Chapitre 2 - L'existence d'un droit trop accommodant
pour assurer la protection de l'océan en tant que régulateur du
climat : l'exemple de l'enfouissement du CO2
Après avoir étudié certains
aspects institutionnels de la protection du milieu marin il convient de
s'attarder sur une activité qui pourrait se développer de
manière exponentielle dans les années à venir compte-tenu
de l'urgence climatique mondiale. En effet, depuis la seconde guerre mondiale
les scientifiques ont voulu développer des technologies permettant de
manipuler le climat et la météo à des fins militaires.
Aujourd'hui ces sciences se regroupent au sein de la
géoingénierie qui est définie en 2014 par l'Agence
nationale de la recherche comme :
« L'ensemble des techniques et pratiques
mises en oeuvre ou projetées dans une visée corrective à
grande échelle d'effets de la pression anthropique sur l'environnement.
Il importe de bien distinguer la géoingénierie qui met en jeu des
mécanismes ayant un impact global sur le système
planétaire terrestre des techniques et pratiques d'atténuation ou
ayant simplement un impact local. »
Ainsi il va être question au niveau du CO2 de le
capter pour en limiter les quantités dans l'atmosphère et limiter
les changements climatiques. Quels rôles peuvent donc jouer les
océans dans un tel mécanisme ? Ici l'idée est que les
fonds marins et les grands fonds marins133 peuvent accueillir le
stockage du dioxyde de carbone ainsi capté. Deux méthodes
existent aujourd'hui pour stocker le CO2 dans les océans. La
première méthode consiste à isoler le gaz concerné
dans des cavités, souvent d'anciens puits pétroliers ou gaziers,
qui ont la réputation d'être hermétiques et dont la
question du risque porterait sur le mécanisme de fermeture. La seconde
méthode est beaucoup plus sensible car consiste à déposer
le CO2 dans une zone à une certaine profondeur, ce qui formerait ainsi
un lac de CO2, le gaz s'intégrant progressivement au cycle du carbone
dans le fond des océans134.
Il sera donc question de l'enfouissement et des enjeux
juridiques que ce dernier dégage. La question se posera de savoir si la
qualification n'est pas trop large pour imaginer
133Car les régimes
sont différents. 134Annexe 1.
78
que les garanties de protection du milieu marin soient
suffisantes (Section 1). Ainsi cette qualification ne permettrait probablement
pas de palier à l'encadrement insuffisant dans la mise en oeuvre de
l'enfouissement (Section 2).
Section 1 - Une qualification trop large pour apporter
des garanties suffisantes
Ce sont de vrais débats qui émergent sur
la question de l'enfouissement du CO2. Ainsi l'OMI a pu mettre en place la
Convention de Londres de 1972 sur la prévention de la pollution des mers
résultant de l'immersion des déchets et du protocole intervenu en
1996. Cette convention est d'une importance majeure sur la prise en compte
juridique de cette activité, mais il faut remarquer l'absence de
définitions matérielles (A) ainsi que la présence d'un
champ d'application trop fractionné (B).
A - L'absence de définitions matérielles
autour de l'enfouissement
Plusieurs définitions interviennent pour que le
droit se saisisse de la question de l'enfouissement. Ces questions
interviennent préalablement à la mise en pratique de
l'enfouissement car ce dernier nécessite d'être saisi par le droit
tant les enjeux environnementaux sont importants. Ces enjeux impliquent la
qualification du CO2 lui-même mais aussi de l'immersion.
D'une part, l'article 1.4.1.1 du
Protocole135 désigne l'immersion comme : «
toute élimination délibérée dans la mer de
déchets ou autres matières à partir de navires,
aéronefs, plateformes ou autres ouvrages artificiels en mer ».
L'appréhension de la terminologie « élimination » reste
douteuse et vaste car elle semble considérer l'océan comme un
conteneur à déchets sans limite d'accueil. Pourtant, les
problèmes rencontrés avec les déchets plastiques laissent
aujourd'hui le constat amer qu'il ne s'agit pas d'une vérité.
Comment appréhender positivement cette terminologie ? Cette
dernière doit être délibérée, ce qui
écarte de fait de qualifier comme immersion le naufrage d'un navire ou
la perte d'une partie de sa cargaison. À ce propos, il peut être
intéressant d'envisager le transport des déchets concernés
et qui
135Article 1.4.1.1 du
protocole de 1996 à la Convention de 1972 sur la prévention de la
pollution des mers résultant de l'immersion de déchets et
d'autres matières.
