B. Les accords commerciaux
préférentiels
Au sens du droit de l'OMC, les « accords commerciaux
préférentiels » (ACPr) sont des accords qui offrent des
préférences commerciales unilatérales. Ils sont
régis par le Système Généralisé de
Préférences (SGP)113 ainsi que par d'autres
systèmes préférentiels non réciproques jouissant
d'une dérogation particulière. Sans doute, ces accords sont ceux
qui relèvent de la Clause d'habilitation114, Ainsi, les ACPr
s'analysent comme une autre
109OMC, Rapport sur le commerce mondial 2011.
L'OMC et les accords commerciaux préférentiels : de la
coexistence à la cohérence, OMC, 2011, p. 61.
110Habib GHERARI, «
Organisation mondial du commerce et accords commerciaux régionaux: le
bilatéralisme conquérant ou le nouveau visage du commerce
international ».op. Cit., p. 266.
111 Jagdish BHAGWATI et Anne
KRUEGER, «The dangerous drift to preferential trade
agreement», AEI Press, 1995 p.43; Robert Baldwin, «
Multilateralising regionalism: spaghetti bowls as building blocks on the path
to global free trade», World Economy, vol. XXIX, n° 11,
2006, aux pp. 1 451-1 518.
112 OMC, L'avenir de l'OMC. Relever les défis
institutionnels du nouveau millénaire,
op.cit.p.21.
113 Le SGP est une exception au principe de la clause de la
nation la plus favorisée. En effet, par le système
généralisé de préférence, les pays
développés s'engagent à abaisser ou à supprimer
leur droit de douane sur les produits manufacturés en provenance des
pays en développement qui souffrent d'une protection effective
élevée. Concrètement, il s'agit d'accorder une
préférence aux pays en développement, sans abaisser leurs
droits sur les produits équivalents provenant d'autres pays
développés. On pourra ainsi citer les conventions de Lomé
de 1975 entre la CEE et les pays dits ACP (Afrique Caraïbe et
Pacifique).
114 Prévu par le § 4 a) du GATT, la clause
d'habilitation évoque des traitements tarifaires
préférentiels accordés par les parties contractantes
développées pour les pays en développement
conformément au SGP. Cette disposition reste applicable dans le cadre de
l'OMC.
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dérogation au principe de la clause de la nation la
plus favorisée. Mais cette dérogation est de nature
différente : les accords ont une « portée partielle
», dans la mesure où ils ne couvrent que certains produits,
les autres faisant l'objet d'exclusion. En guise d'illustration on mentionnera
les accords de Lomé puis de Cotonou entre l'UE et les 78 Etats ACP dont
l'évolution la plus spectaculaire fut les récents Accords de
partenariat économique (APE)115.
La raison d'être de ces accords est tout sauf illogique.
Au départ les ACPr étaient conçus comme des solutions
adaptées aux besoins du développement, des finances et du
commerce des pays en voie de développement. A cet effet, la Clause
d'habilitation qui les sous-tend est mue par une double finalité :
d'abord il s'agit de donner un soubassement juridique acceptable à la
non-réciprocité dans les échanges entre pays
développés et pays en développement, dans le cadre des
SPG; ensuite, elle devrait permettre aux « parties contractantes peu
développées » de convenir entre eux des «
arrangements régionaux ou mondiaux » [...] «
en vue de la réduction ou de l'élimination de droits de
douane sur une base mutuelle »116. Mais au fil du temps,
leurs domaines se sont vite élargis à la fois au commerce,
à la réduction des obstacles, aux propriétés
intellectuelles. Tout récemment, ce sont les services qui ont
été envahis par de tels accords. Ainsi, selon les données
de l'OMC, près d'un tiers des ACPr en vigueur contiennent des
engagements concernant les services, et cette tendance s'est encore
accélérée récemment117.
S'il est évident que les ACPr ont connu une forte
croissance ces dernières années alors toute la question est de
savoir quels sont leurs impacts sur le multilatéralisme. Ont-ils un
effet d'entrainement positif sur le multilatéralisme ou engendrent-ils
un effet d'éviction?
115 Les APE sont le prolongement des Accords de Lomé de
1975 et l'Accord de Cotonou de 2000. Cependant, si ces derniers levaient les
barrières tarifaires, pour les exportations des pays ACP tout en
permettant à ces pays de maintenir leur droits de douane sur les
importations en provenance des pays développés, en revanche, les
APE sonnent le glas de ces préférences commerciales non
réciproques. C'est ainsi qu'en septembre 2014, des accords
intermédiaires furent signés entre l'UE et la Communauté
Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), la communauté de
développement d'Afrique Australe (SADC) et la communauté
d'Afrique de l'Est (CAE). Pour la CEDEAO en particulier, l'accord provisoire
prévoit une suppression des droits de douanes de 75% pour les produits
en provenance de l'Union Européenne. Voir Di Gore SIMALA, «
Accords de partenariat économique entre l'Union
européenne et l'Afrique : entre ambition d'émergence et risque de
stagnation » in Jean Didier BONKONGOU,
émergence de l'Afrique, Presse de l'UCAC, 2015, p. 205
et ss. ; Jean-Jacques GABAS, Bruno LOSCH,
« La fabrique en trompe oeil de l'émergence », in
Christophe JAFFRELOT, l'enjeu mondial : les pays
émergents, Paris, Presses de sciences po, 2008, p. 25-40 ;
116Cf. § 2 c du GATT.
117 OMC, « Rapport sur le commerce mondial 2011. L'OMC et
les accords commerciaux préférentiels : de la coexistence
à la cohérence », OMC 2011, p. 6.
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Sur cette question, les avis sont partagés. Si pour une
bonne partie de la doctrine, la seconde option semble la plus
évidente118, d'autres préfèrent plutôt
parler d' « interaction possible entre l'OMC et les ACPr
»119. C'est ainsi que l'OMC, dans son Rapport de 2011,
évoque une « coexistence pacifique »120
entre le multilatéralisme et les ACPr.
En tout état de cause quelque soit l'esprit qui anime
la conclusion de tels accords, il est évident que ceux-ci minorent la
portée du multilatéralisme dont le ferment demeurent la
nondiscrimination. Pour le professeur Jean-Marc SIROËN, ces accords
permettent « aux grandes puissances commerciales de retrouver un
rapport de force qui leur est plus favorable qu'à l'OMC et aggrave la
marginalisation des pays qui n'auront pas les moyens ou la volonté
politique de raccrocher le train des accords "préférentiels"
exigeants. »121
Au-delà des entraves à la clause de la nation la
plus favorisée, la fragilisation du système normatif de l'OMC
tient aussi aux obstacles à la clause du traitement national.
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