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Les océans face au réchauffement climatique.


par Pierrick ROGE
Université de Nantes - M2 Droit et Sécurité des Activités Maritimes et Océaniques 2019
  

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Chapitre 2 - L'existence d'un droit trop accommodant pour assurer la protection de l'océan en tant que régulateur du climat : l'exemple de l'enfouissement du CO2

Après avoir étudié certains aspects institutionnels de la protection du milieu marin il convient de s'attarder sur une activité qui pourrait se développer de manière exponentielle dans les années à venir compte-tenu de l'urgence climatique mondiale. En effet, depuis la seconde guerre mondiale les scientifiques ont voulu développer des technologies permettant de manipuler le climat et la météo à des fins militaires. Aujourd'hui ces sciences se regroupent au sein de la géoingénierie qui est définie en 2014 par l'Agence nationale de la recherche comme :

« L'ensemble des techniques et pratiques mises en oeuvre ou projetées dans une visée corrective à grande échelle d'effets de la pression anthropique sur l'environnement. Il importe de bien distinguer la géoingénierie qui met en jeu des mécanismes ayant un impact global sur le système planétaire terrestre des techniques et pratiques d'atténuation ou ayant simplement un impact local. »

Ainsi il va être question au niveau du CO2 de le capter pour en limiter les quantités dans l'atmosphère et limiter les changements climatiques. Quels rôles peuvent donc jouer les océans dans un tel mécanisme ? Ici l'idée est que les fonds marins et les grands fonds marins133 peuvent accueillir le stockage du dioxyde de carbone ainsi capté. Deux méthodes existent aujourd'hui pour stocker le CO2 dans les océans. La première méthode consiste à isoler le gaz concerné dans des cavités, souvent d'anciens puits pétroliers ou gaziers, qui ont la réputation d'être hermétiques et dont la question du risque porterait sur le mécanisme de fermeture. La seconde méthode est beaucoup plus sensible car consiste à déposer le CO2 dans une zone à une certaine profondeur, ce qui formerait ainsi un lac de CO2, le gaz s'intégrant progressivement au cycle du carbone dans le fond des océans134.

Il sera donc question de l'enfouissement et des enjeux juridiques que ce dernier dégage. La question se posera de savoir si la qualification n'est pas trop large pour imaginer

133Car les régimes sont différents. 134Annexe 1.

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que les garanties de protection du milieu marin soient suffisantes (Section 1). Ainsi cette qualification ne permettrait probablement pas de palier à l'encadrement insuffisant dans la mise en oeuvre de l'enfouissement (Section 2).

Section 1 - Une qualification trop large pour apporter des
garanties suffisantes

Ce sont de vrais débats qui émergent sur la question de l'enfouissement du CO2. Ainsi l'OMI a pu mettre en place la Convention de Londres de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion des déchets et du protocole intervenu en 1996. Cette convention est d'une importance majeure sur la prise en compte juridique de cette activité, mais il faut remarquer l'absence de définitions matérielles (A) ainsi que la présence d'un champ d'application trop fractionné (B).

A - L'absence de définitions matérielles autour de l'enfouissement

Plusieurs définitions interviennent pour que le droit se saisisse de la question de l'enfouissement. Ces questions interviennent préalablement à la mise en pratique de l'enfouissement car ce dernier nécessite d'être saisi par le droit tant les enjeux environnementaux sont importants. Ces enjeux impliquent la qualification du CO2 lui-même mais aussi de l'immersion.

D'une part, l'article 1.4.1.1 du Protocole135 désigne l'immersion comme : « toute élimination délibérée dans la mer de déchets ou autres matières à partir de navires, aéronefs, plateformes ou autres ouvrages artificiels en mer ». L'appréhension de la terminologie « élimination » reste douteuse et vaste car elle semble considérer l'océan comme un conteneur à déchets sans limite d'accueil. Pourtant, les problèmes rencontrés avec les déchets plastiques laissent aujourd'hui le constat amer qu'il ne s'agit pas d'une vérité. Comment appréhender positivement cette terminologie ? Cette dernière doit être délibérée, ce qui écarte de fait de qualifier comme immersion le naufrage d'un navire ou la perte d'une partie de sa cargaison. À ce propos, il peut être intéressant d'envisager le transport des déchets concernés et qui

135Article 1.4.1.1 du protocole de 1996 à la Convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion de déchets et d'autres matières.