79
potentiellement pourraient être du CO2. Durant
un voyage, il peut arriver qu'une cargaison se détériore et dans
ce cas, les marins doivent y remédier. L'un des moyens de gestion de ces
cargaisons est de les décharger du navire afin de les gérer
à terre et d'en recycler les matériaux
récupérables, ou de s'en débarrasser d'une manière
qui soit respectueuse de l'environnement et du milieu marin136.
Toutefois sous certaines conditions cela n'est pas possible, et la seule option
viable est l'évacuation de ces cargaisons dans la mer. Ainsi l'OMI
préconise que : « L'évacuation en mer des cargaisons
avariées ne devrait être envisagée qu'en cas d'urgence bien
établie, s'il n'existe pas d'installation disponible à terre et
si cette mesure ne nuit pas à l'environnement ni à la
santé de l'homme »137. Or cette
hypothèse est parfaitement envisageable car la manière dont est
stocké le CO2 ne constitue pas la forme naturelle de ce dernier, il est
en conséquence sujet à un retour à son état normal.
Ce point sensible peut amener à se poser des questions sur l'état
même du CO2 en tant que cargaison. À ce moment, il est possible de
se demander si le CO2 peut être considéré comme une
cargaison avariée ou s'il peut être un déchet. Faut-il dans
ce cas faire une demande de rejet à la mer ? D'une part le CO2 peut
être extrêmement dangereux pour l'équipage du navire qui le
transporte, mais cette hypothèse concerne d'avantage les règles
de sécurité de droit maritime à l'instar des règles
qui encadrent la sécurité sur les pétroliers et
chimiquiers. D'autre part, la remise à l'air libre et potentiellement
dans la colonne d'eau de cette cargaison pourrait provoquer
l'inefficacité des mesures de captages. Pire encore, cela pourrait
provoquer une pollution en provoquant une acidification immédiate de la
colonne d'eau où le rejet a été
effectué.
L'article 1.4.1.3 poursuit en précisant que :
« tout entreposage de déchets ou autres matières sur le fond
des mers, ainsi que dans leur sous-sol, à partir de navires,
aéronefs, plates-formes ou autres ouvrages artificiels en mer
»138, peut être un cas d'immersion. Cette
hypothèse est davantage pertinente avec les solutions scientifiques
envisagées, comme cela a déjà été
noté139. Ainsi la déposition du dioxyde de carbone
dans le fond des océans de manière à former un lac de CO2
pourra aisément être considérée comme « un
entreposage de déchets ou autres matières » ainsi que de
l'emporter sur l'hypothèse de l'enfouissement au sein d'un ancien puits
de pétrole.
136« Ce qu'il est et pourquoi il est
nécessaire », document de l'OMI pour présenter le
protocole de la Convention de Londres de 1996, EV en 2006.
137Id.
138Article 1.4.1.3 du
protocole de 1996 à la Convention de 1972 sur la prévention de la
pollution des mers résultant de l'immersion de déchets et
d'autres matières
139Annexe 1.
80
Néanmoins cette dernière
hypothèse amène à l'interrogation de ce que l'immersion
n'est pas. Cette définition par élimination est
précisée à l'article 1.4.2 dont l'alinéa 3
précise que : « L'élimination ou l'entreposage de
déchets ou autres matières résultant directement ou
indirectement de l'exploration, de l'exploitation et du traitement offshore
des ressources minérales du fond des mers ne relève pas du
présent Protocole »140. C'est à dire que dans les
cas où une plate-forme pétrolière décide
d'opérer l'immersion du CO2 puisé après extraction du
pétrole au lieu de pratiquer le torchage semble, d'après les
termes du Protocole, impossible. Il existe pourtant des cas concrets sur le
site de Sleipne, qui est une exception notable car l'opérateur
sépare le CO2 dans le gaz naturel (9 %), et l'enfouit depuis 1996 dans
une couche géologique à environ mille mètres de
profondeur. Il s'agit alors de présenter le captage et l'enfouissement
du dioxyde de carbone comme un élément pouvant intervenir
à la source, mais aucune convention internationale n'existe pour le
moment pour réglementer ce type d'activité. Ainsi il se pourrait
que les définitions en provenance du Protocole soient les seules
à pouvoir s'exprimer auprès des États parties.
