CHAPITRE I. LE RECOURS A UNE PROCEDURE SPECIALE
L'une des raisons fondamentales pour lesquelles la
doctrine s'est toujours opposée à la transaction pénale
est que celle-ci ne respecterait pas les principes directeurs de la
procédure pénale. En réalité le droit pénal
et, plus particulièrement l'action publique, a pour but d'infliger une
sanction à l'auteur d'une violation de la norme sociale. Or, l'exercice
de cette action relève de l'ordre public qui est incompatible avec la
transaction.
Mais l'évolution contemporaine du droit
pénal, qui ne se pose plus simplement en terme de sanction du coupable
des violations des règles de droit positif, propre à sauvegarder
la loi, a rendu plus vaste la fonction de la justice et de ses
organes14. L'idée d'un traitement social de la
délinquance en amont, entre des poursuites longues et coûteuses et
l'abandon pur et simple n'a cessé de faire du chemin, malgré de
multiples débats et oppositions. Le droit d'inspiration
romano-germanique a semblé finalement marquer son adhésion
à cette idée en France, à travers le vote de la « loi
Perben II » portant adaptation de la justice à l'évolution
de la criminalité. Cette loi s'est fortement inspirée de la
procédure anglo-saxonne du « plea-bargaining » pour instituer
la « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité
»,une sorte de transaction entre le délinquant et le
ministère public. Mais il faut dire que cette loi n'est qu'un
aboutissement car ici, la pratique avait déjà retenu la
composition pénale et la médiation pénale qui s'inscrivent
dans le même sillage.
Malgré cette évolution qui tend à
se généraliser, le Cameroun semble encore rester à la
traîne car même le Code de Procédure Pénale en cours
récemment adopté n'admet que très
14 Medjaoui
(K.) « L'injonction pénale et la médiation pénale,
tableau comparatif critique », R.S. C. IVO 4, 1996, p.
824.
11
timidement15 - sinon pas du tout - la
transaction. L'admission d'une procédure spéciale de traitement
de la délinquance pose en réalité un problème de
confrontation et d'équilibre entre plusieurs principes constitutionnels
et les principes généraux de droit en matière de
procédure pénale. On peut dès lors comprendre pourquoi la
doctrine manifeste en la matière une résistance très forte
(S1) suivi en cela par le législateur. Pourtant, le code de
Procédure Pénale, dans son effort de modernisation, tout en
intégrant les nouvelles procédures d'origine anglo-saxonne comme
il l'a fait, aurait pu adhérer à cette évolution. Ainsi,
il aurait pu insérer dans notre système, qui s'y prête
déjà fort bien, 16 la possibilité d'extension
de la transaction à toute la matière pénale
(S2).
Section 1. LA POSITION CLASSIQUE
Traditionnellement, il est reconnu que l'on ne peut
transiger sur les matières qui intéressent l'ordre public et les
bonnes moeurs. Ce refus ferme connaît cependant un léger
tempérament, qui n'altère en rien la rigueur de la
règle.
Para. 1. De la non admission...
La règle générale d'interdiction
de transiger sur l'action publique semble trouver son fondement dans le souci
de respecter les principes de base de la procédure
pénale(A).17 Plus que des principes de procédure
pénale, il s'agit des principes constitutionnels qui garantissent les
droits de la défense(B).
15 Le nouveau c. de pr. pén. admet la
transaction uniquement lorsqu'elle est formellement autorisée par la
loi. Art. 3. Par ailleurs dans une certaine mesure les amendes forfaitaires en
matière de contravention éteignent l'action publique et leur
versement facultatif : Art. 613 et 621.
16 L'un des
obstacles majeurs à l'entrée dans le droit romano-germanique de
la transaction était son caractère inquisitoire essentiellement
secret lors de l'enquête de police et n'admettant pas la présence
du conseil. Le nouveau code de procédure pénale va un peu plus
loin dans le sens ou le système devient un peu plus
accusatoire.
12
A- La transaction serait contraire aux principes de base
de la procédure
pénale
On retrouve dans les rangs des opposants à la
transaction, non seulement la doctrine, mais aussi des praticiens du droit tels
que les avocats. Même si les uns et les autres ne partagent pas cette
idée pour des raisons parfois diverses, il n'en demeure pas moins que
leurs points de vue s'accordent sur un certain nombre de points.
1 - L'égalité de traitement
Pour la doctrine classique, la transaction est
contraire au principe de l'égalité de traitement des
délinquants et l'impartialité qui devrait présider
à l'exercice des poursuites n'est pas garantie. En effet, le risque de
favoritisme et/ou de discrimination serait évident puisque, le parquet
qui avait déjà le choix de poursuivre le délinquant ou de
classer l'affaire pour des raisons d'opportunité, aurait
désormais la possibilité d'obtenir une sanction sans
l'épreuve de l'audience publique que certaines catégories
professionnelles ou sociales redoutent fortement. C'est en tout cas le point de
vue de JACQUES HEDERER.17
2.- La non séparation des autorités de
poursuite et de jugement
On reproche aussi à la transaction de ne pas
respecter le principe de la séparation des autorités de
poursuites et de jugement. Corollaire du principe constitutionnel de la
séparation des pouvoirs cher à Montesquieu, ce principe est
sacré et ne devrait souffrir d'aucune ambiguïté. De fait,
c'est au parquet qu'il appartient de proposer la mesure transactionnelle ; ce
exerçant ainsi la liberté qui lui est reconnue, à travers
l'opportunité des poursuites, de poursuivre ou de ne pas poursuivre.
