CHAPITRE I :
PROBLEMATIQUE DE LA RECHERCHE
Dans ce chapitre, nous présenterons le contexte de
notre étude, ensuite nous formulerons le problème qui a
suscité notre recherche en formulant des questions, des
hypothèses et des objectifs de cette recherche tout en dégageant
les intérêts de celle-ci au plan social, pédagogique et
scientifique. La définition des mots clés de notre étude
clôturera cette partie.
1.1-
CONTEXTE DE LA RECHERCHE
1.1.1- Violence des
élèves : signaux d'une école en crise?
Vendredi 23 octobre 2015 au lycée de Tigaza,
établissement d'enseignement secondaire public de la ville de Bertoua
à l'Est-Cameroun. Un conseil de discipline spécial est
convoqué par le Proviseur en fin de journée faisant suite aux
comptes-rendus accablants de ses collaborateurs qui se sentent
débordés par les évènements de la semaine en
général et de la journée en particulier. En effet, un
élève de Terminale A4 Allemand qui tente de sortir de l'enceinte
du lycée pendant la deuxième pause, s'en prend au Surveillant de
Secteur qui veut l'en dissuader. Il le blesse d'un coup de tête à
la bouche et le Surveillant, à la vue de son sang, veut en
découdre avec l'élève. Les deux sont immaîtrisables
et cela crée un remue-ménage difficile à gérer,
surtout que plus de 2500 élèves observent la scène en
criant. D'autres se mêlent à la bagarre soit pour venger leur
grand-frère blessé soit pour apporter un renfort à leur
camarade. Des collègues tentent de les séparer et
reçoivent dans la mêlée des coups de poing.
Débordée, l'administration du lycée est obligée de
faire appel aux forces de maintien de l'ordre qui emmènent
l'élève avec grande escorte. Pendant que cette situation est
entrain d'être maîtrisée et que la fin de la pause est
sonnée, un élève agresse un enseignant de Sciences, lui
interdisant de poursuivre son cours dans une classe de 3ème.
Fort heureusement, l'administration intervient immédiatement et
recherche l'élève qui s'est enfuit. Son nom sera
révélé par ses camarades après des menaces et l'on
découvrira que l'élève mis en cause vient d'une autre
classe de 3ème dans laquelle l'enseignant n'intervient pas.
Les motivations de son acte restent un mystère.
Plus tôt dans la matinée un élève
de 2nde C refuse d'exécuter la punition d'une jeune
enseignante d'Histoire-Géographie-ECM et sort de la classe sans
permission. Il y revient une heure après pour prendre son sac
malgré l'interdiction d'entrer de l'enseignante et ressort en la
narguant. A la fin de son cours, cette dernière arrive toute
éplorée à la Surveillance Générale. Elle se
sent impuissante et demande de l'aide pour rétablir son autorité.
Convoqué par la Surveillante Générale, le même
élève se plaint de son camarade qui, ne supportant pas son refus
de lui prêter son cahier de Physiques, a ramassé une pierre et
menacé, en plein cours, de lui casser la tête.
Simultanément, un Inspecteur Pédagogique Régional de
Français remarque pendant le cours auquel il assiste en classe de
3ème qu'un élève ne copie pas la leçon.
Interpellé, ce dernier révèle qu'il est victime du
harcèlement d'un de ses camarades qui lui demande une somme de 5000
FCFA pour récupérer son cahier. Il lui a déjà
donné 2000FCFA et, par peur, n'a osé se confier à
personne.
Quelques jours plus tôt, le Mardi 20 Octobre 2015, un
autre élève de 3ème frappe son camarade en
plein visage à la cantine du lycée et lui arrache l'argent
prévu pour son goûter. Après son forfait, il escalade la
clôture. Deux Censeurs le retrouveront fumant une cigarette en face de
l'entrée du lycée sans se soucier de leur présence. Le
jeudi 22 Octobre 2015, un élève de Première D, dont le
père est en fonction au lycée, menace de découper à
la machette le Censeur en charge du Travail Manuel dans leur salle de classe,
parce que ce dernier, suite à son comportement indélicat, lui
demandait de se mettre dehors. Dans la même semaine un autre
élève de Première, exclu du lycée quelques
années auparavant pour délinquance, est surpris entrain de jouer
au Poker communément appelé « Jambo » avec
ses camarades. Tous et bien d'autres cas encore passent au conseil de
discipline et écopent de sanctions allant de l'exclusion temporaire
à l'exclusion définitive.
