Section II
La légalité, frein au caractère
absolu de la liberté de la
preuve
43. Les contrôles et les restrictions qui gouvernent
la liberté de la preuve. Le Code de procédure pénale
se présente comme un ensemble de règles juridiques
procédurales qui réglementent les moyens et les actes qui visent
ou tendent vers la recherche des preuves menant à la connaissance de
l'auteur de l'infraction et à la démonstration de sa
réalité : « le respect des principes encadrant le
système juridique doit être assuré dans la recherche libre
de la preuve, d'abord et a minima par le contrôle du respect des formes
légales imposées à
312
son administration et nécessaires à sa
recevabilité ». Toutes les procédures ont comme
objectif principal la découverte de la vérité de
l'infraction qui a été commise. Étant donné que le
principe général dominant la preuve pénale en
général, et en particulier dans le système
répressif libanais et français, est le principe de la
liberté de la preuve pénale, il n'est pas surprenant de dire que
cette liberté ne peut pas être une liberté absolue, car
cette liberté dans la recherche de la preuve est organisée dans
la loi. La liberté est donc absolue dans le champ du choix de ce qui est
autorisé par la loi comme moyens pour la détection et la
production de la preuve pénale. Par conséquent, cette
liberté ne peut pas être hors la loi, et donc le Code de
procédure pénale s'efforce toujours d'organiser les conditions,
les formes et le processus de la recherche de la preuve pénale dans ces
textes par une forme précise. Il n'est pas exagéré de dire
que sans la présence de contrôles de la liberté de la
preuve, il y a un risque d'empiétement sur la liberté et les
droits des citoyens lors de la recherche de la preuve pénale. La
législation des procédures pénales est l'une des lois
étatiques les plus importantes en raison de sa relation étroite
avec la liberté individuelle. Si la liberté de la preuve
contribue à permettre au pouvoir de l'accusation d'éviter la
difficulté de la preuve,
cette liberté sans contrôle risque de
dévaster les libertés
|
313
|
. Afin que le juge puisse s'appuyer
|
73
sur une preuve spécifique, le moyen de son obtention
doit être conforme aux obligations de la légalité de
preuve, étant donné que le juge pénal n'a pas la
liberté absolue dans la
312 M.-E. Boursier, Le principe de
loyauté en droit processuel, Dalloz, 2003, p. 84.
313 V. E. Molina, « Réflexion
critique sur l'évolution paradoxale de la liberté de la preuve
des infractions en droit français contemporain », in R.S.C.,
2002, p. 263 : « La libre admissibilité des preuves
pénales semble de prime abord restreinte par l'accroissement du
formalisme élaboré dans une perspective nécessaire de
rééquilibrage des rapports de force dans le procès
pénal ».
74
composition de sa conviction à partir des preuves
obtenues de manière illégale, même dans le cas où la
preuve est sincère. Parmi les exemples clairs de ce cas, on trouve
l'obtention de la preuve sous la contrainte et la menace, ou encore sur la base
d'une perquisition illégale. Le juge pénal doit donc tirer sa
conviction dans le jugement à travers des preuves obtenues de
façon légale ou d'après un moyen de preuve compatible avec
l'exigence du principe de la légalité de la preuve pénale.
Quant aux preuves résultant des procédures illégales, il
est interdit en général de s'y fonder. Elles doivent être
rejetées totalement, conformément au principe juridique qui veut
que tout ce qui est construit sur des actes nuls est lui-même
frappé de nullité. La raison essentielle d'exiger la
légalité de la preuve pénale est que l'État exerce
le droit de punir par le biais des procédures juridiques
organisées, légalisées et destinées à
réaliser et à assurer des garanties pour l'accusé, en
premier lieu le droit sacré de se défendre.
