Partie 2 - La protection des océans à
travers le
prisme de la régulation du climat
L'approche précédemment effectuée
avait pour principal but d'observer le manque de lien entre le droit du climat
et la protection du milieu marin. Il a notamment été
observé de manière climato-centrée que l'environnement
marin était grandement soumis à une vision et une application
sectorielle passant par le prisme de l'activité économique. Ces
activités, quand elles sont une émanation à des fins de
protection du milieu marin, laissent en effet une grande place aux enjeux
économiques. Cela provient notamment de la recherche d'un
équilibre entre les nombreux risques que supportent les océans,
l'économie se pose ainsi au côté d'enjeux technologiques,
touristiques, archéologiques, météorologiques,
climatologiques et énergétiques. À bien y regarder, ces
domaines constituent autant de secteurs que le droit de l'environnement
appliqué aux océans pourrait voir apparaître. C'est la
raison pour laquelle la protection du milieu marin passe très souvent
par des mesures en relation avec l'économie. Néanmoins les
objectifs peuvent parfois manquer d'uniformité afin de répondre
à des objectifs systémiques à l'instar des changements
climatiques. De même, la protection du milieu marin ne se trouve
être qu'un domaine pouvant permettre une protection plus
globale92. Ainsi le rapport entre la biodiversité et les
changements climatiques n'est plus à remettre en cause93, et
la protection de cette dernière est un élément essentiel
dans les actions à mener contre le réchauffement
global.
Il va donc être question d'aborder non plus le
manque ou l'absence de lien entre deux droits aux objectifs différents
mais de s'attarder sur les éléments distincts de la protection du
milieu marin. Pour ce faire il faudra observer qu'il existe une multitude
d'institutions pour la gouvernance des océans, mais qu'elles ne sont
peut-être pas opérationnelles pour la mission de protection des
océans (Chapitre 1). De même, il sera abordée la question
de l'enfouissement du CO2, une activité nouvelle méritant un
encadrement juridique relativement strict (Chapitre 2).
92Infra Partie 1.
93
https://uicn.fr/biodiversite-et-changement-climatique/.
60
Chapitre 1 - Le problème de l'encadrement des
activités par
le droit
L'étude des institutions au sein de ces
développements se fera sous le prisme de la régulation du climat.
Au final la question principale est de savoir comment la gouvernance des
océans peut permettre une protection effective du milieu marin dans le
cadre de la régulation du climat. En effet, les institutions qui
existent fournissent des actions concrètes pour encadrer certaines
activités (la pêche, la surveillance d'une zone, la
délivrance de permis d'exploration ou d'exploitation). Ces
dernières doivent en effet appliquer des conventions protectrices quand
la mission n'est pas elle-même la protection. C'est notamment le cas des
aires marines protégées. Par ailleurs, la question au sujet de
ces dernières est de savoir si elles peuvent jouer un rôle dans la
régulation du climat.
Néanmoins pour une protection globale, il
semble évident d'observer l'absence de lien concret entre les
différentes institutions (Section 1). Ce constat n'empêche pas
pour autant de proposer des solutions institutionnelles sur cette base (Section
2).
Section 1 - L'absence de lien concret entre les
différentes institutions en présence
Pour noter l'utilité d'un lien entre des
institutions il convient de préciser que celles-ci sont à
l'origine très fragmentées et obéissent donc à une
vision sectorielle (A). De plus, ces dernières disposent d'outils
juridiques qui pourraient être complétés pour permettre une
meilleure efficacité des relations actuelles, ou même pour en
créer de nouvelles (B).
A - Des institutions présentes mais sectorielles
Les institutions ayant des rôles plus ou moins
importants dans la régulation et la protection des milieux marins sont
nombreuses. Cette multiplicité pourrait apparaître comme le
constat de l'inefficacité des institutions. Toutefois elle est davantage
le reflet d'une approche sectorielle sur plusieurs plans, d''abord, sur la
répartition des missions. En effet, chaque institution qui participe
à cette gouvernance dispose de missions différentes. Ces missions
se développent selon les niveaux des institutions existantes. Il sera vu
par exemple
61
que l'Organisation Maritime
Internationale94 agit à un niveau différent de celui
des AMP. Pourtant il existe des enjeux parfois communs et l'une et l'autre
auraient tout intérêt à faire converger leurs
actions.
Le second plan de l'approche se concentre sur les
champs géographiques déterminés. Ce peut être
à la fois l'un des freins mais également un des avantages des
institutions. En effet, d'une certaine manière le manque d'une vision
globale ne permet pas la convergence des actions dont il était question
préalablement. Comment considérer les effets du
réchauffement climatiques si ces derniers ne sont pas reconnus de
manière universelle par les institutions ? D'un autre côté,
l'attribution à chaque institution d'un champ géographique permet
une répartition en termes d'objectifs et de moyens. Cette approche
participe notamment à ce que l'institution puisse exercer ses missions
dans un cadre préalablement défini.
