L’exercice des attributions non contentieuses. Une source d’inefficacité de la justice de paix. Cas de la juridiction de Port-au-Prince de 2006 à 2016.par Dimmy ANTOINE Université d'Etat d'Haïti UEH/FDSE, Port-au-Prince - Licence en droit 2018 |
Section II.- Conséquences de l'exercice des attributions non contentieuses sur la Justice de Paix dans la Juridiction de Port-au-PrinceBien que l'exercice des attributions non contentieuses du Juge de Paix ait un fondement contraire aux normes, mais il est déterminant dans le fonctionnement de la Justice de Paix, car il a des répercussions sur le système judiciaire ; à tel enseigne, il engendre de graves conséquences sur certains principes juridiqueset suscite ou contribueà l'expansion des phénomènes nocifs au niveau de la Justice de Paix dans la Juridiction de Port-au-Prince. Dans cette section, nous allons mettre à nu : le problème d'accès à la Justice de Paix; le coût de cette justice ; le phénomène de corruption qui gangrène le système judiciaire ; l'absence du principe de gratuité de la justice et L'environnement des Magistrats. L'exercice des attributions non contentieuses du Juge de Paix a certainement des impacts considérables sur l'organisation et l'administration de la Justice, disons-nous, même sur l'environnement du Tribunal de Paix. Selon, toutes nos observations, ces attributions sont beaucoup plus exercées par les suppléants Juge de Paix que le Juge de Paix titulaire; d'où l'obligation pour ce dernier en sa qualité d'administrateur de prendre toutes les mesures administratives au regard des dispositions légales, régissant la matière pour lutter contre toutes les mauvaises pratiques, découlant de l'application de ces attributions par ces pairs. Toutefois, on ne doit pas occulter que tous les moyens pécuniaires, réclamés et exigés par le greffier sont préalablement planifiés avec le Juge de Paix ; perçus par le premier, qui est un élément clef dans l'administration du Tribunal de Paix. Souventes fois, de graves conflits d'intérêts éclatententre les Greffiers du Tribunal ; en témoigne notre enquête au greffe du Tribunal de Paix de Pétion-ville, au cour de laquelle un greffier sous le couvert de l'anonymat nous a déclaré ceci: « dans ce greffe du Tribunal c'est le chaos, c'est- à-dire, qui va à la chasse perd sa place ; ils n'ont aucun respect pour le dossier d'un collègue ; si le justiciable ne vous a pas appelé au téléphone et à son arrivé, vous vous êtes déplacé pour une minute, ils diront à la personne que vous n'êtes plus au greffe » ; il n'y a pas que cela, même certains Juges se plaignent de leurs attitudes, des fois le Juge ordonne de libérer une personne qui était gardée à vue, pour exécuter cet ordre, le greffier l'exige de verser un montant sous le malicieux prétexte de frais du Tribunal; aussi, certain Juge ne veut plus aller en constat avec un greffier pour manque de transparence sur le montant qu'il aurait reçu pour le réaliser; à noter qu'ils devraient le partager à part égal; en raison de cette méfiance, le Juge de Paix questionne le justiciable sur le montant qu'il a versé au greffier, avant qu'il se déplace. En réalité, tout passe par le greffe : les engagements et les prétendus désistements se font au greffe moyennant un frais qui va au-delà de ce que le tarif judiciaire détermine; sans oublier des frais qu'il réclame et que le décret sur les tarifs judiciaires n'a pas prévu. De tout cela, il faut remarquer que toutes les transactions susmentionnées sont les fruits des attributions non contentieuses du Juge de Paix; en absence desquelles il n'y aurait pas ces redevances illégales à verser au greffe du Tribunal de Paix. Par ailleurs, il est important de souligner que les montants déposés au greffe par le justiciable, qui, lors d'une audience de conciliation s'est engagé à cette fin. Le greffier est souvent dans l'embarras avec le bénéficiaire, car ce montant aurait été utilisé par eux; dans ce cas il le donne rendez-vous à la huitaine; prétextant, qu'il l'a déposé sur son compte d'épargne à la banque ; il faudrait qu'il ait du temps libre pour se rendre à ladite institution, aux fins de le tirer du compte. Il arrive que ce bénéficiaire soit satisfait, suite à un autre montant déposé par un autre justiciable pour une autre affaire; il s'agit d'une pratique continue. Les montants perçus au greffe, des affaires découlant des attributions non contentieuses du Juge de Paix ne font que polluer l'environnement administratif du Tribunal de Paix et le rend moins opérationnel d'où le manque de fluidité des services; citons en exemple, une demande pour un certificat de bonne vie et de moeurs ; ceux qui acceptent de monnayer le dactylographe, sont servis dans un laps de temps, tandis