrogatoire prohibées (verbotene
Vernehmungsmethoden) :« 1. Il ne doit pas être porté
atteinte à la liberté de décision de l'inculpé et
à sa liberté de manifester sa volonté par des
sévices, par l'épuisement, par quelque forme de contrainte
physique que ce soit, par l'administration de médicaments, par la
torture, par la tromperie ou par l'hypnose. La contrainte ne peut être
employée que lorsqu'elle est admise par les règles de
procédure pénale. La menace d'appliquer une mesure
prohibée par les règles de procédure pénale et la
promesse d'un avantage non prévu par la loi sont interdites. 2. Est
interdite toute mesure portant atteinte à la mémoire ou aux
facultés de raisonnement et au libre arbitre de l'inculpé
(Einsichtsfähigkeit). 3. Les interdictions visées aux paragraphes 1
et 2 sont applicables même si l'inculpé a consenti [à la
mesure envisagée]. En cas de manquement à ces règles, les
dépositions ne peuvent être versées [comme preuves],
même avec l'accord de l'inculpé ».
1211 V. encore l'avis de Mme Catherine
Puigelier : C. Puigelier, « Impossibilité pour un juge
d'instruction de recourir à l'hypnose », in JCP G.,
n° 12, 21 Mars 2001, II 10495 : « La solution adoptée
par la Cour de cassation mérite pleinement l'approbation ».
1212 J. Buisson, « L'audition sous
hypnose est interdite. Est permis l'enregistrement, au parloir d'une maison
d'arrêt, de propos tenus entre des mis en examen et leurs proches »,
in Procédures, n° 3, Mars 2001, comm. 70.
1213 V. sur les deux arrêts de la
chambre criminelle de la Cour de cassation française concernant
l'hypnose : P. Lemoine, « La loyauté de la preuve (à travers
quelques arrêts récents de la chambre criminelle », in
Rapport
295
101 à 109 du Code de procédure
pénale, si le juge d'instruction peut procéder ou faire
procéder à tous actes d'information utiles à la
manifestation de la vérité, encore faut-il qu'il se conforme aux
dispositions légales relatives au mode d'administration des preuves
;Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des
pièces de la procédure que le juge d'instruction a fait
procéder à l'audition de X... qui avait été
placé sous hypnose par un expert désigné par ce magistrat
; que ce même juge d'instruction a ordonné ensuite une expertise
"en matière de profilage psychologique", confiée à un
psychologue conseil et lui enjoignant, notamment, de procéder "à
une préparation technique d'audition aux fins de garde à vue
ultérieurement" ; que cet expert, au cours des auditions de X...,
effectuées sur commission rogatoire par les gendarmes, après son
placement en garde à vue, est intervenu à plusieurs reprises pour
poser des questions à l'intéressé, lequel a avoué
à cette occasion et pour la première fois le meurtre de son
épouse et le dépeçage de son corps ; Attendu
qu'après avoir annulé l'audition de X... effectuée sous
hypnose, la chambre de l'instruction a écarté de l'annulation,
notamment, le rapport déposé le 28 décembre 2000 par
l'expert qui avait procédé au placement sous hypnose et le
rapport de "profilage psychologique" déposé le 15 décembre
2000 qui se référaient, tous deux, en en rapportant la teneur,
à l'audition sous hypnose de X... ; qu'elle a également
refusé d'annuler les auditions au cours desquelles les enquêteurs
ont recueilli, en présence du psychologue conseil désigné
par le magistrat, les aveux de X... lors de sa garde à vue ;Mais attendu
qu'en cet état, alors que le rapport d'expertise relative aux
opérations de placement sous hypnose et celui "de profilage
psychologique" avaient pour support nécessaire l'audition sous hypnose
de X... et alors que le procédé consistant à faire
entendre sur commission rogatoire, délivrée à des
officiers de police judiciaire, une personne suspectée, placée en
garde à vue, et à la faire, dans ces conditions, interroger par
un psychologue conseil, sous couvert d'une mission d'expertise, viole les
dispositions légales relatives au mode d'administration des preuves et
compromet l'exercice des droits de la
1214
défense, la chambre de l'instruction a méconnu
les textes et principes ci-dessus rappelés ».
annuel de la Cour de Cassation 2004, (Deuxième
partie): « Dans les deux premières affaires, qui ont fait
l'objet d'arrêts rendu les 12 décembre 2000 et 28 novembre 2001,
la chambre s'est prononcée sur la validité d'une audition
effectuée sous hypnose ; il s'agissait, dans le premier cas, de
l'audition d'un témoin et, dans le second, de celle d'une personne
placée en garde à vue qui, l'un et l'autre, avaient
exprimé leur consentement pour être entendus selon ces
modalités et dont l'audition avait été recueillie avec
l'assistance d'un expert désigné par le juge d'instruction. Dans
ces deux cas, la chambre a jugé que l'audition réalisée
dans ces conditions était irrégulière et qu'elle avait
compromis l'exercice des droits de la défense ; la raison réside
vraisemblablement dans le fait que cette forme d'audition neutralise la
volonté et l'on peut donc légitimement se demander dans quelle
mesure elle demeure compatible avec le serment que la personne concernée
a prêté ».
