Chapitre 2. Une organisation perfectible
Si l'OMC constitue actuellement un foyer de tensions et de
contestations, c'est en raison des enjeux économiques, commerciaux,
sociaux, politiques qui la traversent. Il en est ainsi parce que
premièrement, la base réglementaire sur laquelle le
système commercial moderne repose à savoir le principe de
non-discrimination, s'est progressivement érodée307.
Deuxièmement, c'est aussi parce que la fracture économique entre
les Membres continue de s'accroître au lieu de se réduire.
Troisièmement, parce que l'Organisation priorise les valeurs marchandes
au détriment d'autres valeurs comme les droits de l'homme ou les valeurs
sociétales en général. Certes, des dispositions
prévoient la possibilité des mesures spécifiques pour le
respect de la santé humaine308 ou la protection des
espèces végétales ou animales. Mais il ne s'agit que d'une
prise en compte marginale de questions qui ne cessent de se faire
croissantes.
On peut appliquer le même type de raisonnement à
l'égard de la question des normes du travail, en mettant par exemple en
relief les différences de protection sociale existant entre les PD et
les PED. Cela conduit aux mêmes résultats, en l'occurrence,
l'insatisfaction qui va du simple mécontentement à la
contestation parfois violente309. Ce sont ces problématiques
qui engendrent le doute, l'inquiétude voire le pessimisme quant à
l'avenir de l'Organisation.
Cependant, il ne faut pas complètement noircir le
tableau parce que la conscience de ces insuffisances existe. Le convenable
serait plutôt de faire des propositions qui serviront de correctifs
à ces défis en vue de parfaire le fonctionnement de l'OMC et de
rehausser sa crédibilité. Aussi, ce chapitre tentera-t-il
d'apporter des pistes de solutions aux différents points de friction qui
ont été identifiés comme constituant de véritables
menaces qui pèsent sur le futur de l'Organisation. Dès lors, deux
axes majeurs seront au centre des propositions de réformes. Si le
premier concerne le cadre normatif (Section 1), le second
portera par contre sur le cadre organique (Section 2).
307 OMC, avenir de l'OMC. Relever les défis
institutionnels du nouveau millénaire, op.cit., p.22. Ce rapport
parle de « l'érosion de la non-discrimination ».
308 On mentionnera ici l'Accord sur l'application des mesures
sanitaires et phytosanitaire (SPS) dans lequel les Membres ont
réaffirmé leur volonté de ne pas empêcher un Etat
membre d'adopter ou de ne pas appliquer les mesures relatives à la
santé sous réserve que ces mesures ne soient pas
appliquées de façon à constituer soit un moyen de
discrimination arbitraire ou injustifiable entre les Membres.
309 En exemple, on mentionnera les violentes manifestations de
la Société civile altermondialiste lors de la Conférence
ministérielle Seattle en 1999. Ces manifestations ont été
organisées de nouveau à Cancun en 2003.
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SECTION I. DES REFORMES NECESSAIRES AU PLAN
NORMATIF
Il est évident qu'actuellement, l'OMC a une multitude
de défis à relever. Cependant parmi ces nombreux sujets, il en
existe qui requièrent des réponses des plus urgentes. En effet,
alors que le cycle de Doha peine à avancer et n'enregistre aucune
percée déterminante qui puisse laisser espérer un
aboutissement prochain, les accords commerciaux régionaux continuent de
se multiplier un peu partout dans le monde. Il s'agit en réalité
d'accords bilatéraux de libre-échange qui portent sur bien de
points et qui vont plus loin que le droit de l'OMC. « Ce
phénomène ne peut laisser penser qu'il restera sans incidence
normative ni systémique »310. C'est donc
précisément au niveau des normes que devra s'orienter la
réforme
du cadre des négociations (§1).
Cette réforme ira davantage de pair avec le renforcement du lien entre
le commerce et le développement pour corriger les imperfections du cadre
normatif tant décrié par les PED. Enfin l'OMC devra aussi
suffisamment prendre la mesure de la
critique sociale en incluant les valeurs non marchandes dans le
système conventionnel (§2).
§ 1. LA REFORME DU CADRE JURIDIQUE DES NEGOCIATIONS
COMMERCIALES
La réforme du cadre juridique des négociations
commerciales devra s'articuler au tour de deux points. D'une part, le
renforcement du multilatéralisme (A) et d'autre part,
la consolidation du lien entre le commerce et le développement
(B).
A. Le nécessaire renforcement du
multilatéralisme
Le défi le plus important que l'OMC doit relever est
celui du renforcement de la règle de non-discrimination qui est la
pierre angulaire de l'Accord instituant l'OMC.
