L'application du concept de la responsabilité de protégerpar Grâce AWAZI Université de Goma - Licence 2019 |
B. Les violations des droits de l'homme et du DIH visés par la responsabilité de protéger dans la crise poste électorale de 2010-2011 en Côte d'Ivoirea. Les différentes violations des droits de l'homme et de droits international humanitaireLorsqu'il ne faisait plus aucun doute que Laurent Gbagbo n'avait aucune intention d'accepter les résultats des élections pourtant reconnus par la communauté internationale et donnant Alassane OUATTARA vainqueur, les forces de sécurité de Laurent Gbagbo sont passées à l'action dans le but de mater l'opposition. Chaque fois que les partisans d'Alassane OUATTARA sont descendus dans les rues d'Abidjan pour protester, ceux-ci ont été sévèrement réprimés et d'une manière particulièrement brutale ; le 16 décembre lors d'une marche sur la télévision contrôlée par Gbagbo, la RTI (Radiotélévision ivoirienne)149(*). Les forces de sécurité ont tiré à balles réelles et lancé des grenades à fragmentation, tuant de nombreux manifestants et en blessant davantage. La répression s'est intensifiée avec l'enlèvement et la disparition de responsables locaux membres de la coalition d'Alassane Ouattara au sein de quartiers fidèles à celui-ci. Les corps de nombre d'entre eux ont été retrouvés plus tard par leurs proches à la morgue, criblés de balles. Les forces de sécurité ou les milices pro-Gbagbo s'en sont également pris aux femmes, les violant en raison de leur activisme politique en soutien à Alassane Ouattara ou de celui de leur mari, parfois abattu sous leurs yeux. Pendant cette période, les principaux responsables de ces crimes étaient des unités d'élite étroitement liées à Laurent Gbagbo, dont la Garde républicaine, le CECOS (Centre de commandement des opérations de sécurité, une unité d'intervention rapide), la BAE (Brigade anti-émeute) et la CRS (Compagnie républicaine de sécurité, une unité de police d'élite). Dans certains cas, ces unités ont travaillé main dans la main avec les milices pro-Gbagbo, et notamment la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire (FESCI), association étudiante de tradition violente, et les Jeunes patriotes, mouvement de la jeunesse fondé et dirigé par Charles Blé Goudé, nommé ministre de la Jeunesse par Laurent Gbagbo en décembre 2010. En face, les Forces nouvelles contrôlant la moitié nord du pays se sont livrées à des actes d'intimidation et de violence à l'encontre des partisans de Laurent Gbagbo et ont commis des violences sexuelles contre des femmes. Si les violences commises à cette époque par les Forces nouvelles n'ont pas atteint le niveau de celles commises par le camp Gbagbo, elles présageaient toutefois des crimes graves que les Forces républicaines commettront à un stade plus avancé de la crise150(*). Lorsque les partisans d'Alassane Ouattara sont descendus dans les rues pour manifester aux lendemains du second tour des élections du 28 novembre, les forces de sécurité de Laurent Gbagbo les ont contrés de manière brutale et souvent fatale ;les forces de sécurité commençaient souvent mais pas systématiquement par des tirs de grenades lacrymogènes et des coups de feu en l'air. Au bout de quelques minutes, cependant, elles utilisaient des armes à feu mortelles telles que des fusils kalachnikov, des pistolets automatiques et des grenades à fragmentation sans que le comportement agressif ou la violence excessive des manifestants ne nécessite de telles mesures. Les forces de sécurité ont continué de tirer sur les manifestants alors que ceux-ci fuyaient, en tuant des dizaines et en blessant beaucoup d'autres. Les victimes interrogées par HumanRights Watch ont témoigné de la dangerosité particulière des grenades à fragmentation, notamment un jeune homme dont le petit frère a été tué par une grenade : «Nous avons survécu à des violences politiques en 2000, en 2002, en 2004, mais jamais, durant toutes ces années, les forces de sécurité n'ont utilisé des grenades comme celles-ci contre nous. Jamais... Il n'y a rien de pire. Elles font tellement de blessés et de morts parce que les éclats partent dans tous les sens. Nous mettons nos mains en l'air, nous montrons que nous sommes pacifiques, et ils répondent en tirant ces grenades»151(*). Outre la répression des manifestations, les forces de sécurité de Laurent Gbagbo ont assassiné et enlevé des responsables politiques locaux et leurs alliés activistes de la société civile. HumanRights Watch a documenté plus de dix cas de disparitions forcées ou d'exécutions sommaires survenus autour de la marche du 16 décembre. Les preuves réunies laissent fortement penser que ces exactions étaient le résultat d'une campagne organisée visant à sélectionner, rechercher et enlever des personnes spécifiques liées à la coalition politique d'Alassane Ouattara. Citons notamment les faits suivants : Ø Au petit matin