L'égalité entre catégories d'associés en droit OHADApar Adrienne Yangue Belibi Université Yaoundé 2 Soa - Master 2 2019 |
INTRODUCTION GENERALEL'OHADA est une organisation 1(*)nouvelle mais le droit des sociétés l'est moins de par son ancienneté. Concernant ce dernier, il s'agit d'un droit parfois hérité 2(*)mais du moins en perpétuelle mutation dans le but de s'actualiser, se singulariser et d'évoluer3(*).Cette ambition de rafraîchir les règles encadrant les sociétés commerciales dans l'espace OHADA, a eu un impact considérable.Depuis la réforme de 2014, le droit des sociétés OHADA connait des bouleversements dus aux nombreux changements opérés dans le but de le rendre plus moderne et plus compétitif. Très rigide à l'origine et caractérisé par un ordre public omniprésent, le droit des sociétés OHADA est gagné par un mouvement de contractualisation des sociétés4(*) marqué par le renforcement de la liberté des associés5(*), de la protection de l'intérêt sociale. Cesphénomènes poussent à se pencher sur l'égalité en droit des sociétés. Mais cette égalité a longtemps été traitée entre l'ensemble des associés ce qui selon nous n'a plus lieu de se faire à la vue la diversification des figures d'associés6(*) créant des groupes, des genres dans la société7(*). C'est à la lumière de toutes ces observations que le thème sur l'égalité entre catégories d'associés en droit OHADA nous semble justifié. Cependant, cette recherche ne peut être correctement menée que si nous dessinons ses contours en expliquant le sens de chacun des termes de notre sujet. Dans cette perspective, la première expression qui mérite notre attention est celle d'associé. L'associé de façon générale est le membre d'un groupement constitué sous forme de société, dont les droits essentiels consistent à participer aux bénéfices, à concourir au fonctionnement de la société, à être informé de la marche de celle-ci et dont les obligations principales sont la libération de ses apports et la contribution pertes. Cette définitions par énumération est la conséquence d'un silence sans pareil du législateur OHADA sur la notion d'associé ce qui n'arrange pas les choses au regard de la pluralité des figures d'associés dans l'espace OHADA. Mais à la lecture de l'article 4 de l'AUSCGIE qui définit la société commerciale, il ressort que l'associé est une partie au contrat8(*) de société qui réalise un apport, partage les bénéfices contribue aux pertes et est animé de l'affectio societatis9(*).Ils ne sont donc pas dans une relation de subordination ce qui laisse tout de suite penser que l'égalité règne entre eux10(*). La qualité d'associé peut se prouver par tous moyens sur la base de la liberté de la preuve en matière commerciale et c'est à celui qui réclame être associé d'en apporter la preuve11(*).Nous pouvons dire que l'associé est celui qui participe aux pertes et aux bénéfices de la société .Cette définition succincte est la résultante même de l'émergence en droit OHADA d'une multitude d'associés. Ces associés de par leur diversité peuvent être regroupés en catégories .Le mot catégorie du latin categoriade façon générale renvoie à la classe dans laquelle on range plusieurs choses qui sont d'espèces différentes mais qui appartiennent à un même genre. Le genre reste le même mais l'espèce est différente .Il y a donc plusieurs formes d'associés mais leur genre demeure la même à savoir des associés 12(*) .Cette vision de la catégorisation13(*) efface ipso facto l'analyse biaisée sur les différences de formes et permet de voir la subsistance d'une nature de fond à savoir celle d'associé ce qui laisse présumer l'existence d'une égalité entre ceux-ci. Cependant, cette diversité est à certains égards source de questionnement sur le principe ancien du droit des sociétés14(*) à savoir celui de l'égalité entre associés .Cette égalité se doit donc d'être précisée. L'égalité pour sa part est une notion très complexe mais du moins très utilisée. Elle marque vivement sa place dans l'existence humaine15(*). En effet, l'exigence d'égalité meuble les rapports entre les hommes de par sa réception dans plusieurs disciplines parmi lesquelles