L'application du concept de la responsabilité de protégerpar Grâce AWAZI Université de Goma - Licence 2019 |
CHAPITRE II. MISE EN OEUVRE DE LA RESPONSABILITE DE PROTEGERLeprésent chapitre sera abordé sous deux angles à savoir : les conditions de la mise en oeuvre de la responsabilité de protéger, ses piliers et moments triptyques (section1), et en deuxième lieu il sera question d'analyser la mise en oeuvre de la responsabilité de protéger dans la crise postélectorale de la Côte d'Ivoire (section 2). Section I. CONDITIONS DE LA MISE EN OEUVRE DE LA RESPONSABILITE DE PROTEGER, SES PILIERS ET MOMENT TRIPTYQUEPour que la responsabilité de protéger soit déclenchée, certaines conditions doivent être réunies (§ 1) ; et celle-ci c'est-à-dire la responsabilité de protéger se distingue de ses notions voisines non seulement dans les cadres de ses conditions pour sa mise en oeuvre, mais aussi par ses moments triptyques et ses piliers (§2). §1. CONDITIONS DE LA MISE EN OEUVRE DE LA RESPONSABILITE DE PROTEGER105(*) En analysant les dispositions des paragraphes 138 et 139 du sommet mondial de 2005, nous déduisons que, pour que la Communauté internationale engage la R2P, il faut que certaines conditions soient réunies (A). Une fois ces conditions réunies, il faut prendre des mesures appropriées. Parmi les différents moyens, l'intervention militaire nécessite une grande prudence. En effet, vu ses effets sévères sur le terrain soit pour l'État touché, soit pour les populations, elle est elle-même soumise à certaines modalités. Autrement dit, pour qu'on puisse déclencher la responsabilité par le moyen militaire, plusieurs conditions additionnelles doivent être remplies (B). A. Conditions généralesPour le déclenchement de R2P par tous les moyens, il faut que certains crimes internationaux soient commis ou risquent d'être commis (a) et que le principe de la subsidiarité soit respecté (b). a. La commission ou menace de commission de 4 crimes internationauxLe premier pas en vue de la mise en oeuvre de la R2P est de déterminer son champ d'application matériel. Autrement dit, il faut savoir, parmi les différentes crises menaçant l'humanité (humanitaire, sanitaire, naturelle, etc.), laquelle peut déclencher la R2P ? Les paragraphes 138 et 139 du document final de 2005 intitulés « Devoir de protéger des populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l'humanité »106(*) sont assez clairs sur ce point. Ces quatre crimes internationaux sont à la fois la condition de la mise oeuvre et l'objet de la R2P. La question qu'il sied de répondre est celle de la définition de ces différents crimes. D'abord il ne faut pas confondre le crime de génocide et celui de nettoyage ethnique.Le crime de génocide a été codifié pour la première fois dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948. À peine cette convention est-elle entrée en vigueur que la Cour internationale de Justice s'est empressée de voir en elle l'expression du droit international coutumier. Sur cette base, le statut juridique du génocide oblige les États même en dehors de tout lien conventionnel107(*). Au fil du temps, les législations internes ainsi que les différents statuts créant des juridictions pénales internationales ont repris la même définition de 1948, contribuant ainsi à renforcer l'assise juridique du crime. Le lexique des termes juridiques définit le génocide comme étant une infraction consistant à commettre ou à faire commettre l'exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire.108(*)Selon l'article 6 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui est le dernier texte à vocation universelle à reprendre la définition de la convention de 1948, le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) meurtre de membres du groupe; b) atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe; c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe109(*). Cette définition du génocide repose essentiellement sur deux critères qui s'identifient en éléments objectifs ou matériels et en éléments subjectifs. Les éléments matériels du génocide sont composés de cinq types d'actes limitativement énumérés aux alinéas a) à e) précités. Ce sont des actes de nature physiques (meurtre, atteintes graves à l'intégrité physique ou mentale, ou soumission à des conditions d'existence devant entraîner leur disparition) ou biologiques (mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe, transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe). Alors que le génocide physique vise la destruction du groupe par l'élimination physique de ses membres, le génocide biologique conduit à l'extinction du groupe à travers les entraves aux naissances et le transfert forcé d'enfants. Quant