du 14 décembre, un dirigeant actif de quartier du Mouvement des forces de l'avenir (MFA), parti au sein de la coalition du RHDP, a été contraint par trois hommes armés en civil de monter dans une Mercedes grise. Des témoins ont déclaré à HumanRights Watch qu'ils avaient pu entendre les agresseurs demandés où se trouvaient plusieurs autres leaders du MFA à Abobo. Un appel passé ce même jour au téléphone de l'homme enlevé a été pris par une personne qui a répondu : « [Votre parent] fait partie du groupe qui tente de déstabiliser le parti au pouvoir. » Son corps a été retrouvé plus tard dans une morgue152(*). Ø Un membre dirigeant du MFA a expliqué à HumanRights Watch que plusieursautres dirigeants du parti avaient « disparu »les corps d'au moins deux d'entreeux ont été par la suite identifiés, portant des blessures par balle, dans unemorgue. Deux militants de quartier pour le parti de l'UDCI (l'Union démocratiquede Côte d'Ivoire), faisant également partie de la coalition du RHDP, ont égalementété victimes de disparition le 9 décembre leurs corps ont été retrouvés à lamorgue de Yopougon plus d'une semaine plus tard153(*). Ø Le 18 décembre, deux membres du groupe de la société civile Alliance pour lechangement (APC) qui est lié au parti de Ouattara et qui a été actif dans lamobilisation des électeurs ont été enlevés sous les yeux de témoins en début desoirée dans le quartier de CocodyAngré. Un témoin a expliqué à HumanRightsWatch que les gens qui se trouvaient dans un restaurant à proximité ont étécontraints de se coucher par terre tandis que des hommes armés obligeaient lesdeux militants à monter à bord d'un 4x4. Tous les deux sont présumés morts154(*). Ø Six jours plus tard, un autre dirigeant de l'APC a échappé de peu à un enlèvement àAbobo vers 7h30 du matin, lorsqu'un 4x4 Mitsubishi vert foncé s'est dirigé vers lui àtoute vitesse et cinq hommes armés, dont trois en treillis, en sont sortis, l'appelantpar son nom et lui criant de monter dans la voiture. Un témoin a indiqué à HumanRights Watch que plusieurs de ces hommes portaient un béret rouge de la Garderépublicaine. Selon la victime potentielle, alors que les hommes tentaient de lecontraindre à monter dans la voiture, il a vu huit photographies dont la sienne etcelles d'autres personnes qu'il a reconnues comme étant des membres de ladirection du RHDP au niveau de la communauté sur le plancher de la voiture155(*). Attaques de mosquées, de musulmans et d'imams À plusieurs reprises pendant la crise, les forces pro-Gbagbo, y compris les unités de force de sécurité d'élite et les milices, ont attaqué des mosquées et exécuté des imams de manière ciblée. Ni l'ancien Président Gbagbo, ni ses militaires ou dignitaires n'ontdénoncé ces attaques à l'encontre d'individus et d'institutions religieuses. Dans un pays divisé relativement équitablement entre musulmans et chrétiens, la base politique d'Alassane Ouattara des groupes ethniques du nord du pays était essentiellement, mais assurément pas exclusivement, musulmane, tandis que les partisans et militants de Laurent Gbagbo étaient principalement chrétiens. Comme pour l'ethnicité, toutefois, la religion est étroitement liée à la politique en Côte d'Ivoire, et il est souvent difficile de démêler la motivation première de certaines attaques. Pour la grande majorité des Ivoiriens, il n'existe aucune division, ni hostilité inter-religieuse, mais avec l'intensification de la crise, l'association entre Alassane Ouattara et les partisans musulmans a entraîné un grand nombre d'attaques à l'encontre d'institutions et de leaders musulmans. De telles attaques pourraient bel et bien être considérées comme des crimes de guerre en vertu du Statut de Rome et du droit international humanitaire156(*). Les premières attaques de ce genre se sont déroulées le 17 décembre. Deux mosquées d'Abobo ont été la cible de grenades propulsées par lance-roquettes à l'heure de la prière du vendredi, et une autre mosquée a été attaquée à Bassam, une ville côtière à une vingtaine de kilomètres d'Abidjan. Un témoin des attaques d'Abobo a raconté à HumanRights Watch ce qu'il avait vu : «Vers midi, je suis allé à la mosquée la prière commence à 13 heures, mais nous avons généralement une réunion une heure avant. J'ai vu desmilitaires à proximité et quelques voitures un camion et un 4x4. Peu après mon arrivée, j'ai entendu des coups de feu provenant de l'extérieur. La mosquée était attaquée avec des armes lourdes. J'ai entendu quelqu'un crier : « En position, en position... Feu ! Feu ! », comme s'il y avait une guerre. Et puis, `boom.' La première roquette a traversé la mosquée et a explosé, formant un énorme trou près de la salle des femmes, détruisant le mur. Une autre a transpercé la mosquée de part et d'autre. La mosquée était pleine de personnes qui se sont mises à courir. J'ai entendu cinq booms ; je crois que quatre roquettes se sont abattues sur