La Responsabilité environnementale en droit congolais face aux nouveaux risques: cas de l'exploitation du pétrolepar Fabien MUHAMED ABDOUL UNIVERSITE LIBRE DES PAYS DES GRANDS LACS - Graduat 2018 |
Section 2 : la responsabilité environnementale objectiveTel que nous venons de le voir, la responsabilité civile classique ne répond pas à la nécessité de réparer les dommages environnementaux suite à la difficulté de preuve liée au machinisme ou industrialisation. L'exigence de la preuve de la commission d'une faute dans le chef de celui qui a causé le dommage est problématique pour les risques issus de l'activité industrielle comme les risques environnementaux. Il en va de même pour l'établissement de la causalité. 43(*) Le contentieux de la responsabilité environnementale se concentre souvent sur des questions de preuve. D'une manière générale, la preuve d'un dommage environnemental est plus complexe en raison de l'écoulement du temps, parfois très long, et de l'incertitude scientifique qui domine. La preuve est une question à mi-chemin entre le droit processuel et le droit substantiel. Il s'agit d'une démarche intellectuelle qui consiste à convaincre le juge d'une vérité et d'une démarche matérielle puisqu'il convient de produire matériellement certains éléments de preuve.44(*) Cette question probatoire qui se rapporte en droit de la responsabilité civile à la preuve d'un fait générateur, d'un préjudice ou d'un lien de causalité pose des difficultés majeures en droit de l'environnement. Outre le fait que les questions environnementales amènent souvent à manier des concepts scientifiques et des concepts juridiques difficiles à définir, elles interviennent surtout dans des domaines où l'incertitude règne en maître. L'utilisation parfois faite du principe de précaution en est une illustration topique. Cette incertitude scientifique et juridique rejaillit directement sur le droit de la preuve tant sur la charge de la preuve que sur les modes de preuve45(*). De ce qui précède, des responsabilités objectives existent donc en ce qui concerne la pollution par hydrocarbures ou les accidents nucléaires.46(*) Cette responsabilité objective qui dispense la victime d'apporter la preuve de la faute, difficile à déterminer dans les activités industrielles extractives, parait comme palliatif nécessaire à la réparation des dommages dans le domaine de l'environnement pour autant qu'elle soit organisée de manière claire et précise comme le veulent les théories de base de cette responsabilité. En effet, face à l'incertitude du risque en matière environnementale, défini dans la langue courante comme un danger éventuel plus ou moins prévisible47(*), et dans la langue juridique, comme « un événement dommageable dont la survenance est incertaine, quant à sa réalisation ou à la date de cette réalisation 48(*)», la responsabilité objective constitue un fondement efficace de la responsabilité environnementale surtout pour ce qui est de l'exploitation du pétrole, contrairement à la responsabilité civile prévue par la loi portant principes fondamentaux relatifs à la protection de l'environnement. Le risque environnemental que l'on souhaite gérer est donc un événement futur dommageable pour l'environnement et prévisible jusqu'à un certain degré. La prévisibilité se réalise notamment par le biais du calcul de probabilité. C'est la raison pour laquelle le risque environnemental est, encore aujourd'hui, défini en premier lieu par les experts scientifiques. Mais le risque environnemental concerne des équilibres complexes entre des collectivités et leur environnement49(*). Ainsi, la science elle-même éprouve des difficultés croissantes à effectuer ce calcul de probabilité pour les nouveaux risques auxquels nous sommes confrontés. On sait donc que telle substance peut générer tel type de dommage à l'environnement, mais on ne connaît pas la probabilité d'occurrence de ce dommage50(*). Paragraphe I : Justification de la responsabilité objectiveLe droit a progressivement généré plusieurs techniques de gestion du risque notamment dans les cas où les institutions classiques de la responsabilité civile ne suffisaient pas à assurer la réparation du dommage subi. La responsabilité objective s'est développée notamment pour faire face aux accidents du travail qui étaient