Enfin l'approche se concentre sur l'étendue des
compétences des institutions à agir et à
réglementer. Il s'agit d'une particularité qui leur est
donnée. Le terme d'institutions est ici abordé au sens large : il
peut s'agir d'institutions dont la mission est de réglementer des
domaines déterminés (à l'instar de l'OMI) ou encore des
organes moins puissants permettant la gestion et le contrôle des AMP.
Entre autres, il convient de s'arrêter sur la CNUDM car des auteurs
confirment que :
« La Convention des Nations unies sur le
droit de la mer n'assure pas la cohérence des innombrables instruments
juridiques qui régissent les océans et leurs ressources. Si elle
n'a pas le statut de Constitution de la mer, l'évolution des instruments
démontre tout de même qu'elle encadre les dispositions
adoptées par des institutions sectorielles et régionales
indépendantes, et peu coordonnées
»95.
Il est ainsi démontré que la
coordination n'est pas le point fort du droit de la mer et que cela dessert
fortement la protection du milieu marin.
Cette fragmentation a des origines antérieures
à la CNUDM de 1982 et se structure notamment sur la multiplicité
des acteurs. L'un d'eux est l'OMI, agence spécialisée des Nations
unies créée en 1948 par la Convention OMI, elle se voit attribuer
des compétences concernant la navigation. Elle a donné naissance
à de nombreux traités et mesures à l'instar de ceux
identifiés à la sécurité maritime, et plus
précisément à la prévention des accidents,
mais
94OMI
95DIRE TLADI, Gouvernance
des océans : un cadre de réglementation fragmenté ?,
Regards sur la Terre, 2011.
62
également des traités sur la
prévention de la pollution marine. Cela reste toutefois orienté
sur l'exploitation des navires principalement. Nonobstant ces textes, de
nombreux aspects du milieu marin ne sont pas du ressort de l'OMI, telles que la
réglementation des pêcheries, la protection des fonds marins
contre les pratiques destructrices et même la réglementation de la
pollution imputable à des sources telluriques (la principale source de
pollution marine). Si cela peut apparaître regrettable après les
développements apportés96, cela reste néanmoins
cohérent.
L'OMI apporte néanmoins des nuances quant
à son implication dans la protection du milieu marin. La première
est l'intégration à l 'OMI de la protection du milieu marin, car
sur 51 instruments conventionnels qui ont été adoptés
à ce jour, 21 sont directement liés à l'environnement,
voire 23, si l'on tient compte des aspects des Conventions sur l'assistance et
sur l'enlèvement des épaves liées à
l'environnement97. En sus, il existe le Comité de la
protection du milieu marin (MEPC) qui est le principal organe technique de
l'OMI traitant des questions relatives à la pollution des mers. Ce
dernier traite notamment des questions relatives à la Convention
MARPOL98, c'est-à-dire principalement à la pollution
causée par les navires, c'est à dire la pollution par les
hydrocarbures, les produits chimiques transportés en vrac, les eaux
usées ou les ordures. Le MEPC participe également à la
réduction des GES en provenance des navires et des polluants
atmosphériques.
La deuxième nuance est la préparation de
travaux afin de prévenir la pollution de l'océan par l'immersion
de déchets et d'autres matières. Cela a principalement
été réalisé au travers du prisme de la Convention
de Londres de 197299 et de son protocole de 1996 sur « la
prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion de
déchets et d'autres matières ». Cette convention
est particulièrement intéressante car elle va constituer le socle
d'une activité nouvelle qui pourra grandement participer à la
diminution (davantage que la réduction) du dioxyde de carbone dans
l'atmosphère notamment à travers le captage et le stockage de
ce
gaz100.
96Notamment dans la partie
1.
97
http://www.imo.org/fr/OurWork/Environment/Pages/default.aspx
98Convention internationale
pour la prévention de la pollution marine par les navires, du 2 novembre
1973
complétée par le protocole de
1978.
99Adopté le 13
novembre 1972 et entrée en vigueur le 30 août 1975.
100Infra chapitre
2.
63
Enfin, l'OMI peut déterminer des zones
maritimes particulièrement vulnérables (PSSA). Ces zones «
en raison de l'importance reconnue de ses caractéristiques
écologiques, socio-économiques ou scientifiques et de son
éventuelle vulnérabilité aux dommages causés par
les activités des transports maritimes internationaux
»101, sont éligibles à : « [une] protection
particulière, conférée par des mesures prises par l'OMI
». Il existe pour cela des critères applicables à
l'identification de ces zones et des critères applicables à la
désignation de zones spéciales qui ne s'excluent pas
mutuellement. Dans de nombreux cas, une PSSA peut être identifiée
à l'intérieur d'une zone spéciale et inversement, ce qui
peut permettre un croisement entre des zones de pêcheries ou même
des AMP. Dans ce dernier cas, la zone bénéficiera d'une
protection double en terme d'institutions. La résolution
A.982(24)102 contient des Directives révisées pour
l'identification et la désignation des zones maritimes
particulièrement vulnérables. Ces directives proposent un certain
nombre de critères qui s'appliquent à la désignation des
PSSA comme des critères écologiques relatifs aux
écosystèmes rares ou uniques, relatifs à leur
diversité ou expose encore leur vulnérabilité face aux
dégradations d'origines naturelles ou humaines. Parmi ces zones, il est
possible de citer la grande barrière de corail, en
Australie103 ou encore le détroit de Bonifacio, en France et
Italie104.
Au final, l'OMI est une institution plutôt
complète concernant la protection du milieu marin même si ce n'est
pas sa mission première. D'autres organisations se trouvent moins
adaptées à cette protection. Pire encore, il est possible de
constater une servitude totale à des intérêts
économiques dans une organisation dont la mission d'origine et de
permettre une meilleure gestion des ressources. L'exemple qui suit est celui de
l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).
C'est une agence spécialisée créée en
1945105, qui oeuvre en faveur de la sécurité
alimentaire dans le domaine des pêcheries et de l'aquaculture. Ici il
faut remarquer que sa mission est bel et bien déterminée. Un
cadre est
101
http://www.imo.org/fr/OurWork/Environment/PSSAs/Pages/Default.aspx.
102Résolution
A.982(24) adoptée le 1er décembre 2005 (point 11 de l'ordre du
jour) Directives révisées pour
l'identification et la désignation des zones
maritimes particulièrement vulnérables
103Désignée en
1990 puis étendue afin d'inclure le détroit de Torres en
2005.
104Désignée en
2011.
105Par les Nations
unies.
64
établi afin de cantonner l'organisation
à un secteur, celui du prélèvement halieutique. Elle a
pour compétence d'élaborer des instruments relatifs à la
pêche, contraignants ou non106.
Il est possible de constater une articulation avec la
CNUDM ici. Par exemple la liberté en haute-mer accorde une
liberté de pêche, sauf pour certaines espèces
protégées spécifiquement107, mais celle-ci
contribue au déclin des pêcheries et à de plus grandes
menaces sur la biodiversité marine. Par ailleurs, les dispositions
issues du droit des pêches ne peuvent relever de la Convention sur la
biodiversité et ce à travers les organisations régionales
de pêches (ORGP). En effet ces dernières sont destinées
à permettre une utilisation durable des ressources halieutiques. La
nature juridique de ces organisations a pour unique but de servir les
intérêts économiques via le prisme de
l'alimentation humaine et ne prend pas en compte les poissons comme faisant
partie de la biodiversité. Ce constat peut se faire notamment à
travers la Convention OSPAR de 1992 qui établit une organisation
régionale dans l'Atlantique du Nord-Est et dont les missions sont la
protection de l'écosystème de la zone ainsi que la protection de
la diversité biologique qui s'y trouve. Il faut pourtant noter la
définition donnée de la diversité biologique au sein de
l'article 2 de la Convention qui dispose que celle-ci est une :
« Variabilité des organismes vivants
de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes
terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les
complexes écologiques dont ils font partie; cela comprend la
diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que
celle des écosystèmes. »
Il est possible d'extraire ici les expressions «
organismes vivants de toute origine » et « diversité au sein
des espèces et entre espèces » qui permettent sans doute
d'inclure les poissons péchés. Ainsi sur la même zone
dispensée par OSPAR il est possible de retrouver l'ORGP NEAFC ou
Commission des pêches de l'Atlantique du Nord-Est
(CPANE)108.
Au final, la fragmentation observée au sein des
droits permettant la protection des océans face au climat se retrouve
lui-même au sein du droit de la protection du milieu marin.
106DIRE TLADI, «
Gouvernance des océans : un cadre de réglementation
fragmenté ? », Regards sur la Terre, 2011
107Convention
Baleinière Internationale de 1946 par exemple.
108https://www.neafc.org/
65
En effet, l'équilibre est précaire entre
les dispositions de la CNUDM sur la protection du milieu marin et les
intérêts économiques qui restent l'intérêt
majeur. Cette « Constitution pour la mer », aurait du apporter un
ciment solide pour créer des liens et une uniformité dans ces
problématiques, surtout en notant que la CNUDM a été
adoptée en 1982, c'est-à-dire 10 ans après la
Déclaration de Stockholm qui marquait la naissance du droit
international de l'environnement. Pour exemple, l'article 193 qui dispose que
les États ont : « le droit [souverain] d'exploiter leurs ressources
selon leur politique en matière d'environnement et conformément
à leur obligation de protéger et de préserver le milieu
marin », marque avant tout le droit d'exploiter les ressources selon leur
bon vouloir.
Néanmoins ces institutions et organisations
disposent pour certaines de la capacité à créer des
règlementations et à les faire appliquer. À ce titre, il
est nécessaire d'observer quels outils elles peuvent mettre en
oeuvre.
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