à l'élément subjectif, il est constitué par l'élément intentionnel du génocide (dolusspecialis). L'intention du génocide est le point cardinal de la définition du génocide. Il a été dit qu'elle cristallise la caractéristique la plus intime du crime du génocide. Sans la preuve de celle-ci, il est impossible de conclure à ce crime110(*). Par contre, le nettoyage ethnique est aussi désigné par diverses expressions françaises (« purification ethnique », « épuration ethnique »). Cependant, il n'existe pas à l'heure actuelle une définition juridique univoque du nettoyage ethnique qui fasse consensus. Indéfinie sur le plan juridique certes, la notion du nettoyage ethnique n'en a pas moins intéressé plusieurs sources qui ont tenté de lui apporter une définition méta ou extra juridique111(*). La première définition, la plus connue, est venue du Rapport intérimaire de la Commission d'experts constituée conformément à la Résolution 780 (1992) du Conseil de sécurité112(*). Les experts appréhendent le nettoyage ethnique comme une pratique contraire au droit international qui consiste à rendre une zone ethniquement homogène en utilisant la force ou l'intimidation pour faire disparaître de la zone en question des personnes appartenant à des groupes déterminés. La pratique du Conseil de sécurité des nations en relation avec la crise qui a secoué l'ex-Yougoslavie dans les années 1990 permet aussi d'éclaircir le phénomène du nettoyage ethnique. Dans sa Résolution 819 adoptée le 16 avril 1993113(*), le Conseil de sécurité des nations réaffirme d'abord le principe de la souveraineté, de l'intégrité et de l'indépendance de la Bosnie Herzégovine; ensuite, il prend le soin de condamner le nettoyage ethnique comme étant une violation du droit international humanitaire; enfin, il assimile le nettoyage ethnique à toute prise ou acquisition de territoire par la menace ou l'emploi de la force. Tout ce qui précède permet de déduire trois éléments principaux de la définition du nettoyage ethnique : l'identité ethnique du groupe, l'acte de déplacement ainsi que l'acquisition du territoire par la force. Quoi qu'il en soit, le nettoyage ethnique a une finalité territoriale et c'est là son élément déterminant. La purification ethnique est une violation du droit international qui vise à prendre possession d'un territoire en déplaçant ou en assimilant par la force le groupe ethnique qui l'occupait. Le nettoyage ethnique et le génocide ne peuvent pas être assimilés parce qu'ils ne sont pas identiques et qu'ils poursuivent des finalités différentes. Comme on l'a dit, le nettoyage ethnique a une finalité territoriale. En effet, son intention n'est pas, contrairement au crime de génocide, à rechercher dans la destruction physique ou biologique d'un groupe. En mettant en oeuvre une telle politique, les auteurs sont moins animés par l'intention de détruire le groupe que par celle qui consiste à utiliser tous les moyens à leur portée, y compris le meurtre, pour amener le groupe ethnique adverse à abandonner son territoire d'origine. Que des meurtres puissent être commis dans ou en cours d'expulsion ou de transferts, cela n'enlève rien à la qualification de nettoyage ethnique, d'autant plus que le dolusspecialis est inexistant dans ce cas. Cette intention territoriale du nettoyage ethnique a d'ailleurs été confirmée par la CPI dans la situation du Soudan. La Cour souligne que l'élément distinctif du dol spécial caractérisant le génocide est l'intention de détruire un groupe protégé. Cette intention destructrice se distingue toutefois de l'intention requise en matière de nettoyage ethnique, dans le cadre duquel un criminel entend s'en prendre à un groupe ethnique, par exemple en le chassant d'une région, sans pour autant avoir l'intention de le détruire dans cette région. Ceux qui soutiennent l'existence d'un lien entre le nettoyage ethnique et le génocide estiment aussi qu'en cas d'expulsion, on pourrait prouver que celle-ci a été mise en oeuvre avec l'intention de détruire le groupe visé pour conclure au génocide. Cet argument consiste en fait à faire coïncider l'intention du nettoyage ethnique avec l'intention spécifique afin de souligner leur complémentarité. Or, cette manière de faire est contre-productive dans la mesure où elle ne fait pas progresser le débat, car le même argument peut-être aussi tenu dans le cadre des crimes contre l'humanité et même les crimes de guerre. En outre, il est permis de douter de la possibilité que les deux intentions puissent coexister d'un point de vue strictement juridique, car les intentions qui les déterminent sont foncièrement opposées114(*). Enfin, il n'existe pas en l'état du droit international positif des « manifestations