Cette présentation n'est qu'un échantillon de
ce qu'enseignants, élèves et membres de l'administration
expérimentent quotidiennement dans les lycées et collèges
de la République du Cameroun. Les médias ne sont pas
indifférents à cette escalade de la violence en milieu scolaire
et, plus que par le passé, la décrivent, la décrient. La
plupart en parlent en termes d'«indiscipline »,
d'« insécurité » ou de
« violence » à l'école. Ange-Gabriel Olinga
B., (2012) en parlait déjà lorsqu'il faisait état de
l'exclusion le 1er mars 2012 de 06 élèves au
Lycée Technique de Bertoua-Kpokolota pour « bagarre
rangée à main armée, détention et usage d'arme
blanche en plein campus, coups et blessures légères, escalade et
incitation à la violence ». En outre, une fille écope
de 02 jours d'exclusion parce qu'elle gonflait des préservatifs
masculins en plein cours. Deux mois plus tôt, 05 élèves
détenant et consommant des stupéfiants sont aussi exclus du
même lycée. Au premier trimestre de la même année
scolaire, une dizaine d'élèves du Lycée Scientifique de
Bertoua est exclue pour des motifs similaires et le Mercredi 26 Février
2014, 07 autres sont exclus pour consommation abusive d'alcool dans
l'établissement, port d'armes blanches dans les salles de classe et
menaces de mort à l'endroit des élèves et des enseignants
(cops.mboa.info, Février 2014). Toutes ces mesures visent à
ramener un peu d'ordre et de calme dans les établissements en proie
à l'indiscipline.
En effet, la violence en milieu scolaire, a pris des
proportions incommensurables au Cameroun. Enseignants et élèves
s'en plaignent, certains parents sont même ahuris lorsque,
convoqués pour un conseil de discipline par les responsables des
établissements que fréquentent leurs enfants, ils
découvrent les prouesses de leur progéniture pendant la
période où ils sont censés étudier. Ces derniers
n'expriment aucune gêne lorsqu'il faut s'en prendre à un
enseignant, à un membre de l'administration, à un autre
élève ou même aux infrastructures scolaires. Lors de notre
stage académique au Lycée Bilingue de Bertoua en Avril 2016, il
nous a été donné de constater qu'un lundi matin les
cadenas d'une classe de Seconde et d'une classe de Terminale avait
été sciés et des personnes non identifiées avaient
fait des selles au sol et sur les tables-bancs. Jusqu'à 9h30 ce
jour-là, impossible de faire cours car les élèves avaient
dû laver et désinfecter tout.
L'on se souvient encore de cet élève de
Première D au Lycée de Tsinga à Yaoundé qui, le
samedi 02 Avril 2011, avait cassé deux côtes et ouvert l'arcade
sourcilière à son enseignant parce que celui-ci avait
tenté de le mettre dehors pour tenue non conforme (Mutations, 14 Avril
2011). Un autre élève de la classe de Première F au
Collège Protestant Thomas Noutong de Bagangté âgé de
20 ans et absent depuis un mois sans motif tentait, en février 2016,
de découper à la machette son Surveillant Général
parce que ce dernier refusait de lui délivrer un billet d'entrée
(Cameroononline.org, 05 Février 2016). Il n'est pas rare de voir sur
les murs des salles de classe, des bâtiments administratifs, sur la
clôture des caricatures ou encore des paroles insultantes ou humiliantes
dirigées contre un enseignant ou un élève ou tout
simplement des paroles exprimant le dégoût pour l'école ou
des paroles obscènes.
