Section 2 - La construction d'un droit
systémique par les principes du droit de l'environnement ?
Depuis la Déclaration de Stockholm de 1972
l'environnement se structure autour de différents principes dont la
juridicité, c'est-à-dire que la force normative issue de la
rédaction de ces derniers est parfois variable selon la nature de la
source dont ils proviennent. Ces principes proviennent de la soft law
mais il ne fait aucun doute que la hard law aura permis une plus
grande applicabilité sans que cette dernière soit pour autant
très efficace. Ces derniers traversent les normes conçues pour
l'environnement et semble dessiner une toile juridique qui permettrait
d'obtenir la vision globale pouvant être recherchée dans la lutte
contre le réchauffement climatique. C'est la raison pour laquelle il
convient d'aborder l'apport de ces principes pour les océans et le
climat (A) avant d'étudier l'application délicate des principes
pour une approche globale (B).
A - L'apport des principes pour les océans et le
climat
L'intérêt est fortement marqué par
la recherche spécifique non pas d'un lien direct mais bien d'un principe
directeur qui proviendrait et serait utilisé dans plusieurs textes.
L'idée est alors de savoir si les principes permettent une
effectivité de la protection de l'environnement. En effet, il a
été vu qu'il pouvait exister une « dualité »
entre la protection de l'environnement marin et le droit de climat. Mais ces
derniers répondent-ils aux mêmes principes ? Est-il possible qu'un
principe similaire dans chaque domaine puisse permettre d'aborder le
thème des changements climatiques pour la protection des océans
?
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Pour tenter d'y répondre il convient de
s'arrêter sur certains d'entre eux sans spécifiquement distinguer
la soft law de la hard law. C'est alors que le principe 7 de
la Déclaration de Stockholm énonce les faits suivants
:
« Les États devront prendre toutes les
mesures possibles pour empêcher la pollution des mers par des substances
qui risquent de mettre en danger la santé de l'homme, de nuire aux
ressources biologiques et à la vie des organismes marins, de porter
atteinte aux agrément naturels ou de nuire à d'autres
utilisations légitimes de la mer. »
Il s'agit d'un texte de soft law et par
conséquent ce dernier n'est pas contraignant, notamment s'il est
observé l'utilisation du terme « devoir » visant les
États signataires. Il s'agit alors davantage d'une incitation
plutôt que d'une contrainte posée. L'autre aspect de ce principe
est le terme « substance » qui est évoqué car il
n'existe, ni en droit international, ni au sein de droits internes de
définition de ce terme. À partir de là il est possible
d'interpréter ce terme largement ou restrictivement même s'il ne
fait aucun doute qu'une interprétation large permettrait de
considérer le CO2 comme une de ces substances concernées.
Ceci-dit le cas de ce principe de la Déclaration de Stockholm est
utopique car le texte fait partie de la soft law et ne saurait
être invoqué devant un juge international. Une hypothèse
qui apparaîtrait alors comme une opportunité environnementale
serait d'envisager de rendre contraignants des principes aussi forts et aussi
larges que ce dernier.
Néanmoins, la terminologie de « principes
», n'est pas nécessairement très explicite en droit
international et comme Pierre-Marie Dupuy ainsi que Yann Kerbat ont pu
l'énoncer : « Le terme "principe" appliqué à une
notion juridique n'est pas en droit international une appellation
contrôlée71. ». Ce constat s'opère
notamment à la vue des utilisations qui se chevauchent entre le
juridique et le politique. L'objectif étant à la fin de
structurer en donnant du contenu à des normes éparses. Il faut
préciser que les principes du droit de l'environnement existent à
plusieurs niveaux, c'est-à-dire tant au niveau international, qu'au
niveau régional, ou interne.
Il est impossible de ne pas évoquer le principe
de prévention et de principe de précaution tant le rapport avec
le climat apparaît complexe. En effet, ces principes sont
71DUPUY Pierre-Marie, KERBAT
Yann, Droit international public, Dalloz, 13e
édition, 2016, pt.335.
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apparus lors de la Conférence de Rio de 1992 et
le GIEC avait d'ores et déjà rendu un rapport en 1990 sur les
possibles conséquences climatiques des activités anthropiques.
