Chapitre I. Un édifice juridico-institutionnel
fragilisé
Conçu pour répondre à des objectifs du
libéralisme, le cadre juridico-institutionnel de l'OMC est
constitué d'un système de règles, de principes, de
mécanismes et d'institutions destinés à promouvoir le
libre-échange et à parer aux velléités
protectionnistes au sein de la société
internationale83.
Le cadre normatif de l'OMC est un ensemble conventionnel
composé d'un accord-cadre : l'Accord instituant l'OMC qui coiffe une
série d'autres accords qui en sont les annexes84.
L'architecture institutionnelle quant à elle, est constituée
d'organes coiffés par la Conférence ministérielle
composée de représentants ministériels, suivie d'un
Conseil général qui s'acquitte des missions de l'Organe de
règlement des différends (ORD) et de l'évaluation de
politiques commerciales (MEPC), ainsi qu'un vaste réseau de conseils
spécialisés et de comités. L'OMC met aussi en jeu des
principes fondamentaux notamment ceux de la nondiscrimination. Par la clause de
la "nation la plus favorisée" (NPF), un avantage commercial consenti
à un pays bénéficiera immédiatement à tous.
De plus, par la clause du traitement national (CTN), un produit importé
et dédouané, devra être traité comme les produits
locaux concurrents. Ces principes sont sensés être le fil
conducteur de tous les accords de l'OMC.
Or, à l'heure actuelle, la mise en oeuvre de ces
règles paraît entravée par l'émergence de nouvelles
formes de protectionnisme et par une profusion des « accords de
préférences commerciale »85 qui se sont
multipliés ces dernières années témoignant d'une
« montée en puissance du régionalisme
»86. De même, l'ampleur des crises affectant les
organes de l'Organisation laisse définitivement présager une
dérive institutionnelle.
Ainsi, malgré la générosité de son
esprit, l'OMC peine-telle encore à atteindre efficacement les objectifs
qu'elle s'est fixés. L'Organisation paraît aujourd'hui mal en
point car d'une part, son système normatif semble souffrir d'une
certaine usure (Section I) et d'autre part, son architecture
institutionnelle est aujourd'hui vacillée par des crises importantes
(Section II).
83 Voir Michel RAINELLI, Le
GATT, Paris, La Découverte, coll. Repères, n°130, 1993,
ch. III.
84 Les trois premières annexes englobent les
accords commerciaux multilatéraux qui ont pour particularité
d'être contraignants pour tous les Membres de l'OMC. En revanche, la
dernière annexe ne comporte que les accords commerciaux
plurilatéraux, lesquelles ne concernent que les Membres qui y sont
parties.
85 L'expression est de Jean Marc Siroën. Voir
Jean Marc SIROËN, « Accords commerciaux et
régionalisation des échanges », Document de travail,
université Paris-Dauphine, 2007, p.1.
86Jean-Mari GRETHER et
Jaime de MELO, « La montée en puissance du
régionalisme et l'avenir de l'OMC », op.cit.,p.1 et ss.
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SECTION I. UN ARSENAL NORMATIF AFFAIBLI
Pour atteindre les objectifs d'un commerce libre et profitable
à tous87, l'OMC met en oeuvre un certain nombre de principes
cardinaux parmi lesquels le principe de nondiscrimination envisagé comme
la « clé de voûte »88 de l'ordre
commercial international. Ce principe vise, en effet, à donner une
chance à tout Etat membre de l'OMC de s'intégrer dans le commerce
mondial sans discrimination aucune. Il se décline en deux
impératifs : d'une part, la clause de la nation la plus
favorisée89 qui veut qu'un régime favorable ou un
avantage consenti à tel ou à tel Etat par un Membre de
l'organisation soit étendu à tous les autres Membres et d'autre
part, la clause du traitement national qui implique une égalité
de traitement entre opérateurs étrangers et
nationaux90. Il faut préciser que ces principes doivent
être le fil conducteur de tous les accords de l'OMC.
Cependant à bien des égards, la mise en oeuvre
de ces principes semble être compromise, eu égard aux atteintes
multiformes dont ils sont depuis l'objet. Au nombre de celles-ci, on
relèvera d'une part, les atteintes à la clause de la nation la
plus favorisée qui accréditent les thèses d' «
une mise à l'écart relative du multilatéralisme
»91 (§1) et d'autre part, les
obstacles au principe de la clause du traitement national dus à la
montée en puissance de velléités protectionnistes
généralisées92 (§2).
§1. DES ENTRAVES A LA CLAUSE DE LA NATION LA PLUS
FAVORISEE
Considérée comme une source de débats
depuis l'établissement du GATT, la prolifération des accords dits
de préférence commerciale constitue davantage une source
récurrente d'inquiétude depuis l'avènement de
l'OMC93 dans la mesure où ils entravent le principe de
87 C'est au sein du Préambule de l'Accord
instituant l'OMC que figurent les objectifs de l'organisation.
