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Organisation mondiale du commerce à  l'épreuve de multiples crises. Perspective du système de régulation du commerce international.


par Kossi Kafui SAMBOE
Université de Lome  - Master 2 droit public fondamental 2017
  

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Chapitre I. Un édifice juridico-institutionnel fragilisé

Conçu pour répondre à des objectifs du libéralisme, le cadre juridico-institutionnel de l'OMC est constitué d'un système de règles, de principes, de mécanismes et d'institutions destinés à promouvoir le libre-échange et à parer aux velléités protectionnistes au sein de la société internationale83.

Le cadre normatif de l'OMC est un ensemble conventionnel composé d'un accord-cadre : l'Accord instituant l'OMC qui coiffe une série d'autres accords qui en sont les annexes84. L'architecture institutionnelle quant à elle, est constituée d'organes coiffés par la Conférence ministérielle composée de représentants ministériels, suivie d'un Conseil général qui s'acquitte des missions de l'Organe de règlement des différends (ORD) et de l'évaluation de politiques commerciales (MEPC), ainsi qu'un vaste réseau de conseils spécialisés et de comités. L'OMC met aussi en jeu des principes fondamentaux notamment ceux de la nondiscrimination. Par la clause de la "nation la plus favorisée" (NPF), un avantage commercial consenti à un pays bénéficiera immédiatement à tous. De plus, par la clause du traitement national (CTN), un produit importé et dédouané, devra être traité comme les produits locaux concurrents. Ces principes sont sensés être le fil conducteur de tous les accords de l'OMC.

Or, à l'heure actuelle, la mise en oeuvre de ces règles paraît entravée par l'émergence de nouvelles formes de protectionnisme et par une profusion des « accords de préférences commerciale »85 qui se sont multipliés ces dernières années témoignant d'une « montée en puissance du régionalisme »86. De même, l'ampleur des crises affectant les organes de l'Organisation laisse définitivement présager une dérive institutionnelle.

Ainsi, malgré la générosité de son esprit, l'OMC peine-telle encore à atteindre efficacement les objectifs qu'elle s'est fixés. L'Organisation paraît aujourd'hui mal en point car d'une part, son système normatif semble souffrir d'une certaine usure (Section I) et d'autre part, son architecture institutionnelle est aujourd'hui vacillée par des crises importantes (Section II).

83 Voir Michel RAINELLI, Le GATT, Paris, La Découverte, coll. Repères, n°130, 1993, ch. III.

84 Les trois premières annexes englobent les accords commerciaux multilatéraux qui ont pour particularité d'être contraignants pour tous les Membres de l'OMC. En revanche, la dernière annexe ne comporte que les accords commerciaux plurilatéraux, lesquelles ne concernent que les Membres qui y sont parties.

85 L'expression est de Jean Marc Siroën. Voir Jean Marc SIROËN, « Accords commerciaux et régionalisation des échanges », Document de travail, université Paris-Dauphine, 2007, p.1.

86Jean-Mari GRETHER et Jaime de MELO, « La montée en puissance du régionalisme et l'avenir de l'OMC », op.cit.,p.1 et ss.

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SECTION I. UN ARSENAL NORMATIF AFFAIBLI

Pour atteindre les objectifs d'un commerce libre et profitable à tous87, l'OMC met en oeuvre un certain nombre de principes cardinaux parmi lesquels le principe de nondiscrimination envisagé comme la « clé de voûte »88 de l'ordre commercial international. Ce principe vise, en effet, à donner une chance à tout Etat membre de l'OMC de s'intégrer dans le commerce mondial sans discrimination aucune. Il se décline en deux impératifs : d'une part, la clause de la nation la plus favorisée89 qui veut qu'un régime favorable ou un avantage consenti à tel ou à tel Etat par un Membre de l'organisation soit étendu à tous les autres Membres et d'autre part, la clause du traitement national qui implique une égalité de traitement entre opérateurs étrangers et nationaux90. Il faut préciser que ces principes doivent être le fil conducteur de tous les accords de l'OMC.

Cependant à bien des égards, la mise en oeuvre de ces principes semble être compromise, eu égard aux atteintes multiformes dont ils sont depuis l'objet. Au nombre de celles-ci, on relèvera d'une part, les atteintes à la clause de la nation la plus favorisée qui accréditent les thèses d' « une mise à l'écart relative du multilatéralisme »91 (§1) et d'autre part, les obstacles au principe de la clause du traitement national dus à la montée en puissance de velléités protectionnistes généralisées92 (§2).

