DEUXIEME PARTIE : LES LIMITES DES MESURES FISCALES
INCITATIVES.
La politique fiscale n'est pas une science exacte. La gestion
des recettes fiscales ne reflète pas toujours la qualité du
système fiscal55, cela est dû à des contraintes
que l'agent économique rencontre dans l'exercice de ses
activités.
Ainsi, nous n'avons pas toujours les ressources humaines
nécessaires en quantité et en qualité. L'une des solutions
fréquemment évoquée et utilisée est la
fiscalité. C'est la voie que beaucoup de pays ont emprunté. Mais
au regard des résultats obtenus, on peut s'interroger sur
l'efficacité de l'instrument fiscal.
Les rôles que l'on attribue traditionnellement à
la fiscalité sont financiers, économique et social. Ce sont les
critères du développement. Sur le plan financier, le
système fiscal doit être en mesure de trouver les ressources
nécessaires au fonctionnement de l'Etat, comme une entreprise a besoin
de recettes pour payer par exemple les salaires et assurer ses investissements.
Sur le plan économique, il est demandé á la
fiscalité d'être capable d'attirer les investisseurs, aussi bien
nationaux qu'internationaux. Ces investisseurs doivent créer des emplois
par les embauches et in fine augmenter la richesse nationale. Sur le plan
social, les animateurs du système fiscal doivent en faire un instrument
de redistribution des revenus, un outil à la disposition des pouvoirs
publics pour une équité dans les revenus qui sont
distribués aux travailleurs.
L'action économique sélective par le biais des
incitations ou des aides fiscales n'est pas nécessairement efficace. On
a pu ainsi observer que les incitations à investir, outre le fait
qu'elles pouvaient favoriser les investissements les moins rentables,
étaient d'une portée limitée dans la mesure où
elles n'entraînaient le plus souvent qu'une simple anticipation des
investissements, avec un faible effet sur le volume de l'investissement
lui-même. Cela a d'ailleurs conduit de nombreux législateurs
à préférer baisser directement le taux de l'imposition des
bénéfices et à intervenir ainsi plus globalement sur les
conditions économiques de l'investissement.
C'est dans ce contexte que nous allons mettre l'accent sur les
limites d'ordre interne au premier chapitre, avant d'aborder ceux d'ordre
externe au deuxième chapitre.
55 EL HADJ DIALIGUE BA, Op cit page 57
Daouda DIALLO, Master 2 Droit de
l'Ingénierie Financière et Fiscale Page 49
CHAPITRE I : LES LIMITES D'ORDRE INTERNE
Selon les économistes les plus avertis, un bon
impôt est celui qui est juste, équitable, non confiscatoire et non
pénalisant. L'impôt doit trouver sa justification dans ses
fonctions distributives, autrement dit, l'impôt doit servir
l'intérêt de la communauté. Un bon impôt servirait
non seulement au financement des services publics, mais réduirait le
fossé de l'inégalité entre les différentes classes
sociales au sein d'un Etat.
L'impôt s'applique à des personnes physiques et a
des structures animés par des personnes physiques. Ce qui entraine une
dose de subjectivité dans l'élaboration et l'analyse de la
politique fiscale. Le comportement du contribuable peut ainsi avoir un impact
sur la politique fiscale.
Les pouvoirs publics disposent de marges de manoeuvre
limitées pour mener leur politique fiscale. Différentes
contraintes de nature économique, culturelle ou institutionnelle peuvent
en effet intervenir, réduisant la capacité de la politique
fiscale à atteindre ses objectifs, ou limitant son ampleur.
L'impôt peut également engendrer des effets non
désirés qui altèrent en retour les mécanismes
économiques.
Il existe des limites à la fois sociologiques et
juridiques tendant à relativiser l'efficacité de la politique
fiscale. C'est limites d'ordre interne concernent non seulement les
comportements de l'agent économique (section 1), mais aussi au
fonctionnement de l'administration fiscale (section 2)
Section 1 : les limites liées aux comportements
de l'agent économique
Il est incontestable que l'impôt constitue un point
d'appui important que les pouvoirs publics utilisent dans leurs
stratégies de développement. En tant que charge pour
l'entreprise, son montant, les conditions de son recouvrement et les
modalités de sa détermination sont analysés avec beaucoup
d'attention par l'entrepreneur et par l'investisseur. L'impôt
réduit le pouvoir d'achat du salarié, dans le sens qu'il diminue
le montant de ses revenus.
Ainsi, face à la charge fiscale, l'agent
économique peut être tenté de réagir de
différentes manières.
Daouda DIALLO, Master 2 Droit de l'Ingénierie
Financière et Fiscale Page 50
En d'autres termes, pour mieux aborder les limites
liées aux comportements de l'agent économique nous allons voir en
paragraphe premier la fuite devant l'impôt ensuite la répercussion
de l'impôt au second paragraphe.
Paragraphe 1 : la fuite devant l'impôt
Le phénomène de la fuite devant l'impôt
est important, même s'il est par définition difficile de le
mesurer exactement.
Il convient d'en rechercher les causes, d'en préciser
les formes avant d'en trouver les remèdes. L'impôt est par
définition l'expression d'une contrainte et la tentation de
résister à toute contrainte existe chez tout individu. Cette
résistance est d'autant plus grande que le gain matériel peut
être important.
Mais, cette résistance à la contrainte
fiscale56 peut aussi résulter de la transformation d'une
résistance à la contrainte politique.
La fuite devant l'impôt s'explique aussi par des raisons
liées à l'impôt lui-même et au système fiscal.
L'excès de la pression fiscale, les failles du système fiscal
peuvent expliquer le phénomène.
Ainsi, dans le passé, le refus de l'impôt a
souvent pris la forme d'une contestation violente, celle des révoltes
fiscales.
De ce fait, le contribuable peut être tenté
d'échapper à l'impôt en ne le payant pas. Dans ce cas il
y'a fuite devant l'impôt. Il existe plusieurs formes pour échapper
à l'impôt mais nous illustrons seulement les plus connus qui sont
la fraude (A) et l'évasion fiscale (B).
A- La fraude fiscale
La problématique de la fraude fiscale est à
l'image d'un phénomène complexe. Elle Apparaît comme une
limite au pouvoir d'imposer et implique dès lors la confrontation des
Contribuables et de l'Etat. En contrariant la collecte des ressources
étatiques elle constitue un sujet d'inquiétude pour les
gouvernements. Cette inquiétude est de plusieurs ordres.
Par définition nous dirons que la « fraude
fiscale suppose un acte intentionnel de la part du contribuable,
décidé à contourner la loi pour éluder le paiement
du prélèvement, il y'a fraude dès lors qu'il s'agit d'un
comportement délictuel délibéré ». Le
lexique des termes juridiques
56 Une contrainte fiscale
est le dernier rappel envoyé par l'administration fiscale
(SPF Finances) au contribuable qui n'a pas payé ses impôts
à l'échéance.
Daouda DIALLO, Master 2 Droit de l'Ingénierie
Financière et Fiscale Page 51
à définit la fraude fiscale comme une «
violation direct et volontaire de la loi fiscale57. Elle est donc un
sous-ensemble de l'irrégularité »58. Elle
revêt d'abord une dimension purement financière car la fraude
génère une perte de ressources Fiscales. Elle contraint aussi la
répartition équitable du fardeau du financement public entre les
contribuables en accroissant la charge de ceux qui demeurent honnêtes. En
d'autres termes, la fraude contrarie à la fois l'efficacité et
l'équité de la collecte des ressources publiques. Elle traduit
également les lacunes du contrôle qu'exercent les pouvoirs publics
sur les agents privés et témoigne de la méconnaissance des
causes et des schémas par lesquels les contribuables éludent
l'impôt.
Ainsi, La mise en oeuvre du principe d'égalité
devant l'impôt est remis en cause par la fraude et l'évasion
fiscales. La médiatisation des affaires retentissantes de fraude ou
d'évasion fiscales de personnalités venant du monde
économique, sportif, culturel et même politique peut donner le
sentiment d'une démission du pouvoir pour réprimer ces
délits même si comme le soulignait Georges Pompidou59,
"la fraude étant à l'impôt ce que l'ombre est à
l'homme".
De plus, si l'application de la loi devient
inéquitable, l'obligation fiscale pèse nécessairement plus
fortement sur un nombre réduit des contribuables. Il peut, dès
lors, en résulter une vive opposition contre les services fiscaux et
contre le principe même de la nécessité d'une contribution
commune.
C'est pour pallier à ces difficultés que le
gouvernement sénégalais a lancé un plan d'action pour
lutter contre les risques de fraudes fiscales par un arsenal juridique qui est
le code général des impôts. De même, l'administration
fiscale a adopté des mesures pour limiter l'évasion fiscale et la
fraude fiscale réalisée pour se soustraire au paiement de
l'impôt de solidarité sur la fortune en signant des conventions
bilatérales ou multilatérales.
Sur le plan juridique, les comportements et les actes des
contribuables qui visent à se soustraire à l'impôt ou
à obtenir des avantages indus pourront être qualifiés de
fraude fiscale (comportements illégaux visant à échapper
au paiement de l'impôt) et être sanctionnés60. Il
concerne donc en général et indifféremment, les
manquements commis d'une part, au regard des obligations déclaratives,
d'autre part, par rapport aux impôts dus dont la TVA collectée,
non reversée au Trésor. Bien entendu, ces infractions sont le
plus souvent révélées lors d'un contrôle fiscal,
soit essentiellement dans le cadre d'une vérification de
comptabilité.