1214 Cass. crim., 28 novembre 2001, B.C.,
n° 248, p. 823.
209. Notre avis sur l'utilisation de l'hypnose dans
l'enquête pénale. Avant tout, il faut préciser que la
preuve résultant de l'hypnose ne peut pas être
considérée comme une vérité
1215
intouchable
. Mme Haritini Matsopoulou souligne qu' « une telle
technique ne saurait être
mise en oeuvre par les services de police, quand bien
même l'enquête effectuée par ces derniers n'est pas
l'instruction judiciaire. De plus et surtout, la valeur scientifique du
procédé
est des plus discutables »
|
1216
|
. A notre avis, l'utilisation de l'hypnose dans l'enquête
auprès de
|
296
l'accusé dans le but de l'inciter à faire des
aveux, est un moyen qui pourrait porter une atteinte matérielle et
morale à l'accusé objet d'interrogatoire. Le préjudice
matériel découlant de ce moyen consiste en un dysfonctionnement
et des troubles affectant les organes du corps, car cela produit la
désactivation de la fonction principale du cerveau de
l'hypnotisé. Par ailleurs, l'hypnose induit un changement physiologique
et psychologique qui pourrait porter préjudice à la
sécurité corporelle, à l'image de changements clairs et
directs sur le système respiratoire et la réduction du champ de
vision, ainsi que le contrôle de l'inconscient de l'hypnotisé pour
le guider selon la volonté de l'hypnotiseur. Ceci constitue la raison
principale qui nous pousse à rejeter ce moyen et le considérer
comme illégal, outre le fait que le législateur libanais ne l'a
autorisé explicitement dans aucun des textes de loi, et vu que nous
soutenons la limitation du principe de la liberté de preuve
pénale aux moyens permis par la loi. Quant au préjudice moral
affectant l'accusé lors de son hypnose, il consiste en l'utilisation de
ce moyen qui pourrait conduire à la perte par l'hypnotisé de son
autocontrôle, car il affaiblit la barrière entre son inconscient
et son conscient exactement comme l'anesthésie 1217 la personne devient
alors un outil et une marionnette entre les mains de son hypnotiseur qui le
guide à sa guise, en lui faisant perdre le contrôle de sa
volonté et répondre à ses questions sans
autocontrôle ni autocensure 1218 . De surcroît, l'audition
effectuée sous hypnose constitue une violation flagrante du droit de ne
pas contribuer à sa propre incrimination qui est une norme
internationale reconnue par le droit interne libanais et français et
indirectement dans le texte de l'article 6 §1 de la Convention
européenne des droits de l'homme : « L'hypnose prive la
personne interrogée de tout discernement. Cette personne est donc
amenée, le cas échéant, à
1219
.
contribuer à sa propre incrimination»
1215 C. Ambroise-Casterot, La
procédure pénale, 2e éd., Gualino
éditeur, Paris, 2009, n° 237, p. 165. 1216 H.
Matsopoulou, Les enquêtes de police, Thèse de droit,
L.G.D.J., Paris, 1996, n° 883, p. 714.
1217 V. en langue arabe : H. Essmni,
Légalité des preuves prises de moyens scientifiques,
Thèse de droit, Université du Caire (Egypte), édition
1983, pp. 358-348-349.
1218 V. en langue arabe : H. Elmarsafawi,
« modes modernes dans l'enquête pénale », in Revue
nationale, Egypte, Vol. 10, n° 1, mars 1967, p. 45.
1219 F. Fourment, Procédure
pénale, 14e édition, Larcier, 2013, n° 75,
p. 57.
297
§ 2. Preuve attentatoire à
l'inviolabilité du corps humain et à l'inviolabilité de la
pensée.
210. Le respect de la dignité humaine et la
collecte des preuves. Le respect de l'inviolabilité du corps humain
est imposé dans la recherche et la production des preuves qui suppose
naturellement qu'aucune atteinte ne peut être faite à
l'intégrité du corps humain. Certains procédés de
preuve constituent une atteinte à l'inviolabilité du corps
humain. Il s'agit plus précisément des procédés
scientifiques destinés à obtenir un aveu en matière
pénale comme le détecteur de mensonges connu sous le nom de
polygraphe qui constitue une double
atteinte concernant l'inviolabilité de la
pensée 1220 et en même temps l'inviolabilité du corps
humain. Il y a également des procédés scientifiques
portant atteinte à l'inviolabilité du corps à propos des
prélèvements ou l'utilisation de l'ADN comme preuve
c'est-à-dire la technologie ADN dans la justice pénale. En effet,
le pouvoir d'ordonner un test d'ADN n'est pas
1221
absolu.
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