Organisation mondiale du commerce à l'épreuve de multiples crises. Perspective du système de régulation du commerce international.par Kossi Kafui SAMBOE Université de Lome - Master 2 droit public fondamental 2017 |
B. Une critique axée sur l'idée de l'absence de la démocratieL'OMC suscite la récrimination de certains Etats particulièrement ceux du Sud qui estiment qu'elle est profondément antidémocratique210. Pour le Tiers -monde, le problème clé de l'OMC c'est bien évidemment celui du déséquilibre de pouvoir et le manque de démocratie. Pour démontrer le caractère fondamentalement antidémocratique de la structure OMC, plusieurs raisons peuvent être avancées. D'abord, le choix des négociateurs ne s'est jamais fait sur une base démocratique à l'instar de l'élection211. Ensuite, bien plus condamnable encore, jusqu'à la signature des accords, ces « experts », acquis au catéchisme néolibéral, travaillent dans le secret le plus absolu. Les textes élaborés prennent ainsi l'allure de contrats d'adhésion,212contrevenant ainsi au principe juridique de la libre discussion des clauses entre les parties tout en amoindrissant la portée du principe sacro-saint d'égalité souveraine des Etats en droit international213. Enfin, comme si cela ne suffisait pas, les pays du Sud, en l'occurrence les PMA, ont rarement les moyens financiers et les compétences susceptibles de leur permettre d'engager des procédures, et par conséquent ils sont de facto exclus de celles-ci. Les deux décennies d'existence de l'OMC n'ont toujours pas suffit à rendre inclusif l'accès au règlement des différends comme en témoigne le déséquilibre notoire dans la répartition mondiale des Etats qui saisissent l'ORD214. Ce déséquilibre ne manque pas de susciter régulièrement de l'indignation dans les PED. « C'est dommage et 208 OMC, l'avenir de l'OMC. Relever les défis institutionnels du nouveau millénaire, op.cit., p.34. 209 Chloé MAUREL, Géopolitique des impérialismes, op. cit., p.176. 210 La démocratie repose essentiellement sur la liberté individuelle, la règle de la majorité et le pluralisme. 211 L'élection, peut être définie comme le choix par les citoyens de certains d'entre eux pour la conduite des affaires publiques. Voir Gérard CORNU (Sous la dir.), Vocabulaire juridique, Paris, P.U.F., 1987, p.241. Concrètement, c'est un choix réalisé au moyen d'un suffrage (vote ou approbation) auquel toutes les personnes disposant d'un droit de vote sont appelées à participer. 212 Type de convention dont le contenu est exclusif d'une partie qui en amont en rédige seule les conditions et qui l'impose à l'autre partie. Voir Gérard CORNU (Sous la dir.), op.cit., p.158. 213 Ce principe a depuis été systématisé par la jurisprudence de la CPA, 4 avril 1928, RSA, II, p.838 ; puis consacré par la Charte des Nations Unies en son art. 2 §1 qui déclare que l'organisation « est fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses membres ». De ce principe résulte un autre : « un Etat, une voix ! ». 214 Source : OMC/carte des différends entre membres de l'OMC. Disponible sur www.wto.org. 44 | P a g e décevant que les négociations [à l'OMC] ne soient jamais allées au delà du groupe des sept principales puissances commerciales », fulminait, en 2008, Popane LEBESA, ex-ministre du commerce du Lesotho représentant le groupe africain lors des négociations du cycle de Doha215. Ces propos font échos aux déclarations de Tetteh HORMEKU du Third World Network216 qui affirmait en 2005 que « L'OMC n'est plus un forum de concertation sur le commerce mondial, elle est devenue un instrument de pouvoir entre les mains de puissances économiques qui imposent leurs volontés au monde entier »217. Néanmoins, même s'il est évident que les Etats du Sud sont directement en première ligne de ce front, les critiques n'émanent pas que de leurs rangs. Ces dernières années, l'on entend de plus en plus les critiques qui émergent des milieux d'affaires des pays riches. Selon Jean Luc GREAU, « il n'y a que trois catégories de vainqueurs [du libre-échange] : les pays qui produisent les matières premières, ceux qui ont de faibles coûts de mains d'oeuvre comme la Chine ou l'Inde et ceux qui sont hautement spécialisés dans les biens d'équipement comme l'Allemagne et le Japon. Les pays qui ne font pas partie des trois sont perdants»218. Dans les sphères politiques, l'OMC n'a pas la cote comme l'atteste ces propos de M. LE PEN du Front national, parti d'extrême Droite française qui qualifie le cycle de Doha de « grand marchandage qui ignore même l'existence des Etats de l'Union Européenne »219. Les organisations intergouvernementales n'en sont pas moins concernées. En effet, de plus en plus d'organisations intergouvernementales se voient confrontées à la prééminence de facto des normes de l'OMC. En guise d'illustration, en matière du travail, les normes de l'Organisation internationale du travail (O.I.T) qui est l'une des instances les plus démocratiques du système des Nations Unies n'ont aucun poids devant les décisions de l'OMC. Chloé Maurel montre par exemple que lorsqu'un conflit d'intérêts survient entre un droit fondamental des travailleurs reconnu par l'O.I.T et un intérêt commercial garanti par 215 http://www.nouvelobs.com/economie /20080730.OBS5252/ les-réactions-a-l-echec-des-negociation-au-sein-de-l-omc.html 216 Third World Network est une organisation non gouvernementale et un réseau d'organisations et d'individus engagés dans les causes de l'environnement, du développement et des relations Nord-Sud avec en toile de fond, le problème de la dette du Tiers-monde. 217 Voir http:// www.mondequibouge.be/index.php/2005/11/omc-fondamentalement-non-démocratique. html 218 Jean Luc GREAU, Avenir du capitalisme, Gallimard, 2005, p.303. 219 http:// nouvelobs.com/economie/20080730.OBS5252/ les-réactions-a-l-echec-des-negociation-au-sein-de-l-omc.html. Consulté le 12 0ctobre 2016. 45 | P a g e l'OMC, c'est de facto l'OMC qui obtient gain de cause puisque l'OIT n'a aucun pouvoir de sanction, contrairement à l'OMC220. En définitive, le sentiment général qu'ont les Etats, en l'occurrence ceux du Sud, est qu'il se produit une uniformisation à marche forcée de la mosaïque des modèles de développement que compte le monde vers un modèle unique qui est le système libéral de l'économie de marché et ce sans aucun égard à la souveraineté étatique ni aux processus démocratiques. Mais si la contestation des entités gouvernementales paraît de plus en plus affirmée, elle ne l'est pas moins des critiques économiques et sociales. |
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