A. Aveu arraché par la violence ou la
contrainte.
172. L'emploi de la torture et violence pour l'obtention
des aveux. Historiquement, l'obtention des aveux a été
associée à la torture. Aveu et torture étaient
étroitement liés l'un à l'autre, en raison de l'impact que
peut exercer la torture et la contrainte sur la volonté de l'individu
qui avoue. Sans doute, la torture est illégale et inacceptable. La
torture est
1027
expressément condamnée
|
1028
par la Déclaration universelle des droits de l'homme
.
|
|
244
Contrairement au législateur libanais, afin de
s'assurer que les aveux ne seront pas provoqués par la contrainte, la
lassitude, la fatigue ou les privations (de sommeil ou de nourriture), le
législateur français a élaboré une
réglementation très stricte de la garde à vue qui assure
les
1029
droits essentiels et le libre arbitre d'une personne
gardée à vue. Le législateur libanais est
1027 V. De nombreux textes internationaux
prohibent la torture et les mauvais traitements : Le pacte relatif aux droits
civils et politiques, en son article 7 dispose que : « Nul ne sera
soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre
une personne sans son libre consentement, à une expérience
médicale ou scientifique. » ; La torture est contraire
à l'article 3 de la ConvEDH qui impose que « Nul ne peut
être soumis à la torture ni à des peines ou traitements
inhumains ou dégradants » ; Code de conduite pour les
responsables de l'application des lois, adopté par l'Assemblée
générale des Nations Unies le 17 décembre 1979
(résolution 34/169), l'article 5 dispose : « Aucun responsable
de l'application des lois ne peut infliger, susciter ou tolérer un acte
de torture ou quelque autre peine ou traitement cruel, inhumain ou
dégradant, ni ne peut invoquer un ordre de ses supérieurs ou des
circonstances exceptionnelles telles qu'un état de guerre ou une menace
de guerre, une menace contre la sécurité nationale,
l'instabilité politique intérieure ou tout autre état
d'exception pour justifier la torture ou d'autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants. » ; La Convention américaine
relative aux droits de l'homme (adoptée à San José, Costa
Rica, le 22 novembre 1969, à la Conférence
spécialisée interaméricaine sur les Droits de l'Homme),
l'article 5 dispose : « 1.Toute personne a droit au respect de son
intégrité physique, psychique et morale. 2. Nul ne peut
être soumis à la torture ni à des peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants. Toute personne privée de sa
liberté sera traitée avec le respect dû à la
dignité inhérente à la personne humaine ».
1028 La torture est expressément
condamnée par la Déclaration universelle des droits de l'Homme :
L'article 3 dispose : « tout individu a droit à la vie,
à la liberté et à la sûreté de sa personne
» ; l'article 5 dispose : « Nul ne sera soumis à la
torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants. » ; encore, l'article 1 alinéa 1 de la
Convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants, du 10 décembre 1984 dispose :
« ... le terme « torture » désigne tout acte par
lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont
intentionnellement infligées à une personne aux fins d'obtenir
d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir
d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est
soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression
sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour
tout autre motif fondé sur la discrimination quelle qu'elle soit,
lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un
agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre
officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou
tacite. Ce terme ne s'étend pas à la douleur ou aux souffrances
résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes
à ces sanctions ou occasionnées par elles » ; L'article 2 de
la précédente convention dispose : « 1. Tout État
partie prend des mesures législatives, administratives, judiciaires et
autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient
commis dans tout territoire sous sa juridiction. 2. Aucune circonstance
exceptionnelle, quelle qu'elle soit, qu'il s'agisse de l'état de guerre
ou de menace de guerre, d'instabilité politique intérieure ou de
tout autre état d'exception, ne peut être invoquée pour
justifier la torture ».
1029 La torture est prohibée par tout
un ensemble d'engagements internationaux du Liban, tels que la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, le Pacte International
relatif aux droits civils et politiques, et la Convention
tenu de veiller au respect de la liberté individuelle
et de la légalité des aveux en réformant la garde à
vue pour éliminer tous les types de contraintes qui s'exercent sur la
personne placée en garde à vue pour arracher des aveux. En droit
libanais, l'article 401 du Code pénal prévoit des sanctions
pénales pour l'extorsion d'aveux par usage de la violence mais la
justice libanaise n'ouvre que rarement, voire jamais, des poursuites contre les
officiers de police judiciaire coupables d'actes de tortures. En dépit
du fait que l'article 401 du Code pénal libanais criminalise l'usage de
la violence pour extorquer des aveux, nous constatons que cette disposition
légale est souvent ignorée dans les faits. L'article 401 du Code
pénal libanais punit la pratique de la torture d'une peine allant de 3
mois à 3 ans. Sans doute, la personne poursuivie doit être
protégée contre toute forme de contrainte ou de violence,
physique ou
1030
morale , qui aboutirait à un aveu non libre et dont la
fiabilité ne serait de toute façon
certainement pas assurée
|
1031
|
. La torture ainsi que les traitements inhumains et
dégradants sont
|
245
des pratiques utilisées la plupart du temps au Liban
par la police judiciaire comme méthodes de recherche de preuves ou de
renseignements. Au Liban, un jugement remarquable rendu le 8 mars 2007 par le
juge unique pénal de Beyrouth a condamné un policier pour avoir
commis l'infraction de torture mentionnée dans l'article 401 du Code
pénal libanais. Un membre des forces de sécurité
intérieure a été condamné par le juge Hani Abdel
Méniim Hajjar, pour avoir utilisé le moyen de torture «
farrouj » (terme libanais qui désigne en position farrouj) au
cours de l'interrogatoire en 2004 d'un détenu, concierge d'origine
égyptienne d'un immeuble de
1032
Badaro. Le coupable a été condamné en vertu
des articles 401 et 254 du Code pénal
libanais, à 15 jours d'emprisonnement, et à
verser la somme de 600 000 livres libanaises à la victime. La peine
prononcée apparaît certes dérisoire face aux faits
condamnés compte tenu de leur gravité, mais il convient cependant
de souligner que pour la première fois, la pratique du moyen de torture
par la police a été reconnue devant une juridiction. Le jugement
rendu le 8 mars 2007 par le juge M. Hani Abdel Méniim Hajjar
énonce que « Georges Khalil Raphaël
contre la Torture, ratifiée par le Liban en 2000. Il
est par ailleurs regrettable que la loi libanaise soit défaillante en
matière de définition et de criminalisation de la pratique. Le 22
décembre 2008, le Liban a ratifié le Protocole Optionnel à
la Convention contre la Torture (OPCAT), mais ne s'est toujours pas
conformé aux dispositions de l'OPCAT appelant à la
création d'un mécanisme national de prévention (NPM)
chargé de visiter et de contrôler les lieux de
détention.
1030 V. E. Bonnier, Traité
théorique et pratique des preuves en droit civil et en droit
criminel, 4e éd., Henri Plon Editeur et Maresc
Ainé Editeur, Paris, 1873, t.1, n° 597, p. 503 : « La
contrainte physique, en réagissant sur ses dispositions morales, nuirait
à la liberté de la défense ».
1031 C. Ambroise-Casterot, La
procédure pénale, 2e éd., Gualino
éditeur, Paris, 2009, n° 250, p. 176.
1032 L'article 254 du Code pénal
libanais énonce que « Lorsque les circonstances
atténuantes seront reconnues en faveur de l'auteur d'un délit, le
tribunal pourra réduire la peine prévue jusqu'à son
minimum légal déterminé aux articles 51, 52, et 53. Il
pourra aussi substituer l'amende à l'emprisonnement et à la
résidence forcée, ou convertir la peine délictuelle, par
décision motivée et hors le cas de récidive, en une peine
contraventionnelle ».
est reconnu coupable du crime visé à
l'article 401 du Code pénal, passible d'une peine de prison d'une
année. En vertu de l'article 254 du Code pénal, la durée
de la peine sera réduite à 15 jours, et du versement de 300 000
LL. Chaque retard de paiement entraînera un jour de plus d'emprisonnement
par tranche de 10 000 LL non versées, conformément à
l'article 54 du Code pénal. L'accusé est condamné à
verser la somme de 600 000 LL à titre de dommages-intérêts
au demandeur. Jugement susceptible d'appel publié à Beyrouth, 8
mars 2007. Juge :
Hani El Hajjar. ». La Cour d'appel de Beyrouth
|
1033
|
a rendu sa décision dans l'affaire Georges
|
246
Khalil Roufayel contre ministère public et M. Jomaa
Sayyid Salem Ahmad n° 418/2007 en date 13/12/2012 et déclare
recevable l'appel formé par l'appelant Georges Khalil Roufayel en ce qui
concerne la peine seulement en remplaçant 15 jours d'emprisonnement (et
300 milles livres libanaises d'amende qui équivalent à 150 euros)
par 400 milles livres libanaises d'amende seulement. Donc, la cour d'appel de
Beyrouth a réduit la peine prononcée par le juge unique qui
était de 15 jours d'emprisonnement par une amende.
Plusieurs facteurs ont contribué à ce jugement
honteux qui concerne cette grave infraction qu'est la torture flagrante dont le
juge unique pénal puis la Cour d'appel ont été convaincus
qu'elle avait été commise puisqu'ils ont condamné le
défendeur Georges Khalil Roufayel. Mais la peine n'a pas
été proportionnelle à la gravite de l'infraction. Les
lacunes ou les faiblesses de la législation libanaise sont sans doute
une des causes de ce jugement. Le Code
pénal libanais doit être réformé pour
contenir une définition claire et précise de la torture
conforme à l'article 1er de la Convention des Nations
unies contre la torture qui a été ratifiée
par le Liban. De surcroît, le Code pénal libanais
doit prévoir des peines proportionnelles avec
la gravité de ce crime de torture et doit dans ce genre
d'infraction supprimer la
|
|
liberté du juge
|
dans la substitution et la réduction de peine. Il est
regrettable que l'on constate encore aujourd'hui en droit libanais
l'incapacité ou le manque d'empressement de la police, du
ministère public, des tribunaux et même de la
société et de l'Ordre des avocats de Beyrouth et de Tripoli
dès qu'il s'agit de mener des enquêtes exhaustives sur des
violations des droits humains impliquant des agents de la force publique et
d'en poursuivre les auteurs présumés. Il est regrettable aussi
que les peines soient sans commune mesure avec la gravité des
infractions. Les victimes au Liban qui ont subi de la torture de la part d'un
agent de la force publique n'avaient pas l'intention de porter plainte, car ils
considéraient que les dispositifs d'enquête sur les plaintes
étaient inéquitables et, partant, inefficaces. Le jugement de 8
mars 2007 en est une preuve flagrante. De nombreuses personnes ne voient pas
l'intérêt de porter plainte dans un État et notamment
devant une justice libanaise qui ne respecte pas la dignité
1033 Constituée du président M.
Tannous Mechleb et M. Albert Koyoumji (conseiller), Mme Faten Iissa
(conseillère).
de la personne. À notre avis, si le législateur
libanais veut réellement respecter les obligations découlant des
traités internationaux qui lui imposent de prohiber la torture et les
autres mauvais traitements dans la recherche de preuve pénale, il doit
prendre des mesures pour réformer ses mécanismes d'enquête
sur les allégations de violations des droits humains. Le respect de
cette obligation exige notamment que les autorités concernées
mènent sans délai une enquête exhaustive, impartiale et
indépendante sur toute allégation plausible de violations de ces
droits, ou dès qu'il y a lieu de croire qu'une telle violation a
été commise. Enfin, il leur incombe de faire en sorte que les
auteurs présumés de ces agissements soient jugés dans le
cadre d'une procédure équitable et que la victime
bénéficie d'un recours utile et obtienne réparation.