44. La légalité contribue à rendre la
liberté de preuve relative. La vérité est sans aucun
doute le but premier et le plus important dans le procès pénal,
mais « si la manifestation de la
314
vérité est essentielle, elle ne doit pas
être recherchée de n'importe quelle manière ». La
dominance du principe de la liberté de preuve dans le domaine
pénal ne signifie pas que cette
315
liberté est absoluese libérant ainsi de toute
restriction, car en supposant que cette liberté de preuve soit absolue
sans aucune restriction ou contrôle, il ne serait pas donc évident
au législateur libanais ou français d'organiser la façon
d'obtenir la preuve ou les moyens de recherche et de production de la preuve
pénale d'une façon précise dans le Code de
procédure
316
pénale. Il est indiscutable que le principe de
la légalité de la preuve pénale est la principale
restriction face à la liberté absolue de preuve. Pourtant, cela
ne peut jamais être considéré comme un retour au
système de la preuve légale car cette légalité en
tant que principe général encadrant la recherche de la preuve est
complètement différente de l'ancien système de preuve
légale ayant jadis prévalu en France. En effet, les
différences sont nombreuses et doivent être
314 G. Danjaume, « Le principe de la
liberté de la preuve en procédure pénale », in
D., 1996, Chronique, pp. 153-156.
315 V. sur ce point : J. Pradel, « La
preuve en procédure pénale comparée (Rapport
général) », in Revue internationale de droit
pénal, 1er-2e trimestre1992, vol. 63, Actes
du Séminaire International organisé par l'Institut
Supérieur International de Sciences Criminelles à Syracuse
(Italie) du 20 au 25 janvier 1992, pp.13-32. V. spec. p. 18 : « Il y a
d'abord des systèmes favorables à une application très
large du principe de la liberté de la preuve, mais, notons-le, pas
à une application absolue. Très révélateur de ce
point de vue est l'article 427 CPP français, selon lequel "hors les cas
où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être
établies par tout mode de preuve... ».
316 V. M.-E. Boursier, Le principe de
loyauté en droit processuel, Dalloz, 2003, p. 84 : « La
problématique de la liberté est qu'elle porte en germe la
possibilité de son abus dans la volonté parfois marquée de
recherché la vérité à tout prix. Le prix de cette
recherche doit être borné par le respect d'autres principes qui,
eu égard à leur origine de droit naturel et à leur
importance, ne peuvent souffrir d'exception, fût-ce au nom de la
vérité »
claires afin que ce sujet ne soit pas ambigu. D'une part, la
légalité de la preuve pénale coexiste avec la
liberté de la preuve sans aucune contradiction avec ou entre les deux
principes, mais elle détermine plutôt le cadre et les limites de
cette liberté afin qu'elle ne soit pas utilisée dans l'abus
contre les droits et libertés individuels. D'autre part, le principe de
la légalité de la preuve pénale vise également
à garantir l'existence d'un cadre procédural juridique visant
à la recherche de la preuve pénale. Ainsi, la liberté de
la preuve ne peut pas transgresser les droits fondamentaux, droits de la
défense et principe du procès équitable en vue d'atteindre
la preuve pénale : « ... la preuve pénale ne peut
être admise que si, dans son administration, elle respecte la
légalité, que celle-ci s'exprime par des principes
généraux du droit, ou par des
lois qui régissent la recherche »