figure ledroit. En effet, du droit public16(*) au droit privé17(*)en passant par le droit pénal18(*),l'égalité a su s'imposer comme étant la règle d'or19(*). Ceci n'est qu'une évidence car le droit qui incarne la justice l'équité ne peut faire fi de l'égalité car en celle-ci se trouve le socle de la démocratie et de la justice20(*). Une vie sociale paisible ne peut donc être envisagée sans un minimum d'égalité. Conscient de cette réalité le droit, tant sur le plan national que international21(*) consacre l'égalité. Le mot égalité ne se laisse pas facilement saisir d'entrée de jeu du fait de son contenu assez large. Sa présence dans plusieurs expressions comme égalité de chances, égalité de traitement, égalité devant la loi permet d'en rendre compte. Du latin aequalitasde aequalis : égal l'égalité renvoie à ce qui est égal ce qui est semblable soit en nature, soit en quantité, soit en qualité qu'un autre22(*). L'égalité implique donc la présence d'au moins deux objets, personnes justifiant ainsi une comparaison entre elles. L'égalité renvoie à l'absence de discrimination à l'uniformité à la constance, l'application à des individus de mêmes droits et devoirs. Aristote voyait en l'égalité une idée de justice et distinguait la justice commutative de la justice distributive.23(*)L'égalité en droit des sociétés renvoie donc à la justice distributive. L'égalité est le caractère d'un rapport entre deux termes référés à une norme. Ce tour rapide des sens possibles de légalités nous pousse à devoir préciser clairement la conception retenue ici. L'égalité visée ici est distributive, il s'agit d'une égalité de droit. La délimitation du domaine d'étude ne peut cependant être complète que si nous précisons le sens de « droit OHADA » car l'égalité entre catégories d'associés sera étudiée dans la limite de celui-ci. Il s'agit des règles résultant de l'organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires plus précisément de l'acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et des groupements d'intérêt économique (AUSCGIE). Nous allons nous limiter aux règles applicables aux sociétés commerciales dans le cadre ce travail. Ayant ainsi défini le domaine notre étude, une question à notre sens s'impose pour servir de fil conducteur à nos développements car comme l'a si bien dit Gaston BACHELARD, «Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse.S'il n'y a pas eude question il ne peut y avoir connaissance scientifique »24(*). Mais avant de se poser cette question, nous voulons rappeler que de nombreux auteurs avant nous ont eu à donner leur point de vue sur le sujet. A ce titre, Paul CORDONNIER se demandait si l'égalité en droit des sociétés n'était pas devenue « une règle surannée dont il ne reste plus que des vestiges »25(*) ; Paul VALERY pour sa part disait qu'il s'agit de formules qui ont plus de valeur que de sens relayant ainsi ce principe à une simple formalité d'exercice des droits d'associés26(*). Longtemps considéré comme le ciment du droit des sociétés, l'égalité se voit de plus en plus contestée par la doctrine. A la lecture des travaux antérieurs, il ressort le problème de l'effectivité du principe d'égalité entre associés .Nous voulons à notre tour apporter notre vision contemporaine, du moins contextualisée de l'égalité entre associés en droit des sociétés. Ainsi, la question qui nous vient sans l'ombre d'un doute ou d'une quelconque hésitation est celle de savoir : existe-t-il égalité entre associés en droit des sociétés commercialesOHADA ? Nous verrons si l'égalité entre associés est effective en droit des sociétés du moins vivante. Cette question avant tout développement, nécessite une réponse. Nous allons pour cela proposer une réponse lacunaire qui sera au cours de l'étude testée dans le sens de sa confirmation ou de son infirmation. En guise de réponse provisoire, nous pouvons dire que l'égalité entre associés en droit OHADA n'est que relative du moins elle n'est pas réelle. En effet, la complexité de la notion d'égalité, l'hétérogénéité des figures d'associés, la contractualisation du droit des sociétés et la protection renforcée de l'intérêt social