que ceux qui ont déposé régulièrement, doivent passer une semaineà l'attente. Aussi, nous devons mentionner que le Juge de Paix dans son fonctionnement est beaucoup plus disponible pour traiter des affaires en ses attributions gracieuses qu'en ses attributions contentieuses ; vu l'aspect lucratif des premières pour lesquelles il n'a aucun travail ou réflexion à produire; évidemment, il est plus disponible pour se rendre sur les lieux pour effectuer un constat ou une enquête que de prendre un siège d'audience publique. De telles considérations nous portent à poser le problème d'accès à la Justice de Paix, le coût de la Justice de Paix, et la corruption judiciaire. A-Le problème d'accès à la Justice de PaixIl est plus qu'impératif de traiter, un aspect crucial des handicapes majeurs de cette justice, il s'agit du problème d'accès à la Justice de Paix. En tantque service public ; qui devrait être accessible à tous et sans distinction. Mesurable en termes de distribution spatiale et de la distance à parcourir pour les atteindre, le coût des services disponibles ainsi que la langue dans laquelle sont entendues les cas et celle utilisée pour rendre les décisions.Evidemment, ceux qui fréquentent de nos jours la Justice de Paix, sont peu nombreux tenant compte de la distribution spatiale de ces tribunaux sur toute l'étendue du territoire national et du nombre de Juges actuellement en fonction par tête d'habitant.119(*)Il suffit pour s'en convaincre de se référer à la répartition actuelle des Tribunaux de Paix à travers la Juridiction de Port-au-Prince. Il n'est un secret pour personne, que la population haïtienne est à dominance rurale. De même, tous ceux impliqués dans le fonctionnement du système judiciaire savent que les Tribunaux de Paix sont dans leur quasi-totalité établis dans les communes, donc en milieu relativement urbanisé. Or, personne n'ignore l'état défectueux des routes reliant les communes entre elles, d'une part et aux différentes sections communales. Donc, il n'est point besoin d'avoir une expertise pour constater l'inadéquation entre le nombre d'habitants et celui des tribunaux, ainsi que la disparité dans leur répartition spatiale.En 2007 il y avait environ 368 Juges de Paix sur tout le territoire national, de nos jours ce nombre est considérablement révisé à la hausse120(*)Aussi, le manque de moyens de locomotion121(*)où le système de transport public isole les tribunaux des communautés qu'ils prétendent desservir.Toute fois on ne doit pas négliger le coût de la justice ;Théoriquement gratuite, mais dans les faits la justice est très onéreuse en Haïti ; Le coût des services judiciaires a des impacts considérablement sur l'accès à la justice ; Même l'accès à la Justice de Paix n'est pas écarté, sachant que la majorité de la population des campagnes et des zones urbaines marginales du pays, ont un revenu moyen qui avoisine moins de quatre cent gourds par jour. Les frais exigés au Tribunal de Paix surtout en matière non contentieuse ; en dépit du tableau des frais relatifs aux tarifs judiciaires exposés dans l'enceinte du Tribunal, et les honoraires des avocats, en comparaison au niveau des revenus par tête d'habitants, montrent que cette justice est perçue comme étant au service des possédants au détriment des démunis.122(*)Fort de cela, nombreux sont les Justiciables qui paraissent convaincus que les pauvres ne peuvent avoir raison des riches en Justice de Paix. Il est également relaté que les Juges de paix, les greffiers, les huissiers et policiers se laissent aisément corrompre par certains Justiciables, des avocats et des Fondés de Pouvoir qui sembleraient profondément impliqués dans la corruption.D'où, la perception des Tribunaux de Paix par la population, comme un bastion demalversations ;le plussouvent perpétrées par des personnes se réclamant de l'Avocature123(*), sans formation juridique, ni éthique, avec la bénédiction de la plupart des Juges de paix.Bref, l'opinion publique, avance que la Justice de Paix haïtienne est une marchandise à la portée de ceux ayant les moyens financiers de se la procurer. D'où le phénomène de la corruption judiciaire.124(*). * 119Gina BOURGEOT, Op.cit. p58 * 120 : Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique, Direction des Affaires Judiciaires * 121INURED, « Cartographie de la justice et l'Etat de Droit en Haïti », 2012, p.11 * 122Imtel.com: « la loi des riches contre les pauvres», 22 octobre 2013 * 123 Néologisme désignant l'activité professionnelle des avocats, employée par Daniel Soulez Larivièrre dans son ouvrage intitulé · l'Avocature ·. * 124MARTHEL Jean Claude, « l'accès à la Justice en Haïti, FDSE », septembre 2007 |
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