D'autre part, la qualification du CO2 n'a pas
été d'une grande clarté dans l'immédiat. En effet
l'article 1.8 dispose que : « "déchets ou autres
matières" désigne les matériaux et substances de tout
type, de toute forme et de toute nature », ce qui amène à
réfléchir sur la possibilité d'y inclure le dioxyde de
carbone et sur les formes qu'il pourrait alors adopter. En effet, il
n'était faite aucune mention de ce que pouvait être un
déchet, mais la nature gazeuse du dioxyde de carbone amène
à penser qu'il s'agirait probablement d'une substance pouvant entrer
dans le cadre légal de la Convention. Aujourd'hui, il n'y a toujours
aucune réglementation internationale spécifique au stockage
souterrain du CO2141. Il n'existe pas non plus de statut
légal du CO2 provenant des grandes installations de combustion. De plus
la question a pu se poser d'appréhender la durée de ce stockage
mais il s'agira ici davantage d'une question d'étude
d'impact142. Pendant longtemps, l'absence de nouvelle
législation s'est faite ressentir. L'unique exception provenait
probablement de la Convention OSPAR qui permettait de
140Article 1.4.2.3 du
protocole de 1996 à la Convention de 1972 sur la prévention de la
pollution des mers résultant de l'immersion de déchets et
d'autres matières.
141ADEME, « La
capture et le stockage géologique du CO2 », Les enjeux des
géosciences, 2005.
142Section 2, A.
81
capter le gaz sur le continent pour l'injecter sous la
mer à condition qu'il soit amené par
pipeline143.
Néanmoins, des évolutions sont
intervenues durant les années 2006 et 2007. En effet, en 2006 un groupe
de travail émanant de la Convention de Londres s'est constitué.
Il a ainsi « pu établir la liste des différents points
juridiques de la Convention et du Protocole de 1996 qui pourraient concerner le
stockage du CO2»144, afin de débattre d'une
éventuelle adaptation ou d'amendements futurs. À la suite de
l'entrée en vigueur du Protocole en 2006, l'Australie, la France, la
Norvège et le Royaume-Uni ont émis une proposition d'amendement
de l'Annexe 1 afin d'autoriser le stockage du dioxyde de carbone dans les
formations géologiques sous-marines. La résolution fût
adoptée la même année et a permis d'insérer une
liste de huit catégories au sein de l'Annexe 1 du Protocole le stockage
du dioxyde de carbone dans le sous-sol marin et indique que ce dernier sera
permis dès le 10 février 2007. Il semble qu'il y ait quelques
conditions à respecter dans la manière dont a été
rédigé cet amendement. En effet, il est rédigé
comme suit : « carbon dioxide streams from carbon dioxide capture
processes for sequestration », ce qui signifie que le CO2 ne peut
avoir une origine autre que celle en provenance du captage. Cela pose encore la
question de la définition du captage du CO2. Cette dernière
doit-elle se faire à la source de l'émission ? Doit-elle
être un captage atmosphérique en provenance des villes
polluées ?
De même, de nombreuses questions se posent
encore au sujet du CO2 malgré l'ancienneté de cet amendement.
Faut-il ranger le CO2 dans la catégorie déchet industriel ou
déchet industriel dangereux ? Cela impliquerait-il une réelle
différence dans le traitement en pratique de cette substance ?
Néanmoins, le Protocole de 1996 n'est qu'une convention cadre dont les
États parties ont un devoir de mise en oeuvre. En ce sens le Protocole
n'est pas très orienté et laisse donc un large choix aux
États parties.
Entre 2006 et 2019 il faut constater que des textes
réglementaires apportent uniquement un début de réponse.
De plus, aucun n'opère une prise en compte du stockage de ce gaz sur une
longue période. Mais il s'agit là d'un problème de
temporalité dans le droit. Cette temporalité prend une place de
plus en plus importante notamment dans le traitement de ces « nouveaux
déchets » dans lesquels il est possible de compter les
déchets nucléaires également mais dont
143Solution
étudiée aujourd'hui par les Britanniques.
144ADEME, « La
capture et le stockage géologique du CO2 », Les enjeux des
géosciences, 2005.
82
l'immersion est aujourd'hui proscrite145.
Cette activité devra donc intégrer la notion de stockage sur le
long terme à travers les règles notamment en passant par des
définitions plus précises et des qualifications plus
complètes.
Il resterait encore à entrevoir la
qualification de la zone géologique dans laquelle le stockage aura lieu.
En effet, il est possible de se demander si les cavités, qu'il s'agisse
d'anciens puits de pétrole ou de cuves sous-marines, ne peuvent pas
être cernées par le droit afin d'en assurer une meilleure
identification et pourrait être intégrées dans la
catégorie « Choix du lieu d'immersion » de l'Annexe 2 du
Protocole. Néanmoins, les zones géologiques se distinguent
fortement des zones géographiques qui fractionnent le champ
d'application du Protocole.
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