causés par le développement des industries. Dans ces cas la démonstration de l'existence d'une faute était particulièrement difficile pour le travailleur. La faute a donc été remplacée par l'activité à risque51(*). Il est ainsi des activités à risque pour l'environnement comme l'exploitation pétrolière. A. Les théories de la responsabilité objectiveLa responsabilité objective est fondée sur l'activité de l'agent et non sur son comportement. L'agent générateur de risque est responsable des nuisances qu'il occasionne, quel que soit le degré de précaution adopté dans l'exercice de son activité. L'application de la responsabilité objective demande simplement une preuve du dommage et de sa cause.52(*) Les techniques de responsabilités objectives reposent sur les théories du risque créé et du risque profit. Selon la théorie du risque-créé, celui qui créé une activité génératrice de risque est objectivement responsable des dommages qui en résultent, la personne qui introduit une activité à risque dans la société, le fait à ses risques et périls et non à ceux d'autrui53(*). Une variante est la théorie du « risque-maitrise » selon laquelle, celui qui a la direction d'une activité doit en assumer les risques pour lui-même et pour autrui54(*). Sur base du fait que, l'exploitant pétrolier par son activité extractive, non pas seulement il crée un risque de pollution, mais aussi il en profite financièrement et doit nécessairement en avoir la maitrise, la responsabilité objective est de ce fait adaptée à son activité pour le risque créé, risque profit et pour maitrise de risque. Ce qui est contraire à la responsabilité objective prévue par la loi sur les hydrocarbures de manière sournoise. Selon la théorie du risque-profit, celui qui tire profit d'une activité génératrice de risque est objectivement responsable des dommages qui en résultent, il doit corrélativement en supporter les charges. On fait peser la charge du dommage sur celui qui a agi et cherché un bénéfice plutôt que sur celui qui n'a rien fait.55(*) En droit de l'environnement, une telle théorie pourrait se combiner avec l'approche « deep pockets » qui consiste à tenter de faire payer la personne dont les moyens financiers sont les plus importants plutôt que la personne qui a introduit la pollution dans l'environnement.56(*) Ceci fut l'approche des communes françaises dans l'affaire du naufrage du pétrolier l'Erika au large de la Bretagne, dans lequel le procès s'est concentré sur l'imputabilité du naufrage à Total en tant que producteur des hydrocarbures plutôt qu'à l'armateur, à l'affréteur ou au capitaine. Or, le « deep pockets » est en général également l'entreprise qui tirera le plus de bénéfices de l'activité à risque57(*). Si la responsabilité subjective suppose une faute au chef de l'auteur du dommage, la responsabilité objective ne la suppose pas et, par conséquent, l'auteur du dommage peut être condamné aux dommages et intérêts par le seul fait qu'il a causé un dommage58(*) L'un des éléments de la qualité d'exploitant au titre de la réglementation des installations classées est de disposer de la maîtrise opérationnelle des installations dont il a la charge, lesquelles sont couvertes par un permis d'exploiter. Cette maîtrise a plusieurs conséquences vis-à-vis de la mise en cause de la responsabilité civile de l'exploitant. Elle peut ainsi fonder une action en responsabilité du fait des choses que l'on a sous sa garde et une action en responsabilité du fait des troubles anormaux du voisinage. Ces fondements sont d'ailleurs plus facilement usités par les victimes, puisqu'ils ne nécessitent pas la preuve d'une faute et que la responsabilité s'exerce de plein droit.59(*) En effet, si on veut veiller à ce que des précautions plus grandes soient prises pour éviter que l'environnement ne subisse des dommages, l'une des solutions consiste à déclarer formellement responsable la partie dont l'activité risque d'occasionner ces dommages. Cela signifie que, lorsque des dommages surviennent effectivement, c'est à la partie qui exerce le contrôle de l'activité (c'est-à-dire l'exploitant), et qui est donc le véritable pollueur, d'assumer le coût de leur réparation60(*). Telle a été la solution prise par l'union européenne dans le livre blanc sur la responsabilité environnementale, il