57 Serges Guichard et Thierry Débride, lexique
des termes juridiques, 19ème ed 2012 P.418
58 Op cit, page 58
59 Président de la République
française du 20 juin 1969 au 2 avril 1974
60 Article 679 du CGI.
Daouda DIALLO, Master 2 Droit de l'Ingénierie
Financière et Fiscale Page 52
Selon la propre doctrine administrative, les
éléments constitutifs du délit de fraude fiscale doivent
réunir deux critères cumulatifs.
D'abord, L'existence de faits matériels tendant
à permettre au contribuable de se soustraire totalement ou partiellement
à l'établissement ou au paiement de l'impôt, ensuite une
intention délibérée de fraude.
Ainsi, la fraude fiscale comporte un élément
matériel, la transgression de la légalité fiscale, et un
élément intentionnel, la volonté d'échapper
à l'impôt. En principe lorsqu'un des deux éléments
fait défaut, il n'y a pas fraude.
Ainsi, l'illégalité commise involontairement et
sans intention d'en tirer profit est une erreur réparable, non une
fraude. De même, la seule intention de payer moins d'impôt en
choisissant parmi les procédures offerte par la loi, la voie la moins
onéreuse ne constitue pas un agissement frauduleux.
Toutefois, entre l'erreur candide et l'habileté
vertueuse, il y'a place pour tout une série de comportements qui, selon
les circonstances de l'espèce, constitueront une fraude ou une
évasion fiscale légale. Ainsi, l'habileté fiscale peut
être telle qu'elle aboutisse, en recourant à des artifices
juridiques, à rendre inopérante la loi d'impôt. La
théorie de l'abus de droit permettra dans ce cas d'écarter la
construction juridique qui fait écran à l'application de la loi.
Mais il est souvent bien difficile de dire « où s'arrête la
vertu d'habileté et ou commence le péché de fraude
».
De même le fisc pourra écarter les incidences
fiscales des actes qui, sans violer aucune prescription fiscale, paraissent
être contraintes à l'intérêt de l'entreprise. C'est
la théorie de l'acte anormale de gestion qui, comme la
précédente, permet d'apercevoir les confins incertains de la
fraude fiscale61. Nous pouvons illustrer la fraude fiscale par la
sous-déclaration des revenus, une mauvaise imputation des charges de
l'entreprise ou une fausse déclaration des impôts sur la
consommation (TVA collectée).
Elle s'analyse toujours comme une dissimulation de la
matière imposable. Cependant cette dissimulation peut être plus ou
moins élaborée. Cependant, nous avons plusieurs sortes de
dissimulation à savoir, la dissimulation matérielles, la
dissimulation comptable et la dissimulation juridique.
Parlant de la dissimulation matérielle, le
contrebandier est l'image la plus connue de cette fraude, puisqu'il cache la
marchandise qu'il ne veut pas déclarer. De même manière, le
travail
61 Pierre BELTRAME, la fiscalité en France, 13
ème édition 2007-2008
Daouda DIALLO, Master 2 Droit de l'Ingénierie
Financière et Fiscale Page 53
au noir illustre ce type d'infraction fiscale puisque le
travail sera exécuté sans facture, aucune taxe, aucun impôt
ne sera payé.
Ensuite l'oubli volontaire de déclaration d'un revenu
quelconque constitue un tel type de fraude plus complexe est la dissimulation
comptable qui, se joue sur les différentes qualifications comptables il
est possible d'en retirer un avantage fiscale plus ou moins important.
Quant à la dissimulation juridique, elle peut prendre
deux formes.
D'une part l'opération fictive qui est le fait
d'établir des fausses factures qui juridiquement parlant retracent des
opérations qui matériellement n'ont jamais existé pour en
retirer un bénéfice fiscal.
Et d'autre part la fausse qualification c'est-à-dire
une situation juridique transformée en une autre qui est fiscalement
plus intéressante. Comme une mutation à titre gratuite
présenté comme une mutation à titre onéreux etc.
Pour de nombreuses personnes voler un épicier ou
n'importe quel commerçant c'est mal. Par contre voler le fisc c'est
bien. Cette disproportion dans le jugement résulte sans doute du fait
que l'Etat n'est pour beaucoup qu'une abstraction. On voit mal en
général le lien entre les impôts payés et l'usage
qui en est fait.
Et même si parfois, l'on peut appréhender ce
lien, on estimera alors que la fraude compense l'injustice fiscale. Il y a donc
une propension assez naturelle à tolérer la fraude, bref à
faire preuve d'un civisme fiscal des plus rudimentaires. Peu de personnes
admettent que « voler l'impôt c'est voler les autres
».
Nous dirons donc que la fraude fiscale est difficile à
évaluer par ce qu'elle est inégalement répartie entre les
différentes catégories d'impôts et de contribuables, et que
les procédés de fraude sont très divers.
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