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La violence en milieu scolaire: cas du lycée de tigaza


par Estelle FOUDA MENYENG
Institut Universitaire Catholique de Bertoua - Master 2 2016
  

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CHAPITRE I :

PROBLEMATIQUE DE LA RECHERCHE

Dans ce chapitre, nous présenterons le contexte de notre étude, ensuite nous formulerons le problème qui a suscité notre recherche en formulant des questions, des hypothèses et des objectifs de cette recherche tout en dégageant les intérêts de celle-ci au plan social, pédagogique et scientifique. La définition des mots clés de notre étude clôturera cette partie.

1.1- CONTEXTE DE LA RECHERCHE

1.1.1- Violence des élèves : signaux d'une école en crise?

Vendredi 23 octobre 2015 au lycée de Tigaza, établissement d'enseignement secondaire public de la ville de Bertoua à l'Est-Cameroun. Un conseil de discipline spécial est convoqué par le Proviseur en fin de journée faisant suite aux comptes-rendus accablants de ses collaborateurs qui se sentent débordés par les évènements de la semaine en général et de la journée en particulier. En effet, un élève de Terminale A4 Allemand qui tente de sortir de l'enceinte du lycée pendant la deuxième pause, s'en prend au Surveillant de Secteur qui veut l'en dissuader. Il le blesse d'un coup de tête à la bouche et le Surveillant, à la vue de son sang, veut en découdre avec l'élève. Les deux sont immaîtrisables et cela crée un remue-ménage difficile à gérer, surtout que plus de 2500 élèves observent la scène en criant. D'autres se mêlent à la bagarre soit pour venger leur grand-frère blessé soit pour apporter un renfort à leur camarade. Des collègues tentent de les séparer et reçoivent dans la mêlée des coups de poing. Débordée, l'administration du lycée est obligée de faire appel aux forces de maintien de l'ordre qui emmènent l'élève avec grande escorte. Pendant que cette situation est entrain d'être maîtrisée et que la fin de la pause est sonnée, un élève agresse un enseignant de Sciences, lui interdisant de poursuivre son cours dans une classe de 3ème. Fort heureusement, l'administration intervient immédiatement et recherche l'élève qui s'est enfuit. Son nom sera révélé par ses camarades après des menaces et l'on découvrira que l'élève mis en cause vient d'une autre classe de 3ème dans laquelle l'enseignant n'intervient pas. Les motivations de son acte restent un mystère.

Plus tôt dans la matinée un élève de 2nde C refuse d'exécuter la punition d'une jeune enseignante d'Histoire-Géographie-ECM et sort de la classe sans permission. Il y revient une heure après pour prendre son sac malgré l'interdiction d'entrer de l'enseignante et ressort en la narguant. A la fin de son cours, cette dernière arrive toute éplorée à la Surveillance Générale. Elle se sent impuissante et demande de l'aide pour rétablir son autorité. Convoqué par la Surveillante Générale, le même élève se plaint de son camarade qui, ne supportant pas son refus de lui prêter son cahier de Physiques, a ramassé une pierre et menacé, en plein cours, de lui casser la tête. Simultanément, un Inspecteur Pédagogique Régional de Français remarque pendant le cours auquel il assiste en classe de 3ème qu'un élève ne copie pas la leçon. Interpellé, ce dernier révèle qu'il est victime du harcèlement d'un de ses camarades qui lui demande une somme de 5000 FCFA pour récupérer son cahier. Il lui a déjà donné 2000FCFA et, par peur, n'a osé se confier à personne.