|
317
|
. Le rôle du principe de la légalité de la
preuve pénale
|
75
devient évident dans la détermination d'un cadre
permanent pour la liberté à la preuve, sans aucune
préférence pour une preuve plutôt qu'une autre, pour
l'attribution d'une force probante d'une preuve vis-à-vis d'une autre,
ou encore pour l'imposition ou la limitation de la démonstration d'une
infraction par le biais d'un moyen de démonstration en particulier. Le
principe de la légalité de la preuve pénale est
plutôt limité à l'imposition de la légalité
du moyen à travers lequel la preuve pénale est obtenue parmi les
moyens autorisés par la loi, en permettant la liberté du choix de
ceux-ci. Il convient de préciser que le principe de la
légalité de la preuve pénale n'interfère nullement
dans la détermination de la valeur probante de la preuve ou de sa
préférence. Tous les moyens sont utiles en application du
principe de la liberté de la preuve, et nulle autre personne que le juge
compétent ou le tribunal compétent peut estimer la valeur
probante de la preuve selon sa propre conviction, en application
également du principe de la liberté du juge d'estimer la preuve
qui lui est présentée en vertu du principe libanais et
français de l'intime conviction du juge. Le nom de la liberté de
la preuve porté par ce principe ne signifie pas que cette liberté
soit absolue sans aucune restriction ou condition, car il est évident
qu'il existe des limites légalement déterminées à
ce
45. Une liberté relative ou non absolue. La
liberté de la preuve ne signifie pas qu'il s'agit d'un principe absolu
qui ne comporte aucune limite et qui permette de prouver par tous les
317 J. Buisson, « La
légalité dans l'administration de la preuve pénale »,
in Procédures, Décembre 1998, Chr. n° 14, pp. 3-6,
V. spec. p. 3.
318 V. sur ce point : C. Copain,
L'encadrement de la contrainte probatoire en procédure pénale
française, Thèse de droit, Université Lyon 3, 2011,
n° 90, p. 52 : « Si la preuve est libre, les modalités de
recherche de celle ci ne le sont pas. A défaut la contrainte probatoire
deviendrait arbitraire et pourrait justifier l'exercice d'un droit de
résistance ».
76
moyens. La liberté de preuve ne s'exerce pas sans
limite, elle trouve sa limite dans le
319
respect des droits fondamentaux de la personne humaine et la
protection des autres droits
320
essentiels. Les moyens de preuve saisis par les
procédés modernes d'investigation nous poussent à poser la
question qui déjà a été posée par Mme
Coralie Ambroise-Castérot : prouver avec quelles preuves ? Les
infractions peuvent-elles être établies par tout mode de preuve et
sans limites? Sans hésitation, n'importe quel moyen ne pourra pas pour
autant être employé. En effet, ce principe de liberté de la
preuve ne signifie pas que n'importe quel procédé puisse
être utilisé : torture, sérum de vérité,
polygraphe (détecteur de mensonges), etc. Il existe donc, selon Mme
Coralie Ambroise-Castérot, des procédés interdits parce
que la liberté des preuves est une liberté encadrée par la
légalité : seuls les modes de preuves
321
légalement prévus sont admissibles devant les
tribunaux . Donc, il existe certaines restrictions légales et
procédurales. La recherche de la vérité dans le cadre d'un
procès pénal connaît des limites aussi bien naturelles que
juridiques. En effet, non seulement les capacités humaines sont
limitées, mais aussi le droit positif pose des limites bien
précises quant aux moyens et au sujet de la preuve ainsi qu'aux
critères d'appréciation de la force
probante 322 . Certes, l'intérêt public commande
la recherche de la preuve de la manière la plus complète possible
; cependant, il ne saurait autoriser le recours à toutes sortes de
pratiques ou
323
d'excès, voire à la violation des droits
fondamentaux. Dans un État de droit, il n'est, en effet, pas acceptable
que la vérité soit établie par n'importe quel
procédé et à n'importe quel prix. Plusieurs solutions sont
concevables en ce qui concerne le degré de liberté relatif
à
. Si la liberté de preuve permet en principe
324
l'établissement de la preuve des infractions
d'utiliser tous les modes de preuves, cette liberté ne
peut pas être une liberté absolue sans limites légales
imposées par la loi et les principes généraux fondamentaux
puisque l'administration de la preuve pénale touche à la
liberté fondamentale de la personne et aux
319 J. Leroy, Procédure
pénale, 3e édition, L.G.D.J., 2013, n° 348,
p. 186 : « Cette liberté ne s'exerce pas sans limite. Elle ne
saurait exister que dans un cadre légal. La violence pour l'obtention
d'une preuve est à exclure. ».
320 V. dans le même sens : F. El Hajj
Chehade, Les actes d'investigation, Thèse de droit,
Université du Maine, 2010, p. 16 : « Une liberté absolue
peut conduire certainement à des abus. C'est pourquoi, la loi contient
des principes directeurs destinés à garantir la
légalité des méthodes d'investigation et à
protéger l'individu contre l'arbitraire dans la recherche des preuves
».
321 C. Ambroise-Castérot, «
Recherche et administration des preuves en procédure pénale : la
quête du Graal de la Vérité », in AJ
Pénal, 2005, pp. 261 et s.
322 A. Baratta et R. Hohmann, «
Vérité procédurale ou vérité substantielle
», in Déviance et Société, Genève,
2000, Vol. 24, n°1, pp. 91-93.
323 F. El Hajj Chehade, Les actes
d'investigation, Thèse de droit, Université du Maine, 2010,
p. 22.
324 E. Molina, La liberté de la
preuve des infractions en droit français contemporain, Thèse
de droit, op. cit., n° 15, pp. 22 et s.
aspects les plus intimes de la vie privée et parfois
à la dignité humaine. Les pouvoirs d'investigation sont sans
doute nécessaires à la recherche des auteurs d'infractions et au
rassemblement des preuves, mais l'exercice de ces pouvoirs doit se concilier
avec celui des
325
libertés individuelles et des autres droits
fondamentaux. L'application de la liberté de la preuve dans la
manifestation de la vérité du procès pénal est
limitée par l'application de certains principes généraux
qui interdisent de rechercher la vérité par n'importe quel
procédé notamment les procédés illégaux et
contraires au droit à un procès équitable.
46. Limites tenant à la liberté de preuve.
Dans le droit interne français et libanais, le principe de la
liberté de preuve connaît d'importantes limites comme le droit au
respect du corps humain, les droits de la défense et le droit à
un procès équitable. Sans doute, les modes de preuves ont
été élargis en comparaison avec les modes de preuve
classiques. L'infraction ne
se prouve plus au XXIe siècle comme elle se prouvait il
y a cinquante ans
|
326
|
. Certains
|
77
principes constitutionnels et conventionnels au Liban et en
France imposent des restrictions strictes au droit de la preuve pénale.
Des obligations et des règles ont été
dégagées de la Déclaration universelle des droits de
l'homme. Ils ont laissé une influence nette sur le principe de la
liberté de preuve. Le Liban et la France sont des membres fondateurs et
actifs de l'organisation des Nations-Unies, engagés par ses pactes et
par la Déclaration universelle des droits de l'homme. Le premier texte
de la déclaration précité a été écrit
par le juriste français
M. René Cassin et par le rapporteur du comité,
de nationalité libanaise M. Charles Malik. En France, les limites
deviennent de plus en plus nombreuses sous l'influence essentielle de la
Convention européenne des droits de l'Homme du 4 novembre 1950
ratifiée par la France en 1974. La Cour européenne des droits de
l'homme ne se prononce pas directement sur la recevabilité des
éléments de preuve, en effet les juges strasbourgeois exercent
leurs contrôles sur l'équité de la procédure dans
son ensemble en vertu de l'article 6 de la Conv. EDH . Malheureusement, en
droit libanais on ne trouve pas une garantie essentielle des droits de l'homme
et des droits fondamentaux dans le procès pénal comme celle que
l'article 6 de la CEDH et la Cour de Strasbourg intègrent dans le droit
français. Par conséquent, la preuve
pénale en droit libanais peut être apportée par tout moyen
en application du principe de la liberté de la preuve pénale qui
ne connaît pas un contrôle du caractère équitable de
la procédure dans son ensemble. La liberté de preuve est le
principe fondamental en matière pénale mais cette liberté
n'est certainement pas totale et hors de toute limite. C'est une
liberté
325 F. El Hajj Chehade, Les actes
d'investigation, Thèse de droit, Université du Maine, 2010,
p. 16.
326 C. Ambroise-Castérot, «
Recherche et administration des preuves en procédure pénale : la
quête du Graal de la Vérité », in AJ
Pénal, 2005, pp. 261 et s.
327
qui n'est pas absolue. Le principe de la légalité
dans la recherche de la preuve pénale est considéré comme
une restriction et une condition fondamentale vis-à-vis de la
liberté de la preuve pénale et transforme celle-ci en un principe
relatif. Autrement dit, la liberté de preuve
est relative et s'arrête aux limites de la
légalité formelle exigée par la loi328
. Ce sujet sera traité
78
dans le premier paragraphe (§1. Légalité
formelle). En outre, la légalité rend cette liberté de
preuve conditionnelle. Ce sujet sera abordé dans le deuxième
paragraphe (§2. Légalité matérielle).
. § 1. Légalité formelle.
47. La légalité formelle. La preuve
pénale ne doit pas naître d'une illégalité formelle.
Par légalité formelle, l'on entend le respect des formes. La
légalité formelle est basée sur le respect de la
liberté de la preuve aux dispositions des lois régissant le
processus de la recherche de preuve, s'agissant de la forme que le
législateur exige dans le cadre de la procédure pénale
visant à recueillir la preuve. En outre, la liberté de la preuve
doit respecter toutes les conditions, interdictions ou entraves que le
législateur a voulu déterminer dans la procédure
pénale lors de la recherche de la preuve ou sa production. La
légalité formelle dans le cadre de la recherche de la preuve
pénale signifie le respect de l'intimité de la vie privée
des individus dans le procès pénal dont la violation ne peut
être admise que par un texte juridique autorisant explicitement le type
et la nature de cette violation exceptionnelle que le législateur estime
prévoir à cause de la nécessité de rechercher la
preuve pénale. En outre légalité formelle signifie
également que la recherche de la preuve lors du processus de
l'enquête finale, c'est-à-dire la phase du jugement, doit
être soumise aux principes généraux encadrant la preuve
pénale et le jugement final. Ces principes sont la présentation
de la preuve lors d'une audience publique, son débat par les parties au
procès et la Cour, ainsi que le principe du contradictoire, où
les preuves sont mises face aux parties, en recevant les
327 V. en même sens : C. Mascala,
« Le juge répressif doit apprécier la valeur probante des
moyens de preuve produits par les parties même obtenus de manière
illicite ou déloyale », Note sous Cass. crim 15 juin 1993,
B.C., n° 210, in D., 1994, p. 613 : « Mais ce
principe de liberté n'est pas sans limite. Certaines restrictions dans
la recherche des preuves sont imposées au juge pénal par le
législateur ou la jurisprudence. Ce ne sont pas de véritables
exceptions au principe de liberté des preuves, qui demeure, car elles ne
concernent pas les modes de preuves qui, dans tous les cas, restent libres,
mais les moyens de se les procurer et d'en user ».
328 V. F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer,
Traité de procédure pénale, 3e
éd., Economica, 2013, n° 249, p. 153 : « La
légalité peut revêtir un sens formel et matériel
» ; « Le respect de la légalité formelle
implique l'existence d'une loi préalable claire et prévisible
tandis que la légalité matérielle n'est autre que la
conformité au droit : conformité de la loi préalable aux
normes supérieurs mais également conformité des actes de
procédure à la loi. ».
79
329
aspects de leur défense ou leurs observations à
ce sujet. Les preuves obtenues doivent respecter la légalité
formelle, de sorte que la violation de règles formelles de
procédure pénale, telle que, par exemple la perquisition
effectuée sans autorisation ni consentement (perquisition
irrégulière) rend la preuve obtenue illégale.
L'illégalité formelle résulte encore de l'inobservation et
de la méconnaissance d'une formalité substantielle prévue
par une disposition textuelle comme l'obtention d'une preuve en violation de
principes généraux prévus par la loi et gouvernant
l'administration de preuves (preuves exclues du contradictoire ou contraires au
respect des droits de la défense). En outre, le principe de la
légalité de la preuve pénale nécessite le respect
des droits de la défense relatifs à la preuve tels que la
façon de mener un interrogatoire et ses garanties. On ajoute que la
légalité formelle dans la recherche de preuve implique le respect
de la loi qui réglemente la procédure de l'utilisation d'un moyen
de preuve qui porte normalement par sa nature atteinte au droit de la vie
privée ou exactement celle d'un moyen de preuve en contradiction avec le
droit au respect de la vie privée. On peut évoquer la
légalité des écoutes téléphoniques qui
nécessite une base légale propre permettant cette atteinte
légale. Sans doute, la violation de la loi qui réglemente le
recours à l'écoute téléphonique rend la preuve
obtenue illégale, c'est une violation de la légalité
formelle de la preuve pénale.