C'est donc naturellement que ces principes furent intégrés pour
une lutte contre les changements climatiques. En premier lieu, le principe de
prévention se retrouve au principe 14 de la Déclaration de Rio de
1992 et s'énonce comme suit :
« Les États devraient concerter
efficacement leurs efforts pour décourager ou prévenir les
déplacements et les transferts dans d'autres États de toutes
activités et substances qui provoquent une grave
détérioration de l'environnement ou dont on a constaté
qu'elles étaient nocives pour la santé de l'Homme.
»
De même le principe 15 énonce la
précaution de la manière suivante :
« Pour protéger l'environnement, des
mesures de précaution doivent être largement appliquées par
les États selon leurs capacités. En cas de risque de dommages
graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne
doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption
de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de
l'environnement. »
Il est possible d'observer que contrairement aux
principes en provenance de la Déclaration de Stockholm, la
juridicité de ces derniers est beaucoup plus affirmée. En effet,
en l'espèce les États « doivent » et ne «
devraient » plus, marquant ainsi un tournant dans la volonté de
protection.
En second lieu, même si la prévention
semble laissée de côté dans la hard law elle est
majoritairement consacrée dans un texte qui a déjà
été mentionné : la CCNUCC. C'est l'article 3.3 de la
Convention qui vient définir ce nouveau principe en des termes bien plus
précis que la Déclaration et explique que le principe de
précaution est appliqué lorsque l'absence de certitudes,
notamment des connaissances scientifiques et techniques en présence, ne
doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées
visant à prévenir un risque. Ainsi la principale
différence provient de la certitude scientifique de ce dernier. La
conséquence est que la précaution « empêche que l'on
retarde l'adoption de mesures de
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protection de l'environnement en prétextant de
la nature encore incertaine des risques incriminés72.
».
En somme, les textes visant à la mise en oeuvre
de la CCNUCC (bientôt l'Accord de Paris) doivent alors prendre en compte
ce principe de précaution. Par ricochet, les océans devraient en
bénéficier tout autant car ils font partie d'un
écosystème mondial et ces derniers on dévoilé
grâce aux scientifiques la richesse des liens qui existaient entre
eux73. Mais qu'en est-il au sein des conventions qui s'orientent
davantage vers les océans ? Dans un premier temps il faut remarquer que
la CNUDM a été rédigée en 1982, soit dix ans avant
l'apparition concrète du principe de précaution. Cela signifie
qu'il ne peut y avoir la présence de ce principe au sein de la partie
XII de la convention. Néanmoins il n'y a pas d'absence de principe car
« Les États ont l'obligation de protéger et préserver
le milieu marin74 », ces derniers doivent prendre les mesures
nécessaires pour « prévenir, réduire et
maîtriser la pollution du milieu marin » d'après l'article
194 de la CNUDM. Ces mesures sont ici listées mais il est clairement
possible d'identifier la présence du principe de prévention qui
établit une obligation de moyen envers des États ayant
ratifiée la Convention. L'obligation de moyen se dégage notamment
de la présence d'action à l'instar de la réduction ou de
la maîtrise d'une pollution. Malgré ces termes, et à
l'instar de la Déclaration de Stockholm, il n'est pas possible
d'établir avec précision quelles sont les substances
visées. En effet, l'article 194.3 énonce « toutes les
sources de pollutions du milieu marin ». En partant d'une
interprétation basique, le dioxyde de carbone n'est-il pas une des
sources qui provoque lui-même l'acidification et l'eutrophisation des
océans, le blanchiment des coraux ? La réponse est positive car
celle-ci est affirmée par le GIEC. Mais il reste encore à savoir
si ces propos peuvent juridiquement être acceptés au regard des
engagements des États parties à la CNUDM. À cela s'ajoute
la formulation du a) de l'article 194.3 qui évoque, tout en parlant des
substances que ces dernières peuvent avoir, une provenance tellurique.
N'est-il pas opportun d'envisager une interprétation en faveur du climat
pour les océans ?
72DE SADELEER Nicolas,
« Le rôle ambivalent des principes dans la formation du droit de
l'environnement : l'exemple du principe de précaution », dans
Le droit international face aux enjeux environnementaux, Acte du
43e colloque d'Aix-en-provence.
73D. LAFFOLEY ET J.M.
BAXTER, « Ocean connections - an introduction to rising risks from a
warming, changing ocean », iucn.
74Article 192
CNUDM
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