s'agit d'une responsabilité objective due au risque créé61(*). Elle prévoit alors une responsabilité de plein droit du gardien de la chose, sous réserve que le lien de causalité et l'existence d'un préjudice soient seulement prouvés par la victime. A la suite d'une jurisprudence désormais établie, la qualité de gardien est déterminée par l'usage, la surveillance et le contrôle de la chose en question62(*). En matière environnementale, la jurisprudence a toutefois précisé qu'il est nécessaire que le gardien de la chose dispose en plus des connaissances théoriques et techniques lui permettant de la surveiller et de la contrôler. Or ces critères sont en réalité très proches de ceux de la qualité d'exploitant pétrolier.63(*) C'est pourquoi, en cas de dommages créés par les installations (pétrolières) relevant d'un exploitant, la responsabilité de ce dernier pourra être facilement mise en oeuvre sur ce fondement64(*). De ce qui précède, par le fait que les exploitants pétroliers doivent disposer de la maitrise technique de leurs activités, en droit environnemental congolais, leur responsabilité peut être engagée sur base de ce fondement, c'est-à-dire, une responsabilité de plein droit du gardien de la chose comme nous venons de le voir ci haut. Un autre fondement qui permet de mettre en cause la responsabilité de l'exploitant, en raison de la maîtrise dont il dispose sur les installations, est celui pour troubles anormaux de voisinage. Il résulte que si le propriétaire peut jouir de sa chose, par exemple de son exploitation industrielle, de la manière la plus absolue, sous réserve que son usage ne soit pas prohibé. Ce droit est limité par l'obligation que le propriétaire a de ne causer à la propriété d'autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux de voisinage. Il s'agit aujourd'hui du principal fondement invoqué par les victimes dans leurs actions en responsabilité intentées pour des dommages de pollution. Cette responsabilité est en effet particulièrement simple à engager puisque la victime n'a pas à prouver l'existence d'une faute, mais seulement à démontrer le caractère anormal du trouble65(*) * 43 H. Jonas, le principe de responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique, Paris, Flammarion, coll. champ-essais, 1990, p.180. * 44 Mustapha mekki op.cit. p.4. * 45 A. Aynès, La preuve et le droit de l'environnement, in M. Mekki (dir.), Les notions fondamentales de droit privé à l'épreuve des questions environnementales, Bruylant, 2016, p. 211 et s. * 46 PAOLA ANNE-MARIE DI MEO, le dommage a l'environnement : esquisse d'une responsabilité, le droit italien pour modele, these en cotutelle pour le doctorat en droit, UNIVERSITE DU MAINE, Le 10 septembre 2004 p.223 * 47 A. REY (SDR), Le Petit Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1990 * 48 G. CORNU (SDR), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, Quadrige, 8e éd., 2007, p. 833. * 49 N. DE SADELEER, Les principes du pollueur-payeur, de prévention et de précaution : essai sur la genèse et la portée juridique de quelques principes du droit de l'environnement, Bruxelles, Bruylant, 1999 p. 169. * 50 Youri MOSSOUX, l'application du principe du pollueur-payeur a la gestion du risque environnemental et à la mutualisation des couts de la pollution, Lex Electronica, vol. 17.1, 2012, p.4 * 51 Voir à cet égard les contributions doctrinales déterminantes de JOSSERAND et SALLEILES: L. JOSSERAND, Cours de droit civil positif français, Paris, Sirey, 1938, n° 556-558 , pp. 433-439. * 52 Valérie Castay, opcit, p.34 * 53 J. FLOUR, J.-L. AUBERT ET E. SAVAUX, Les obligations, vol. II, Le fait juridique, Paris, Sirey, 2009, 13e éd., p. 79, n°70 * 54 R. SALEILLES, op. cit., p. 439. * 55 J. FLOUR et AL., loc. cit. * 56 Youri MOSSOUX, op.cit., p.6 * 57 Idem. * 58 Baudoin BOUCKAERT, responsabilité civile : subjective ou objective ?, international center of research on environnemental issues, Nantes, 2016 p.12. * 59 Marie- Axelle GAUTIER, op.cit,p.226. * 60 Commission européenne, Livre blanc sur la responsabilité environnementale, Luxembourg, office des publications officielles des Communautés européennes, 2000, p.5 * 61 Marie- Axelle GAUTIER, op.cit., p.229. * 62 Idem. * 63 Idem. * 64Idem. * 65 Idem, |
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