A. Le respect absolu de la dignité humaine dans la
recherche de la preuve
52. Respect ne souffrant pas d'exception. La
légalité matérielle réside dans le respect de la
dignité humaine et du libre arbitre de la personne qui prohibe de
manière absolue et sous toutes ses formes la violence, quelles qu'en
soient la forme et la nature, physique ou morale : « la violence dans
toutes ses formes, physique ou morale, est évidemment prohibée
dans la
335
recherche des preuves, de manière absolue
»
. L'interdiction de la violence ne peut souffrir
83
d'aucune exception sur la base de la nécessité de
la recherche des preuves ou au nom de la
336
liberté de preuve en matière pénale. Le
respect de la dignité humaine dans la recherche de
335 J. Buisson, « La
légalité dans l'administration de la preuve pénale »,
in Procédures, Décembre 1998, Chr. n° 14, pp. 3-6,
V. spec. p. 3.
336 V. F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer,
Traité de procédure pénale, 3e
éd., Economica, 2013, n° 281, p. 184 : « La recherche des
preuves ne peut s'effectuer au détriment de la dignité de la
personne. Les investigations impliquant des intrusions corporelles sont
très strictement encadrées, les violences exercées pour
arracher des aveux sont prohibées et les questions indélicates,
lorsqu'elles sont inutiles, doivent être bannies ».
84
la preuve ne permet aucune tolérance et doit être
absolu sans aucune exception. Cela signifie que toute violence physique ou
morale est strictement interdite dans la recherche de la preuve. En fait, la
protection de cette dignité humaine impose que les moyens et
procédés de preuve
337
doivent être respectueux de la dignité
humaine. La protection de la dignité humaine désigne
l'interdiction de toute forme de violence, qu'elle soit physique ou morale pour
recherche la preuve pénale. Ce qui précède implique que
l'interrogatoire du suspect qui est une méthode parfaite pour rassembler
les preuves, doit exclure la torture et autres traitements ou
châtiments
338
en concluant à la violation de l'article 3 de la
Convention européenne des droits de
cruels, inhumains ou dégradants ou la prolongation
anormale des interrogatoireset même toute menace. La Cour
européenne des droits de l'homme a condamné la France dans
l'affaire Tomasi339
l'homme qui interdit les traitements inhumains ou
dégradants. L'arrêt rendu par la Cour de Strasbourg le 27
août 1992 a rejeté les arguments présentés par la
France sur l'absence
337 V. J. Pradel, Procédure
pénale, 17e éd., Cujas, 2013, n° 410, pp.
354-355 : « Conformément à l'État de droit,
notion au fort contenu éthique, les magistrats, policiers et gendarmes
doivent évidemment respecter la dignité de la personne
impliquée dans une procédure. En outre, ils doivent tenir compte
de l'intimité de la personne et sa liberté d'expression de sorte
que, dans les cas où ces valeurs sont en cause, ils ne doivent agir que
s'ils ne peuvent pas faire autrement, que si en d'autres termes, leurs
diligences sont nécessaires. Enfin, ces agents doivent agir avec une
certaine loyauté, avec honnêteté ».
338 V. sur la prolongation anormale des
interrogatoires : Cass. crim., 26 février 1991, B.C., n°
97, p. 242 : « Attendu que l'inculpé ayant prétendu
qu'il n'avait pas bénéficié de temps de repos suffisants
lors de sa garde à vue, que son audition par la gendarmerie se serait
déroulée dans une atmosphère de grande tension et qu'en
conséquence le procès-verbal de son audition devait être
annulé, la chambre d'accusation, pour rejeter sa demande, énonce
d'abord que, si l'audition de X... s'est déroulée dans une
atmosphère parfois tendue, les enquêteurs ont expliqué que
les réponses faites par X... aux questions qui lui étaient
posées n'ont pu lui être suggérées en raison de leur
ignorance des circonstances du crime ; Qu'elle relève en outre que les
règles énoncées à l'article 64 du Code de
procédure pénale ne sont pas prescrites à peine de
nullité et que leur inobservation ne saurait en elle-même
entraîner la nullité des actes de la procédure lorsqu'il
n'est pas démontré que la recherche et l'établissement de
la vérité s'en sont trouvés fondamentalement viciés
; que, pour considérer que cette démonstration n'était pas
faite en l'espèce, elle relève que l'inculpé avait
été informé le 28 juillet à 15 heures 45,
après 24 heures de garde à vue, de son droit d'être
examiné par un médecin et qu'il s'y était refusé ;
qu'il avait en outre été examiné le 28 juillet à 19
heures par un psychiatre qui n'avait pas relevé d'état
d'épuisement et qu'enfin, présenté au juge d'instruction,
il avait fait une longue déclaration ne révélant pas une
intense fatigue ; Attendu qu'en l'état de ces constatations, d'où
il résulte que l'inculpé n'a pas été soumis
à des traitements inhumains, la chambre d'accusation a justifié
sa décision sans méconnaître les textes visés au
moyen, lequel ne peut, dès lors, être admis » ; V.
encore : Cass. crim., 10 mars 1992, B.C., n° 105, p. 272:
« Attendu que, répondant aux articulations essentielles du
mémoire de l'inculpé qui prétendait que les
déclarations de Richard X... au cours de sa garde à vue avaient
été faites dans une atmosphère de violence et sous le coup
de la fatigue et que les conditions de la garde à vue étaient
constitutives de traitements inhumains et dégradants interdits par
l'article 3 de la Convention invoquée et qui demandait en
conséquence l'annulation des procès-verbaux d'audition, la
chambre d'accusation rejette cette demande par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi cette juridiction n'a pas encouru les
griefs allégués ; qu'il résulte de ses constatations, que
la Cour de Cassation est en mesure de vérifier, que, contrairement
à ce qui est soutenu, l'inculpé n'a pas été
privé de tout repos pendant la durée de sa garde à vue,
qu'il n'a pas été l'objet de traitements dégradants et
inhumains et que ses déclarations ne sont l'effet ni de la fatigue ni de
la contrainte; Qu'ainsi le moyen ne peut être admis ».
339 V. sur l'affaire Tomas: F. Sudre,
L'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme : mauvais
traitements et délai raisonnable », in R.S.C., 1993, pp.
33-43.
85
d'atteinte au minimum de gravité. «
D'après le Gouvernement au contraire, le "minimum de gravité"
exigé par la jurisprudence de la Cour (arrêt Irlande c.
Royaume-Uni précité et arrêt Tyrer c. Royaume-Uni du 25
avril 1978, série A no 26) n'a pas été atteint
»340. La Cour de Strasbourg considère, pour
condamner la France dans cette affaire, que « la Cour ne peut se
rallier à cette thèse. Elle n'estime pas devoir examiner le
système et les modalités de la garde à vue en France, ni
en l'occurrence la durée et la fréquence des interrogatoires du
requérant. Il lui suffit de noter que les certificats et rapports
médicaux, établis en toute indépendance par des
praticiens, attestent de l'intensité et de la multiplicité des
coups portés à M. Tomasi ; il y a là deux
éléments assez sérieux pour conférer à ce
traitement un caractère inhumain et dégradant. Les
nécessités de l'enquête et les indéniables
difficultés de la lutte contre la criminalité, notamment en
matière de terrorisme, ne sauraient conduire à limiter la
protection
due à l'intégrité physique de la
personne » 341 . Mme Haritini Matsopoulou a vivement critiqué
la permissivité du système répressif français
devant les graves violations des droits de l'homme qu'a subies M. Tomasi avec
l'approbation des juges français qui n'ont pas sanctionné cette
violation flagrante tout au long des diverses phases du procès
pénal : « il est vraiment dommage qu'il ait fallu attendre une
décision de la Cour européenne des droits de l'homme dans
l'affaire Tomasi, car il aurait été préférable que
la chambre d'accusation ou le
342
.
juge de jugement reconnaisse la nullité des actes
ainsi accomplis »
53. L'interdiction d'administrer des preuves en violation
de la dignité humaine. La collecte des preuves doit avoir lieu dans
le respect de la dignité humaine. Certains procédés
scientifiques menacent gravement le libre arbitre de la personne et peuvent
même conduire à son élimination totale. Tous ces moyens de
preuve attentatoires à la dignité humaine ne peuvent être
admis dans la justice : « le respect de la dignité humaine
interdit de manière absolue toute forme de violence physique ou morale.
Sont donc évidemment prohibés ... les procédés
scientifiques destinés à obtenir un aveu : polygraphe,
narco-analyse, et plus généralement tous moyens chimiques ou
médicaux destinés à forcer la volonté d'une
personne. Ce principe étant constitutif du noyau dur des droits de
l'homme, insusceptible d'ingérence étatique dans la Convention
européenne des droits de l'homme, il ne saurait être
343
admis qu'il puisse être méconnu avec le
consentement de la personne concernée ». Certains
340 CEDH, 27 août 1992, Tomasi c. France,
requête n°12850/87, V. spec. §114.
341 CEDH, 27 août 1992, Tomasi c. France,
requête n°12850/87, V. spec. §115.
342 H. Matsopoulou, Les enquêtes de
police, Thèse de droit, L.G.D.J., Paris, 1996, n° 878, p.
711.
343 J. Buisson, « L'audition sous
hypnose est interdite. Est permis l'enregistrement, au parloir d'une maison
d'arrêt, de propos tenus entre des mis en examen et leurs proches »,
in Procédures, n° 3, Mars 2001, comm. 70.
86
procédés scientifiques ont été
considérés admissibles par les législateurs libanais et
français ou par la jurisprudence comme moyens de preuve recevables qui
ne violent pas la dignité humaine et le libre arbitre de la personne. Ce
n'est pas facile d'évaluer le degré de menace que porte un
procédé scientifique pour rejeter ce moyen ou au contraire
l'admettre comme moyen de preuve. C'est pourquoi ce sujet fait couler beaucoup
d'encre et a provoqué une levée de boucliers.
B. La liberté de la preuve limitée par le
respect du principe de la loyauté.
54. La loyauté de la preuve dans la recherche de la
preuve pénale. On parle de loyauté dans la recherche de la
preuve pénale qui n'existe pas expressément ou formellement par
un texte législatif en droit libanais et français. La
loyauté dans la recherche des preuves comme principe
général a été découverte depuis longtemps
par la jurisprudence de la Cour de cassation française au nom de
l'éthique judiciaire. Il y a plusieurs arrêts en France surtout de
la chambre criminelle de la Cour de cassation française qui se fondent
sur ce principe. En droit libanais, ce principe de loyauté est
timidement reconnu par la jurisprudence et la doctrine pénales. La
loyauté dans le domaine de la preuve pénale n'a jamais
été définie par la jurisprudence libanaise et
française. La doctrine n'est pas unanime sur la définition et
même sur la reconnaissance de l'existence de ce principe comme principe
essentiel dans la recherche de la preuve. La loyauté est un principe qui
souffre d'hésitation ou d'ambiguïté malgré les
différentes propositions de définition proposées par la
doctrine française. Ce principe interdit
344
l'utilisation de procédés déloyaux dans
la recherche des preuves, le terme de procédé déloyal est
assez vaste et contient nombre d'incertitudes et d'ambiguïtés. La
définition de la loyauté n'est ni claire, et ni précise.
D'autre part, certains auteurs comme MM. Jacques Buisson et Serge Guinchard,
considèrent que l'étude du principe de loyauté doit
s'inscrire au
. En ce qui concerne la loyauté
345
sein des études relatives au respect de la
légalité matérielle
de la preuve, la majorité de la doctrine considère
le principe de la loyauté de la preuve
346
pénale dans le cadre de la légalité
matérielle de la preuve. Cependant, nous
344 V. sur la loyauté de la preuve :
J. Buisson, « La légalité dans l'administration de la preuve
pénale », in Procédures, Décembre 1998, Chr.
n° 14, pp. 3-6, V. spec. p. 4: « Le principe de loyauté
dans la recherche des preuves a pour objet d'interdire à celui qui
administre la preuve l'utilisation de procédés déloyaux,
de ruses ou de stratagème ».
345 V. en ce sens: S. Guinchard et J.
Buisson, Procédure pénale, 9e édition,
LEXIS NEXIS/LITEC, 2013, n° 584, p. 588 ; V. encore : J. Buisson,
« Preuve », in Rép. pén. Dalloz.,
février 2003, n° 87 et n° 88, pp. 18-19.
346 V. au contraire : D. Giannoulopoulos,
L'exclusion de preuves pénales déloyales : une étude
comparée des droits américain, anglais, français et
hellénique, Thèse de droit, Université Paris I, 2009,
p. 215 : «... c'est
87
préférons, contrairement à l'avis de la
majorité des juristes, ne pas classifier le principe de loyauté
de la preuve pénale entre la légalité formelle ou
matérielle, et par conséquent, le considérer en tant
qu'une partie intégrante du principe général de la
légalité de la preuve pénale. Pour cette raison, nous
allons examiner ultérieurement le principe de loyauté de la
preuve pénale de façon distincte, en dehors du champ de la
légalité formelle et matérielle.
|