la mosquée. Avant l'attaque, ils n'ont pas lancé de gaz lacrymogènes, ni ordonné l'évacuation du bâtiment. Alors que je sortais en courant, j'ai vu des hommes en tenue noire tirer dans tous les sens. J'ai couru jusque chez moi ; ma maison se trouve de l'autre côté de la rue, à une quinzaine de mètres seulement. De la fenêtre, j'ai vu les hommes armés capturer un partisan du RDR de 24 ans, ainsi qu'un Burkinabé de 24 ans. Ils ont tenté de fuir, mais la police les a attrapés et les a frappés, puis les a amenés de force dans le camion. J'ai l'impression que la police les a attrapés parce qu'ils étaient les premiers jeunes sur qui elle tombait ; je ne crois pas qu'elle les recherchait en particulier. Les policiers les ont frappés jusqu'à ce qu'ils s'effondrent, leur ont donné des coups de pied et ordonné de se relever. J'ai entendu les policiers hurler : « Nous allons tous vous tuer dans ce quartier, vous êtes tous des ADO initiales d'Alassane Ouattara. » [...] Les familles les ont cherchés partout dans les hôpitaux, les commissariats, les morgues. Je passe voir leurs parents tous les jours ; à chaque fois on parle de leurs filset ils se mettent à pleurer157(*). Les mois de tensions et de violences en Côte d'Ivoire ont dégénéré en conflit armé dès mars 2011, période à laquelle les Forces républicaines ont lancé une offensive militaire dans l'extrême Ouest. Si les premières villes ont été prises dès fin février, le combat intense entre les forces armées a commencé mi-mars dans l'extrême Ouest et fin mars à Abidjan. De graves exactions ont continué d'être commises dans les deux camps, jusqu'aux derniers jours des combats début mai, soit près d'un mois après l'arrestation de Laurent Gbagbo, le 11 avril. Dans l'extrême ouest du pays, alors qu'ils battaient en retraite, des groupes de miliciens et de mercenaires fidèles à Laurent Gbagbo ont perpétré des massacres et des meurtres généralisés dans un dernier élan de violence à l'encontre des Ivoiriens du Nord et des immigrés ouest-africains. À Abidjan, les forces de sécurité ralliées à Laurent Gbagbo ont bombardé aveuglément des zones civiles, tirant avec des armes lourdes sur des marchés et des quartiers. Les groupes de milices pro-Gbagbo ont attaqué des habitations et monté des points de contrôle rapprochés, tuant des centaines de partisans supposés d'Alassane Ouattara d'une manière effroyablement brutale. Ces événements ont marqué l'acte ultime de ce qui pourrait être qualifié de crimes contre l'humanité perpétrés par les forces placées sous le contrôle de Laurent Gbagbo, de Charles Blé Goudé et de leurs proches alliés158(*). Quant aux Forces républicaines qui s'emparaient du pays, elles ont laissé dans leur sillage des morts, des femmes violées et des villages en cendres. Dans l'extrême Ouest, les forces d'Alassane Ouattara ont abattu des vieillards incapables de fuir les combats. Des femmes de Duékoué ont dû regarder les soldats d'Alassane Ouattara traîner leurs maris, leurs frères et leurs fils hors de leurs maisons et les exécuter. Après avoir pris le contrôle d'Abidjan, les Forces républicaines ont tué au moins 149 individus et torturé ou traité de manière inhumaine un plus grand nombre encore de personnes en détention. Au minimum, ces actes constituent des crimes de guerre aux termes du droit international. Mais étant donné l'étendue et la nature parfois organisée de ces actes, ceux-ci peuvent très certainement être qualifiés de crimes contre l'humanité. * 149 Human Rights Watch, « Ils les ont tués comme si de rien n'était » Le besoin de justice pour les crimes post-électoraux en Côte d'Ivoire, octobre 2011, p 30 (une enquête menée en Côte d'ivoire sur les crimes commis pendant la période poste électorale). Disponible dans l'adresse : https://www.hrw.org consulté le 2 juillet 2019 à 8h36'. * 150 Ibid. * 151 Entretien accordé à Human Rights Watch par le frère d'une victime tuée par une grenade, Abidjan, 16 janvier 2011. * 152 Entretien accordé à HRW par le témoin d'un enlèvement âgé de 19 ans, Abidjan, 12 janvier 2011 ; entretien accordé à HRW par un voisin de 38 ans témoins d'un enlèvement, Abidjan, 13 janvier 2011. * 153 Entretien accordé à HRW par un dirigeant du MFA du quartier d'Abobo, Abidjan, 13 janvier 2011. * 154 Entretien accordé à HRW par un témoin de l'enlèvement, Abidjan, 15 janvier 2011. * 155 Entretien téléphonique accordé à HRW par une victime en fuite dans le nord de la Côte d'Ivoire, 14 janvier 2011. * 156 Jean-Marie HENCKAERTS et Louise DOSWALD-BECK, Droit international humanitaire coutumier, vol 1, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 122. Règle 27. * 157 Entretien accordé à HRW par un homme de 37 ans, Abidjan, 16 janvier 2011. * 158HRW, « Ils les ont tués comme si de rien n'était » Le besoin de justice pour les crimes post-électoraux en Côte d'Ivoire, octobre 2011, p. 69. |
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