variables du génocide », comme on a pu le lire dans les tentatives de certains auteurs visant à déformer la fonction normative du crime de génocide. Le génocide en droit est unique et ne saurait être assimilé à d'autres « pratiques dites génocidaires », et dans lesquelles on essaie depuis un certain temps, d'engluer le nettoyage ethnique. Ceci dit, le nettoyage ethnique n'est pas moins attentatoire à la dignité humaine que le crime de génocide. Toutefois, le juriste ne doit pas se laisser emporter par la symbolique de l'imaginaire génocidaire. À notre sens, il n'est pas nécessaire de s'imposer le lourd fardeau de remettre en cause les acquis de 1948, en cherchant à faire absorber vaille que vaille ce phénomène qu'est l'épuration ethnique par le crime de génocide. Par contre, on peut se demander si le temps n'est pas venu d'ouvrir un nouveau chapitre des crimes internationaux, en donnant une signification autonome et exclusive au nettoyage ethnique. Cela permettra d'opérer définitivement sa scission avec les autres crimes officiellement reconnus. Selon le statut de Rome, on entend par crime contre l'humanité l'un quelconque des actes ci-après lorsqu'il est commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque : a) Meurtre ; b) Extermination; c) Réduction en esclavage ; d) Déportation ou transfert forcé de population ; e) Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ; f) Torture ; g) Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ; h) Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3 de ce statu, ou en fonction d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ; i) Disparitions forcées de personnes ; j) Crime d'apartheid ; k) Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale...115(*). En outre, on entend par « crimes de guerre » : a) Les infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, à savoir l'un quelconque des actes ci-après lorsqu'ils visent des personnes ou des biens protégés par les dispositions des Conventions de Genève : i) L'homicide intentionnel ; ii) La torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques ; iii) Le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter gravement atteinte à l'intégrité physique ou à la santé ; iv) La destruction et l'appropriation de biens, non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire ; v) Le fait de contraindre un prisonnier de guerre ou une personne protégée à servir dans les forces d'une puissance ennemie ; vi) Le fait de priver intentionnellement un prisonnier de guerre ou toute autre personne protégée de son droit d'être jugé régulièrement et impartialement ; vii) La déportation ou le transfert illégal ou la détention illégale ; viii) La prise d'otages ;...116(*) Après leur définition, La deuxième question qui surgit est celle de savoir si la Communauté internationale ne peut intervenir qu'après la commission de crimes ou bien avant que la crise n'éclate. Il faut avoir à l'esprit que le but primordial de la R2P est de prévenir des atrocités choquant nos consciences.La commission des crimes est la condition nécessaire, mais non pas suffisante. Il en faut une autre: le principe de subsidiarité. * 105 Mohammad SHARIFIFARD, « La mise en oeuvre de la Responsabilité de protéger de la Communauté internationale : Quelle efficacité ? », Mémoire master 2 recherche, université Montesquieu bordeaux iv, 2011-2012, p. 12. Disponible à l'adresse : https://www.reseachgate.net/pubication/290195527_La_mise_en_oeuvre_de_la_Responsabilite_de_proteger_de_la_C0mmunaute_internationale_Quelle_efficacite consulté le 25 mai 2019 à 15h30'. * 106 Le Document final du Sommet Mondial du 20 septembre 2005. * 107 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, signé à Paris le 9 décembre 1948, entrée en vigueur le 12 janvier 1951. * 108 R. GUILLIEN et J. VICENT, Lexique des termes juridique, Paris, Dalloz, 2001, p. 279, V° génocide. * 109 Statut de Rome de la Cour pénal internationale du 17 juillet 1998, article 6. (Recueil de Droit International, collection d'instruments, Nations Unies, New York, 2018, tome II, pp. 349-367. Téléchargeable dans l'adresse : http://legal.un.org/poa et http://legal.un.org/avl ) * 110 Mohammad SHARIFIFARD, Op. Cit,. p. 14. * 111 Ibid. * 112 S/RES 780 du 6 octobre 1992. Disponible à l'adresse : https://daccess-ods.un.org/access.nsf/Get?OpenAgent&DS=S/RES/780(1992)&Lang=F. Consulté le 12 mai 2019 à 11h03' * 113 S/RES 819 du 16 avril 1993. Disponible à l'adresse : https://daccess-ods.un.org/TPM/5769702.79216766.HTML. Consulté le 12 mai 2019 à 11h30' * 114 Mohammad SHARIFIFARD, op. cit. p. 16. * 115 Article 7 du Statut de Rome. * 116 Article 8 du Statut de Rome. |
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