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potentiellement pourraient être du CO2. Durant un voyage, il peut arriver qu'une cargaison se détériore et dans ce cas, les marins doivent y remédier. L'un des moyens de gestion de ces cargaisons est de les décharger du navire afin de les gérer à terre et d'en recycler les matériaux récupérables, ou de s'en débarrasser d'une manière qui soit respectueuse de l'environnement et du milieu marin136. Toutefois sous certaines conditions cela n'est pas possible, et la seule option viable est l'évacuation de ces cargaisons dans la mer. Ainsi l'OMI préconise que : « L'évacuation en mer des cargaisons avariées ne devrait être envisagée qu'en cas d'urgence bien établie, s'il n'existe pas d'installation disponible à terre et si cette mesure ne nuit pas à l'environnement ni à la santé de l'homme »137. Or cette hypothèse est parfaitement envisageable car la manière dont est stocké le CO2 ne constitue pas la forme naturelle de ce dernier, il est en conséquence sujet à un retour à son état normal. Ce point sensible peut amener à se poser des questions sur l'état même du CO2 en tant que cargaison. À ce moment, il est possible de se demander si le CO2 peut être considéré comme une cargaison avariée ou s'il peut être un déchet. Faut-il dans ce cas faire une demande de rejet à la mer ? D'une part le CO2 peut être extrêmement dangereux pour l'équipage du navire qui le transporte, mais cette hypothèse concerne d'avantage les règles de sécurité de droit maritime à l'instar des règles qui encadrent la sécurité sur les pétroliers et chimiquiers. D'autre part, la remise à l'air libre et potentiellement dans la colonne d'eau de cette cargaison pourrait provoquer l'inefficacité des mesures de captages. Pire encore, cela pourrait provoquer une pollution en provoquant une acidification immédiate de la colonne d'eau où le rejet a été effectué.

L'article 1.4.1.3 poursuit en précisant que : « tout entreposage de déchets ou autres matières sur le fond des mers, ainsi que dans leur sous-sol, à partir de navires, aéronefs, plates-formes ou autres ouvrages artificiels en mer »138, peut être un cas d'immersion. Cette hypothèse est davantage pertinente avec les solutions scientifiques envisagées, comme cela a déjà été noté139. Ainsi la déposition du dioxyde de carbone dans le fond des océans de manière à former un lac de CO2 pourra aisément être considérée comme « un entreposage de déchets ou autres matières » ainsi que de l'emporter sur l'hypothèse de l'enfouissement au sein d'un ancien puits de pétrole.

136« Ce qu'il est et pourquoi il est nécessaire », document de l'OMI pour présenter le protocole de la Convention de Londres de 1996, EV en 2006.

137Id.

138Article 1.4.1.3 du protocole de 1996 à la Convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion de déchets et d'autres matières

139Annexe 1.

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Néanmoins cette dernière hypothèse amène à l'interrogation de ce que l'immersion n'est pas. Cette définition par élimination est précisée à l'article 1.4.2 dont l'alinéa 3 précise que : « L'élimination ou l'entreposage de déchets ou autres matières résultant directement ou indirectement de l'exploration, de l'exploitation et du traitement offshore des ressources minérales du fond des mers ne relève pas du présent Protocole »140. C'est à dire que dans les cas où une plate-forme pétrolière décide d'opérer l'immersion du CO2 puisé après extraction du pétrole au lieu de pratiquer le torchage semble, d'après les termes du Protocole, impossible. Il existe pourtant des cas concrets sur le site de Sleipne, qui est une exception notable car l'opérateur sépare le CO2 dans le gaz naturel (9 %), et l'enfouit depuis 1996 dans une couche géologique à environ mille mètres de profondeur. Il s'agit alors de présenter le captage et l'enfouissement du dioxyde de carbone comme un élément pouvant intervenir à la source, mais aucune convention internationale n'existe pour le moment pour réglementer ce type d'activité. Ainsi il se pourrait que les définitions en provenance du Protocole soient les seules à pouvoir s'exprimer auprès des États parties.