Pour illustrer tout cela le Cameroon Tribune du mercredi 11
Mars 2015 titrait:
« Indiscipline à l'école -
L'escalade. En cette fin de journée du 3 mars 2015, le lycée de
Nkoabang a les allures d'un champ de guerre. Le portail est
éventré, tout comme nombre de portes au niveau des salles de
classe. A l'intérieur de ces dernières, les bancs ont
été cassés par les élèves en
colère. »
L'article signale aussi le vandalisme sur le véhicule
de la Proviseure et l'état d'insalubrité générale
du lycée, tout ceci en réaction à l'imposition aux
élèves d'un cahier devant servir de liaison entre
l'administration de l'établissement et les parents afin de palier la
montée de l'indiscipline dans ce lycée. En outre, les magistrats
municipaux, préoccupés également par la situation au
Lycée de Nkoabang, dans le Département de la Mefou et Afamba, et
par la recrudescence de la violence en milieu scolaire publient sur leur site
un article intitulé : « Insécurité dans
les établissements scolaires : Où est la Compagnie
spéciale de police ?» (Pière Nka, 2015).
En évoquant le cas du vigile du Lycée Bilingue
d'Etoug-Ebé dans l'arrondissement de Yaoundé
6ème qui, au cours de l'année scolaire 2013- 2014
avait faillit se faire amputer les deux bras à l'aide d'une machette
bien aiguisée la veille par un élève ; les 17
élèves des classes de 3ème, Seconde et Terminale exclus au
premier trimestre de l'année 2013-2014 du Collège de la Retraite
Regina Mundi, établissement catholique de l'archidiocèse de
Yaoundé pour consommation de stupéfiants ; la dizaine
d'élèves du Lycée Bilingue de Yaoundé exclus pour
des motifs similaires en février 2014, ainsi que la quarantaine
d'autres élèves également exclus des effectifs du
Lycée Bilingue de Bafoussam dans la Région de l'Ouest en mars
2014, pour indiscipline, consommation de drogue et pornographie, ils
s'interrogent sur le rôle de la Compagnie de Sécurisation des
Etablissements Scolaires et Universitaires créée depuis le 19
novembre 2012 par le Président de la République.
Le 16 décembre 2013, les élèves du
Lycée de Pitoa, dans le Nord-Cameroun se révoltaient contre les
mesures prises par le Proviseur. En effet, il interdisait aux filles le port
des jupes au dessus des genoux, infligeait une amende de deux sacs de ciments
aux élèves qui escaladaient la clôture du lycée pour
déserter les cours. En outre, l'état insalubre des toilettes
obligeait les élèves à se débrouiller pour se
mettre à l'aise. Les parents soutenaient leurs enfants dans la
grève et l'intervention du Sous-préfet avait obligé le
Proviseur à revoir ses exigences (237online.com, 18 décembre
2013). L'article de Pierre Bernard KOAGNE dans le Cameroun Tribune du mardi,
03 mars 2016, page 20 fait également cas de 14 élèves
des classes de troisième et seconde au lycée d'Anguissa à
Yaoundé, âgés entre 16 et 20 ans, parmi lesquels trois
filles déférés au parquet « pour avoir
consommé des stupéfiants et violenté leurs
camarades.» En effet, ces élèves avaient été
exclus pour manque de respect envers les enseignants, bastonnade des plus
jeunes, consommation et distribution de drogues et bien d'autres actes de
délinquance. Ils revenaient au lycée pendant les heures creuses
pour se venger et semer la terreur. Impuissante face à une telle
menace, la Proviseure avait eu comme seul recours les forces du maintien de
l'ordre afin d'intenter des poursuites judiciaires et démanteler le
réseau.