En droit français, M. Frédéric Desportes
et Mme Laurence Lazerges-Cousquer affirment
. MM. Jacques
1034
que « les violences exercées pour arracher des
aveux sont prohibées »
Buisson et Serge Guinchard confirment qu'en droit
français la violence sous tous ses aspects est absolument interdite
« la violence sous toutes ses formes, physique ou morale, est
évidemment prohibée dans la recherche des
preuves, de manière absolue...» 1035 . En droit
français, l'article 3 de la Convention EDH a contribué largement
à l'interdiction des violences pour obtenir l'aveu en matière de
preuve pénale. MM. Philippe Conte et Patrick Maistre du Chambon
rappellent aussi que « sont interdits, tous les procédés
contraires à la dignité de la
justice ou de l'homme »
|
1036
|
; et ensuite qu'« on ne peut donc fonder une
décision sur des aveux
|
obtenus par la violence, par la torture ou par des
traitements inhumains et dégradants, par la
narco-analyse (sérum de verite) ...»
|
1037
|
. L'extorsion d'aveux sous la torture constitue une
|
247
violation de la Convention contre la torture ratifiée par
le Liban et la France, et notamment
173. Les différents types de contraintes. On
peut distinguer deux types de contraintes : la contrainte physique et la
contrainte morale. Il a été interdit d'obliger l'accusé
à témoigner contre lui-même, c'est le principe selon lequel
l'individu possède le droit de ne pas participer à sa propre
incrimination, et ceci a notamment pour finalité de protéger
l'accusé contre une
1034 F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer,
Traité de procédure pénale, 3e
éd., Economica, 2013, n° 281, p. 184. 1035 S.
Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, 9e
édition, LEXIS NEXIS/LITEC, 2013, n° 585, p. 588. 1036
Ph. Conte et P. Maistre Du Chambon, Procédure
pénale, 4e éd., Armand Colin, 2002, n° 66,
p. 41. 1037 Ph. Conte et P. Maistre Du Chambon,
Procédure pénale, 4e éd., Armand
Colin, 2002, n° 66, p. 41.
1038 L'article 12 de la Convention contre la
torture dispose : « tout État partie veille à ce que les
autorités compétentes procèdent immédiatement
à une enquête impartiale chaque fois qu'il y a des motifs
raisonnables de croire qu'un acte de torture a été commis sur
tout territoire sous sa juridiction».
coercition abusive de la part des autorités et
empêche les autorités de mener toute forme de coercition, que ce
soit d'une manière directe ou indirecte, physique ou psychologique. Il
est également interdit d'utiliser la torture, et les traitements cruels,
inhumains et dégradants. Aussi, tout traitement qui viole les droits des
détenus à être traités d'une manière qui
assure le respect de leur dignité inhérente à leur
personne en vertu de leur appartenance à la famille humaine, est
prohibé. Il est également interdit d'imposer des sanctions
judiciaires à l'accusé pour l'obliger à avouer. Dans ce
même contexte, il est irrecevable de recourir à des moyens
illégaux pour obliger le défendeur à parler, ou bien lui
arracher des aveux contre sa
volonté
|
1039
|
. Cependant, ces actes illégaux peuvent constituer un
crime de torture, ou
|
248
d'utilisation de la cruauté, ce qui expose son auteur
à des sanctions. M. Robert Vouin affirme qu'on ne peut pas
étudier l'aveu comme preuve en matière pénale sans
rappeler immédiatement l'existence d'une autre institution de la
procédure criminelle : l'interrogatoire qui provoque l'aveu. Et
l'interrogatoire, à son tour, évoque nécessairement le
souvenir de la torture 1040 . De ce qui précède, on peut conclure
à l'importance de l'aveu obtenu lors d'un interrogatoire et la
nécessité de réaliser l'interrogatoire dans le respect de
toutes les garanties importantes et fondamentales du droit à un
procès équitable, c'est-à-dire les garanties suffisantes
contre toute forme de contrainte qui peut exister durant l'interrogatoire pour
provoquer l'aveu 1041 . Sans doute, un équilibre doit être
préservé entre l'efficacité de la procédure qui
tend à rechercher les preuves et les garanties légales qui
doivent exister dans la
1042
recherche des preuves.
1039 V. Rapport de M. Alfredo Molinario,
« L'aveu dans la procédure pénale » in R.I.D.C.,
Vol. 4, n° 4, octobre-décembre 1952, pp. 769-776, V. spec.
p.774 : « Une opinion souvent inexacte sur la valeur probatoire de
l'aveu, ont poussé les polices de toutes les époques et de tous
les lieux à se servir de la violence, pour obtenir un aveu de
culpabilité de la part des inculpés ».
1040 Rapport de M. Robert Vouin, «
L'aveu dans la procédure pénale » in R.I.D.C., Vol.
4, n° 4, octobre-décembre 1952, pp. 781-788, V. spec. p. 781.
1041 V. J. Magnol, « L'aveu dans la
procédure pénale », (Rapport oral) in R.I.D.C.,
Vol. 3, n° 3, juillet-septembre 1951, pp. 516-541, V. spec. p. 518 :
« On voit par suite l'importance et le danger de l'interrogatoire,
particulièrement au cours de l'instruction préparatoire. De
là, la nécessité dans l'intérêt de la
défense de soumettre cet interrogatoire à des règles qui
en assurent la loyauté et l'absence de contrainte, puisque l'aveu qui
pourrait en résulter ne saurait avoir de valeur, nous ne saurions assez
y insister, que s'il a été fait consciemment et en toute
liberté ».
1042 J. Magnol, « L'aveu dans la
procédure pénale », (Rapport oral) in R.I.D.C.,
Vol. 3, n° 3, juillet-septembre 1951, pp. 516-541, V. spec. p. 518 :
« Toutefois ces garanties ne doivent pas être telles qu'elles
aboutissent à entraver la manifestation de la vérité, et
la preuve de la culpabilité de l'inculpé si elle existe, sans
quoi, dans cette conciliation nécessaire des exigences de la
défense sociale et des garanties de la défense, qui est le grand
problème de tout système de procédure pénale, si la
mesure est dépassée au profit de l'accusé ».
174.
249
Les formes de contrainte pour obtenir des aveux. La
détention préventive peut parfois prendre la forme d'un moyen de
pression sur le défendeur pour l'obliger à faire des aveux : le
passage à tabac, ou l'agression pratiquée sous quelques formes
que ce soit, sur le corps de l'accusé, aussi bien que l'arrestation et
l'emprisonnement d'une manière illégale, causer la douleur et la
fatigue, comme exposer le visage de l'interrogé a un éclairage
très intense, ou maintenir la personne debout pendant une longue
période, ou le perturber par des sons forts, ou le priver de nourriture
et d'eau. Tout ceci représente des formes de contraintes. Employer la
contrainte pour faire avouer l'accusé, que ce soit une contrainte
physique ou morale, rend l'aveu invalide, et il ne peut dans ce cas produire
ses conséquences juridiques. M. Elias Abou-Eid confirme que la
coercition peut être physique ou morale, et que la coercition physique
suppose l'exercice de la force sur le corps de l'accusé, pour le forcer
à dire ce qu'il ne voulait
1043
pas dire.
175. Notre avis sur l'impact de la violence ou la
contrainte physique sur la volonté. En général, la
violence ou la contrainte physique paralyse la volonté de
l'accusé par une force qui ôte sa volonté et devant
laquelle il ne peut pas résister, et qui consiste dans la torture, la
pire forme de coercition que l'accusé peut encourir et qui rend son aveu
invalide 1044 . La contrainte physique supprime donc la volonté de
l'individu et l'oblige à avouer. Du point de vue général,
nous avons tendance à considérer que la contrainte physique qui
est réalisée avec n'importe quel degré de violence doit
avoir comme conséquence la nullité de l'aveu, tant qu'elle peut
porter préjudice à l'intégrité du corps,
indépendamment du fait qu'elle cause ou non des
1045
souffrances physiques.
176. L'utilisation de la violence pour obtenir des aveux.
Les éléments de preuve obtenus par suite du recours à
la torture notamment les déclarations ou aveux obtenus par la torture
doivent être rejetés par le juge du fond comme l'affirme Mme
Haritini Matsopoulou : « ... les déclarations ou aveux qui
seraient obtenus grâce à des moyens inhumains ou de torture ne
peuvent, en aucune façon, être retenus par les juges du fond. Ces
méthodes violent à la fois l'article 3 de la Convention
européenne des droits de l'homme, ainsi que l'article 10 du
1043 Le droit de ne pas contribuer à sa
propre incrimination.
1044 V. sur ce point en langue arabe : S. Sadek
Al-Mulla, L'aveu de l'accusé, 2ème
édition, 1975, p. 197.
1045 V. en ce sens en langue arabe : S.
Al-Shawi, Les principes de l'enquête criminelle, Baghdâd
(Irak), 1972, p. 136.
1046
.
250
décret du 18 mars 1986 portant Code de
déontologie de la Police nationale » Incontestablement, la
torture ne peut être tolérée en aucune circonstance afin de
rechercher la preuve pénale. Parmi les formes les plus importantes de la
contrainte physique, on distingue l'usage de la violence pour contraindre
l'accusé à avouer son crime. On peut définir la violence
par un acte direct que subit la personne et par lequel on porte
préjudice à son corps. L'acte de violence est une agression faite
dans le but de dominer la personne et de lui ôter définitivement
sa volonté. Il paralyse la liberté de choix et l'affecte d'une
manière relative, et lui laisse la possibilité de s'exprimer,
sans pour autant dire ce qu'il souhaite dire. Dans les deux cas, la
procédure devient nulle et non avenue. Ainsi, l'aveu qui en
découle devient invalide et ne peut être invoqué dans la
preuve. On distingue plusieurs méthodes de torture : 1° :
Exposition de la victime à des coups, blessures, ligotage, menottage
serré et enchaînement ; 2° : Privation de nourriture et d'eau
; 3° : Privation de sommeil pendant de longues heures ; 4° :
Privation de couverture ; 5° : Privation de médicaments, si
l'accusé est
malade. Le Code pénal libanais considère
|
1047
|
que l'extraction d'une admission ou des
|
informations, constitue un crime, et ce, en
référence aux dispositions de l'article 401du Code
1048
pénal libanais. Ce qu'il y a de plus grave avec la
torture est le fait que l'État soit impliqué, alors qu'il est
censé être chargé de protéger les droits et les
individus.
1049
177. La définition de la torture. La torture
est un crimeet une violation grave des droits de l'homme, et c'est une preuve
de l'échec et de l'incapacité de l'enquêteur d'arriver
à un résultat, ou à des preuves solides compatibles avec
les dispositions de la loi, et par des méthodes légales.
L'interdiction de la torture 1050 compte parmi les droits absolus qui ne
peuvent supporter aucune restriction. De ce fait, aucune valeur juridique ne
doit être donnée
1046 H. Matsopoulou, Les enquêtes
de police, Thèse de droit, L.G.D.J., Paris, 1996, n° 878, p.
711 ; l'article 10 du décret du 18 mars 1986 portant Code de
déontologie de la Police nationale dispose: « toute personne
appréhendée est placée sous la responsabilité et la
protection de la police ; elle ne doit subir, de la part des fonctionnaires de
police ou de tiers, aucune violence ni aucun traitement inhumain ou
dégradant ».
1047 L'article 401 du Code pénal
libanais, qui punit la pratique de la torture d'une peine allant de 3 mois
à 3 ans, interdit le recours à la torture et prévoit des
sanctions contre les représentants de l'État reconnus coupables
de torture ou d'autres formes de mauvais traitements.
1048 L'article 401 du Code pénal
libanais prévoit des sanctions pénales pour l'extorsion d'aveux
par usage de la violence: « Celui qui soumet une personne à
toute forme de souffrance prohibée par la loi, désireux d'obtenir
des aveux ou des informations liés à un crime ; est puni de trois
mois à trois ans de réclusion criminelle. Dans le cas où
ces actes de violence ont engendré une maladie ou des blessures, la
peine minimale serait d'une année ».
1049 V. sur la torture : A. Mellor, La
torture: son histoire, son abolition, sa réapparition au XXe
siècle, Horizons littéraires, 1949.
1050 V. sur la torture : C. Jallamion, «
Entre ruse du droit et impératif humanitaire : la politique de la
torture judiciaire du XIe au XVIIIe siècle », in
Arch.pol.crim., Éditions A. Pédone, 2003/1, n° 25,
pp. 9-35.
aux preuves obtenues à la suite d'actes de torture. La
torture est le fait d'infliger une douleur ou des souffrances aiguës, que
ce soit physiques ou mentales, à une personne, avec le consentement d'un
agent public, appartenant à la police judiciaire, avec l'intention bien
déterminée d'obtenir des informations ou des aveux. La torture
physique est un acte ou une abstention qui aurait une incidence sur la
sécurité du corps ou sur la vie de la victime, dans le but de
l'inciter à avouer. Donc, la torture matérielle ou physique est
infligée au corps de la
1051
victime et lui cause un préjudice physiquement
tangible
|
. La torture est un moyen illégal
|
1052
|
d'obtenir l'aveu en matière pénale. La torture
est un acte qui tend à faire souffrir le prévenu de
manière à lui faire craindre des souffrances plus grandes pour le
forcer à dire la vérité ou non sous la forme d'un aveu.
Certains définissent la torture comme: un abus grave, et un acte brutal
ou violent. D'autres, parmi la doctrine française la qualifient d'
«agressions graves qui
peuvent inclure la privation de nourriture, de
vêtements ou de sommeil »
|
1053
|
. Certains, parmi
|
la doctrine arabe soutiennent que la violence de la torture
doit entraîner un préjudice grave, un acte violent ou barbare
infligé à l'accusé dans le but de lui causer des ennuis
pour le conduire
à avouer
|
1054
|
. Contrairement à cette première tendance,
d'autres disent que la violence n'a pas
|
251
à atteindre un certain degré de gravité -
et c'est la tendance que nous soutenons. Ainsi, toute forme de torture, qu'elle
soit grave ou non, affecte la volonté de celui qui admet, la rend non
libre et la frappe de défectuosité 1055 . Par
conséquent, certains décrivent la violence comme l'action brutale
envers quelqu'un, que ce soit une agression physique ou morale, et quel que
soit le degré de gravité. Ainsi, le terme torture inclut diverses
situations. On distingue les coups, les blessures, l'utilisation de
chaînes, l'exposition à l'air, la privation de nourriture ou
1051 V. en langue arabe : O. Al-farouk
Al-husseini, La torture de l'accusé pour l'emmener à avouer,
le crime et la responsabilité, l'Imprimerie Arabe Moderne, 1986,
pp. 134 et s.
1052 A. Mecheri, « La lutte contre la
torture au Maghreb », in R.T.D.H., 2004, numéro 59, Vol.
15, pp. 791-817, v. spec. p. 793 : « Bénéficiant d'une
intangibilité absolue, le droit à l'intégrité
physique et morale de la personne humaine, contrairement au droit à la
vie, ne peut souffrir aucune dérogation ».
1053 M. Rousselet et M. Patin, précis
de droit pénal spécial, Paris, 1945, p. 380. 1054
V. en langue arabe : S. Sadek Al-Mulla, L'aveu de
l'accusé, 1986, p. 402.
1055 La torture selon l'article premier de la
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants (New York, 10 décembre 1984, signée par la
France en 4 février 1985 et ratifiée 18 février 1986,
l'adhésion du Liban le 5 octobre 2000) est définie de la
manière suivante: « Aux fins de la présente Convention,
le terme torture désigne tout acte par lequel une douleur ou des
souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement
infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou
d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte
qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir
commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire
pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une
forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de
telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique
ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son
instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne
s'étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant
uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces
sanctions ou occasionnées par elles ».
de sommeil, et ainsi de suite 1056 . Certains estiment que la
torture est tout acte d'agression ou
d'abus infligé par un agent public sur le corps de
l'accusé pour le contraindre à avouer, quel
que soit le type d'agression, physique ou morale, grave ou non
grave
|
1057
|
. Un autre point de
|
vue a ajouté que la notion de torture n'a pas besoin
d'atteindre un certain degré de gravité, et nous soutenons cette
thèse qui n'exige pas une certaine intensité de la torture
physique, étant donné que cet aveu illégal est
qualifié d'invalide et par conséquent ne peut pas produire ses
effets juridiques. Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
(TPIY), a précisé la notion de torture dans son jugement rendu le
10 décembre 1988 dans l'affaire Furundúija en jugeant que la
torture est « le fait d'infliger intentionnellement par un acte ou une
omission, une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales,
aux fins d'obtenir des renseignements ou des aveux, ou de punir, intimider,
humilier ou contraindre la victime ou une tierce personne ou de les discriminer
pour quelque raison que ce soit. Pour qu'un tel acte constitue un acte de
torture, l'une des parties doit être responsable officielle ou doit, en
tout cas, ne pas agir à titre privé, mais par exemple en tant
qu'organe de fait d'un État ou de
1058
toutes autres entités investies d'un pouvoir
»
. En droit libanais, il est difficile de trouver
252
une définition de la torture parce que la juriprudence
libanaise est vide dans cette matière parce que, malheuresement, les
allégations de torture ne font pas l'objet d'enquête lorsque les
affaires sont jugées et de nombreux juges prononcent sans
hésitaton des condamnations sur la base d'éléments de
preuve illegaux obtenus sous la torture. L'absence de notion de torture dans la
doctrine et la jurisprudence libanaises est remarquable alors que la torture et
la pratique de traitements cruels, inhumains et dégradants sur des
personnes arrêtées en garde à vue et
incarcérées dans les prisons libanaises sont des pratiques
courantes selon les rapports des associations qui défendent les droits
de l'homme. Par conséquent, on a eu recours à la jurisprudence
égyptienne parce que le droit pénal libanais est influencé
par la doctrine et la jurisprudence égyptiennes. Voyons donc quelques
définitions relatives à la notion de torture qu'on a pu trouver
dans la jurisprudence égyptienne. La Cour criminelle égyptienne
de Tanta, dans sa décision rendue le 28 juin 1927, a défini la
torture comme une «violence cruelle qui fait son effet et affaiblit la
volonté du torturé et le pousse à accepter le fléau
de l'aveu pour se
1056 V. en langue arabe : A. Khalil,
L'aveu de l'accusé, dans la juridiction et la jurisprudence, Dar
Annahdha Al-Arabia, 1991, p. 402.
1057 V. en langue arabe : O. Al-farouk
Al-husseini, La torture de l'accusé pour l'emmener à avouer,
le crime et la responsabilité, l'Imprimerie Arabe Moderne, 1986, p.
134.
1058 Affaire n° : IT-95-17/1-T.
délivrer »
1059
. C'est à notre avis une définition très
exagérée de la torture qui laisse beaucoup
de cas échapper à la définition, et qui
ne peut être acceptée comme norme dans le domaine de l'aveu sous
la pression de la torture. Dans une autre approche de la notion de la torture
en vue de contraindre l'accusé à avouer, la torture est
définie comme une agression faite sur l'accusé ou un
préjudice physique ou moral causé sur sa personne. Selon cette
définition, la torture est une forme de violence ou de coercition.
Ainsi, la torture physique recouvre : les coups, les blessures, le fait
d'attacher l'accusé avec des chaînes, de l'emprisonner, de
l'humilier, de le priver de nourriture ou de sommeil, ainsi que d'autres formes
d'abus et de privations. Il n'est néanmoins exigé aucun
degré précis de gravité de la torture physique ou mentale,
tant qu'elle est employée pour l'humiliation de l'individu et pour le
contraindre à faire des aveux.
En France, les actes de torture sont sanctionnés
à l'article 222-1 du Code pénal français qui énonce
que « le fait de soumettre une personne à des tortures ou
à des actes de barbarie est puni de quinze ans de réclusion
criminelle » Donc, les actes de torture constituent des
1060
infractions et sont considérés parmi les causes
d'aggravation de la peine au regard de droit
pénal français. Le problème c'est que les
actes de torture ne sont pas précisément définis en droit
français. Sans doute, cette absence de définition claire en droit
français ne constitue pas un obstacle sérieux aux poursuites. Le
Comité contre la torture s'est toutefois déclaré
préoccupé par l'absence d'intégration dans le Code
pénal français d'une définition de la torture strictement
conforme à l'article premier de la Convention contre la torture et
autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants :
« 13. Tout en reconnaissant le fait que la législation
pénale de l'État partie incrimine les actes de torture ainsi que
les actes de barbarie et de violence, et prenant acte des
éléments jurisprudentiels relatifs à l'incrimination des
actes de torture qui ont été portés à son
attention, le Comité demeure préoccupé par l'absence
d'intégration, dans le Code pénal français, d'une
définition de la torture qui soit
strictement conforme à l'article premier de la
Convention. (Article 1er) »
|
1061
|
. Il est
|
253
remarquable que la loi pénale en France
établisse une distinction entre les actes de torture et les violences en
fonction de la gravité de l'acte 1062 . Cette distinction se
vérifie dans la
1059 La décision de la cour criminelle
de Tanta, séance du 28 Juin 1907, recueil officiel de l'année 28,
n° 115, p. 210.
1060 L'article 222-2 du Code pénal
français énonce que « L'infraction définie
à l'article 222-1 est punie de la réclusion criminelle à
perpétuité lorsqu'elle précède, accompagne ou suit
un crime autre que le meurtre ou le viol. Les deux premiers alinéas de
l'article 132-23 relatif à la période de sûreté sont
applicables à l'infraction prévue par le présent article
».
1061 Comité contre la torture,
quarante-quatrième session 26 avril - 14 mai 2010.
1062 V. dans le même sens : C. Copain,
L'encadrement de la contrainte probatoire en procédure pénale
française, Thèse de droit, Université Lyon 3, 2011,
n° 767, p. 332 : « Le droit interne distingue les tortures et les
violences en fonction de la gravité des souffrances infligées et
de l'intention de l'auteur. ».
détermination des peines encourues, qui sont plus
importantes lorsque l'auteur est un agent public. Les tortures sont passibles
de peine criminelle, alors que les violences seront, selon les
1063
circonstances, soit des crimes, soit des délits
. Bien qu'il n'existe pas en droit français de
définition du crime de torture
|
1064
|
, rien n'empêche les juges français d'avoir
recours à l'article
|
1066
. Le
254
1 de la Convention des Nations unies, qui est ratifiée
par la France, afin d'interpréter des faits susceptibles d'être
analysés en actes de torture. 1065 En ce qui concerne la notion de
torture en droit français, Mme Annabelle Le Sauce constate que
« la notion de torture est floue »
19 janvier 1996, la chambre d'accusation de Lyon a
considéré que « les tortures ou actes de barbarie
supposent la démonstration, et d'un élément
matériel consistant dans la commission d'un ou plusieurs actes d'une
gravité exceptionnelle qui dépassent de simples violences et
occasionnent à la victime une douleur ou une souffrance aiguë, et
d'un élément moral
1067
.
consistant dans la volonté de nier dans la victime
la dignité de la personne humaine »
Mme Carine Copain constate qu'« une telle
définition, inspirée des critères internationaux, renvoie
à une appréciation in concreto de la souffrance infligée
à la victime. Quant à l'élément moral, au regard de
cette décision, il semble qu'il s'agisse d'un dol spécial,
l'auteur
de tortures ayant eu la volonté de nier la
dignité »1068.De même, Mme
Annabelle Le Sauce souligne qu' « on constate alors que, bien que
l'élément matériel soit particulièrement
précis
1063 V. articles 222-7 à 222-16-3 du Code
pénal français.
1064 V. sur ce point en droit français
: C. Copain, L'encadrement de la contrainte probatoire en procédure
pénale française, Thèse de droit, Université
Lyon 3, 2011, n° 768, p. 332 : « le droit interne ne donne pas
plus de définition de ces actes que la Convention européenne des
droits de l'homme. ».
1065 V. sur la définition de torture
en droit français : M. Doucin (France) Comité contre la torture,
trente-cinquième session, Compte rendu analytique partiel de la
première partie (publique), de la 684e séance tenue au Palais des
Nations, à Genève, le vendredi 18 novembre 2005, à 15
heures, Président : M. Mariño Menéndez, examen des
rapports présentés par les États parties en application de
l'article 19 de la Convention, Troisième rapport périodique de la
France: «4. selon la jurisprudence, la torture consiste en des actes
de barbarie prenant la forme d'un ou plusieurs actes d'une gravité
exceptionnelle dépassant de simples violences et occasionnant à
la victime une douleur ou une souffrance aiguë, avec la volonté de
nier dans la victime la dignité de la personne humaine. Le
système juridique français étant moniste, la prise en
compte directe des instruments internationaux s'impose aux juges, et la
Convention est régulièrement prise en considération par
les tribunaux. Quant aux actes de violence commis par un agent public qui ne
seraient pas qualifiés d'actes de torture du fait de leur moindre
gravité, ils sont visés par l'article 222-12 du Code pénal
et passibles de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Il est
à souligner que cette distinction entre actes commis par des agents
publics qualifiés soit de torture, soit de violences simples est
également faite par la Cour européenne des droits de l'homme.
Ainsi, la France, qui considère que les faits de gravité moindre
doivent faire l'objet de sanctions pénales a donc une
interprétation de l'article premier de la Convention qui est très
proche des recommandations du Comité ».
1066 A. Le Sauce, Le corps humain en
droit criminel, Master de droit pénal et sciences pénales,
Université Panthéon - Assas, 2010, p. 23.
1067 Lyon, ch.acc., 19 janv.1996.
1068 C. Copain, L'encadrement de la
contrainte probatoire en procédure pénale française,
Thèse de droit, Université Lyon 3, 2011, n° 769, p.
332.
255
et attentatoire au corps, il ne suffit pas. Il faut en
plus un élément intentionnel dépassant la simple
connaissance et volonté de l'acte, ce que certains qualifient de
«dol spécial» (en
1069
.
l'espèce, la volonté de nier la
dignité de la personne humaine) »
178. Le degré de violence qui frappe l'aveu de
nullité. La contrainte physique se matérialise par n'importe
quel degré de violence, et peut ainsi frapper l'aveu obtenu de
nullité, tant qu'il y a un préjudice qui touche la
sécurité et l'intégrité du corps humain, et cela
indépendamment du fait qu'il ait généré ou non des
souffrances et des maux. La contrainte physique est considérée
comme une violence et par conséquent l'aveu qui en découle est
qualifié d'invalide parce que c'est une preuve illégale. On cite
en l'occurrence : le fait d'arracher les cheveux ou la moustache de
l'accusé, de lui cracher dans la figure, de couvrir son corps d'huile
sale ou de produits malsains, de tirer très fort ses vêtements et
les déchirer, ou de l'agresser et le pousser très fort. La
reconnaissance obtenue par la violence indirecte est invalide, c'est la
violence par abandon ou délaissement, comme priver l'accusé de
contacter sa famille, ou lui mettre une nourriture pour une semaine dans sa
cellule, la privation de cigarettes, ou maintenir l'accusé dans
l'obscurité pendant plusieurs jours avant l'interrogatoire 1070 . La
contrainte peut être aussi réalisée quand la personne
contrainte est obligée d'agir par peur qu'on mette en application les
menaces avancées. Il est opportun d'ajouter à ce sujet que le
degré de coercition et le degré de son impact sur la
volonté de la personne varient d'une personne à une autre, et
donc on mesure le côté personnel dans le domaine de la
détermination du degré de coercition. Aussi, il est à
préciser que nous ne soutenons pas l'approche de la jurisprudence et de
la juridiction, qui exigent que l'abus ou l'agression portée sur
l'accusé doit être grave, barbare, ou cruelle, pour que l'acte
soit considéré comme acte de torture dans le domaine de l'aveu,
alors que nous sommes en accord avec l'approche qui n'exige pas un certain
degré de gravité, de brutalité, ou de cruauté dans
la torture. Nous répondons à ce point de vue en disant que
l'ampleur du préjudice ou de l'abus n'est pas adaptée pour
être un critère de distinction, dans la mesure où tout
degré de torture pouvant affecter la volonté de l'accusé
et le désorienter, ou destiné à le faire passer aux aveux
est considéré comme une torture de l'accusé pour le forcer
à avouer. La violence exercée sur l'accusé peut être
minime, en revanche, elle peut produire des effets néfastes physiques et
psychologiques sur la personne l'ayant subi et peut menacer la
sécurité de son corps. Nous
1069 A. Le Sauce, Le corps humain en
droit criminel, Master 2 de droit pénal et sciences pénales,
Université Panthéon - Assas, 2010, p. 15.
1070 V. en langue arabe : J. Mohammed
Mostapha, « Reconnaissance de l'accusé- aveu résultant de
l'utilisation des moyens de ruse et de tromperie », in Journal arabe
de la jurisprudence et de la magistrature, n° 25, pp. 360380, V.
spec. p. 369.
soutenons entièrement l'avis qui considère qu'il
n'est pas exigé dans la violence physique un certain degré de
gravité et l'affaire est laissée à la juridiction locale
qui doit l'évaluer en tenant compte des circonstances de l'affaire. Sur
la base de ce qui précède, nous définissons la torture
comme tout acte positif, ou négatif, ou une abstention qui peut porter
préjudice à la victime, qu'il s'agisse d'un abus physique ou
moral, grave ou non, et qui le pousse à avouer.
179. La notion de torture et traitements inhumains ou
dégradants dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l'homme et leur effet en droit français. Sans doute, la notion
de torture n'a pas une définition exacte et complète et n'est pas
une notion précise et
1071
stable
|
. Sur la base de l'article 3 de la Convention EDH
|
1072
|
qui se trouve encore repris par
|
des termes similaires dans l'ensemble des instruments
internationaux de protection des droits
de l'homme
|
1073
|
, la Cour de Strasbourg a contribué efficacement
à la protection des droits de
|
256
l'homme et des droits fondamentaux par le renforcement de la
protection contre la torture et des traitements inhumains ou dégradants
. Sa jurisprudence concernant la notion de torture était basée au
début sur le seuil de gravité. Ceci implique que la Cour impose
aux actes une certaine gravité pour être constitutifs de torture
et aussi la notion de torture selon la jurisprudence de la Cour
européenne nécessite un seuil de gravité à
atteindre pour entrer dans le champ de l'article 3 de la Convention
européenne des droits de l'homme. C'est ce que nous montre l'arrêt
de cette Cour rendu le 18 janvier 1978 dans l'affaire Irlande c/ Royaume-Uni
§167 : « Pour déterminer s'il y a lieu de qualifier aussi
les cinq techniques de torture, elle doit avoir égard à la
distinction, que comporte l'article 3 (art. 3), entre cette notion et celle de
traitements inhumains ou dégradants. A ses yeux, cette distinction
procède principalement d'une différence dans l'intensité
des souffrances infligées. La Cour estime en effet que s'il
1071 Selon l'article 1 de la Convention des
Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants (CCT) : « Aux fins de la
présente Convention, le terme "torture" désigne tout acte par
lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont
intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment
d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de
la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est
soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression
sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour
tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle
soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées
par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à
titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement
exprès ou tacite. Ce terme ne s'étend pas à la douleur ou
aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes,
inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles
».
1072 L'article 3 de la Convention
européenne des droits de l'homme dispose: « Nul ne peut
être soumis à la torture ni à des peines ou traitements
inhumains ou dégradants ».
1073 L'article 7 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies de 1966 dispose:
« Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est
interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une
expérience médicale ou scientifique ».
existe d'un côté des violences qui, bien que
condamnables selon la morale et très généralement aussi le
droit interne des États contractants, ne relèvent pourtant pas de
l'article 3 (art. 3) de la Convention, il apparaît à
l'opposé que celle-ci, en distinguant la "torture" des "traitements
inhumains ou dégradants", a voulu par le premier de ces termes marquer
d'une spéciale infamie des traitements inhumains
délibérés provoquant de fort
graves et cruelles souffrances »
|
1074
|
. Il est indéniable, qu'il y a eu une évolution
de la
|
257
jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme à propos de la notion de torture. « La Cour
européenne des droits de l'Homme a d'ailleurs renforcé la
protection des personnes en donnant des notions de torture et peines ou
traitements inhumains ou dégradants une interprétation
compréhensive, par un revirement de sa jurisprudence (arrêt CEDH
27 novembre 1992, Thomasi c/ France), en considérant que ces notions
s'appliquaient à toute violence physique, quel qu'en soit la forme ou le
degré, une sanction principalement
1075
pénale ». Dans l'affaire Ribitsch
c/Autriche rendu le 4 décembre 1995, la Cour de Strasbourg souligne qu'
« à l'égard d'une personne privée de sa
liberté, tout usage de la force physique qui n'est pas rendu strictement
nécessaire par le propre comportement de ladite personne porte atteinte
à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du
droit garanti par l'article 3 (art. 3). Elle rappelle que les
nécessités de l'enquête et les indéniables
difficultés de la lutte contre la criminalité ne sauraient
conduire à limiter la protection due à l'intégrité
physique de la personne (voir l'arrêt Tomasi c. France du 27 août
1992, série A
1076
no 241-A, p. 42, par. 115) »
. Malheureusement, la Cour européenne des droits de
l'homme
1077
a assoupli sa position en se reposant à nouveau sur le
critère du seuil de gravité comme le
souligne M. Jacques Buisson, « elle paraît
être revenue quelque peu sur cette position, en jugeant que le mauvais
traitement doit atteindre un minimum de gravité pour tomber sous
le
1074 CEDH, 18 janvier 1978, Irlande c/
Royaume-Uni, Requête n° 5310/71.
1075 J. Buisson, « La
légalité dans l'administration de la preuve pénale »,
in Procédures, Décembre 1998, Chr. n° 14, pp. 3-6,
V. spec. p. 3.
1076 CEDH, 4 décembre 1995, Ribitsch
c/Autriche, Requête n° 18896/91, V. spec. § 38.
1077 V. sur le critère du seuil de
gravité: F. Sudre, « L'arrêt de la Cour européenne des
droits de l'homme, du 27 août 1992, Tomasi c/ France : mauvais
traitements et délai déraisonnable », in R.S.C.,
1993, p. 33: « Ce critère réside dans
l'intensité des souffrances infligées aux victimes et a une
double portée. D'une part, il permet de faire la part entre les
violences qui, n'atteignant pas le degré de rigueur requis, ne
constituent pas une violation de l'article 3 et les actes prohibés :
ainsi, dans l'affaire grecque, la Commission semble considérer comme
« normales » « certaines brutalités »
infligées aux détenus (gifles, coups) ( Rap. 18 nov. 1969, aff.
grecque, Ann p. 186.). D'autre part, il permet de distinguer entre les
traitements interdits : selon les définitions données par la
Cour, le traitement inhumain est celui qui provoque volontairement des
souffrances mentales ou physiques d'une intensité particulière
...».
coup de l'article 3 »
1078, notamment dans l'arrêt Tekin Yildiz c/
Turquie rendue le 9 juin
1998 : « La Cour estime que la situation de M.
Yýldýz, exacerbée par sa réincarcération et
son maintien en détention, a atteint un niveau suffisant de
gravité pour rentrer dans le champ
d'application de l'article 3 de la Convention
»
|
1079
|
. La Cour de Strasbourg continue à faire
|
258
preuve de tolérance en se basant sur le critère
de seuil de gravité élevé pour qualifier le fait de
violation entrant sous la notion de torture et traitement cruel, inhumain ou
dégradant visée par
l'article 3 de la Convention européenne des droits de
l'homme 1080 . Ceci se vérifie dans l'arrêt rendu le 28 juillet
1999 par cette Cour dans l'affaire Selmouni c/ France : « Dans ces
conditions, la Cour est convaincue que les actes de violence physique et
mentale commis sur la personne du requérant, pris dans leur ensemble,
ont provoqué des douleurs et des souffrances " aiguës" et
revêtent un caractère particulièrement grave et cruel. De
tels agissements doivent être regardés comme des actes de torture
au sens de l'article 3 de la
1081
Convention »
. En condamnant la France pour violation de l'article 3 de la
Convention européenne des droits de l'homme dans l'affaire Tomasi1082 et
Selmouni, la Cour de
1078 J. Buisson, « La
légalité dans l'administration de la preuve pénale »,
in Procédures, Décembre 1998, Chr. n° 14, pp. 3-6,
V. spec. p. 3.
1079 CEDH, 9 juin 1998, Tekin Yildiz c/ Turquie,
Requête n° 22913/04, spec. § 81.
1080 V. sur le seuil de gravité dans
la juriprudence de la Cour européene des droits de l'hommme : CEDH, 1
avril 2005, Rivas c/ France, Requête n° 59584/00, V. spec. §37
: « La Cour rappelle également qu'un mauvais traitement doit
atteindre un minimum de gravité pour tomber sous le coup de l'article 3.
L'appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle
dépend de l'ensemble des données de la cause et, notamment, de la
durée du traitement, de ses effets physiques et/ou mentaux ainsi que
parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la
victime. Lorsqu'un individu se trouve privé de sa liberté,
l'utilisation à son égard de la force physique alors qu'elle
n'est pas rendue strictement nécessaire par son comportement porte
atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une
violation du droit garanti par l'article 3 » ; V. encore : CEDH, 28
février 2008, Saadi c/ Italie, Requête n° 37201/06, spec.
§ 134: « Conformément à la jurisprudence constante
de la Cour, pour tomber sous le coup de l'article 3, un mauvais traitement doit
atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum est
relative ; elle dépend de l'ensemble des données de la cause,
notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou
mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de
santé de la victime (voir, entre autres, Price c. Royaume-Uni, no
33394/96, § 24, CEDH 2001-VII, Mouisel c. France, no 67263/01, § 37,
CEDH 2002-IX, et Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 67, 11 juillet
2006) ».
1081 CEDH, 28 juillet 1999, Selmouni c/
France, Requête n° 25803/94, V. spec. §105; V. encore §
100. « Autrement dit, en l'espèce, reste à savoir si les
« douleurs ou souffrances » infligées à M. Selmouni
peuvent être qualifiées d'« aiguës » au sens de
l'article 1er de la Convention des Nations unies. La Cour estime que ce
caractère « aigu » est, à l'instar du « minimum de
gravité » requis pour l'application de l'article 3, relatif par
essence ; il dépend de l'ensemble des données de la cause,
notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou
mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge, de l'état de
santé de la victime, etc » ; V. encore §102. «
La Cour a pu se convaincre de la multitude des coups portés à M.
Selmouni. Quel que soit l'état de santé d'une personne, on peut
supposer qu'une telle intensité de coups provoque des douleurs
importantes. La Cour note d'ailleurs qu'un coup porté ne provoque pas
automatiquement une marque visible sur le corps. Or, au vu du rapport
d'expertise médicale réalisé le 7 décembre 1991 par
le docteur Garnier, la quasi-totalité du corps de M. Selmouni portait
des traces des violences subies ».
1082 V. sur l'arrêt Tomasi c/ France:
F. Sudre, « L'arrêt de la Cour européenne des droits de
l'homme, du 27 août 1992, Tomasi c/ France : mauvais traitements et
délai déraisonnable », in R.S.C., 1993, p. 33:
« Qu'il soit arrêt de
Strasbourg a bien établi une frontière dans la
recherche de preuve que les autorités française ne peuvent
franchir pour obtenir la preuve, spécialement l'aveu résultant
d'un acte de torture
ou traitements inhumains ou dégradants
|
1083
|
comme le souligne M. François Fourment, «
il
|
semblera évident que la preuve, notamment les
aveux, ne peut pas être obtenue sous la torture ou d'autres traitements
inhumains ou dégradants. La Cour européenne des droits de l'homme
a cependant dû le rappeler aux autorités françaises, dans
les affaires Tomasi et
Selmouni »
|
1084
|
. Un autre arrêt rendu le 28 février 2008 par la
Cour européenne des Droits de
|
259
l'homme dans l'affaire Saadi c/ Italie vient affirmer que la
lutte contre le terrorisme international n'ouvre pas le chemin de
l'atténuation de l'interdiction de la torture ou des traitements
inhumains ou dégradants assuré par la protection absolue de
l'article 3 de la
. MM. Jean-Pierre Marguénaud et Damien
1085
Convention européenne des droits de l'homme
Roets considèrent que l'affaire Saadi c/ Italie vient
« de donner à une Grande Chambre l'occasion de rappeler
clairement et hautement que les exigences de la lutte contre le terrorisme
international ne sauraient justifier la moindre relativisation des
interdictions
circonstance ou véritable décision de
principe marquant l'abandon des critères anciens d'appréciation
des mauvais traitements, l'arrêt Tomasi atteint un double but. D'une
part, cette décision a l'incontestable mérite d'assouplir
nettement les conditions d'application de l'article 3 et, partant,
d'élargir le champ de protection de cette disposition. La leçon
est claire : l'usage de la force physique sur une personne privée de
liberté est inacceptable dans une société
démocratique».
1083 V. J.-P. Marguénaud, « La
dérive de la procédure pénale française au regard
des exigences européennes », in D., 2000, p. 249:
« Contrairement à ce que pourrait laisser croire la
condamnation pour tortures policières, il ne faut pas comprendre que le
système français abaisse chaque année un peu plus le
niveau d'exigence en matière de protection des droits fondamentaux, il
faut entendre qu'il a de plus en plus de difficultés à
échapper aux condamnations pour violation des droits de l'homme parce
que la CEDH élève chaque année un peu plus ce niveau
d'exigence. L'ampleur de la dérive ainsi entendue dépend à
l'évidence des efforts que les autorités normatives
françaises sont prêtes à consentir pour suivre le rythme
imposé par la Cour de Strasbourg ».
1084 F. Fourment, Procédure
pénale, 14e édition, Larcier, 2013, n° 74,
p. 56.
1085 V. CEDH, 28 février 2008, Saadi
c/ Italie, Requête n° 37201/06, spec. § 127 : «
L'article 3, qui prohibe en termes absolus la torture ou les peines ou
traitements inhumains ou dégradants, consacre l'une des valeurs
fondamentales des sociétés démocratiques. Il ne
prévoit pas de restrictions, en quoi il contraste avec la
majorité des clauses normatives de la Convention et des Protocoles nos 1
et 4, et il ne souffre nulle dérogation d'après l'article 15
même en cas de danger public menaçant la vie de la nation (Irlande
c. Royaume-Uni, arrêt du 8 janvier 1978, série A no 25, §
163, Chahal précité, § 79, Selmouni c. France [GC], no
25803/94, § 95, CEDH 1999-V, Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97,
§ 59, CEDH 2001-XI, et Chamaïev et autres c. Géorgie et
Russie, no 36378/02, § 335, CEDH 2005-III). La prohibition de la torture
ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants étant
absolue, quels que soient les agissements de la personne concernée, la
nature de l'infraction qui était reprochée au requérant
est dépourvue de pertinence pour l'examen sous l'angle de l'article 3
(Indelicato c. Italie, no 31143/96, § 30, 18 octobre 2001, et Ramirez
Sanchez c. France [GC], no 59450/00, §§ 115-116, 4 juillet 2006)
» et spec. § 140: « Pour ce qui est du deuxième
volet des arguments du gouvernement du Royaume-Uni consistant à soutenir
que, lorsqu'un requérant représente une menace pour la
sécurité nationale, des preuves plus solides doivent être
produites pour démontrer le risque de mauvais traitements (paragraphe
122 ci-dessus), la Cour observe qu'une telle approche ne se concilie pas non
plus avec le caractère absolu de la protection offerte par l'article 3.
En effet, ce raisonnement revient à affirmer que la protection de la
sécurité nationale justifie d'accepter plus facilement, en
l'absence de preuves répondant à un critère plus exigeant,
un risque de mauvais traitements pour l'individu ».
1086.
formulées par l'article 3 de la Convention
européenne des droits de l'homme »
B. Aveu obtenu sous la contrainte morale et la
ruse.
180. La contrainte morale. Selon M. Laurent Kennes,
l'aveu obtenu sous la menace ou à la
1087
.
suite de fausses promesses doit être examiné au
regard du droit au silence du prévenu
Lorsque la situation engendrée par les enquêteurs
implique une diminution du libre arbitre de
l'intéressé d'admettre ou non avoir commis une
infraction, les aveux sont irréguliers 1088 . Il n'est pas
nécessaire que la coercition qui invalide et rend l'aveu illégal
comme preuve soit toujours sous la forme physique, car elle a une autre forme
moins tangible, qui n'a pas une moindre importance, et qui affecte la morale et
par conséquent annule la procédure et invalide
ses résultats, même s'il n'y a pas d'impact
corporel apparent
|
1089
|
. La contrainte peut ainsi être
|
260
morale et prendre plusieurs formes, comme la menace, qui est
une pression exercée par une personne sur la volonté d'une autre
personne afin de la dominer et de l'orienter vers un comportement particulier,
sans distinction entre les menaces qui touchent à sa personne, à
son argent, ou à un proche qui lui est cher, par exemple menacer
l'accusé d'arrêter son épouse ou sa mère. La
promesse est considérée comme l'un des moyens traditionnels pour
amener l'accusé à avouer, ce qui a pour effet de donner l'espoir
à l'accusé d'améliorer sa situation dans le cas où
il avouerait son crime, comme lui promettre qu'il sera gracié ou de lui
accorder le statut de « témoin roi », ou de ne pas
être jugé, ou de ne pas présenter l'aveu contre lui devant
le tribunal ou encore d'atténuer sa peine. La contrainte morale est
exercée généralement sous la forme de menace de porter
préjudice ou de faire souffrir, en vue d'influencer la volonté de
la personne et de l'orienter dans une voie bien déterminée,
contraire même à son souhait. La contrainte morale peut être
sous la forme d'une menace par des paroles ou par des actes, de manière
à porter atteinte à la liberté de la personne, et la
placer sous le poids de la crainte d'une chose en particulier, et la pousser
à agir contrairement à son désir, comme la menacer de
l'arrêter ou de la mettre en prison. La peur que peut éprouver
l'accusé peut être une simple peur de l'enquêteur, de celui
ayant délivré le mandat d'arrêt contre lui, de celui ayant
ordonné sa détention provisoire ou ayant ordonné les
actions en
1086 J.-P. Marguénaud et D. Roets,
« Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme »,
in R.S.C., 2008, p. 692.
1087 L. Kennes, La preuve en
matière pénale, Éditions Kluwer, Bruxelles, 2005,
Vol. 1, n° 626, p. 326. 1088 L. Kennes, La preuve en
matière pénale, Éditions Kluwer, Bruxelles, 2005,
Vol. 1, n° 626, p. 326.
1089 V. en langue arabe : S. Nabrawy,
L'interrogatoire de l'accusé, Dar Al-Nahdha Al Arabiya (maison
de la renaissance arabe), le Caire, 1969, p. 423.
261
justice intentées contre lui. Par conséquent,
avoir des propos sous l'emprise et le contrôle de ces idées ne
peut pas être classé sous le statut de la coercition, car la
personne n'a pas été contrainte de parler et par
conséquent ceci n'aura pas d'effet sur la validité de cet aveu.
Mais si l'action de menace a été suivie d'effet, ceci va
détruire la volonté du concerné et frapper ainsi son aveu
d'invalidité puisque cette preuve est qualifiée
d'illégale. D'autre part, conseiller et attirer l'attention ne sont pas
considérés comme des éléments d'influence sur la
volonté de l'accusé. Toutefois, dans le cas où il y aurait
eu des signaux de menace, cela devrait être considéré comme
une coercition et légalement interdit. Certains considèrent que
le simple fait d'attirer l'attention de l'interrogé sur l'obligation de
dire la vérité est considéré comme une contrainte
morale. Nous avons tendance à élargir le concept de coercition
morale à l'influence sur la volonté de l'accusé. Ainsi, la
validité et la légalité de l'aveu comme preuve dans une
affaire criminelle en conformité avec la nature humaine, pour laquelle
la coercition morale aurait le même degré d'influence que la
coercition physique, dans le but d'emmener l'accusé à avouer.
Pour notre part, nous croyons que tout comme celui obtenu sous la coercition
physique, l'aveu obtenu sous la coercition morale ne sera irrecevable et
illégal que si cette coercition a véritablement influencé
la volonté de l'accusé de façon à l'amener à
avouer.
181. Définition de la torture morale.
Constitue une torture morale tout acte ou abstention, qui aurait pour
effet de causer de l'intimidation, des douleurs et de la souffrance morale
à l'accusé. En effet, la torture morale ou psychologique vise
l'humiliation et le rabaissement de la personne. Parmi les exemples de la
torture morale, on distingue: le fait d'habiller les hommes en vêtements
de femmes et de les désigner par des noms de femmes, de proférer
des injures indécentes touchant leurs épouses en leur
présence, de menacer l'accusé de le torturer et de le tuer, ou de
le menacer d'arrêter son épouse, sa mère ou un être
qui lui est cher, de le menacer d'un attentat à la pudeur, le priver de
nourriture ou d'eau, le menacer de porter atteinte à sa personne,
à son argent, à des membres de sa famille ou à ses
proches. Cette menace peut être directe ou indirecte : la menace
indirecte consiste par exemple à torturer le complice de l'accusé
devant lui. D'autre part, il est opportun d'ajouter que la menace garde
toujours le même statut, qu'elle soit accompagnée par la torture
physique ou non, que l'objet de la menace soit réalisé ou non, et
ainsi pour les autres moyens de torture morale. Enfin, la torture morale qui
représente la contrainte morale est humiliante pour les âmes,
destructrice pour les sentiments les plus généreux et peut
être plus douloureuse pour l'accusé que toute torture physique.