Quelques jours plus tôt, le Mardi 20 Octobre 2015, un autre élève de 3ème frappe son camarade en plein visage à la cantine du lycée et lui arrache l'argent prévu pour son goûter. Après son forfait, il escalade la clôture. Deux Censeurs le retrouveront fumant une cigarette en face de l'entrée du lycée sans se soucier de leur présence. Le jeudi 22 Octobre 2015, un élève de Première D, dont le père est en fonction au lycée, menace de découper à la machette le Censeur en charge du Travail Manuel dans leur salle de classe, parce que ce dernier, suite à son comportement indélicat, lui demandait de se mettre dehors. Dans la même semaine un autre élève de Première, exclu du lycée quelques années auparavant pour délinquance, est surpris entrain de jouer au Poker communément appelé « Jambo » avec ses camarades. Tous et bien d'autres cas encore passent au conseil de discipline et écopent de sanctions allant de l'exclusion temporaire à l'exclusion définitive.

Cette présentation n'est qu'un échantillon de ce qu'enseignants, élèves et membres de l'administration expérimentent quotidiennement dans les lycées et collèges de la République du Cameroun. Les médias ne sont pas indifférents à cette escalade de la violence en milieu scolaire et, plus que par le passé, la décrivent, la décrient. La plupart en parlent en termes d'«indiscipline », d'« insécurité » ou de « violence » à l'école. Ange-Gabriel Olinga B., (2012) en parlait déjà lorsqu'il faisait état de l'exclusion le 1er mars 2012 de 06 élèves au Lycée Technique de Bertoua-Kpokolota pour « bagarre rangée à main armée, détention et usage d'arme blanche en plein campus, coups et blessures légères, escalade et incitation à la violence ». En outre, une fille écope de 02 jours d'exclusion parce qu'elle gonflait des préservatifs masculins en plein cours. Deux mois plus tôt, 05 élèves détenant et consommant des stupéfiants sont aussi exclus du même lycée. Au premier trimestre de la même année scolaire, une dizaine d'élèves du Lycée Scientifique de Bertoua est exclue pour des motifs similaires et le Mercredi 26 Février 2014, 07 autres sont exclus pour consommation abusive d'alcool dans l'établissement, port d'armes blanches dans les salles de classe et menaces de mort à l'endroit des élèves et des enseignants (cops.mboa.info, Février 2014). Toutes ces mesures visent à ramener un peu d'ordre et de calme dans les établissements en proie à l'indiscipline.

En effet, la violence en milieu scolaire, a pris des proportions incommensurables au Cameroun. Enseignants et élèves s'en plaignent, certains parents sont même ahuris lorsque, convoqués pour un conseil de discipline par les responsables des établissements que fréquentent leurs enfants, ils découvrent les prouesses de leur progéniture pendant la période où ils sont censés étudier. Ces derniers n'expriment aucune gêne lorsqu'il faut s'en prendre à un enseignant, à un membre de l'administration, à un autre élève ou même aux infrastructures scolaires. Lors de notre stage académique au Lycée Bilingue de Bertoua en Avril 2016, il nous a été donné de constater qu'un lundi matin les cadenas d'une classe de Seconde et d'une classe de Terminale avait été sciés et des personnes non identifiées avaient fait des selles au sol et sur les tables-bancs. Jusqu'à 9h30 ce jour-là, impossible de faire cours car les élèves avaient dû laver et désinfecter tout.

L'on se souvient encore de cet élève de Première D au Lycée de Tsinga à Yaoundé qui, le samedi 02 Avril 2011, avait cassé deux côtes et ouvert l'arcade sourcilière à son enseignant parce que celui-ci avait tenté de le mettre dehors pour tenue non conforme (Mutations, 14 Avril 2011). Un autre élève de la classe de Première F au Collège Protestant Thomas Noutong de Bagangté âgé de 20 ans et absent depuis un mois sans motif tentait, en février 2016, de découper à la machette son Surveillant Général parce que ce dernier refusait de lui délivrer un billet d'entrée (Cameroononline.org, 05 Février 2016). Il n'est pas rare de voir sur les murs des salles de classe, des bâtiments administratifs, sur la clôture des caricatures ou encore des paroles insultantes ou humiliantes dirigées contre un enseignant ou un élève ou tout simplement des paroles exprimant le dégoût pour l'école ou des paroles obscènes.

Pour illustrer tout cela le Cameroon Tribune du mercredi 11 Mars 2015 titrait:

« Indiscipline à l'école - L'escalade. En cette fin de journée du 3 mars 2015, le lycée de Nkoabang a les allures d'un champ de guerre. Le portail est éventré, tout comme nombre de portes au niveau des salles de classe. A l'intérieur de ces dernières, les bancs ont été cassés par les élèves en colère. »

L'article signale aussi le vandalisme sur le véhicule de la Proviseure et l'état d'insalubrité générale du lycée, tout ceci en réaction à l'imposition aux élèves d'un cahier devant servir de liaison entre l'administration de l'établissement et les parents afin de palier la montée de l'indiscipline dans ce lycée. En outre, les magistrats municipaux, préoccupés également par la situation au Lycée de Nkoabang, dans le Département de la Mefou et Afamba, et par la recrudescence de la violence en milieu scolaire publient sur leur site un article intitulé : « Insécurité dans les établissements scolaires : Où est la Compagnie spéciale de police ?» (Pière Nka, 2015). En évoquant le cas du vigile du Lycée Bilingue d'Etoug-Ebé dans l'arrondissement de Yaoundé 6ème qui, au cours de l'année scolaire 2013- 2014 avait faillit se faire amputer les deux bras à l'aide d'une machette bien aiguisée la veille par un élève ; les 17 élèves des classes de 3ème, Seconde et Terminale exclus au premier trimestre de l'année 2013-2014 du Collège de la Retraite Regina Mundi, établissement catholique de l'archidiocèse de Yaoundé pour consommation de stupéfiants ; la dizaine d'élèves du Lycée Bilingue de Yaoundé exclus pour des motifs similaires en février 2014, ainsi que la quarantaine d'autres élèves également exclus des effectifs du Lycée Bilingue de Bafoussam dans la Région de l'Ouest en mars 2014, pour indiscipline, consommation de drogue et pornographie, ils s'interrogent sur le rôle de la Compagnie de Sécurisation des Etablissements Scolaires et Universitaires créée depuis le 19 novembre 2012 par le Président de la République.

Le 16 décembre 2013, les élèves du Lycée de Pitoa, dans le Nord-Cameroun se révoltaient contre les mesures prises par le Proviseur. En effet, il interdisait aux filles le port des jupes au dessus des genoux, infligeait une amende de deux sacs de ciments aux élèves qui escaladaient la clôture du lycée pour déserter les cours. En outre, l'état insalubre des toilettes obligeait les élèves à se débrouiller pour se mettre à l'aise. Les parents soutenaient leurs enfants dans la grève et l'intervention du Sous-préfet avait obligé le Proviseur à revoir ses exigences (237online.com, 18 décembre 2013). L'article de Pierre Bernard KOAGNE dans le Cameroun Tribune du mardi, 03 mars 2016, page 20 fait également cas de 14 élèves des classes de troisième et seconde au lycée d'Anguissa à Yaoundé, âgés entre 16 et 20 ans, parmi lesquels trois filles déférés au parquet « pour avoir consommé des stupéfiants et violenté leurs camarades.» En effet, ces élèves avaient été exclus pour manque de respect envers les enseignants, bastonnade des plus jeunes, consommation et distribution de drogues et bien d'autres actes de délinquance. Ils revenaient au lycée pendant les heures creuses pour se venger et semer la terreur. Impuissante face à une telle menace, la Proviseure avait eu comme seul recours les forces du maintien de l'ordre afin d'intenter des poursuites judiciaires et démanteler le réseau.