Il n'est en effet pas rare que d'anciens élèves
ou de parfaits inconnus pénètrent l'enceinte des
établissements scolaires, généralement en tenue de
l'établissement pour troubler des cours, voler des livres, racketter,
régler des comptes, perpétrer divers actes de violence sur les
enseignants et sur les élèves, ceci avec l'aide de ces derniers
qui sont soit leurs complices, ou alors des victimes qui, par peur de
représailles, préfèrent garder le silence. Au Lycée
de Nkolndongo, dans l'Arrondissement de Yaoundé 4e, l'absence
de clôture et la proximité avec une zone réputée
pour abriter les fumeurs de chanvre-indien, les grands bandits et des
délinquants de tout ordre, amenait régulièrement des
intrus à venir régler leurs comptes à certains
élèves à cause d'une fille, pour une affaire mal
négociée ou pour diverses raisons. Ces derniers arboraient la
tenue du lycée et terrorisait tout le personnel (cameroon-info, 23 Mars
2013). Au Lycée de New-Bell à Douala, des voyous en tenue du
Lycée armés de couteaux, poignards, lames, gourdins, et barres de
fer y sévissent tous les jours en volant des livres, escroquant et
agressant les élèves et ce, malgré la présence des
forces du maintien de l'ordre. En outre, les bâtiments sont vieux, il
n'ya pas assez de bancs, l'eau courante absente et les toilettes inutilisables,
malgré les frais d'APEE qui s'élèvent à 28.000frs
et « cela a un impact négatif sur les élèves et
même le corps enseignant et administratif » (camer.be, 26
Février 2014).
Il est à noter que la violence en milieu scolaire n'est
pas l'apanage d'un sexe, car même les élèves filles, que
l'on a toujours tendance à considérer comme victimes se
retrouvent parmi les auteurs comme cela a été le cas plus haut au
Lycée d'Anguissa. L'aspect le plus visible se traduit par des
comportements à dominante active tels que frapper ou insulter
un enseignant ou un camarade, critiquer un cours ou exprimer son ennui,
apporter une arme blanche (couteau, lame de rasoir, etc), voler, faire du
chahut pendant le cours, etc (Pierre Coslin, 2006). On peut y ajouter la
consommation de stupéfiants et d'alcool dans l'enceinte de
l'établissement, le « taxage » ou racket, les
bagarres et bien d'autres. Ces comportements souvent mis en avant lorsqu'on
parle de violence en milieu scolaire en cachent d'autres constitués de
petits actes inciviques que l'on néglige, mais qui pourrissent
l'ambiance scolaire et créent un perpétuel sentiment
d'insécurité. Eric Débardieux(1996) démontre que
c'est ce type de violence qui fait la trame des difficultés
quotidiennes ainsi que le climat de l'établissement
scolaire et qui justifie la peur constante que ressentent les enseignants
dans l'exercice de leurs fonctions et même des élèves qui,
ne se concentrant plus sur leurs études désertent l'école.
Coslin (op. cit) en parle en terme de comportements à dominante
passive et y inclut le fait de dormir pendant le cours, d'être
passif, de bâiller ou de soupirer pour exprimer son ennui, de ne pas
s'intéresser à l'enseignant, faire autre chose pendant le
cours(jeu, devoir, dessin...), refuser de participer aux activités de
groupe en classe, fumer, avoir du mal à se calmer, bavarder ou rire
à haute voix, etc. Nombre de ces comportements sont gênants et
irritants lorsqu'ils se répètent ce qui est source de conflits
entre enseignants et élèves. L'on arrive même à
l'émergence des minorités de blocage, cette catégorie
d'élèves appartenant parfois à un groupe social ou
ethnique réputé violent et « troubleur», qui
empêchent de façon continue le déroulement normal des cours
ou le fonctionnement normal de la classe et dont élèves et
enseignants se méfient. Certains, surtout ceux en début de
carrière, préfèrent même les ignorer pour
éviter des affrontements ou agressions physiques et verbales comme
c'est souvent le cas lorsqu'ils n'acceptent pas des remarques, critiques ou
réprimandes de la part des enseignants. Leur stigmatisation ou
l'attention particulière portée sur eux les amène parfois
à réagir avec encore plus de violence et l'on rentre dans un
cercle infernal.
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