262
182. La contrainte morale au Liban. À ce
sujet, il faut noter que, malheureusement, on trouve des applications de la
contrainte morale dans le droit libanais par certains juges. En effet, il
semble que la police judiciaire emploie d'une manière exclusive la
contrainte physique pour obliger les accusés à avouer, tandis que
les juges utilisent la contrainte morale. Des exemples de ces violations sont
constatés dans la pratique au Liban : pendant l'interrogatoire devant le
juge d'instruction, après la séance, et dès que l'avocat
de l'accusé a quitté la salle avec le détenu soumis
à l'interrogatoire par le juge d'instruction, le rapporteur rejoint la
personne interrogée en lui disant que le juge d'instruction veut lui
parler, et c'est alors que le juge lui dit : « je peux vous aider si
vous reconnaissez tous les détails et si vous me dénoncez vos
complices dans le crime, vous aurez dans ce cas aidé la justice, je peux
appuyer votre position dans le procès et votre peine sera plus
légère d'autant que les charges sont retenues contre vous,
même si vous n'avouez pas, alors que votre aveu va vous aider à
réduire votre peine ». L'interrogé, convaincu de ce que
le juge lui dit, a été ainsi contraint moralement d'accepter. Le
procès-verbal de l'interrogatoire est ensuite fait par le juge et son
rapporteur, et le défendeur a ainsi avoué en absence de son
avocat et a renoncé à son droit en présence de son avocat,
faisant ainsi confiance aux promesses du juge. C'est exactement ce qui se passe
dans beaucoup de procès. Telle est la réalité des
tribunaux, mais on ne peut trouver aucune décision judiciaire qui annule
cette coercition morale menée par le juge. Il n'y a pas de demande
d'annulation présentée par l'avocat de la défense pour
cette raison, et ce, en raison du niveau peu élevé de
compréhension des garanties de la défense de la loi libanaise.
Quant aux juges du fond, qui statuent sur les affaires pénales, ils sont
obligés d'interroger l'accusé à nouveau, sachant que la
phase du procès est appelée interrogatoire final. A ce sujet, ce
que font certains juges de la Cour criminelle du Liban paraît
remarquable, dans la mesure où ils menacent l'accusé au cours de
l'interrogatoire de lui infliger une peine très lourde s'il n'avoue pas
devant eux et pendant cette séance, ou bien s'il n'a pas dit toute la
vérité, à la suite de quoi le président de la Cour
lui promet d'alléger sa peine s'il veut bien coopérer et accepter
son offre. C'est en effet le comportement de certains juges au Liban. Cela
donne une idée du faible niveau de culture de respect du droit de la
défense, et de l'illégalité de l'extraction des aveux par
certains juges et également sur la nonchalance injustifiée de
certains avocats qui permettent aux juges d'exploiter leur pouvoir dans la
direction de l'audition, sans dénoncer ces graves violations, et sans
réclamer la nullité de la procédure dans le procès
verbal. Ces irrégularités compromettent les droits de la
défense et la légalité de la preuve pouvant
découler de ces violations, en raison du fait que l'avocat a la
tâche de contrôler l'intégrité de la procédure
et de plaider pour l'accusé. Il incombe donc à l'avocat
présent avec l'accusé de préserver les
intérêts de son client et faire valoir tous ses droits qu'il
connaît ou qu'il peut bien ignorer, comme son droit de
faire sa déposition librement, et de l'informer que dans le cas
où l'accusé refuse de répondre aux accusations
portées contre lui, il n'est pas permis au juge du procès
d'employer des moyens de coercition, comme le contraindre à parler,
faute de quoi, ceci aurait pour effet la nullité de l'interrogatoire et
par conséquent du jugement y afférent.
183. L'aveu résultant de l'interrogatoire sous
pressions psychologiques et impartialité du juge. Malheureusement,
nous notons une grave violation des droits de la défense et du droit
à un procès équitable commis par l'autorité du
président de la Cour criminelle en droit libanais lors de
l'interrogatoire. Ces contraintes, le plus souvent de nature psychologique,
sont exercées par le président de la Cour sur l'accusé
durant l'interrogatoire devant la Cour criminelle, surtout si l'accusé a
choisi de plaider non-coupable. Le président de la Cour commence
l'interrogatoire en s'adressant à l'accusé en disant «
je veux juste savoir comment tu as commis cette infraction. Ne me fais pas
perdre mon temps, c'est mieux d'avouer le crime sinon on va décider une
sanction aggravée ». Cette méthode d'interrogatoire est
arbitraire et illégale. Le juge ne doit pas manifester sa propre opinion
sur la culpabilité de l'accusé avant l'arrêt de la Cour
après clôture d'audience. À notre avis, les méthodes
d'interrogatoire précédentes entraînent
nécessairement la nullité de tous les actes et la décision
finale du juge est entachée d'un vice de partialité parce que le
juge viole le droit de l'accusé de ne pas contribuer à sa propre
incrimination. Techniquement parlant, l'avocat de la défense doit
intervenir immédiatement pour empêcher le président de la
Cour de continuer l'interrogatoire de l'accusé sous la contrainte en
demandant à l'accusé de garder le silence et de ne
répondre à aucune question posée par le président
de la Cour. Ensuite, l'avocat de l'accusé doit demander la
récusation du juge qui préside le procès en mettant en
cause l'impartialité du président.
184. L'aveu par la ruse. La loi ne permet pas
l'utilisation des moyens de ruse et de tromperie pour obtenir des aveux de
l'accusé, même si connaître la vérité
s'avère impossible sans le recours à ces méthodes. Par
conséquent, l'aveu basé sur la ruse et la tromperie est
considéré comme irrégulier et irrecevable. La
sixième conférence mondiale du droit pénal de 1953 a
évoqué ce sujet et a recommandé de ne pas employer la ruse
pour obtenir des aveux de
l'accusé
|
1090
|
. La raison de l'irrecevabilité de l'aveu fondé
sur la ruse est que cette dernière
|
263
porte atteinte au libre arbitre, en raison du fait qu'elle est
considérée comme un type de fraude
1090 V. en langue arabe : J. Mohammed
Mostapha, « Reconnaissance de l'accusé- aveu résultant
de l'utilisation des moyens de ruse et de tromperie », n Journal
arabe de la jurisprudence et de la magistrature, n° 25, pp. 360380,
V. Spec. p. 361.
264
qui induit l'accusé en erreur et affecte sa
volonté. Ce qui fait que, tant que la volonté de
1091
l'accusé est défectueuse au moment où il
a présenté son aveu, ce dernier est invalide. On cite comme
exemple le cas de l'enquêteur qui dit à l'accusé que s'il
reconnaît, cela sera gardé comme un secret. Cette promesse est une
façon de mentir et de tricher. Un autre type de tricherie consiste
à donner à l'accusé de l'alcool, en espérant qu'il
en viendra à avouer et en croyant qu'un homme ivre dit toujours la
vérité. Mais ceci est considéré comme une
tricherie
1092
et une fraude contre l'accusé et est légalement
inacceptable . Nous en concluons que, pour être admis comme preuve,
l'aveu ne doit pas porter atteinte au libre arbitre et doit être
volontaire et fait en toute conscience. Tandis que l'aveu de l'accusé,
sous l'influence d'une fausse croyance et sans aucune ruse employée
à son encontre est un aveu valide et par conséquent recevable,
car il a été fait sans ruse ni tricherie 1093 . Il est donc
exigé que l'aveu ne soit pas délivré à la suite de
pratiques de manipulation et de tricherie, commises par le juge pénal ou
l'officier de la police judiciaire, afin d'obtenir l'admission de
l'accusé des faits criminels qui lui sont reprochés. D'autres
formes de ruses existent. L'une des plus répandues consiste dans le fait
pour l'enquêteur de faire croire à l'accusé pendant
l'interrogatoire que son complice dans le crime a tout avoué, ou qu'il y
a un témoin oculaire ayant déposé contre lui, ou d'imiter
la voix d'un proche dans une conversation téléphonique. Nous
suggérons que le législateur libanais introduise un texte dans le
Code de procédure pénale qui oblige à filmer les
interrogatoires et l'auditons afin de lutter contre l'obtention de preuves
importantes comme l'aveu par la ruse.
C. Position de la jurisprudence libanaise par rapport
à l'aveu obtenu sous l'influence de la coercition et la
violence.
185. L'appréciation de la valeur ou de la force de
l'aveu illégal dans la preuve pénale. Même si l'aveu
est considéré comme la première preuve criminelle, on ne
devrait pas surestimer sa valeur probatoire, même si toutes les
conditions sont réunies. En effet, l'aveu
1091 V. en langue arabe : J. Mohammed
Mostapha, « Reconnaissance de l'accusé- aveu résultant
de l'utilisation des moyens de ruse et de tromperie », in Journal
arabe de la jurisprudence et de la magistrature, n° 25, pp. 360380,
V. Spec. p. 361.
1092 V. en langue arabe : J. Mohammed
Mostapha, « Reconnaissance de l'accusé- aveu résultant
de l'utilisation des moyens de ruse et de tromperie », in Journal
arabe de la jurisprudence et de la magistrature, n° 25, pp. 360380,
V. Spec. p. 361.
1093 V. en langue arabe : J. Mohammed
Mostapha, « Reconnaissance de l'accusé- aveu résultant
de l'utilisation des moyens de ruse et de tromperie », in Journal
arabe de la jurisprudence et de la magistrature, n° 25, pp. 360380,
V. Spec. p. 361.
265
peut ne pas être valide, du fait qu'il est basé
sur des motifs multiples, qui n'incluent sûrement pas le désir de
dire la vérité, du fait que le suspect ou l'accusé peut
avouer pour plusieurs raisons, comme par exemple: s'attirer la compassion des
autres, échapper à une autre infraction dont la peine serait plus
sévère que celle de l'infraction qu'il reconnaît,
protéger le vrai coupable, ou bien par solidarité avec lui, ou
encore par peur d'une autre personne. Les aveux peuvent être mensongers
pour des raisons diverses, il y a souvent de faux témoignages, faits par
le suspect ou l'inculpé, en mélangeant faits réels
à d'autres irréels, persistant dans la tromperie, ou fuyant les
conséquences d'une déclaration faite sous une certaine influence.
C'est pour cette raison que seul le juge du procès peut estimer la
valeur de l'aveu et l'étendue de sa force probante, à travers sa
comparaison avec les autres éléments de preuve disponibles dans
l'affaire. Dans tous les cas, la valeur probante de l'aveu est laissée
à l'appréciation du
1094
juge, qui peut l'accepter ou le refuser. C'est le principe de
l'intime conviction du juge. Toutefois, le juge est appelé à
expliquer les raisons pour lesquelles il a été amené
à prendre sa décision, que ce soit en acceptant l'aveu ou en le
rejetant. De l'extrapolation des décisions et des jugements rendus par
la justice libanaise, on peut dire qu'il y a plus d'une direction ou position
au sujet de l'aveu obtenu sous l'influence de la contrainte, ou de la violence,
ou résultant de ces pratiques.
186. Les positions jurisprudentielles face à la
violation des droits de l'homme pour obtenir les aveux. Les violations des
droits de l'homme et des droits de la défense et de la
légalité de preuve pour obtenir des aveux au Liban sont une
pratique devenue courante mais malheureusement non sanctionnée
effectivement, qui constitue une manière illégale pour obtenir
les aveux du prévenu ou de l'accusé pour le condamner. En France,
il semble que la situation est différente de celle du Liban parce que la
torture et la violation des droits n'y sont
1095
pas pratiquées habituellement. M. Henri Leclerc
confirme notre avis qui concerne l'absence ou l'abolition de la pratique de
torture en France, d'autant que la jurisprudence française est pauvre en
cette matière : « bien entendu, tout le monde s'accorde
à dire que les aveux recueillis à la suite de tortures, de
traitements inhumains et dégradants au sens de l'article 3 de la
Convention sont nuls. Mais il faut bien constater que la jurisprudence sur
ce
1094 V. en langue arabe : D. Becheraoui,
Procédure pénale, op. cit., n° 281, p. 273.
1095 V. M-L. Rassat, Procédure
pénale, 2e édition, Éditeur : Ellipses,
2013, n° 256, p. 265 : « D'une façon plus
générale et ainsi que nous l'avons dit sous un autre aspect des
choses, ne peuvent être conservées dans un dossier pénal
que les preuves obtenues par des moyens admissibles eu égard à
notre type et notre degré de civilisation. Cela élimine tout ce
qui serait le produit de pressions physiques qu'il s'agisse de torture
physique, difficilement envisageable aujourd'hui en Europe, mais aussi de
violences policières, des torture par des procédés
chimiques ou moraux... ».
1096
.
266
point est pauvre »
187. Une position jurisprudentielle traditionnelle.
La première position est une position négative qui n'accorde pas
d'importance à ces violations flagrantes des droits de l'homme, de sa
liberté et de sa sécurité, et est fondée sur
l'argument selon lequel le juge dans un système d'intime conviction a le
droit d'évaluer la preuve et de construire sa conviction. En effet,
l'évaluation de la valeur de l'aveu; quelle que soit la méthode
avec laquelle il a été obtenu, est soumise à l'intime
conviction du juge, et c'est exactement là où réside le
problème fondamental, car cette tendance va réellement vers la
recherche de la vérité qui a convaincu le juge, au
détriment de la légalité de la preuve et ceci est
cohérent avec le principe selon lequel, « la fin justifie les
moyens ». C'est ce que nous rejetons complètement dans un
État de droit sous l'égide du principe de la
légalité procédurale et la légalité de la
preuve. S'il est vrai que l'estimation de la valeur probatoire de l'aveu repose
sur l'intime conviction du juge, on peut toutefois affirmer que ce principe
n'autorise pas pour autant à passer outre les règles de
validité de la preuve. De plus, la preuve retenue par le juge doit
être conforme à la vérité, ce qui est loin
d'être certain pour un aveu obtenu de manière illégale.
188. Une position jurisprudentielle critiquable. La
deuxième position jurisprudentielle est appelée «
doctrine paralysante », car elle exige la preuve que l'aveu a
été obtenu grâce à la coercition, ce qui est
quasiment impossible. Dans les cas où cette preuve serait tout de
même obtenue, cette position exige ensuite que soit
déterminé le degré de conformité de l'aveu avec la
réalité.
En effet, si l'aveu qui a été obtenu par le
sang, les coups, les humiliations et la torture n'est pas conforme à la
réalité, il sera exclu. La Cour doit statuer sur une certitude et
non sur des présomptions. Cependant, si l'aveu obtenu par la violence,
les coups, la torture et la contrainte concorde avec les faits réels, la
Cour considère qu'il produit tous ses effets. C'est un avis juridique
contesté, car il argumente dans le but d'affaiblir et de paralyser la
défense, indépendamment de la logique et de la
légalité. À vrai dire, cet avis rencontre l'avis
précédent d'une manière indirecte, selon le principe selon
lequel « la vérité est demandée à tout
prix ». C'est vraiment une application très honteuse de la
justice dans un État de droit.
1096 H. Leclerc, « Les limites de la
liberté de la preuve. Aspects actuels en France », in R.S.C.,
1992, p. 15.
189. Une jurisprudence audacieuse. Il y a une
troisième opinion différente des deux précédentes,
mais très timide et peu appliquée dans la pratique, basée
sur l'annulation ou la négligence de la force probante de l'aveu s'il a
été obtenu par des actes de coercition et de violence ayant
affecté la volonté de l'accusé. C'est là un
principe que nous encourageons et nous soutenons, car c'est une bonne
orientation qui consacre l'application appropriée du principe de la
légalité de la preuve pénale et la légalité
de la procédure pénale, et laisse place aux droits de l'homme et
à la primauté du droit.
190. L'opinion qui soutient l'admissibilité de
l'aveu obtenu illégalement comme preuve. Cette opinion est
exprimée par plusieurs décisions des juges libanais, et ceci peut
être déduit des décisions et des jugements qui ont
été soigneusement sélectionnés et
dépouillés avec précision séparément pour
chacune des trois opinions que nous avons exposées
précédemment. Dans l'une des décisions de la chambre de
mise en accusation 1097 , il a été précisé que
« dans toute affaire, et quel que soit le cas, et bien que la loi
libanaise interdise l'usage de la violence et la coercition contre les
interrogés pour les dissuader d'avouer, cela ne signifie absolument pas
qu'il faille annuler toute admission obtenue de cette manière, car c'est
la juridiction pénale qui a la charge d'estimer la validité de
cet aveu et sa recevabilité, surtout s'il est renforcé par
d'autres preuves qui le soutiennent et approuvent le même
résultat sur quoi il s'est basé
»
|
1098
|
. Dans ce même sens, on cite la position de la
chambre
|
267
criminelle de la Cour de cassation libanaise, qui a
confirmé que « revenir sur son aveu en invoquant qu'il a
été soutiré sous l'influence de la violence, n'affecte
aucunement la conviction de la Cour de la validité de cet aveu,
même si la Cour admet que le passage à tabac était le moyen
pour le recueillir, et ce, tant que les événements
mentionnés dans l'aveu, en l'occurrence les noms et les lieux, ne sont
pas une invention de l'imagination, ni connus
1099
par les enquêteurs et n'étaient pas
contraires aux faits ». Cette disposition encourage et justifie le
recours à la brutalité pour obtenir des aveux, au lieu de punir
les auteurs et c'est là une application extrémiste de la
liberté du juge pénal dans l'élaboration de sa conviction.
A ce sujet, dans un arrêt de la Cour criminelle pour les crimes (qui est
nommé Cour d'assises en
1097 Au Liban : Chambre de mise en
accusation. N.B : en France c'est la chambre d'accusation, Son nom a
changé depuis la loi du 15 juin 2000 est devenu chambre
d'instruction.
1098 La chambre d'accusation : Le
Président : Ralph Riyashi, les deux conseillers : Albert kwamagi et
Maddy Mattran, procès n° 262/1995, décision
n°354/1995/le livre du juge R. Riyashi, Recueil de la jurisprudence de
la chambre d'accusation, applications pratiques de la règle de droit,
Dar Elhadhara , édition et impression, Société
Ezzeddine pour l'imprimerie et l'édition, Beyrouth, 1997, Préface
du juge Philippe Kairallah, p. 334.
1099 V. en langue arabe : Cour de cassation
criminelle, chambre n° 5, Arrêt n° 218 du 29/04/1974, justice
332/74, cité dans le livre de Ph. Nasr, Les
principes des procès pénaux. Étude comparative et
d'analyse, Sader Editeurs, Beyrouth, p. 391.
268
France), la Cour a insisté sur l'acceptation de l'aveu
et a approuvé sa validité, bien qu'elle ait expressément
reconnu que les enquêtes préliminaires l'ayant convaincue ont
été marquées par une certaine violence, car
l'accusé avait réellement dit la vérité sous la
torture. Les termes de l'arrêt ont indiqué que: «
Considérant qu'il est vrai que les accusés ont été
exposés à la violence au cours de leurs interrogatoires par la
police judiciaire, alors qu'elle ne devrait pas recourir à la violence
pour en extraire la vérité, cette Cour ne peut pas décider
de la nullité de ces enquêtes pour cette raison, mais ces
admissions doivent être valorisées pour pouvoir conclure quant
à leur acceptation ou à leur rejet ... La Cour a adopté le
contenu de l'enquête préliminaire, même marquée par
une certaine violence, parce que l'un des accusés a
déclaré
1100
que, bien qu'il ait été soumis à la
violence, il a dit la vérité».
191. La seconde opinion: L'admissibilité de l'aveu
obtenu illégalement sur la base d'une motivation irrationnelle et
illogique. Ici, nous citons comme exemple un procès libanais, qui
démontre la formule bloquante et illogique de certains juges dans
l'acceptation de l'aveu obtenu par la contrainte. La Cour a
considéré que la violence, les coups et la coercition, en
supposant qu'ils ont été accomplis, n'empêchent pas de
confirmer la condamnation. En effet, la décision énonce
textuellement que « si l'on suppose que l'incident de la violence a
été prouvé - alors qu'il n'est pas permis de recourir
à cette méthode pour l'extraction de la vérité, la
Cour a estimé que les déclarations initiales des accusés
sont des témoignages cohérents et convaincants, et la conscience
serait tranquille en décidant de les condamner
1101
». Ceci paraît très
étonnant. En effet, comment la Cour aurait une conscience tranquille en
se basant sur une vérité entachée par la torture ? Dans
une très ancienne décision, la Cour a considéré que
l'évaluation de la validité de l'aveu arraché par la
violence et la coercition sont au coeur des attributions du tribunal de
première instance. Il est précisé que « bien que
la loi ait interdit l'usage de la violence et de la coercition sur les
accusés et les suspects pour les obliger à avouer, cette
interdiction ne signifie nullement l'annulation de l'effet de chaque admission
obtenue de cette manière. En effet, le juge pénal a le droit
d'évaluer la validité de cet aveu et conclure quant à sa
valeur probante et à sa recevabilité, surtout s'il a
été renforcé
1100 V. en langue arabe : Cour criminelle du
Mont Liban, le Président : Hatem Madi, procès du 03/11/1997 : le
livre du juge : J. Bsaybiss, La jurisprudence des juridictions
pénales 1996-1999, 1e éd., Sader Editeurs,
Beyrouth, 2000, n° 54, p. 86.
1101 V. en langue arabe : Cour criminelle du
Mont Liban, procès n° 42 du 05/01/1997, le Président : Hatem
Madhi : le livre du juge : J. Bsaybiss, La jurisprudence des juridictions
pénales 1996-1999, 1e éd., Sader Editeurs,
Beyrouth, 2000, n° 173, p. 281.
1102
par d'autres preuves ». Dans une autre
décision, on peut lire « évoquer que l'aveu a
été le résultat de la violence et de la coercition, ne
conduit pas à démentir l'état de fait qui en
résulte, ni tous les actes vrais et confirmés
qu'il contient»
|
1103
|
. Dans un autre arrêt,
|
269
relativement récent, il a été
indiqué qu' « attendu d'abord que l'accusé a admis, dans
l'enquête préliminaire, être un trafiquant de drogue, qu'il
est revenu sur ses déclarations devant le juge d'instruction et le
tribunal, et a nié tout ce qui lui a été reproché,
et a prétendu que tout ce qu'il a dit pendant la phase de
l'enquête préliminaire était sous l'influence des coups
violents qu'il a subis par les agents de la police judiciaire...et attendu
ensuite que la partie de la défense a demandé de ne pas prendre
en considération les déclarations contenues dans l'enquête
préliminaire, à cause des contradictions dans ces enquêtes
et aussi à cause du motif de la contrainte...et attendu encore que
l'incident de la violence, des coups et de la contrainte invoqué est
dépourvu de toute preuve, et étant donné qu'évoquer
que l'aveu a été le résultat de la violence et de la
coercition, ne conduit pas à démentir l'état de fait qui
en a résulté, ni tous les actes vrais et confirmés qu'il a
contenus, et que -- et dans tous les cas -- la Cour est libre de prendre en
considération les premières déclarations de
l'accusé qui contiennent l'aveu, et négliger les deuxièmes
où il s'est rétracté, car ceci revient à son droit
absolu de valorisation, surtout si cet aveu concorde avec les preuves et les
faits matériels
1104
contenus dans le dossier » . Quand on lit le
dernier arrêt, on souhaite que les juges qui ont rendu cette
décision, se posent à eux-mêmes et à leur conscience
cette question : pourquoi au Liban, la grande majorité des
enquêtes menées par la police judiciaire, finit toujours par
l'aveu des accusés ou des suspects, qui une fois arrivés devant
le juge ou devant la Cour, reviennent sur les dépositions qu'ils ont
faites devant les officiers de la police judiciaire ? La réponse est
simple: la torture est pratiquée dans les lieux de détention
pendant les enquêtes menées par la police judiciaire, et
malheureusement les juges le savent et couvrent l'illégalité de
telles enquêtes au lieu de procéder à l'annulation de ces
aveux et à négliger leur valeur probante. Pour conclure, on peut
dire que malheureusement l'acceptation de ces aveux par les juges
représente à la fois :1° : un retour en arrière et
notamment aux époques anciennes où l'on permettait le recours
à la torture pour obtenir des aveux ; 2° : une couverture de la
criminalité
1102 V. en langue arabe : Arrêt n°
108 du 11 /05/1962, ouvrage de S. Alya, Encyclopédie des
décisions de la jurisprudence pénale des décisions et des
résolutions de la Cour de cassation au cours de vingt années de
sa recréation , l'établissement universitaire des
études, de l'édition et de la distribution, Beyrouth, 1990, p.
20.
1103 V. en langue arabe : Arrêt n°
279 du 18 /06/1964, ouvrage de S. Alya, Encyclopédie des
décisions de la jurisprudence pénale des décisions et des
résolutions de la Cour de cassation au cours de vingt années de
sa recréation , l'établissement universitaire des
études, de l'édition et de la distribution, 1990, p. 20.
1104 V. en langue arabe : Cour criminelle du
Mont Liban, procès n° 30 du 01/01/1998, le Président : Hatem
Madhi : le livre du juge : J. Bsaybiss, La jurisprudence des juridictions
pénales 1996-1999, 1er éd., Éditions juridiques
Sader, Beyrouth, 2000, n° 171, pp. 278-279.
de la police judiciaire ; 3° : une perte des garanties
des individus ; 4° : une atteinte aux droits de la défense ;
5° : une violation des principes de la légalité de la
procédure et des preuves pénales. Donc, il est honteux que le
juge puisse dissimuler une telle réalité et être
impliqué dans ce crime, par l'acceptation de ces aveux, et leur accorder
une valeur juridique au lieu de les dépouiller de toute valeur et de
sanctionner les auteurs de ces violations.
192. La troisième opinion :
l'inadmissibilité de l'aveu obtenu illégalement. Ne pas
accepter l'aveu obtenu sous la contrainte ou comme conséquence de la
contrainte : représente la position de la Cour de cassation qui
maintient la condition du libre arbitre comme critère essentiel de
validité de l'aveu, comme indiqué dans l'arrêt
ci-après de la Cour : Attendu que l'accusé...est revenu sur sa
déposition lors de l'interrogatoire (l'enquête devant le juge
d'instruction) et a nié son trafic de drogue, et a déclaré
que la quantité saisie en sa possession est destinée à sa
consommation personnelle, et il a ajouté qu'il revient sur sa
première déposition car il a été battu, -- comme il
est apparent sur son corps-- , et a demandé au juge d'instruction de
désigner un médecin légiste pour l'examiner. Attendu que
le rapport du médecin médico-légal a précisé
que l'accusé a été soumis à la coercition pendant
l'enquête préliminaire, ainsi son aveu n'a pas été
délivré par son libre arbitre, et donc cette Cour ne doit
1105
pas lui accorder suffisamment de confiance et doit par
conséquent le négliger . Dans un autre arrêt, la Cour de
cassation a également adopté la même position que le cas
précédent, et n'a pas retenu l'aveu obtenu suite à la
violence, comme indiqué dans sa décision : « Le suspect
a été battu dans une période concomitante à la date
de sa déposition à l'enquête préliminaire, ce qui
entache cette déposition d'irrégularité, d'où elle
ne peut être adoptée à
titre de preuve contre l'accusé »
|
1106
|
. Dans un autre arrêt plus ancien de la Cour de
cassation, il
|
270
a été noté qu' « est
considérée comme illégale, chaque méthode de
coercition employée pour amener l'accusé à avouer, quelle
que soit la véracité et la réalité des faits objet
de cet
aveu » 1107 . Dans un autre
arrêt, la Cour de cassation a considéré que: s'il a
été prouvé que l'accusé a été battu
pendant son témoignage à l'enquête préliminaire,
ceci anéantit1108 la
1105 V. en langue arabe : Cour de cassation
en matière pénale, chambre n° 7, arrêt n° 182 du
27/07/2002, Président : Ahmed Almâallem, Conseillers : Samir Matar
et Assem Safieddine / livre de A. Shamsiddine, Classification annuelle dans
les affaires criminelles, jurisprudence de 2002, pp. 114-115.
1106 V. en langue arabe : Cour de cassation
en matière pénale, chambre n° 6, arrêt n° 01 du
03/01/2002, Président : Ralph Riyashi, Conseillers : Khodhor Zenhour et
Borkan Saâd / livre de A. Shamsiddine, Classification annuelle dans
les affaires criminelles, jurisprudence de 2002, p. 137.
1107 V. en langue arabe : Arrêt n°
151 du 11 /06/1952, ouvrage de S. Alya, Encyclopédie des
décisions de la jurisprudence pénale des décisions et des
résolutions de la Cour de cassation au cours de vingt années de
son rétablissement , l'établissement universitaire des
études, de l'édition et de la distribution, 1990, p. 14.
1108 Anéanti : complètement
détruit.
271
valeur probante de l'aveu, comme indiqué dans la
décision : «...attendu que l'accusé conteste la
validité de l'aveu qui lui a été extirpé dans
l'enquête préliminaire sous le poids de battements/ et attendu que
l'accusé a été battu lors de sa déposition dans
l'enquête préliminaire, chose qui a été
vérifiée par le juge d'instruction pendant qu'il l'interroge,
lorsqu'en l'examinant il a découvert de grandes taches verdâtres
sur son bras, sa hanche et ses jambes, ainsi que des blessures sur ses
poignets, et toutes ces indications prouvent que la personne en question a
été bel et bien été exposée à la
violence, surtout que cet accusé était en détention entre
la période de l'interrogatoire de l'enquête préliminaire et
l'interrogatoire de première comparution, chose qui exclut que cette
violence provienne d'autres causes non liées à l'enquête
initiale, tant qu'il n'y a pas de preuves de ces autres raisons; et attendu que
l'incident de la violence pratiquée sur l'accusé, a
été confirmé par le témoignage de Monsieur F.M,
devant la Cour de cassation, qui a vu des traces de coups sur le corps de
l'accusé lors de leur arrestation dans la même cellule ... et
attendu que le fait que l'accusé a été battu lors de
l'enquête préliminaire, comme cela a été
prouvé précédemment, aurait pour effet de compromettre la
valeur probante de son aveu dans l'enquête citée et rend cette
reconnaissance négligeable et irrecevable et n'a pas d'effets pour
prouver la véracité de ce
1109
qui lui a été attribué ».
Dans un ancien arrêt, la Cour a aussi insisté sur le fait que
l'aveu doit être conscient et volontaire pour être recevable, et
qu'il ne peut être considéré ainsi s'il a été
le fruit de la coercition et de la torture « il a été
constaté que pendant l'enquête préliminaire, les officiers
de la brigade des stupéfiants ont mentionné que les deux
accusés ont admis qu'ils détenaient un lieu pour la consommation
de la drogue, mais se sont rétractés devant le juge
d'instruction, aussi, les témoins à charge sont revenus sur leurs
dépositions, en indiquant que leurs premières déclarations
ont été obtenues sous la pression et les coups. Il s'est
avéré aussi que le juge d'instruction -- pendant qu'il
interrogeait le prévenu «S» -- , avait remarqué qu'il
avait une blessure au front ainsi que des ecchymoses au dos...le juge a
également remarqué la présence d'ecchymoses sur le
deuxième accusé...Attendu que le juge a mentionné dans les
procès verbaux des interrogatoires des deux accusés, ce qui
prouve l'incident de la violence, mentions confirmées par les
témoins...et attendu que les preuves rapportées dans ce cas ne
rassurent pas la Cour, qui n'aurait pas la conscience tranquille, si
1109 V. en langue arabe : Cour de cassation
en matière pénale, chambre n° 6, arrêt n° 01 du
03/01/2002, Président : Ralph Riyashi, Conseillers : Khodhor Zenhour et
Borkan Saâd, Hassoun / droit public (décision n° 166
publiée le 10/06/03, rendue en Cassation, livre de A. Shamsiddine,
Jurisprudence criminelle 2003, pp. 389390.
ces aveux seraient acceptés et seront à la base
du jugement des accusés »
1110
. La Cour a
272
également déclaré que l'aveu ne peut pas
être fiable, s'il est obtenu par la coercition : «est
considérée illégale, chaque méthode coercitive
utilisée pour emmener l'accuser à avouer,
1111
.
indépendamment du fait que ces faits soient certains
et réels»
193. Évaluation de la position adoptée par
la jurisprudence libanaise. Le principe est que l'aveu en matière
pénale est laissé à l'appréciation du juge
pénal, mais cela ne signifie pas
1112
consacrer la domination du juge sur ses composantes et les
moyens pour l'obtenir
.
Toutefois, la juridiction ne peut pas adopter comme principe
juridique la formule: « la fin justifie les moyens ». En
fait, et dans toute législation procédurale correcte, il faut que
les moyens juridiques légaux soient capables à eux seuls de
prouver l'innocence d'un innocent ou la culpabilité d'un accusé,
faute de quoi toute la structure procédurale serait perturbée si
elle ne permettait pas de prouver l'innocence ou la culpabilité, sans
porter atteinte aux fondements du principe de la légalité. Ainsi,
il n'est pas vrai de dire qu'arriver à trouver la vérité
et prouver la perpétration du crime peut servir à justifier la
non-soumission des éléments de preuve au principe de la
légalité de la preuve pénale et surtout dans le domaine de
l'aveu. Donc, et afin que l'aveu soit valable et produise ses effets
juridiques, il est inévitable qu'il soit exempt de toute influence
extérieure, c'est-à-dire qu'il soit délivré par
l'accusé en toute volonté et conscience. Ce n'est qu'alors que
cet aveu sera considéré recevable, valable et légal.
194. Proposition de réforme en droit libanais.
À titre de réforme, nous suggérons, afin de garantir
la déclaration volontaire, que le législateur libanais fasse des
lois concernant l'obligation d'enregistrement des interrogatoires des
gardés à vue et des interrogatoires simples pendant le
déroulement de l'enquête (flagrante et
préliminaire) pour deux raisons. La première raison, c'est que
dans la pratique des interrogatoires, nous n'avons jamais vu des
procès-verbaux vierges, c'est-à-dire vides, concernant l'audition
et l'interrogatoire en raison du silence de suspect dont les raisons ne sont
pas connues. Mais, à notre avis, si le suspect a choisi de garder sa
silence, le procès-verbal doit être la preuve de
1110 V. en langue arabe : Arrêt n°
163 du 24/03/1966, ouvrage de S. Alya, Encyclopédie des
décisions de la jurisprudence pénale des décisions et des
résolutions de la Cour de cassation au cours de vingt années de
sa recréation , l'établissement universitaire des
études, de l'édition et de la distribution, 1990, pp. 19-20.
1111 V. en langue arabe : Arrêt n°
163 du 24/03/1966, ouvrage de S. Alya, Encyclopédie des
décisions de la jurisprudence pénale des décisions et des
résolutions de la Cour de cassation au cours de vingt années de
son rétablissement , l'établissement universitaire des
études, de l'édition et de la distribution, 1990, p. 20.
1112 V. en langue arabe : E. Abou-Eid,
Théorie de la preuve, op .cit., n° 164, p.
276.
273
son choix, l'officier de police qui est en train
d'enquêter doit expliquer et noter sur le procès-verbal que le
suspect a gardé le silence. En effet, la torture et les traitements
inhumains ou dégradants pourraient porter atteinte au droit au silence
du suspect, le recours à la torture par l'officier de police judicaire
peut être un outil pratique pour bafouer le droit de garder le
silence 1113 . Au Liban, beaucoup
d'éléments de preuve dans un interrogatoire de police judicaire
sont recueillis au moyen de la torture. Nous suggérons que les
interrogatoires soient enregistrés dans leur intégralité
avec la caméra positionnée parce que la présence d'une
caméra devrait décourager les policiers d'utiliser des
méthodes d'interrogation inadéquates comme la torture ou la
contrainte morale et physique. L'autre raison, c'est que les indices
audiovisuels des interrogatoires pourraient aider les enquêteurs à
évaluer plus précisément la spontanéité et
la véracité des déclarations. De cette manière,
l'obligation d'enregistrement des interrogatoires serait un moyen efficace de
protection des droits des personnes interrogées et en même temps
un indice de fiabilité d'un élément de preuve.
1113 V. « Liban : Tortures et poursuites
pénales de civils devant des juridictions militaires » Alkarama for
Human Rights a soumis au Rapporteur spécial sur la torture les cas de 9
personnes arrêtées, torturées et détenues au secret
par des services de renseignements au siège du ministère de la
Défense à Beyrouth. Elles ont été privées de
soins à la prison de Roumié en dépit des blessures
qu'elles ont subies et des séquelles de la torture et de l'état
de délabrement physique et moral dans lequel elles se trouvaient
après ces deux semaines de sévices. Le juge d'instruction a
refusé de les faire examiner par expert médical pour faire
constater les tortures dont elles ont fait l'objet et dont elles gardent encore
les séquelles, au motif "qu'il leur appartenait à elles seuls de
rapporter la preuve des tortures qu'elles ont subies !". Alkarama for Human
Rights craint particulièrement que les procès-verbaux
établis sur la base des aveux arrachés sous la torture ne soient
pris en considération dans leur cas par la juridiction militaire de
jugement et ne servent à les condamner à de lourdes peines
d'emprisonnement. Rapport disponible en ligne sur : http://fr.alkarama.org/
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