Substantiellement, il s'agit du relèvement des niveaux de vie ; la
réalisation du plein emploi ; la réalisation d'un niveau
élevé toujours croissant du revenu réel et de la demande
effective; l'accroissement de la production et du commerce de marchandises et
de services. A ce titre, la libéralisation du commerce apparaît
comme un moyen de réaliser ces objectifs ; elle ne constitue pas une fin
en soi, du moins en théorie.
88 Voir Dominique CARREAU et
Patrick JULLIARD, Droit international économique,
Dalloz, 2003, p.230 et Thiébaut FLORY,
l'Organisation mondiale du commerce. Droit institutionnel et substantiel,
Bruylant, Bruxelles, 1999 p.33.
89 Art. I , §1, du GATT.
90 Art. III , §1, du GATT.
91Jean-Mari GRETHER et Jaime de
MELO, « La montée en puissance du régionalisme et
l'avenir de l'OMC », op.cit., p.2.
92 Christian CHAVAGNEUX, « OMC :
changer pour exister », L'Économie politique 2007/3
(n° 35), p. 5.
93 OMC, L'avenir de l'OMC. Relever les
défis institutionnels du nouveau millénaire, Genève,
OMC, 2005. 102 p. 2.
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non-discrimination, en l'occurrence la clause de la nation la
lus favorisée (CNPF). Dans la perspective de mieux comprendre les
appréhensions diverses sur les accords dits de préférence
commerciale et ses enjeux sur le système multilatéral, il serait
alors essentiel d'en dresser une typologie. Celle-ci est fondamentalement
construite autour de deux types d'accords : les accords commerciaux
régionaux (A) et les accords commerciaux
préférentiels (B).
A. Les accords commerciaux régionaux
Abondamment soulignés, les accords commerciaux
régionaux (ACR) constituent l'une des principales menaces qui
pèsent sur le système commercial
multilatéral94. Concrètement les ACR sont des «
mesures prises par les gouvernements pour libéraliser ou faciliter
le commerce à l'échelle régionale, parfois au moyen de
zones de libre-échange ou d'unions douanières
»95. Ce sont donc des accords commerciaux qui permettent
aux seuls pays participants de pouvoir tirer profit d'avantages
réciproques qui dérogent tout au moins « légalement
» à la clause de la nation favorisée96.
Au départ autorisée97 mais
limité, le phénomène des ACR n'a depuis cessé de
prendre de l'ampleur98. A cet effet, certains auteurs recourent au
terme « prolifération »99 pour
désigner l'étendue de la pratique. Selon Christian DEBLOCK
« Lorsque l'accord de libre-échange fut conclu
entre les États-Unis et Israël entra en vigueur en 1985, il n'y
avait alors que vingt accords commerciaux régionaux ; en date du mois de
mai 2014, l'OMC estime leur nombre à 419. De ce nombre, 219 sont des
accords de libre-échange relevant de l'article XXIV du
94 Jean Marc SIROËN, La
régionalisation de l'économie mondiale, Paris, la
Découverte, coll. Repères, 2004, p.3.
95 Walter GOODE, Dictionary of
Trade Policy Terms, OMC/Center for International Economic Studies,
Cambridge University Press, 2003, 4ème édition, p.
302. Cependant le terme « accords commerciaux régionaux
» paraît aujourd'hui très réducteurs puisque ces
accords débordent du cadre commercial pour intégrer les services,
les investissements, la concurrence ou encore la propriété
intellectuelle.
96 Cf. le lexique de
l'économie, 6e éd., 1999, Paris, Dalloz, sous la
dir. d'Ahmed SILEM et Jean-Mari ALBERTINI p.
607. En effet, le lexique d'économie corrobore cette définition
en retenant que la Zone de libre-échange est un espace économique
contractuel dans lequel, les échanges entre les Etats ne sont pas soumis
à des droits de douane internes.
97 En effet le L'article XXIV du GATT
reconnaît « [...] qu'il est souhaitable d'augmenter la
liberté du commerce en développant, par le moyen d'accords
librement conclus, une intégration plus étroite des
économies des pays participants à de tels accords »
(Article XXIV, § 4). Dans l'esprit de l'article XXIV, les ACR sont des
accords réciproques passés entre deux partenaires ou plus qui ont
pour objet la libéralisation des échanges commerciaux entre les
participants afin de parvenir à une intégration de leurs
économies.
98 Sur l'historique et l'évolution des ACR,
voir Jean-Mari GRETHER et Jaime de MELO, « La
montée en puissance du régionalisme et l'avenir de l'OMC »,
op.cit., aux pp.3 - 9.
99Habib GHERARI, «
Organisation mondiale du commerce et accords commerciaux régionaux: le
bilatéralisme conquérant ou le nouveau visage du commerce
international », op.cit, p.255.