Comme le remarque ROBERT CARIO, « les choix décisionnels que le
parquet formule dépassent très nettement le champ de
ses
17 Cario, (R.),
« Potentialités et ambiguïtés de la médiation
pénale, Entre Athéna et Thémis », in La
médiation pénale. Entre répression et
réparation, sous la direction de Robert Cario, l'Harmattan, 1999, p.
25.
13
compétences ».18 Pour
trancher des suites à donner à la procédure poursuit-il,
« il exerce des pouvoirs juridictionnels incontestables
»19 dès lors qu'il peut choisir les solutions
à proposer aux parties. Il devient dans une certaine mesure «
juge de l'indemnisation des petits délits »20.
Depuis l'ordonnance N° 72/4 du 26 août 1972 portant
organisation de la justice, les fonctions d'instruction et de poursuites sont
cumulées par le parquet. La jurisprudence corrobore cette
consécration. La Cour Suprême affirme dans un arrêt que
« Le parquet dans l'exercice des fonctions d'information judiciaire,
constitue une juridiction comme en constituait le juge d'instruction dont les
attributions ont été transférées au parquet
»21. Si le parquet ou du moins le juge d'instruction est
considéré comme une juridiction, la question se pose de savoir
s'il peut bénéficier de l'intime conviction qui lui permettrait
de se prononcer en toute liberté.
En effet,le rôle du juge d'instruction lui donne
la possibilité d'apprécier les charges réunies contre le
suspect à la suite de son information. Or une telle appréciation
ne peut se faire que s'il lui est reconnu une intime conviction22.
Même s'il est difficile de reconduire cette jurisprudence avec les
dispositions du nouveau code de procédure pénale, il n'en demeure
pas moins que l'on ne peut, pour l'instant, reprocher au parquet de statuer
comme juridiction. Déjà ce code adopté n'entrera en
vigueur qu'un an après son adoption. Bien plus, il donne au procureur de
la république la possibilité de se prononcer sur l'instruction
avant que le magistrat instructeur ne prenne une ordonnance quant à la
suite à réserver à la poursuite. Dans un tel contexte
peut-on reprocher au ministère public d'outre passer ses
compétences lorsqu'il propose une transaction ? D'autre part, sa
position de protecteur des intérêts de la société ne
lui confère-t-elle pas cette latitude de mieux apprécier ces
intérêts et
18 Cario (R.)
op. cit, p. 25
19
Ibid,
20
Ibid.
21 Arrêt
N° 119 du 8 février 1979
22 ANOUKAHA (F.)
Le magistrat instructeur en procédure pénale camerounaise,
thèse doctorat 3ecycle, Yaoundé, 1982 pp.155 -
165
14
de mieux les protéger par la prévention
à travers la transaction qui se présente comme un moyen efficace
de prévention de la récidive ?
3 - Violation du principe Non bis in idem.
L'hostilité vient également du
non-respect du principe « non bis in idem »23. En vertu de
ce principe, une même personne ne peut être jugée ou
poursuivie à nouveau pour un fait délictueux déjà
jugé. Or dans le cadre de la transaction (médiation), le
procureur de la république garde la possibilité de
déclencher les poursuites dans les délais de la prescription de
l'action publique, ce qui est contraire au principe. En plus de violer la
règle, il y a le risque que l'échec de la mesure entreprise
influence sur la décision qui sera rendue au fond. Tout ceci est
contraire à l'idée de procès équitable
défendue par la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples en
son article 7 al 1.
Cependant, on peut se demander si une telle critique
est vraiment fondée étant donné que le parquet n'exerce
là qu'une prérogative qui lui est reconnue par la loi. Autrement
dit, la proposition de transiger ne rentre-t-elle pas dans le cadre de
l'opportunité des poursuites, décision administrative qui ne
préjudicie en rien les droits de l'inculpé ?
4- Recul de la sanction et impunité à
prix d'argent
Les reproches faits à la transaction sont
nombreux et variés. Lorsqu'elle fut envisagée en Belgique dans
les années 1935, la presse trouvait qu'elle «
déconsidérait la justice et consolidait le privilège
de l'argent »24. Pour reprendre les propos du
Président DE HALLEUX, la transaction est « un recul de la
répression » et l'extension de la transaction «
l'impunité à prix d'argent ». Pour lui, «
La composition en matière pénale, n'a rien d'un progrès et
il faut rechercher les origines aux âges des tribus et des vengeances
privées ». 25
23 Cario (R.)
op. cit. 26.
24 La libre
Belgique des 30 décembre1934 et 4 janvier 1935, citée par Bekaert
(H.) La manifestation de la vérité dans le procès
pénal, Bruxelles, Bruylant, 1972, p., 27.
25 De Halleux,
« La transaction introduite dans le droit pénal », Annales,
1939, p. 69 et s.
15
Par ailleurs, d'autres juristes ont eu à ce
propos des réactions similaires. C'est notamment le cas des avocats en
France qui, réagissant à la Loi PERBEN II26, ont
estimé que la consécration de la C.R.P.C. portait atteinte
à la fonction et à l'existence des avocats. Il est à
craindre pensent-ils, que cette mesure ne fasse sombrer le métier ou
plus exactement la publicité dont bénéficiait la fonction
car sans audience publique suivie de débats intenses, certains avocats
ne seront jamais connus et risqueraient de sombrer définitivement. De
l'avis de certains, la procédure qu'on a voulu simplifier s'en
trouverait plutôt alourdie et compliquée.
|