B - L'application délicate des principes pour une
approche globale
Les principes inhérents à
l'environnement ont pu avoir des difficultés à s'intégrer
juridiquement. La source de cette difficulté provient du fait qu'il
s'agit d'un droit jeune au moment où ces derniers sont affirmés
et que certains d'entre eux sont difficiles à appréhender. Par
exemple, le principe de prévention établit une obligation et une
responsabilité qui doit s'opérer avant l'apparition d'un dommage
lorsque ce dernier est connu scientifiquement parlant. Ce principe apparu
dès 198775 a permis l'apparition en 199076 du
principe de précaution qui se différencie par la prise de mesures
y compris lorsqu'il existe une incertitude sur le risque mais que ce dernier
est probable77. Mais comment ces derniers ont-ils pu être
davantage reconnus ? La réponse se trouve évidemment dans la mise
en oeuvre des États parties aux conventions présence, mais ce
sujet invite communément à s'intéresser aux
différents domaines de ces mises en oeuvre78. L'autre pendant
est bel et bien l'application au regard de la jurisprudence internationale.
Mais celle-ci peut-elle être suffisamment affirmée pour que le
climat soit davantage représenté comme un des aspects de
protection des océans ?
Il faut pour cela regarder les récentes
décisions de la Cour internationale de Justice, ainsi que les avis
consultatifs du Tribunal international du droit de la mer79 qui sont
venus préciser les obligations des États en matière de
préservation de l'environnement, et ainsi identifier un socle coutumier
d'obligations substantielles et procédurales visant la prévention
des dommages environnementaux sur un ensemble pouvant englober océan et
climat. Il existe par exemple les obligations de due diligence qui peuvent
potentiellement produire des effets systémiques recherchés sur
l'ensemble du droit international de l'environnement et ainsi viser les
domaines concernés. Il est possible d'imaginer et d'espérer que
dans les années à venir, les juges nationaux puissent se saisir
davantage des règles du droit international de l'environnement et ainsi
venir opérer des affirmations plus
poussées80.
75R 42/186 du 11 décembre 1987 et 44/227 du 22
décembre 1989
76R 45/212 du 21 décembre 1990 et R 46/169 du 19
décembre 1991
77TORRE-SCHAUB Marthe, «
Le principe de précaution dans la lutte contre le réchauffement
climatique : entre
croissance économique et protection durable
», dans Revue européenne de droit de
l'environnement, 2003, p.
151-170.
78Infra Partie 2, Chapitre
2.
79TIDM
80KERBRAT Yann,
MALJEAN-DUBOIS Sandrine, « Quelles perspectives en droit
international de l'environnement ? », dans Revue de droit
d'Assas, Université Paris 2 Panthéon-Assas / Lextenso
éditions, 2015. ffhal-01400400f
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Comme il a été vu, des « principes
» du droit international de l'environnement ont été
proclamés dans la Déclaration de Rio de 1992 qui, à
l'époque où la Convention-cadre et le Protocole de Kyoto ont
été conclus, avaient une nature « programmatoire
»81. Le caractère contraignant de ces principes
était alors encore incertain mais ils ont acquis depuis, avec une
pratique internationale de plus en plus concertée, une valeur
coutumière et sont désormais obligatoires pour les États.
Apparu en premier, cet avancement avait d'abord concerné le principe de
prévention, illustré par l'arrêt rendu par la Cour
internationale de Justice en date du 20 avril 2010 dans l'affaire des Usines de
pâte à papier sur le fleuve Uruguay82 et a
confirmé ce caractère coutumier, et donc une reconnaissance au
niveau international pouvant permettre une meilleure application de ce principe
dans l'interrelation climat-océan.
La Cour a précisé à ce moment que
le principe résultait de la diligence due par les États et avait
pour conséquence que tout État était et est encore :
« tenu de mettre en oeuvre tous les moyens à sa disposition pour
éviter que les activités qui se déroulent sur son
territoire, ou sur tout espace relevant de sa juridiction, ne causent un
préjudice sensible à l'environnement d'un autre État.
». La formule est inspirée du « principe 21 » de la
Déclaration de Stockholm de 1972, mais le dépasse aussi en
faisant peser sur chaque État une obligation d'agir83. La due
diligence, un des principes de l'environnement permet alors de
développer la fonction recherchée, c'est-à-dire une
approche systémique du droit. La question se poserait alors de savoir si
les principes visés peuvent fonctionner de manière
autonome.
L'exemple sujet à débat auprès de
la doctrine est le principe de précaution. En effet ce dernier se
retrouve dans plusieurs conventions internationales84 et a
même été consacré au sein de l'UE85. Pour
autant, les juridictions internationales ne se prêtent pas toujours
à l'accueillir favorablement. Par exemple la CIJ dans l'affaire du 25
septembre 1997, Hongrie contre Slovaquie86, l'a clairement
rejeté en invoquant que le péril n'était ni grave, ni
imminent. La question peut alors se poser d'un point de vu climatique car
à l'heure où certains États du monde déclarent
l'urgence climatique, les juridictions internationales ne
81Idem..
82C.I.J., 25 ordonnance du 13
juillet 2006, affaire relative à des usines de pâtes à
papier sur le fleuve Uruguay
(Argentine c. Uruguay)
83Op. cit. KERBRAT
Yann, MALJEAN-DUBOIS Sandrine, « Quelles perspectives en droit
international de
l'environnement ? »
84Liste exhaustive, voy. A.
Trouwborst, « Evolution and Status of the Precautionary Principles in
International
Law », o.c.
85Article 191 du
Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne
(TFUE)
86C.I.J. , 25 septembre 1997,
Hongrie c. Slovaquie, par. 56.
56
devraient-elles pas mettre le pied à
l'étrier pour engager ces changements juridiques futurs ? D'autres
exemples permettent d'affirmer que la CIJ ne sera pas des juridictions
internationales nécessairement pionnière sur une
appréciation des principes87.
A contrario, dans le Tribunal international
du droit de la mer88 ce principe a été invoqué
de multiples fois par les parties requérantes. Dans un arrêt de
199989, le TIDM a démontré qu'il était sensible
d'user de ce principe notamment en accolant les termes « prudence »
et « précaution », ce qui a engagé des
difficultés d'interprétation. L'application fût
également amphigourique dans l'affaire de l'Usine Mox90. Dix
ans après une pratique juridictionnelle hasardeuse, l'autorité
coutumière du principe a été affirmée dans un avis
rendu en 2011 par la Chambre pour le règlement des différends
relatifs aux fonds marins du Tribunal international du droit de la mer. Ils
doivent notamment se prononcer sur la question de savoir si les États
sont tenus de respecter « une approche de précaution »
lorsqu'ils patronnent une entreprise qui procède à des
activités d'exploration ou d'exploitation dans la Zone, y compris hors
du champ des deux règlements relatifs à la prospection et
l'exploration des nodules polymétalliques et des sulfures
polymétalliques qui la mentionnent expressément. La chambre
spéciale91 a constaté « approprié de
souligner que l'approche de précaution fait aussi partie
intégrante des obligations de diligence requise incombant aux
États qui patronnent, laquelle est applicable même en dehors du
champ d'application des Règlements relatifs aux nodules et sulfures
», marquant ainsi encore la dépendance du principe de
précaution à la due diligence. Ainsi, la due diligence
étant une obligation coutumière consacrée notamment par la
CIJ dans son arrêt usines de pâtes à papier et l'approche de
précaution faisant partie de la due diligence, il faut en déduire
que la précaution est obligatoire en tant qu'elle découle d'une
règle coutumière. La conséquence d'après la
Chambre, est que les États doivent « prendre toutes les mesures
appropriées afin de prévenir les dommages qui pourraient
résulter des activités ». Faut-il alors croire que les
problèmes climatiques pourraient être saisis par la CIJ ou le TIDM
dans un avenir proche ? Ou bien les États n'oseraient pas enclencher les
mécanismes juridictionnels internationaux ? Dans cette
87C.I.J., ordonnance du 13
juillet 2006, affaire relative à des usines de pâtes à
papier sur le fleuve Uruguay, Argentine c. Uruguay, §73.
88TIDM
89Affaires du thon
à nageoire bleue (Nouvelle-Zélande c. Japon ; Australie c.
Japon), affaires n°3 et 4, Ordonnance du 27 août 1999.
90Affaire de l'Usine Mox
(Irlande c. Royaume-Uni), affaire n°10, Ordonnance du 3 décembre
2001.
91Ou Tribunal dans le
Tribunal (TIDM)
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hypothèse le contentieux climatique se
cantonnerait alors aux recours internes des États. La question de
l'effectivité de ces deux alternatives n'entre ici pas en
compte.
En somme les principes ne semblent pas être le
fer de lance du droit du climat. À partir de ce point de vue il ne
semble pas que les océans bénéficient d'une protection
suffisante à partir d'un droit global. Peut-être faudrait-il
aborder chaque droit non pas comme un ensemble mais comme faisant partie d'un
ensemble. Les renvois sont entre le climat et la protection du milieu marin
plutôt absents. La question se pose de savoir si une protection des
océans via le prisme des activités en mer ne serait pas
d'une utilité sur un autre plan. Scientifiquement parlant,
protéger la biodiversité par exemple, c'est également
protéger le climat, notamment lorsqu'il est sujet des océans.
Quelles gouvernances et quelle activité pourraient permettre aux
océans de jouer un rôle dans la régulation du climat
?
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