Pour cela, la clarification des règles relatives aux
accords commerciaux s'impose, même si certains pensent qu'une telle
orientation ne mettra pas complètement fin au problème de fond
310Habib GHERARI, «
Organisation mondial du commerce et accords commerciaux régionaux: le
bilatéralisme conquérant ou le nouveau visage du commerce
international ».R.G.D.I.P, 2008, p. 292.
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que soulève la prolifération des accords
préférentiels, dans la mesure où ces accords ne sont tout
de même pas dénués
d'intérêts311.
Néanmoins, puisque le problème se fait
persistant, la doctrine n'a alors pas manqué de formuler des
propositions. Parmi celles qui reviennent le plus souvent, nous en retiendrons
quatre.
Une première proposition consisterait à revoir
certains principes qui peuvent paraître quelques fois rébarbatifs.
Au rang de ceux-ci, figure le principe général du consensus. En
effet, comme le rappelle le professeur SIROËN, « L'absence de
règles de majorité flatte la souveraineté des
États, mais, avec 148 pays, elle conduit à l'échec,
à des compromis boiteux ou à des règles contradictoires
qui, en retour, affaiblissent l'organisation. L'échec de la
Conférence de Seattle en 1999 a empêché l'ouverture d'un
nouveau cycle dit du millénaire, celui de la Conférence de Cancun
en 2003 a ravivé les inquiétudes sur l'avenir de l'OMC.
»312 Ainsi, lors des négociations ou au moment de
l'examen des accords commerciaux, il serait convenable de mettre en
parenthèses le principe du consensus et lui substituer la technique du
vote qualifié qui demeure nécessaire pour adopter ou faire
amender les accords lorsque certaines de leurs dispositions font l'objet de
désaccords. Cependant, il faut aussi bien reconnaître qu'une telle
option, s'il est amené à se généraliser, pourrait
bien être suicidaire pour le multilatéralisme. Pour cela, il faut
qu'elle concerne les cas où les désaccords paraissent des plus
insurmontables.
Une seconde proposition consisterait à s'inspirer du
droit international en l'occurrence de l'expérience européenne
pour mettre en oeuvre le principe de subsidiarité dans le cadre du
système commercial multilatéral. Pour rappel, ce principe vise
à privilégier le niveau inférieur de décision aussi
longtemps que le niveau supérieur n'est pas en mesure d'agir de
manière efficace. Concrètement, il s'agira donc d'attribuer des
compétences à l'OMC par délégation de pouvoir
d'autorité politique.
Par ailleurs, l'élargissement du recours au
mécanisme de règlement des différends et l'extension de sa
portée aux accords commerciaux seraient des options qui
mériteraient d'être étudiées avec minutie. Une telle
solution serait utile d'autant qu'elle offrirait une voie légale
311 Jean-Marc SIROËN, « l'OMC, une
institution en crise », op.cit., p.73. En effet, pour
Siroën, « Ces accords visent autant à réduire les
tarifs douaniers qu'à introduire les "sujets" repoussés à
l'OMC : normes de travail, concurrence, investissement, marchés
publics, environnement."
312 Jean-Marc SIROËN, « l'OMC, une
institution en crise », op.cit., p.73.
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aux contestations externes s'exprimant de manière
inappropriée lors des négociations313. L'on devrait
aussi permettre au Conseil général d'intervenir par voie
d'autorité pour préserver l'intérêt collectif et
assurer la progression des dossiers.
Enfin, la dernière proposition s'inscrit dans la droite
ligne des recommandations faites par Richard BALDWIN dont les
travaux314ont profondément inspiré le Rapport sur le
commerce mondial de 2011. Son analyse est simple mais assez pragmatique.
Puisque le régionalisme est une pratique appelée à durer,
il propose alors de le « multilatéraliser » pour
qu'il soit en phase avec le cadre multilatéral. Il suffirait pour cela
de « lier les grands groupes régionaux entre eux par de
multiples accords, en regroupant les accords bilatéraux pour en faire
des accords plurilatéraux, et en étendant aux autres membres de
l'OMC les préférences contenues dans les nouveaux accords
»315. En guise d'illustration, on peut évoquer les
accords tels que le Partenariat Trans-Pacifique (TPP)316 entre la
zone Amérique et la région Asie-Pacifique ; le Partenariat
Transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI, TTIP ou
TAFTA)317 ou encore les Accords de Partenariat économiques
entre l'UE et la CEDEAO.
Outre, le renforcement du multilatéralisme, il importe
aussi de consolider lien commerce et développement dans les accords de
l'OMC.
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