Il n'est en effet pas rare que d'anciens élèves ou de parfaits inconnus pénètrent l'enceinte des établissements scolaires, généralement en tenue de l'établissement pour troubler des cours, voler des livres, racketter, régler des comptes, perpétrer divers actes de violence sur les enseignants et sur les élèves, ceci avec l'aide de ces derniers qui sont soit leurs complices, ou alors des victimes qui, par peur de représailles, préfèrent garder le silence. Au Lycée de Nkolndongo, dans l'Arrondissement de Yaoundé 4e, l'absence de clôture et la proximité avec une zone réputée pour abriter les fumeurs de chanvre-indien, les grands bandits et des délinquants de tout ordre, amenait régulièrement des intrus à venir régler leurs comptes à certains élèves à cause d'une fille, pour une affaire mal négociée ou pour diverses raisons. Ces derniers arboraient la tenue du lycée et terrorisait tout le personnel (cameroon-info, 23 Mars 2013). Au Lycée de New-Bell à Douala, des voyous en tenue du Lycée armés de couteaux, poignards, lames, gourdins, et barres de fer y sévissent tous les jours en volant des livres, escroquant et agressant les élèves et ce, malgré la présence des forces du maintien de l'ordre. En outre, les bâtiments sont vieux, il n'ya pas assez de bancs, l'eau courante absente et les toilettes inutilisables, malgré les frais d'APEE qui s'élèvent à 28.000frs et « cela a un impact négatif sur les élèves et même le corps enseignant et administratif » (camer.be, 26 Février 2014).

Il est à noter que la violence en milieu scolaire n'est pas l'apanage d'un sexe, car même les élèves filles, que l'on a toujours tendance à considérer comme victimes se retrouvent parmi les auteurs comme cela a été le cas plus haut au Lycée d'Anguissa. L'aspect le plus visible se traduit par des comportements à dominante active tels que frapper ou insulter un enseignant ou un camarade, critiquer un cours ou exprimer son ennui, apporter une arme blanche (couteau, lame de rasoir, etc), voler, faire du chahut pendant le cours, etc (Pierre Coslin, 2006). On peut y ajouter la consommation de stupéfiants et d'alcool dans l'enceinte de l'établissement, le « taxage » ou racket, les bagarres et bien d'autres. Ces comportements souvent mis en avant lorsqu'on parle de violence en milieu scolaire en cachent d'autres constitués de petits actes inciviques que l'on néglige, mais qui pourrissent l'ambiance scolaire et créent un perpétuel sentiment d'insécurité. Eric Débardieux(1996) démontre que c'est ce type de violence qui fait la trame des difficultés quotidiennes ainsi que le climat de l'établissement scolaire et qui justifie la peur constante que ressentent les enseignants dans l'exercice de leurs fonctions et même des élèves qui, ne se concentrant plus sur leurs études désertent l'école. Coslin (op. cit) en parle en terme de comportements à dominante passive et y inclut le fait de dormir pendant le cours, d'être passif, de bâiller ou de soupirer pour exprimer son ennui, de ne pas s'intéresser à l'enseignant, faire autre chose pendant le cours(jeu, devoir, dessin...), refuser de participer aux activités de groupe en classe, fumer, avoir du mal à se calmer, bavarder ou rire à haute voix, etc. Nombre de ces comportements sont gênants et irritants lorsqu'ils se répètent ce qui est source de conflits entre enseignants et élèves. L'on arrive même à l'émergence des minorités de blocage, cette catégorie d'élèves appartenant parfois à un groupe social ou ethnique réputé violent et « troubleur», qui empêchent de façon continue le déroulement normal des cours ou le fonctionnement normal de la classe et dont élèves et enseignants se méfient. Certains, surtout ceux en début de carrière, préfèrent même les ignorer pour éviter des affrontements ou agressions physiques et verbales comme c'est souvent le cas lorsqu'ils n'acceptent pas des remarques, critiques ou réprimandes de la part des enseignants. Leur stigmatisation ou l'attention particulière portée sur eux les amène parfois à réagir avec encore plus de violence et l'on rentre dans un cercle infernal.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault