2.1.4- Les justifications de la
violence en milieu scolaire
François Dubet (op. cit.) fait appel à trois
théories sociologiques de la violence :
La première présente la violence comme
naturelle chez l'homme. Il prend appui sur Emile Durkheim qui affirme
le rôle de l'éducation, de la morale et de la religion pour la
culture de l'amour et du bien. Ainsi les psychiatres considèrent que
les causes de violence sont liées à des une socialisation
ratée : « images paternelles déficientes,
rapport à la loi défaillant... ». Le manque de
socialisation et d'éducation morale conduit à la barbarie,
à l'expression « naturelle » des actes de
violence.
La deuxième théorie est développée
par Hobbes, puis par Weber qui pensent qu' « à
l'état de nature l'homme est un loup pour l'homme ».
La seule instance qui a droit d'autorité, de répression, de
torture est l'Etat. En ce sens, la discipline et les sanctions telles que
l'exclusion des élèves difficiles ainsi que la collaboration avec
l'appareil répressif de l'Etat est recommandé.
Le troisième paradigme ou modèle prône
la bonne nature de l'homme. C'est cette thèse est sans
aucun doute en accord avec la théorie de la bonté humaine de
Rousseau qui soutient que l'homme est naturellement bon, mais l'environnement
le corrompt. La violence vis-à-vis des autres serait une
répercussion de la violence expérimentée ou une
révolte contre l'ordre oppressant établi par l'environnement
social. En effet, l'individu violent serait une victime des injustices du
système. La solution de l'avis de Dubet est de reconnaître la
violence de l'école et de permettre que s'expriment les sentiments
d'injustice. C'est que l'on appellerait la démocratie. L'auteur conclut
au miroir de ces trois paradigmes que : « La violence
juvénile et scolaire résulte à la fois de la faiblesse de
l'autorité, des lacunes de l'éducation et de l'injustice
sociale »p.43
Dubet pense que l'amalgame fait dans la perception de la
violence n'apporte aucune issue quant à son éradication car les
établissements jugés à problèmes ne sont pas
toujours les plus violents et ceux qui semblent y résister
« sont ceux qui prennent acte de la pluralité des
significations de la violence, et qui combinent des systèmes de
réponses en surmontant leurs caractères à priori
contradictoires. » p. 43
Il propose ainsi trois réponses dont la première
est l'ouverture de l'école à l'environnement immédiat en
renforçant la dimension éducative de l'enseignement. La
deuxième est que l'école réaffirme « une loi,
une légitimité et une discipline » que tous,
enseignants comme élèves doivent respecter. La troisième
réponse implique la reconnaissance d'une violence propre à
l'école afin de laisser s'exprimer les élèves et les
parents tout en construisant une civilité démocratique
et en ne confondant pas les leçons morales avec "l'éducation
à la citoyenneté".
Dans les travaux de Carra et Faggianelli (op. cit.), les trois
tendances explicatives de la violence généralement
utilisées sont :
· Les facteurs susceptibles de favoriser le passage
à l'acte violent,
· Les éléments de transformation de la
réaction sociale et de la perception de la violence,
· La violence comme réaction à celle de
l'institution.
Les travaux de Funk (2001), Lösel, Bliesener (1995) et
Döpfner et al (1996) démontrent que l'accroissement
des processus de socialisation défaillants, partant des
dysfonctionnements au niveau de la famille, peut être une cause de la
violence des jeunes adolescents. En effet, facteurs qui peuvent contribuer
à l'escalade de la violence juvénile sont : la
séparation des parents, le manque de relations chaleureuses, l'absence
de frères et soeur ou leur nombre trop élevé,
l'éducation trop stricte ou trop laxiste, le manque de surveillance, le
parent absent. D'autres part, le développement d'une culture de
la violence divulguée à travers les médias, les films
violents conduit au mensonge, à l'injure, à la bagarre, au
vandalisme, à la menace et au harcèlement sexuel (Fuchs
et al., 1996 cité par Carra et Faggianelli).
L'appartenance aux gangs ou bandes est généralement l'une
des conséquences immédiates. La massification de l'école
ainsi que la paupérisation des quartiers qui l'environnent sont aussi
des facteurs favorables à l'entrée et à l'installation de
la violence en milieu scolaire.
Carra et Faggianelli démontrent également que
les définitions dominantes de la violence se sont
transformées rendant intolérables des comportements qui
étaient jadis acceptés (cf. Dubet, 1998). En effet, les
nouveaux élèves, d'origine étrangère ou
venant des quartiers populaires, n'ont aucune idée des normes scolaires
et ont de la peine à se socialiser, le chahut traditionnel
cède la place au chahut anomique, perturbant l'ordre
scolaire.
Carra et Faggianelli évoquent aussi la violence
symbolique de l'école qui amplifie les inégalités
sociales de réussite ainsi que l'arbitraire dans la notation,
l'orientation et les sanctions. La désertion des cours, le
chahut, l'insolence, le refus de travailler, les agressions à l'encontre
des élèves, des enseignants et des établissements
scolaires sont autant de violences réactionnelles (Bourdieu,
Passeron, 1970) ou anti scolaires marquant une résistance
à la massification, à la prolongation des études
pour tous et à l'ethnicisation des rapports, à
l'injustice. Ils refusent ainsi la position marginale qu'ils occupent dans la
société et dont se servent les enseignants pour expliquer
l'échec scolaire et la violence.
Pour étudier la violence scolaire, Carra et Faggianelli
identifient trois grandes orientations ayant une démarche
pragmatique et opérationnelle :
· La recherche des facteurs de risques
individuels et situationnels
Farrington (2003 : 33 cité par Carra et
Faggianelli) idendifie ces facteurs comme résultante de la violence
juvénile. Ils sont au plan psychologique : la
grande impulsivité, la faible intelligence ; au plan
familial : une discipline très rude, le mauvais traitement
des jeunes enfants, la violence des parents, les familles nombreuses ou
dispersées. La délinquance des pairs, le statut
socio-économique médiocre, la résidence urbaine et le
voisinage fortement criminalisé peuvent aussi être des facteurs de
risque. Il propose de suivre les individus de l'enfance à
l'âge adulte afin de déceler les signes de violence
juvénile.
· Identification des variables relatives au
contexte d'établissement et qui contribuent à la baisse ou la
montée de la violence scolaire
La théorie de l'effet établissement et
l'approche organisationnelle montrent que l'établissement scolaire en
tant qu'organisation ne se définit pas uniquement par son environnement
socio-économique, mais est un acteur social indépendant
qui peut développer ses propres stratégies et obtenir son
efficacité quelles que soient les caractéristiques de
ses élèves (Cousin, 2000) et l'environnement. Pour y parvenir, il
faut :
· Une discipline et des règles connues et
applicables par tous.
· La cohésion, la concertation et la mobilisation
des personnels sous la houlette du Chef d'établissement.
· Des attentes et exigences de réussite scolaire
fortes envers tous les élèves.
· Un sentiment d'appartenance de tous les acteurs de la
communauté éducative.
Janosz et al. (2002) affirment que les facteurs
structurels, les variantes du climat scolaire et les pratiques
éducatives ont un impact sur la qualité des écoles. Cette
approche a plusieurs avantages :
· Permet d'appréhender les variations des taux de
violence entre les établissements, principalement ceux avec un public
aux caractéristiques similaires.
· Permet aux décideurs de prendre des initiatives
en vue de lutter contre la violence.
· Compréhension des violences
interpersonnelles et des interactions
Le courant de la sociologie traditionnelle, comme l'approche
interactionniste, considère la violence comme résultant de
l'interaction et explique pourquoi un individu peut être à la fois
auteur et victime. La violence est appréhendée comme un
processus faisant intervenir la confrontation de logiques d'actions
différentes, ce qui conduit à développer des
stratégies de résolution de conflits telle que la
médiation.
En ce qui concerne les conséquences sociales et
institutionnelles de la violence scolaire, Carra et Carra et Faggianelli
démontrent avec Bouveau, Rochex (1997) que la violence dans la classe
freine le processus de transmission des savoirs au profit du travail de
socialisation des élèves qui, dans certains
établissements, prend plus de temps. Les exemples des Beacon Schools
de New York, les écoles ouvertes en France, et autres
visent à remplacer l'influence du milieu parental qui
désormais s'écroule (Funk, 2001 :37 cité par
Carra et Faggianelli) et obligent les enseignants à
construire de nouvelles compétences.
En outre certaines écoles jugées difficiles sont
évitées tant par les enseignants que par les parents ce qui
renforce les inégalités de performance scolaire et la
ghettoïsation des écoles des quartiers populaires. Pour
palier cet écart les classes à niveau, les projets
d'établissements, les écoles à thème sont
autant de solutions pour maintenir ou attirer la clientèle. En plus de
cela, les mesures disciplinaires et sécuritaires sont mises sur pied en
collaboration avec la police et la justice avec une tolérance
zéro, notamment dans les safe school program aux USA et au
Canada, ce qui suscite encore l'engouement des chercheurs qui interrogent ces
pratiques. Carra et Faggianelli orientent alors les recherches futures vers les
effets sociaux de la violence à l'école sur les pratiques des
acteurs du système éducatif et les dispositifs de lutte.
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