A. Les formalités substantielles.
48. Le non respect des formalités viole la
légalité formelle de la preuve. La preuve pénale ne
doit pas être collectée et obtenue en violation d'une
formalité prescrite par la loi. L'acte de procédure qui vise la
recherche des preuves doit respecter la forme imposée avec
précision par le législateur, ce qui implique l'application de
l'acte de procédure pénale qui organise la recherche de la preuve
conformément au modèle défini et prévu par la loi
dans les conditions fixées par le Code de procédure pénale
selon lesquelles l'inobservation commise rend la preuve illégale et peut
entraîner sa nullité. M. Jacques Buisson illustre clairement
l'idée précédente en écrivant : « la
recherche et le recueil de la preuve sont nécessairement prévus
par des règles différentes selon qu'ils sont le fait d'un
particulier ou d'un agent public, l'action de ce dernier impliquant la mise en
oeuvre de la contrainte étatique contre laquelle il convient, dans un
État de droit, de protéger les personnes qui peuvent en
être l'objet. Le législateur a
329 V. F. Fourment, Procédure
pénale, 14e édition, Larcier, 2013, n° 74,
pp. 55-56 : « En réalité, le principe de la
légalité de la preuve est sauvegardé sous couvert de deux
autres principes, érigés par la jurisprudence en principes
généraux du droit : la loyauté dans la recherche de la
preuve et la loyauté dans la discussion de la preuve ».
donc organisé les ingérences étatique
au sens de la Convention européenne, destinées à permettre
cette administration de la preuve. Ainsi, il a soigneusement
réglementé divers actes
de recueil de la preuve... »
|
330
|
. Il existe, en procédure pénale, des
formalités nécessaires à la
|
80
validité de l'acte de la recherche des preuves dont
l'accomplissement ne peut être négligé d'aucune
manière, ce sont les formes essentielles, inévitables,
obligatoires et indispensables pour que l'acte puisse accomplir sa tâche.
Sans doute est-il difficile de préciser rigoureusement la sanction
procédurale de cette inobservation de la forme de la procédure
dans la recherche de la preuve et en même temps compliqué
d'admettre que chaque non-respect des règles de procédure en
matière pénale doit automatiquement entacher
d'illégalité la preuve collectée. Ce qui nécessite
de trouver un critère permettant d'évaluer le non-respect de la
forme prévue de l'acte de procédure afin de trouver un
équilibre entre l'efficacité de la procédure de recherche
des preuves d'une part, et l'application du principe de la
légalité des preuves d'autre part, en considérant que
certaines formalités prévues par le législateur
méritent d'être classées parmi les formalités
substantielles de la procédure ou d'ordre public dont la violation
conduit à considérer la preuve comme illégale. Une
formalité dite substantielle désigne une règle de
procédure pénale qui tend à rechercher les preuves dont la
méconnaissance totale ou partielle touche la légalité de
la preuve parce que cette formalité est indispensable pour garantir les
droits de la défense. Cependant, il y a des formalités non
substantielles dont l'inobservation ne rend pas les preuves illégales.
Ce sont les formalités de nature accidentelle ou secondaire. La question
qui se pose naturellement pour distinguer dans chaque cas si la preuve est
illégale ou non, est la suivante : l'omission de cette formalité
ou les irrégularités commises lors de son accomplissement dans la
recherche des preuves ont-elles eu une influence sur la légalité
des preuves ? De surcroît, la théorie des nullités qui
présente une sanction procédurale joue un rôle essentiel et
laisse une influence remarquable sur le caractère impératif des
formalités procédurales qui tend vers la recherche des preuves.
En tout cas, la preuve résultant d'un acte de procédure
pénale doit respecter les formalités prescrites par la loi parce
que le législateur qui impose ces formalités vise à
sauvegarder les droits pour toute personne soupçonnée ou
poursuivie en matière pénale et parfois le législateur
considère ces formalités comme des conditions de validité
de l'acte de procédure dont résulte la preuve.
330 J. Buisson, « L'audition sous
hypnose est interdite. Est permis l'enregistrement, au parloir d'une maison
d'arrêt, de propos tenus entre des mis en examen et leurs proches »,
in Procédures, n° 3, Mars 2001, comm. 70.
B. Les principes directeurs relatifs à la
preuve.
49. Respect des principes généraux à
la phase de jugement. La recherche des preuves doit se dérouler en
respectant les droits de défense consacrés par le
législateur ou par les normes essentielles qui gouvernent le
procès pénal, notamment le procès équitable. Divers
instruments consacrent, tant en droit interne libanais et français qu'en
droit international, les droits de la défense comme un droit fondamental
de l'être humain. Dans un procès pénal, les acteurs de la
recherche de la vérité judiciaire sont tenus de respecter les
obligations relatives
aux droits de défense liées à la recherche
et à l'administration de la preuve
|
331
|
. D`une manière
|
générale les principes généraux du
droit de défense relatifs à la légalité de la
preuve sont les
332
principes de l'oralité des débats, du
contradictoire et de la publicité des audiences. Selon M. Jacques
Buison, « l'administration de la preuve ne saurait évidemment
violer les droits de la défense. Pendant longtemps
considérés comme garantis par un principe général
du droit, fondés sur le principe du contradictoire dans le procès
pénal, ces droits sont aujourd'hui protégés par une norme,
supérieure à la loi interne, d'application directe, l'article
6,
paragraphe 3, de la Convention européenne des droits
de l'homme »
|
333
|
. La légalité formelle
|
81
de la preuve exige l'application des principes
généraux qui sont fixés par les législateurs
libanais et français comme étant les principes dominant la phase
de jugement. Par conséquent, les conditions de recevabilité de la
preuve dans la phase de jugement sont intimement liées au respect du
principe du contradictoire, de l'oralité et de la publicité du
débat. Le juge du fond ne doit pas former son intime conviction pour
juger l'affaire pénale sur la base des éléments de preuve
qui portent atteinte aux principes de l'oralité des débats et du
contradictoire ou en supprimant la publicité des débats. Les
éléments de preuve doivent faire l'objet d'un débat
contradictoire au cours des débats. Effectivement, les
éléments de preuve non soumis à la
331 V. sur ce point en droit français
: J. Buisson, « L'audition sous hypnose est interdite. Est permis
l'enregistrement, au parloir d'une maison d'arrêt, de propos tenus entre
des mis en examen et leurs proches », in Procédures,
n° 3, Mars 2001, comm. 70 : « L'administration de la preuve
obéit également au respect de la légalité formelle,
c'est-à-dire aux lois qui en régissent les actes. Ainsi elle ne
saurait évidemment méconnaître les droits de la
défense prévus par article 6, § 3, de la Convention
européenne des droits de l'homme qui impose notamment
l'inviolabilité des correspondances entre le mis en cause et son avocat,
le droit de se taire lors d'un interrogatoire de police et le droit de ne pas
contribuer à sa propre incrimination... qui, aujourd'hui est
formellement intégré dans la loi, depuis la réforme du 15
juin 2000 (C. pr. pén., art. 63-1)... ».
332 V. R. Lindon, « Pour remédier
à certaines obscurités et complications (A propos de la
règle de la publicité des débats) », in J.C.P.,
1968, I (Doctrine), 2190 : « On sait que la publicité des
débats est la règle et que non seulement les débats
proprement dits doivent avoir lieu mais qu'encore le jugement doit être
prononcé en audience publique ».
333 J. Buisson, « La
légalité dans l'administration de la preuve pénale »,
in Procédures, Décembre 1998, Chr. n° 14, pp. 3-6,
V. spec. p. 4.
82
contradiction au cours des débats et sur lesquels les
parties n'auront pas eu l'occasion et la possibilité de se prononcer
seront considérés comme des preuves illégales.
C. La liberté de la preuve au regard du respect de
la vie privée.
50. Respect de l'intimité de la vie privée.
Chaque personne bénéficie du droit à la protection de
sa vie privée qui limite la liberté dans la recherche de la
preuve pénale. Il faut respecter et protéger la vie privée
; de même la recherche de la preuve pénale ne peut se faire en
violation de la vie privée. L'efficacité dans la recherche des
preuves de la culpabilité de l'individu doit respecter la protection de
la vie privée, principalement en matière d'écoutes
téléphoniques. Le non respect de la vie privée ne peut pas
être justifié par l'application du principe de la liberté
de preuve. En effet, le droit au respect de la vie privée est
reconnu à toute personne, seul le législateur peut intervenir
expressément pour autoriser des moyens de preuve qui violent ce droit
dans les conditions et selon les limites fixées par la loi qui doit
être strictement rigoureuse pour éviter tout risque d'abus de
droit. M. Jacques Buison souligne à juste titre que «
l'administration de la preuve astreint au respect de la vie privée
à laquelle aucune atteinte ne doit être portée qui,
prévue par une loi, ne soit nécessaire et
proportionnée
334
(Conv. EDH, art. 8, al. 2) ». Donc, la recherche
de la preuve ou l'utilisation des différents moyens de preuve en
opposition avec le droit à une vie privée doit obligatoirement
subir un encadrement de la loi, étant donné qu'en l'absence de
loi autorisant et acceptant expressément l'utilisation de ce moyen
portant atteinte à la vie privée, il sera considéré
comme une violation de la légalité formelle rendant
illégale la preuve obtenue. Autrement dit, seule une atteinte
légale prévue par le législateur peut permettre
l'utilisation de procédés dans la recherche de preuves qui ne
respectent pas ou qui touchent le droit au respect de la vie privée. Le
législateur apprécie la nécessité de l'atteinte au
droit au respect de la vie privée en tenant compte de l'équilibre
entre la nécessité de protéger la vie privée des
personnes et l'efficacité de la recherche des preuves pour
élucider une infraction si cela est nécessaire pour identifier
son auteur. Compte tenu de ce qui précède, la liberté de
la preuve en matière pénale trouve sûrement sa limite
normale dans l'obligation du respect scrupuleux et absolu du droit à la
protection de la vie privée de la personne poursuivie et de la personne
soupçonnée. Le droit à la protection de la vie
privée constitue une limite juridiquement infranchissable par le
principe
334 J. Buisson, « L'audition sous
hypnose est interdite. Est permis l'enregistrement, au parloir d'une maison
d'arrêt, de propos tenus entre des mis en examen et leurs proches »,
in Procédures, n° 3, Mars 2001, comm. 70.
de la liberté de preuve dont toute atteinte à la
vie privée pour obtenir un élément de preuve rendrait la
preuve illégale.
§ 2. Légalité
matérielle.
51. Le concept de la légalité
matérielle. La légalité matérielle est le
respect de la dignité humaine et de la loyauté dans la recherche
de preuves parce qu'une preuve ne peut être obtenue en violation des
principes de loyauté et de respect de la dignité humaine. Le
non-respect de l'un de ces principes suffirait alors à considérer
que la preuve en résultant est illégale parce qu'elle a
méconnu la légalité matérielle. La
légalité matérielle de la preuve pénale est
fondée sur le respect et la protection de l'intégrité du
corps humain et de sa volonté lors de la recherche et production de la
preuve pénale. En effet, ce principe n'admet aucune exception. Il doit
être respecté strictement et appliqué d'une façon
absolue lors de la recherche de la preuve et sa production afin
d'empêcher l'obtention de la preuve pénale par des moyens
inhumains et illégaux, tels que la torture de l'accusé en vue
d'obtenir son aveu, sa fustigation, l'influence de sa volonté dans tous
ses aspects, ou encore l'utilisation de moyens scientifiques afin de le forcer
à l'aveu et la présentation d'une preuve contre son gré.
En général, les atteintes à ces principes entraînent
l'illégalité matérielle de la preuve.
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