justifient cette réponse de nous. Le choix de traiter d'une telle question n'est pas vide de sens car il en ressort un intérêt considérable pour la science du droit et même pour le monde des affaires dans l'espace OHADA.Tout d'abord, elle permet d'envisager l'ampleur de l'influence de la réforme de 2014 sur le principe d'égalité entre associés. Nous pourrons voir les améliorations ou des régressions apportées par cette réforme. Ensuite, d'apprécier l'étendue des droits et obligations des associés, la règlementation de leurs rapports en droit des sociétés. Enfin, de permettre un meilleur fonctionnement des sociétés commerciales dans l'espace OHADA. Le développement de ce travail se fera suivant une méthode précise27(*). Pour cela nous ferons usage de l'exégèse des textes, la casuistique, la libre recherche scientifique. Au regard de tout ceci, nous pouvons déjà dire qu'en droit des sociétés OHADA l'égalité entre les multiples catégories d'associés n'est que apparente(Partie I). Cette apparence ou cet aspect de façade est d'autant plus crédible au regard des remises en cause multiples et croissantes de l'égalité ce qui laisse penser à l'admission progressive de l'idée d'inégalité en droit OHADA (Partie II). * 1 Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique signé à Port-Louis le 17 Octobre 1993 et entré en vigueur en 1995 .Ce traité a été adopté dans un contexte de mondialisation et d'ouverture des économies nationales à la concurrence. Traités et actes uniformes commentés et annotés, juriscope 2016, P.21-22 * 2 . « En effet, à l'époque de l'adoption de cet Acte uniforme, la législation sociétaire de la majorité des États de l'OHADA était constituée du droit des sociétés français tel qu'il a été rendu applicable dans les colonies suivant le principe dit de la spécialité législative . Après les indépendances, très peu d'États africains ont modernisé leur législation sociétaire, ce qui était loin de favoriser, d'une part, la croissance économique interne et, d'autre part, les investissements étrangers qui nécessitent un espace juridique et judiciaire sécurisé. Historiquement lié au droit français, plusieurs études ont permis de montrer que le régime juridique des sociétés commerciales tel qu'issu de l'AUDSCGIE dans sa version originelle était à plusieurs égards fortement inspiré du droit français. Les réformes opérées en droit français ont ainsi été intégrées dans ce nouveau droit des sociétés commerciales avec toutefois quelques adaptations rendues nécessaires par le contexte socio-économique africain ». J. WENDKOUNI DJIGUEMDE, L'aménagement conventionnel de la société commerciale en droit français et en droit OHADA 2015 p.3-4 * 3«Le tout premier acte uniforme OHADA relatif au droit des sociétés commerciales date de 1997. Après dix-sept ans d'application la nécessité d'une révision se faisait sentir En 2014, le nouvel acte uniforme a vu le jour en vue de l'amélioration technique des dispositions, la modernité, l'attractivité des règles y relatives ». Traités et actes uniformes commentés et annotés, juriscope 2016, P.367 * 4 J. WENDKOUNI DJIGUEMDE, L'aménagement conventionnel de la société commerciale en droit français et en droit OHADA 2015 p.1 * 5 Consécration des conventions extra statutaires, le choix laissé aux associés quant au mode de gouvernance des SAS * 6 Associé majoritaire, associé minoritaire, associé dirigeant, associé privilégié (avec les actions de préférence), associé commanditaire, commandité * 7 Pris isolément, l'égalité entre associés ne peut se concevoir car de façon naturelle il y a des discriminations qui existent et chaque catégorie a des droits et obligations que les autres n'ont pas. Pris sous cet angle on s'écarterait de résoudre le véritable problème du moins on n'aurait pas les éléments saillants pour ressortir le coeur du débat. La catégorisation permet d'effacer les différences naturelles qui pourraient fausser l'analyse en évacuant les différences catégorielles en leur redonnant une même nature celle d'associés de la société. * 8 D.ESKINAZI la qualité d'associé, Thèse, 2005, p.1 * 9 IBID P .22 l'affectio societatis pour sa part est une notion pas claire et du moins pas très présente dans les sociétés de capitaux. Mais dans toutes les sociétés la participation aux pertes et aux bénéfice est garantie à tous les associés de part l'interdiction des clauses léonines * 10 Mais que dire des actions gratuites distribuées aux salariés dans les SA ...Ceux-ci ne font pas d'apport ont leur en donne gratuitement et ils sont dans l'obligation de demeurer dans la société pendant un certain temps en tant que des employés pour pouvoir entrer en propriété définitive desdites actions Art 626 AUSCGIE.On y voit la complexité de la notion d'associé ou du moins une fragmentation de la notion d'associé elle n'est plus unique elle ne peut couvrir toutes les formes d'associés qui existent * 11 CCJA, arrêt n°024/2006, du 16 novembre 2006, Samaila DAN moussa, Ali Maré c/ Hamidou Abdou dit « crise » P.G. POUGOUE, S.KUATE TAMEGHE Les grandes décisions de la cour commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA, L'Harmattan P.154-156 * 12 L'idée de catégories ne doit pas faire perdre de vue qu'à la base ils sont tous des associés. * 13 Charles Leben « il existe toujours dans n'importe quel système juridique des distinctions autorisées par les lois elles-mêmes »Cit HONVOU KOSSIBA S.Le principe d'égalité en droit béninois de la famille, thèse p.19 * 14 La diversité implique des règles différentes, des pouvoirs différents dans la société * 15 Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen 1948 invite à mettre fin aux différences de traitements entre les hommes (noirs et blancs, bourgeois et esclaves ...) en consacrant l'égalité entre les hommes sur la base de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine. * 16 L'égalité devant l'accès aux fonctions publiques, l'égalité devant les charges publiques, l'égalité fiscale, l'égalité devant les services publiques * 17 Bien que l'exercice de l'égalité dans les relations horizontales puisse parfois susciter quelques difficultés, l'égalité a tout de même investi le droit civil des personnes, le droit des contrats (égalité devant la loi contractuelle), le droit du travail(prohibition des discriminations arbitraires) * 18 le droit pénal (l'égalité devant la loi pénale), l'égalité des armes dans le procès qui implique « l'obligation d'offrir à chaque partie au procès , une possibilité raisonnable de présenter sa cause(..) dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire » Cit. NGASSA NGEBJO S. L'égalité des armes dans le procès pénal, thèse p.44 * 19« Elle est l'un des principes particulièrement nécessaires à notre temps » HONVOU KOSSIBA S.Le principe d'égalité en droit béninois de la famille, thèse p.13 * 20 Aristote, Saint Thomas d'Aquin * 21 La déclaration universelle des droits de l'homme et de citoyen de 1948 Art 1 « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. » ; Préambule de la constitution de la République du Cameroun « tous les hommes sont égaux en droits et en devoirs » ; Art 1-1 du code pénal Camerounais dispose « la loi pénale s'impose à tous » * 22 G.CORNU, vocabulaire juridique 12e édition * 23 Sous son acception commutative ou corrective, la justice met en présence deux individus face à un même bien ; elle a pour but de maintenir l'équilibre entre deux patrimoines. Sous sa forme distributive la justice ne tend plus à maintenir l'équilibre entre deux patrimoines mais plutôt à répartir les biens et charges communes entre les membres de la société cit. M.NDIAYE l'inégalité entre associés en droit des sociétés p. 37 op.cit. * 24 G. BACHELARD, La formation de l'esprit scientifique : contribution à une psychanalyse de la connaissance objective, Paris, 5eme édition, 1967, p. 17. * 25 P .CORDONNIER, De l'égalité entre actionnaires, P .6 * 26 M.NDIAYE, l'inégalité entre associés en droit des sociétés, Thèse P.36 * 27 Madeleine GRAWITZ, la recherche en science sociales et humaines, Paris, LGDJ, Ed.10, 2001, P .10 définit la méthode comme « l'ensemble des opérations intellectuelles par lesquelles une discipline cherche à atteindre les vérités qu'elle poursuit, les démontre, les vérifie » |
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