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GATT, 139 sont des accords dits d'intégration
économique relevant de l'article V de l'AGCS, 20 sont des unions
douanières et 41 sont des accords au titre de la clause d'habilitation
»100.
Sont principalement qualifiés d'ACR au sens de
l'article XXIV du GATT, les Zones de libre-échange et les Unions
douanières. La Zone de libre-échange regroupe deux ou plusieurs
territoires douaniers entre lesquels les droits de douane, les taxes et les
autres réglementations commerciales restrictives à l'instar des
taxes d'effet équivalent sont éliminés pour l'essentiel
des échanges commerciaux portant sur les produits originaires des
territoires constitutifs de la zone de libre-échange101. Les
plus connues sont : l'Accord de libre-échange nord américain
(ALENA) ou la zone de libre-échange de l'ASEAN102 ou encore
l'AELE103. En revanche, l'union douanière est un accord
commercial régional dont les Etats membres ont adopté une
politique commerciale commune vis-à-vis des Etats tiers notamment une
réglementation et un tarif douanier commun104. On pourrait
citer en exemple l'union douanière de l'Union Européenne (UE),
l'union douanière de l'Union Economique et Monétaire Ouest
Africaine (UEMOA)105 ou encore le Marché commun de
l'Amérique du Sud (MERCOSUR)106.
Néanmoins, la tendance de ces dernières
années consiste en la mutation du régionalisme vers le
bilatéralisme107, ou encore vers
l'inter-régionalisme108. C'est ainsi que, le
secrétariat de l'OMC relève dans son rapport de 2011 qu'il y
avait 89 accords bilatéraux, 12 accords
100Christian DEBLOCK, « le
régionalisme commercial, y a-t-il un pilote dans l'avion ? »,
Interventions économiques no55 (2016),
p.14.
101 Voir l'article XXIV, § 8 b) du GATT.
102 Accord de libre- échange entre les membres de
l'Association des Etats de l'Asie du Sud-est, en abrégé ASEAN. Il
regroupe la Birmanie, le Brunei, le Cambodge, l'Indonésie, le Laos, la
Malaisie, les Philippines, le Singapour, le Vietnam et la Thaïlande.
103 Zone de libre-échange entre les pays de
l'Association européenne de libre-échange en abrégé
AELE regroupe actuellement 4 pays membres dont le l'Island, le Liechtenstein et
la Suisse.
104 V. l'article XXIV, § 8 a) du GATT.
105 Crée en 1994, l'UEMOA est une union
douanière qui regroupe huit Etats de l'Afrique de l'ouest ayant en
commun l'usage d'une monnaie unique, en l'occurrence le francs CFA. Ce
regroupement se composé du Bénin, du Burkina Faso, de la
Côte d'Ivoire, de la Guinée-Bissau, du Mali, du Niger du
Sénégal et du Togo.
106 Le Marché commun du Sud, couramment
abrégé Mercosur, est avant tout une union
douanière réunissant 6 pays de l'Amérique latine tels que
l'Argentine, le Brésil, le Paraguay, l'Uruguay, le Venezuela et la
Bolivie. Contrairement à l'ALENA qui est une simple zone de
libre-échange sans tarif extérieur, le Mercosur se veut un outil
de coopération beaucoup plus poussé. L'objectif étant
d'aller vers un rapprochement politique ou juridique.
107 Habib GHERARI, « Organisation
mondial du commerce et accords commerciaux régionaux: le
bilatéralisme conquérant ou le nouveau visage du commerce
international », op.cit. , p.258.
108 Regroupement de deux ou plusieurs blocs commerciaux
régionaux dans le but de libéraliser les échanges
commerciaux entre les Membres. En exemple, en 1995, le Mercosur et l'UE ont
signé un accord-cadre interrégional de coopération
économique.
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plurilatéraux et 41 accords plurilatéraux dont
au moins une partie est un ACR interrégional109.
Les ACR engendrent non seulement une distorsion du principe
NPF mais aussi un encouragement à la logique
préférentielle. Selon certaines études, les ACR conduisent
aussi à « l'enchevêtrement normatif
»110 communément qualifié d'effet «
spaghetti bowl »111. De la sorte, les administrations
appelées à appliquer de tels accords ne savent pas comment s'y
prendre. Quant aux exportateurs, ils ne savent pas à quel saint se
vouer. De plus, avec les accords bilatéraux, c'est la loi du plus fort
qui se trouve ainsi pleinement revigorée dans les échanges
commerciaux. Bref, les ACR constituent des entraves au multilatéralisme.
Ainsi que le souligne le rapport Sutherland, la prolifération de tels
accords tendent à créer des intérêts établis
qui peuvent compliquer la mise en oeuvre d'une véritable
libéralisation multilatérale112.
Mais la prolifération des accords discriminatoires ne
se limite pas aux seuls ACR, ils concernent également les accords
commerciaux préférentiels.
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