D'autre part, la qualification du CO2 n'a pas été d'une grande clarté dans l'immédiat. En effet l'article 1.8 dispose que : « "déchets ou autres matières" désigne les matériaux et substances de tout type, de toute forme et de toute nature », ce qui amène à réfléchir sur la possibilité d'y inclure le dioxyde de carbone et sur les formes qu'il pourrait alors adopter. En effet, il n'était faite aucune mention de ce que pouvait être un déchet, mais la nature gazeuse du dioxyde de carbone amène à penser qu'il s'agirait probablement d'une substance pouvant entrer dans le cadre légal de la Convention. Aujourd'hui, il n'y a toujours aucune réglementation internationale spécifique au stockage souterrain du CO2141. Il n'existe pas non plus de statut légal du CO2 provenant des grandes installations de combustion. De plus la question a pu se poser d'appréhender la durée de ce stockage mais il s'agira ici davantage d'une question d'étude d'impact142. Pendant longtemps, l'absence de nouvelle législation s'est faite ressentir. L'unique exception provenait probablement de la Convention OSPAR qui permettait de

140Article 1.4.2.3 du protocole de 1996 à la Convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion de déchets et d'autres matières.

141ADEME, « La capture et le stockage géologique du CO2 », Les enjeux des géosciences, 2005.

142Section 2, A.

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capter le gaz sur le continent pour l'injecter sous la mer à condition qu'il soit amené par pipeline143.

Néanmoins, des évolutions sont intervenues durant les années 2006 et 2007. En effet, en 2006 un groupe de travail émanant de la Convention de Londres s'est constitué. Il a ainsi « pu établir la liste des différents points juridiques de la Convention et du Protocole de 1996 qui pourraient concerner le stockage du CO2»144, afin de débattre d'une éventuelle adaptation ou d'amendements futurs. À la suite de l'entrée en vigueur du Protocole en 2006, l'Australie, la France, la Norvège et le Royaume-Uni ont émis une proposition d'amendement de l'Annexe 1 afin d'autoriser le stockage du dioxyde de carbone dans les formations géologiques sous-marines. La résolution fût adoptée la même année et a permis d'insérer une liste de huit catégories au sein de l'Annexe 1 du Protocole le stockage du dioxyde de carbone dans le sous-sol marin et indique que ce dernier sera permis dès le 10 février 2007. Il semble qu'il y ait quelques conditions à respecter dans la manière dont a été rédigé cet amendement. En effet, il est rédigé comme suit : « carbon dioxide streams from carbon dioxide capture processes for sequestration », ce qui signifie que le CO2 ne peut avoir une origine autre que celle en provenance du captage. Cela pose encore la question de la définition du captage du CO2. Cette dernière doit-elle se faire à la source de l'émission ? Doit-elle être un captage atmosphérique en provenance des villes polluées ?

De même, de nombreuses questions se posent encore au sujet du CO2 malgré l'ancienneté de cet amendement. Faut-il ranger le CO2 dans la catégorie déchet industriel ou déchet industriel dangereux ? Cela impliquerait-il une réelle différence dans le traitement en pratique de cette substance ? Néanmoins, le Protocole de 1996 n'est qu'une convention cadre dont les États parties ont un devoir de mise en oeuvre. En ce sens le Protocole n'est pas très orienté et laisse donc un large choix aux États parties.

Entre 2006 et 2019 il faut constater que des textes réglementaires apportent uniquement un début de réponse. De plus, aucun n'opère une prise en compte du stockage de ce gaz sur une longue période. Mais il s'agit là d'un problème de temporalité dans le droit. Cette temporalité prend une place de plus en plus importante notamment dans le traitement de ces « nouveaux déchets » dans lesquels il est possible de compter les déchets nucléaires également mais dont

143Solution étudiée aujourd'hui par les Britanniques.

144ADEME, « La capture et le stockage géologique du CO2 », Les enjeux des géosciences, 2005.

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l'immersion est aujourd'hui proscrite145. Cette activité devra donc intégrer la notion de stockage sur le long terme à travers les règles notamment en passant par des définitions plus précises et des qualifications plus complètes.

Il resterait encore à entrevoir la qualification de la zone géologique dans laquelle le stockage aura lieu. En effet, il est possible de se demander si les cavités, qu'il s'agisse d'anciens puits de pétrole ou de cuves sous-marines, ne peuvent pas être cernées par le droit afin d'en assurer une meilleure identification et pourrait être intégrées dans la catégorie « Choix du lieu d'immersion » de l'Annexe 2 du Protocole. Néanmoins, les zones géologiques se distinguent fortement des zones géographiques qui fractionnent le champ d'application du Protocole.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe