1.1.2- Dégradation de la profession
d'enseignant et du système éducatif
Depuis les années 1993-1994 les enseignants se
plaignent de leur situation économique et sociale devenue
précaire avec la baisse des salaires des fonctionnaires et la
dévaluation du Franc CFA en 1994. Avec la naissance du Syndicat National
Autonome de l'Enseignement Secondaire (SNAES) en 1990 et de bien d'autres, les
mouvements de grèves se sont multipliés entraînant une
légère amélioration du salaire qui, de l'avis des
enseignants n'est pas suffisante pour leur accorder un statut honorable. Le
statut particulier du corps enseignant obtenu en 2000 n'a jamais
réellement été mis en pratique. Ainsi malgré leur
vocation pour la profession beaucoup d'enseignants, démotivés et
démoralisés, choisissent l'émigration ou la nomination
dans d'autres ministères où ils se sentent valorisés. Ceux
qui sont obligés de rester dans le corps manifestent leur frustration de
bien de façons qui ont conduit à pleines de déviances dans
cette profession jadis considérée comme noble. En effet, outre la
démotivation flagrante observée chez la plupart des enseignants
devenus de brillants hommes d'affaires, des chefs d'entreprises, beaucoup
trouvent leur compte dans ce qu'ils appellent communément les
« champs » (des cours de vacation) dans les collèges
privés ou organisent des cours de répétitions en groupes
ou en privée afin d'arrondir les fins de mois, ceci au détriment
des heures de cours et de la couverture qualitative et quantitative des
programmes dans les établissements où ils sont affectés
par l'Etat.
La clochardisation des enseignants a aussi pris une grande
ampleur. Ces derniers n'ont plus jamais retrouvé leur équilibre
car vivent dans des conditions précaires au sortir de l'école,
ils sont obligés de s'endetter dans l'espoir de tout régler avec
le « rappel » de solde qui arrive souvent très tard
et qui représente la seule opportunité de construire une maison,
de se marier ou d'investir dans une affaire, puisque le salaire permet à
peine de survivre. « L'Etat paye toujours ses dettes »,
telle est la phrase qui donne espoir au Cameroun lorsqu'on attend
désespérément ce 1er salaire, un avancement en
grade, les primes de suggestion, etc. Les primes de rendement trimestriels sont
minables, décourageantes. Ainsi plusieurs ont perdu de l'assurance,
complexés face aux Inspecteurs des Impôts, des Douaniers, et
autres qui, bien que d'une catégorie inférieure ne se lassent pas
de prouver qu'ils valent et vivent mieux que les enseignants. Ces derniers
confirment souvent ces assertions par de multiples plaintes et par le manque
d'effort vestimentaire ou corporel dont ils font preuve. Certains entrent
saouls dans les salles de classe, insultent les élèves, tiennent
des propos désobligeants. Un célèbre musicien contemporain
l'illustre d'ailleurs lorsqu'il se plaint d'être « né
fils d'un pauvre enseignant », le qualificatif pauvre
exprimant parfaitement l'image qu'a la conscience populaire du statut de
l'enseignant.
C'est cette pauvreté qui, sans doute a conduit à
la corruption qui envahit le monde de l'éducation. Lorsqu'ils ne vendent
pas les notes, les enseignants excellent aussi dans le monnayage des places au
lycée. En effet, il est fréquent de voir les mêmes
élèves qu'ils ont fait exclure, généralement pour
indiscipline, revenir, à travers des processus obscurs, au sein du
même établissement ou dans un établissement très
proche. Des parents ou des élèves sollicitant un recrutement dans
un établissement et ayant des dossiers qui remplissent les
critères de recrutement, lorsque ceux-ci sont communiqués, sont
obligés de payer « le banc » pour obtenir une place.
Ces élèves, connaissant déjà le manque
d'objectivité dans le recrutement et sachant que l'argent règlera
tout leurs problèmes ne se soucient plus de respecter la discipline de
l'établissement et narguent enseignants et camarades.
Par ailleurs, beaucoup d'enseignants ont perdu de vue leur
fonction d'éducateur et adoptent des attitudes ambiguës.
Soupçonnant en permanence les apprenants de leur vouloir du mal, ils
ont toujours ce sentiment d'insécurité et réagissent
parfois de façon excessive à ce qu'ils considèrent comme
manque de respect, trouble du cours, etc. Elèves et enseignants se
regardent ainsi en chien de faïence, prêts à bondir à
la moindre occasion.
D'autre part, on les voit courtiser des élèves
filles sans aucun scrupule en brandissant le fameux dicton « la
chèvre broute où elle est attachée ». Ils
ne voient plus leurs élèves comme des enfants à
éduquer, à former, à faire grandir, mais comme des proies
à dévorer, des femmes à coucher. La familiarité
s'installe ainsi dans les relations enseignants-élèves et le
respect disparaît. Les élèves ne peuvent plus faire la
différence entre le professeur et l'ami ou l'amant, entre la salle de
classe et le lieu d'intimité et c'est le chao, l'enseignant perd de sa
dignité surtout quand toute la classe sais ce qui se trame, comme c'est
généralement le cas. La Nouvelle Expression, du Mercredi 20
Janvier 2016 relatait à cet effet l'histoire d'un enseignant du
Lycée Classique de Dschang surpris par des élèves entrain
de violer leur camarade de la classe de 5e (Vivien Tonfack, Janvier
2016). Certaines de ces filles qui sortent avec les enseignants ou les
responsables administratifs deviennent difficiles à gérer. Au
moindre problème, leurs protecteurs s'arrangent à contourner les
normes et le règlement intérieur. Elles bénéficient
des traitements de faveur, ce qui révolte parfois les autres.
Cette familiarité ne se limite pas seulement aux
élèves filles. En effet, dans la perte de leur dignité,
les enseignants vont jusqu'à se retrouver avec leurs
élèves dans des bars, des boîtes de nuit entrain de se
saouler ou entrain de courtiser les mêmes filles. Plusieurs parlent
même bussiness avec leurs élèves. Il devient donc
difficile pour ces derniers, d'imposer une discipline et de se faire respecter
surtout si, en plus du manque de personnalité, ils y associent une
impréparation des leçons et une incompétence
intellectuelle.
|