Conclusion du chapitre II
106. La recherche de la vérité reste le
principal objectif dans un procès pénal afin de produire des
éléments de preuve susceptibles de convaincre et de persuader le
juge qui va rendre le jugement. Donc, la preuve vise à la manifestation
de la vérité et à la condamnation de l'auteur de
l'infraction. Pour ce faire, la liberté dans la recherche de la preuve
constitue le principe qui domine la procédure pénale afin de
faciliter cette lourde tâche face à la
660 K. Roudier, Le contrôle de
constitutionnalité de la législation antiterroriste. Étude
comparée des expériences espagnole, française et
italienne, Thèse de droit, Université du sud Toulon-Var,
2011, p. 1.
661 V. sur ce point : P. Kramer, « La
loi Perben II et les évolutions de la justice pénale »,
in Etudes, 2005/2, Vol. 402, pp. 175-183, V. spec. p. 177 : «
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 2 mars 2004, a
validé cette approche dans sa quasi-totalité, en
considérant qu'il y avait une proportionnalité entre les moyens
nouveaux de procédure et les risques que font peser sur la
société les activités délinquantes
structurées ».
662 Décision n° 2004-492 DC du 02
mars 2004, Journal officiel du 10 mars 2004, p. 4637, Le Conseil
constitutionnel Décide : Article premier.- Sont déclarées
contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi
portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité
: - à l'article 1er, l'article 706-104 nouveau du Code de
procédure pénale ; - à l'article 137, les mots : " en
chambre du conseil " à la fin de la première phrase du second
alinéa de l'article 495-9 nouveau du Code de procédure
pénale.
154
présomption d'innocence qui signifie que la charge de
la preuve repose entièrement sur les épaules de l'accusation.
Cependant, le principe de la liberté de preuve n'est pas absolu
puisqu'il comporte des limites. En effet, l'administration de la preuve doit
respecter le principe de loyauté. Le principe de loyauté dans la
recherche de la preuve en matière pénale représente une
limite et restriction à la liberté de la preuve qui domine la
procédure pénale libanaise et française. En dépit
de l'absence de consécration législative du principe de
loyauté en droit libanais et français, dans un État de
droit, la recherche et le recueil des éléments de preuve doivent
se faire dans le respect du principe de loyauté. L'obtention de la
preuve ne doit pas se faire au prix de violations de la loyauté parce
que la preuve ne saurait être recherchée par n'importe quel moyen
et à n'importe quel prix. L'objectif louable de recherche de la
vérité dans le procès pénal ne doit pas justifier
l'emploi de n'importe quels moyens. La loyauté fait appel à
l'honnêteté et la droiture dans la recherche de preuve, ce qui a
poussé certains auteurs à considérer le principe de
loyauté d'inspiration essentiellement morale. La loyauté dans la
recherche de la preuve pénale est un principe jurisprudentiel
dégagé par la Cour de cassation française dans un
arrêt de principe en 1888, l'affaire Wilson, puis dans l'arrêt
Imbert rendu le 12 juin 1952 qui a confirmé la naissance du principe de
loyauté dans la recherche de preuve pénale et qui a
contribué à éclaircir quelques points d'ombres concernant
le champ d'application du principe de loyauté. Dans l'affaire Imbert, la
Cour de cassation française a généralisé la
portée de ce principe de loyauté dans la recherche de preuve. Le
principe de loyauté en droit libanais et français n'est pas
consacré d'une façon directe et textuelle, ce qui fait de la
loyauté un principe controversé. Malgré sa place et son
importance dans la recherche de la preuve pénale, il semble que le
principe de loyauté en droit libanais et français connaisse un
déclin ou une faiblesse, comme l'affirment certains pénalistes et
comme l'affirme implicitement son application par la chambre criminelle des
cours de cassation française et libanaise. Plusieurs facteurs ont
contribué au déclin du principe de loyauté en droit
libanais et français. Parmi les facteurs qui ont probablement
contribué à ce déclin, on note : l'absence de
consécration législative expresse en droit libanais et
français, l'application trop stricte du principe de la liberté
dans la recherche de preuve et la liberté totale du juge quant à
l'appréciation des éléments de preuve. De surcroît,
l'application variable du principe de loyauté de la preuve qui n'a pas
un caractère absolu et ne s'impose pas de la même manière
sur l'ensemble des acteurs du procès pénal a contribué
sans doute au déclin du principe. Parallèlement, la
découverte de la vérité ramène le procès
pénal à un duel entre deux idées philosophiques. Le
premier principe est la morale selon Kant : « la fin ne justifie
jamais les moyens ». Le deuxième est selon l'expression
Machiavélienne l'opposé : « la fin justifie les moyens
». En principe, dans un État de droit comme au Liban et en
France, dans la recherche
155
et l'administration des preuves pénales, la fin ne doit
pas justifier l'utilisation de n'importe quel moyen comme l'utilisation de
procédés déloyaux, de ruses ou de stratagèmes en
vue de réunir des éléments de preuve. Par exemple la
tromperie dans la constitution de la preuve et la provocation à la
commission d'une infraction sont interdites pour être
considérées comme des procédés déloyaux.
Pourtant, une distinction apparaît entre une provocation à la
commission d'une infraction et une provocation à la preuve de
l'infraction. La jurisprudence au Liban et en France est plus souple et
tolérante quand il s'agit d'une provocation à la preuve qui est
considérée un procédé loyal par nature. Bien qu'on
ne puisse parler d'ennemis dans un État de droit, et qu'il n'y ait que
des délinquants face à la loi, le droit pénal de la
dangerosité et le droit pénal de l'ennemi ont conduit à
l'émergence progressive de la preuve pénale de la
dangerosité ou de l'ennemi et ont fini par pousser les
législateurs libanais et français à adopter partiellement
le principe selon lequel : « La fin justifie les moyens »
dans la procédure pénale. Mais cela reste l'exception
à la règle face à l'évolution du
phénomène de la criminalité organisée et la
nécessité de trouver nouveaux moyens de lutte contre certaines
infractions graves, notamment liées au terrorisme, au trafic de
stupéfiants, au crime organisé. Afin de faciliter la recherche
légale de preuves de certaines infractions graves, les
législateurs libanais et français ont décidé
d'adopter une législation spécifique contenant des
dérogations visant à faciliter la recherche de la preuve, comme
au Liban la loi numéro 673 du 16/03/1998 relative aux stupéfiants
et substances psychotropes et en France, la loi du 9 mars 2004, portant
adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite
Perben II. Ces lois couvrent les vices de loyauté, c'est-à-dire
que la loi légalise la recherche de la preuve déloyale comme les
infiltrations policières et les livraisons surveillées de
stupéfiants. Donc, les législateurs libanais et français
ont tenu compte de la nécessité pratique urgente d'adopter des
procédures pénales d'exception dans la recherche de la preuve
lorsque l'infraction est grave.
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