§1. DES ENTRAVES A LA CLAUSE DE LA NATION LA PLUS FAVORISEE

Considérée comme une source de débats depuis l'établissement du GATT, la prolifération des accords dits de préférence commerciale constitue davantage une source récurrente d'inquiétude depuis l'avènement de l'OMC93 dans la mesure où ils entravent le principe de

87 C'est au sein du Préambule de l'Accord instituant l'OMC que figurent les objectifs de l'organisation. Substantiellement, il s'agit du relèvement des niveaux de vie ; la réalisation du plein emploi ; la réalisation d'un niveau élevé toujours croissant du revenu réel et de la demande effective; l'accroissement de la production et du commerce de marchandises et de services. A ce titre, la libéralisation du commerce apparaît comme un moyen de réaliser ces objectifs ; elle ne constitue pas une fin en soi, du moins en théorie.

88 Voir Dominique CARREAU et Patrick JULLIARD, Droit international économique, Dalloz, 2003, p.230 et Thiébaut FLORY, l'Organisation mondiale du commerce. Droit institutionnel et substantiel, Bruylant, Bruxelles, 1999 p.33.

89 Art. I , §1, du GATT.

90 Art. III , §1, du GATT.

91Jean-Mari GRETHER et Jaime de MELO, « La montée en puissance du régionalisme et l'avenir de l'OMC », op.cit., p.2.

92 Christian CHAVAGNEUX, « OMC : changer pour exister », L'Économie politique 2007/3 (n° 35), p. 5.

93 OMC, L'avenir de l'OMC. Relever les défis institutionnels du nouveau millénaire, Genève, OMC, 2005. 102 p. 2.

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non-discrimination, en l'occurrence la clause de la nation la lus favorisée (CNPF). Dans la perspective de mieux comprendre les appréhensions diverses sur les accords dits de préférence commerciale et ses enjeux sur le système multilatéral, il serait alors essentiel d'en dresser une typologie. Celle-ci est fondamentalement construite autour de deux types d'accords : les accords commerciaux régionaux (A) et les accords commerciaux préférentiels (B).

A. Les accords commerciaux régionaux

Abondamment soulignés, les accords commerciaux régionaux (ACR) constituent l'une des principales menaces qui pèsent sur le système commercial multilatéral94. Concrètement les ACR sont des « mesures prises par les gouvernements pour libéraliser ou faciliter le commerce à l'échelle régionale, parfois au moyen de zones de libre-échange ou d'unions douanières »95. Ce sont donc des accords commerciaux qui permettent aux seuls pays participants de pouvoir tirer profit d'avantages réciproques qui dérogent tout au moins « légalement » à la clause de la nation favorisée96.

Au départ autorisée97 mais limité, le phénomène des ACR n'a depuis cessé de prendre de l'ampleur98. A cet effet, certains auteurs recourent au terme « prolifération »99 pour désigner l'étendue de la pratique. Selon Christian DEBLOCK « Lorsque l'accord de libre-échange fut conclu entre les États-Unis et Israël entra en vigueur en 1985, il n'y avait alors que vingt accords commerciaux régionaux ; en date du mois de mai 2014, l'OMC estime leur nombre à 419. De ce nombre, 219 sont des accords de libre-échange relevant de l'article XXIV du

94 Jean Marc SIROËN, La régionalisation de l'économie mondiale, Paris, la Découverte, coll. Repères, 2004, p.3.

95 Walter GOODE, Dictionary of Trade Policy Terms, OMC/Center for International Economic Studies, Cambridge University Press, 2003, 4ème édition, p. 302. Cependant le terme « accords commerciaux régionaux » paraît aujourd'hui très réducteurs puisque ces accords débordent du cadre commercial pour intégrer les services, les investissements, la concurrence ou encore la propriété intellectuelle.

96 Cf. le lexique de l'économie, 6e éd., 1999, Paris, Dalloz, sous la dir. d'Ahmed SILEM et Jean-Mari ALBERTINI p. 607. En effet, le lexique d'économie corrobore cette définition en retenant que la Zone de libre-échange est un espace économique contractuel dans lequel, les échanges entre les Etats ne sont pas soumis à des droits de douane internes.

97 En effet le L'article XXIV du GATT reconnaît « [...] qu'il est souhaitable d'augmenter la liberté du commerce en développant, par le moyen d'accords librement conclus, une intégration plus étroite des économies des pays participants à de tels accords » (Article XXIV, § 4). Dans l'esprit de l'article XXIV, les ACR sont des accords réciproques passés entre deux partenaires ou plus qui ont pour objet la libéralisation des échanges commerciaux entre les participants afin de parvenir à une intégration de leurs économies.

98 Sur l'historique et l'évolution des ACR, voir Jean-Mari GRETHER et Jaime de MELO, « La montée en puissance du régionalisme et l'avenir de l'OMC », op.cit., aux pp.3 - 9.

99Habib GHERARI, « Organisation mondiale du commerce et accords commerciaux régionaux: le bilatéralisme conquérant ou le nouveau visage du commerce international », op.cit, p.255.

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GATT, 139 sont des accords dits d'intégration économique relevant de l'article V de l'AGCS, 20 sont des unions douanières et 41 sont des accords au titre de la clause d'habilitation »100.

Sont principalement qualifiés d'ACR au sens de l'article XXIV du GATT, les Zones de libre-échange et les Unions douanières. La Zone de libre-échange regroupe deux ou plusieurs territoires douaniers entre lesquels les droits de douane, les taxes et les autres réglementations commerciales restrictives à l'instar des taxes d'effet équivalent sont éliminés pour l'essentiel des échanges commerciaux portant sur les produits originaires des territoires constitutifs de la zone de libre-échange101. Les plus connues sont : l'Accord de libre-échange nord américain (ALENA) ou la zone de libre-échange de l'ASEAN102 ou encore l'AELE103. En revanche, l'union douanière est un accord commercial régional dont les Etats membres ont adopté une politique commerciale commune vis-à-vis des Etats tiers notamment une réglementation et un tarif douanier commun104. On pourrait citer en exemple l'union douanière de l'Union Européenne (UE), l'union douanière de l'Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA)105 ou encore le Marché commun de l'Amérique du Sud (MERCOSUR)106.

Néanmoins, la tendance de ces dernières années consiste en la mutation du régionalisme vers le bilatéralisme107, ou encore vers l'inter-régionalisme108. C'est ainsi que, le secrétariat de l'OMC relève dans son rapport de 2011 qu'il y avait 89 accords bilatéraux, 12 accords

100Christian DEBLOCK, « le régionalisme commercial, y a-t-il un pilote dans l'avion ? », Interventions économiques no55 (2016), p.14.

101 Voir l'article XXIV, § 8 b) du GATT.

102 Accord de libre- échange entre les membres de l'Association des Etats de l'Asie du Sud-est, en abrégé ASEAN. Il regroupe la Birmanie, le Brunei, le Cambodge, l'Indonésie, le Laos, la Malaisie, les Philippines, le Singapour, le Vietnam et la Thaïlande.

103 Zone de libre-échange entre les pays de l'Association européenne de libre-échange en abrégé AELE regroupe actuellement 4 pays membres dont le l'Island, le Liechtenstein et la Suisse.

104 V. l'article XXIV, § 8 a) du GATT.

105 Crée en 1994, l'UEMOA est une union douanière qui regroupe huit Etats de l'Afrique de l'ouest ayant en commun l'usage d'une monnaie unique, en l'occurrence le francs CFA. Ce regroupement se composé du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d'Ivoire, de la Guinée-Bissau, du Mali, du Niger du Sénégal et du Togo.

106 Le Marché commun du Sud, couramment abrégé Mercosur, est avant tout une union douanière réunissant 6 pays de l'Amérique latine tels que l'Argentine, le Brésil, le Paraguay, l'Uruguay, le Venezuela et la Bolivie. Contrairement à l'ALENA qui est une simple zone de libre-échange sans tarif extérieur, le Mercosur se veut un outil de coopération beaucoup plus poussé. L'objectif étant d'aller vers un rapprochement politique ou juridique.

107 Habib GHERARI, « Organisation mondial du commerce et accords commerciaux régionaux: le bilatéralisme conquérant ou le nouveau visage du commerce international », op.cit. , p.258.

108 Regroupement de deux ou plusieurs blocs commerciaux régionaux dans le but de libéraliser les échanges commerciaux entre les Membres. En exemple, en 1995, le Mercosur et l'UE ont signé un accord-cadre interrégional de coopération économique.

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plurilatéraux et 41 accords plurilatéraux dont au moins une partie est un ACR interrégional109.

Les ACR engendrent non seulement une distorsion du principe NPF mais aussi un encouragement à la logique préférentielle. Selon certaines études, les ACR conduisent aussi à « l'enchevêtrement normatif »110 communément qualifié d'effet « spaghetti bowl »111. De la sorte, les administrations appelées à appliquer de tels accords ne savent pas comment s'y prendre. Quant aux exportateurs, ils ne savent pas à quel saint se vouer. De plus, avec les accords bilatéraux, c'est la loi du plus fort qui se trouve ainsi pleinement revigorée dans les échanges commerciaux. Bref, les ACR constituent des entraves au multilatéralisme. Ainsi que le souligne le rapport Sutherland, la prolifération de tels accords tendent à créer des intérêts établis qui peuvent compliquer la mise en oeuvre d'une véritable libéralisation multilatérale112.

Mais la prolifération des accords discriminatoires ne se limite pas aux seuls ACR, ils concernent également les accords commerciaux préférentiels.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry