2.1.3.2- La violence verbale en
milieu scolaire
Joseph AVODO (2010) a abordé la question sous un autre
angle. En partant de l'hypothèse d'une violence potentielle, propre
à l'institution scolaire pour pointer un doigt accusateur aux pratiques
enseignantes qui véhiculent des modèles interactionnels
négatifs pouvant influencer la personnalité des
élèves et en se basant sur des données ethnographiques et
orales collectées dans trois lycées de la ville de
Yaoundé, il cherche à décrire la ``violence
éducative'', moins médiatisée et dont sont victimes les
élèves. Celle-ci est beaucoup plus verbale et se traduit par les
incivilités, le dénigrement, l'impolitesse, l'insulte et le
malentendu.
Après avoir présenté les dispositions
institutionnelles et réglementaires, il s'attarde sur les droits et
devoirs tant des élèves que des enseignants définis dans
la Loi de l'orientation de l'Education au Cameroun. Partant de la conception
de l'école de Gilbert Tsafack, il cherche à établir un
lien entre les interactions pédagogiques, le rapport d'autorité
et la violence verbale. L'interaction pédagogique vise une insertion
sociale de l'apprenant. Cependant, élèves et enseignants ont des
statuts « dissymétriques » : l'enseignant
occupe une position institutionnelle qui lui permet d'exercer une
influence sur l'apprenant qui se retrouve en bas.
Avodo distingue deux types de violence
éducative :
· La violence éducative
intentionnelle :
Elle vise à produire un effet précis et se
traduit par l'interpellation violente, les remarques humiliantes, l'ironie
offensante et les jugements dévalorisants. Tout ceci servant à
« faire susciter l'usage socio-cognitif des apprenants,
réguler la classe et rétablir l'ordre ». Les
élèves peuvent y répondre par des incivilités, le
refus d'exécuter les ordres ou de participer aux activités. C'est
une tentative de conjurer ce que Jeammet (1997) appelle le « syndrome
d'influence » afin de sauver leur identité menacée.
· La violence éducative « non
intentionnelle » :
Elle ne vise que la transmission des savoirs et se manifeste
par « l'assénement moral et la supériorité
interactionnelle de l'enseignant ». Ce dernier perd de vue que
l'élève est en quête de savoir en l'assaillant de
questions ou d'activités sans lui donner le temps d'y
réfléchir. Il donne et retire la parole à son gré
et l'élève se terre parfois dans le silence par peur de donner
une mauvaise réponse ou de contredire l'enseignant. C'est ce que
l'auteur appelle « modèle interactionnel de la parole
unique » qui exige obéissance et politesse aux apprenants qui,
à leur tour, développent une expérience négative de
l'apprentissage et du rapport à l'école.
Joseph Avodo rappelle ensuite que les sociétés
traditionnelles camerounaises cultivent le respect des autres, des
aînés et du groupe qui passe avant l'individu. Il est donc
question de respecter la sensibilité des autres et les Etats
Généraux de l'Education de 1995 visent l'égalité
des chances, le respect ainsi qu'une éducation de qualité.
Les facteurs de la violence scolaire selon lui sont :
· Le facteur culturel : qui ne prend pas en
compte l'enracinement culturel et l'ouverture au monde. Le magistrocentrisme
qui le caractérise est de nature à favoriser les interactions
violentes.
· Le facteur professionnel: la formation à la
dimension sociale et relationnelle est absente des programmes d'études
de l'Ecole Normale Supérieure.
· Le facteur contextuel : l'interaction frontale
entraîne la peur de ne pas être à la hauteur et
l'autoritarisme est adopté par les enseignants comme une solution de
repli.
L'auteur pense que l'interaction pédagogique doit
favoriser la socialisation à travers l'intégration de savoirs,
de savoir-faire qui permettront à l'élève de vivre en
société, en groupe. Cependant le modèle interactionnel
qui lui est véhiculé prône
« l'imposition, la domination, la stigmatisation, la remise en
cause permanente de la capacité à être
autonome. ». Il pense ainsi qu'un modèle
interactionnel coopératif fondé sur un pouvoir
symbolique est nécessaire car permettra de prendre en compte la
susceptibilité de l'autre, son intégrité morale et
physique. En outre, les enseignants doivent revoir leur rôle en
favorisant l'autonomie des apprenants.
Dans un article publié deux ans plus tard Avodo (2012),
à travers une double approche lexico-sémantique et pragmatique
et grâce aux données recueillies dans la première
étude, décrit les choix linguistiques observés chez les
enseignants, les analyse comme manifestations de la montée en tension de
la violence verbale et aborde la qualification péjorative comme forme de
l'agir professoral.
La qualification péjorative comme une des composantes
du discours évaluatif intervient lorsque l'enseignant veut
évaluer les conduites, les performances ou les compétences des
apprenants. L'auteur analyse les catégories grammaticales
récurrentes et relevant de la qualification péjorative et note
des substantifs, des verbes, des adjectifs et des adverbes. Les substantifs de
la catégorie appellative et servant à désigner
son allocutaire ainsi que les verbes décrivant les actions et les
conduites des apprenants sont les plus utilisés.
Parmi les substantifs appellatifs, il y'a des termes
comme bande de fainéants, côté des morts,
côté des faibles, tricheurs, bavardes, maladresse,
bêtises, totos, Ivoirienne, ingénieurs de son, qui ont une
fonction évaluative et définissent l'interlocuteur dans
ses productions ou performances scolaires, en remettant en cause son potentiel
intellectuel. Leurs valeurs axiologiques se situent soit au niveau du
signifiant, soit au niveau du signifié ou encore au niveau de la charge
culturelle et enfin au niveau de leurs synonymes. Les verbes tels que
faxer, contaminer, enregistrer, copier, garder au fond du cerveau, bricoler
décrivent le comportement scolaire, les traits de caractère
des apprenants lié à leurs performances intellectuelles.
En ce qui concerne les adjectifs et les adverbes
péjoratifs, peu utilisés, ils s'inscrivent dans la perspective
des jugements sévères portés aux capacités
intellectuelles des apprenants (bidon, mal, pire, incapables). Cette
forme de discours injurieux traduit la subjectivité
langagière de l'enseignant, les représentations sociales qu'il a
de ses apprenants et est une des manifestations de la violence verbale à
l'école.
Avodo fait une analyse contextuelle pour mettre en exergue
trois situations pouvant conduire à la violence verbale :
· Le blocage d'activité :
synonyme de perte de temps et de retard dans la progression, il se
caractérise par l'absence de réponse aux questions posées
et peut être interprétée par l'enseignant comme du
mépris ou de la révolte implicite.
· La déritualisation : c'est
la transgression des rituels scolaires tels que demander la parole, avoir
l'autorisation de sortir de la salle de classe.
· Le désaccord : marque
l'opposition, la rupture.
Toutes ces situations sont de nature à provoquer le
recours aux actes de menaces, aux remarques désobligeantes, au
grondement, aux insultes, à l'interpellation violente qui sont autant de
signes de la violence verbale et qui peuvent avoir des répercussions
psychologiques.
Avodo, en s'inspirant des travaux de Cicurel et de
Kerbrat-Orecchioni, considère la qualification comme partie du processus
de l'agir professoral qui usent des axiologies mélioratifs ou
péjoratifs et à effets immédiats et parfois violents
et dont le but est de susciter un engagement, un investissement
intellectuel, affectif et psychologique des apprenants dans les
activités d'apprentissage. Ceci peut aussi entraîner des
traumatismes, des comportements anti-sociaux, des comportements violents, le
manque d'estime de soi, le décrochage scolaire et bien d'autres
conséquences néfastes.
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