SECTION II :...ÀL'ENVOI DES UNITES
CONSTITUEES SUR LE THEATRE DES OPERATIONS
La participation du Cameroun dans les conflits en Afrique,
s'inscrit dans une perspective aujourd'hui suffisamment routinière et
ritualisée qu'elle semblerait apparaitre comme une institution. Dans
certains cas de figure, cette contribution est proche du symbole dans le sens
où elle se limite à un envoi au minima des forces en vue de la
simple représentativité ; tandis que dans d'autres cas, les
plus nombreux, elle s'inscrit dans une logique majoritaire dans laquelle le
Cameroun, du moins, ses forces armées et sa police arrivent à
jouer un rôle déterminant ; c'est-à-dire structurant.
Les cas des crises en RCA (A) et en RDC (B) l'attestent à suffisance.
A - le cas de la crise centrafricaine
Le simple prononcé de la crise centrafricaine renvoie
dans les imaginaires, à une situation de
« désordre » politique et constitutionnel qui
s'est enracinée depuis la période des indépendances. Dans
ce pays, les changements anticonstitutionnels de gouvernement par le truchement
des coups d'Etats sont devenus légions. Il va s'agir dans cette
perspective d'analyse et d'étude de la stratégie camerounaise de
gestion des conflits, de rappeler davantage ces situations ou épisodes
de conflits ou crise en RCA (1), avant d'en préciser l'essence
même de cette contribution (2).
1. De la rétrospective sur les crises politiques
en République centrafricaine...
La RCA est la cible depuis des années de groupes
rebelles et de bandes de pillards venus des pays voisins (Tchad, Soudan,
Ouganda, RD Congo notamment). La situation s'est à tel point
dégradée ces dernières années que l'on parle
désormais d'Etat failli. La RCA, l'un des pays les plus pauvres au
monde, dispose de ressources naturelles largement inexploitées et ne
revêt pas de réel intérêt stratégique, ce qui
a autorisé son effondrement progressif.
Le 24 mars 2013, la Séléka, une coalition de
groupes rebelles venus du Nord de la République centrafricaine mais
comptant des combattants à la fois centrafricains, tchadiens et
darfouris, prenait le pouvoir, renversant le président François
BOZIZE. Les motivations de la Séléka ont pris un tour religieux
depuis le mois de septembre dernier lorsque des milices chrétiennes se
sont formées en réaction à ses exactions. Le
président de transition que la Séléka a porté au
pouvoir, Michel DJOTODIA, a dissous le mouvement à la suite des
exactions commises par les membres des différentes forces qui le
composaient. Mais les bandes armées semant la terreur dans les rues de
la capitale sont toujours légion, leur capacité de nuisance
n'ayant pas été altérée par leur intégration
à ce que le gouvernement de transition présente comme les
nouvelles forces de sécurité centrafricaines. Michel DJOTODIA
joue lui-même un jeu trouble, à la fois débordé et
tenu en respect par les bandes de pillards qui l'ont placé au pouvoir.
Les autres responsables politiques en poste à l'époque de la
prise de pouvoir de DJOTODIA ont été laissés en place,
notamment le premier ministre Nicolas TIANGAYE, et sont aujourd'hui visiblement
dépassés par une situation qui ne fait qu'empirer et qu'ils n'ont
pas activement combattue.
Face à la dégradation de la situation, la France
a soumis une proposition de résolution au Conseil de
sécurité des Nations unies visant à renforcer la Mission
Internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA), force africaine
présente en RCA. Cette résolution autorise également la
France à soutenir la MISCA militairement, avec la possibilité que
cette dernière devienne ultérieurement une force onusienne si les
soldats africains ne devaient pas parvenir à gérer la situation.
La MISCA renforcée doit se déployer pour une période de
douze mois, révisable au bout de six mois, et aura un mandat
l'autorisant à recourir à la force, un mandat de chapitre VII de
la Charte des Nations unies.
Le premier ministre centrafricain, Nicolas TIANGAYE,
interlocuteur principal de la communauté internationale depuis le
début de la crise et interface avec le président DJOTODIA, avait
lui-même appelé à un vote donnant à la MISCA et son
appui français un mandat de chapitre VII. Figure militante de la
défense des droits de l'homme en Centrafrique, M. TIANGAYE semble
espérer une sortie de crise orchestrée par la communauté
internationale. La résolution 2127 a été votée
à l'unanimité par le Conseil de sécurité le 5
décembre 2013. Un conseil de défense a été tenu en
France le même jour, à l'issue duquel François Hollande a
annoncé l'envoi immédiat des troupes visées par la
résolution onusienne. Il s'agit ici pour la France d'appuyer une force
déjà existante et non d'entrer en premier, ce qui fait une
différence notable avec l'opération Serval au Mali.
L'ONU a menacé de sanctions certains membres de
l'ex-Séléka, dont son numéro deux et homme fort,
Noureddine Adam. Un embargo sur les armes à destination de Bangui fait
également partie de la résolution.
Le nom donné à l'opération
française en Centrafrique, lancée le 5 décembre, est
Sangaris. Cette opération est dirigée par le
général Francisco Soriano et les troupes qui la composent ont
été déployées très rapidement. Les troupes
françaises ont en effet déjà atteint 1.600 hommes et
doivent se stabiliser à ce chiffre pour demeurer sur place
jusqu'à ce que la mission soit remplie. Lors d'une conférence de
presse en marge du sommet sur la paix et la sécurité en Afrique
samedi dernier, François Hollande a annoncé que la mission
première des troupes françaises serait de désarmer les
milices et de rétablir la sécurité pour permettre la tenue
d'élections libres.
Dès l'annonce du déploiement de renforts
français pour épauler la MISCA, de nombreux
ex-Séléka avaient quitté Bangui. La situation à
Bangui semble plus calme depuis samedi matin, la présence des
Français dans la ville dissuadant les groupes de s'affronter dans le
centre-ville. Mais les violences et massacres continuent dans les faubourgs
populaires de Bangui, les soldats français doivent donc maintenant
ramener l'ordre dans ces quartiers. Les troupes françaises ont entrepris
ces derniers jours de se déployer hors de Bangui, notamment à
Bossangoa, ville du Nord du pays très touchée par les
affrontements. Lors du mini-sommet sur la situation en Centrafrique le 7
décembre, en marge du sommet sur la paix et la sécurité en
Afrique qui se tenait à Paris, le président français a pu
s'entretenir avec ses partenaires sur le dossier. Se trouvaient notamment
à ce mini-sommet BAN KI-MOON, le premier ministre centrafricain Nicolas
TIANGAYE et les dirigeants des pays voisins. Le Secrétaire
général de l'ONU a à cette occasion chaleureusement
salué l'implication de la France dans la réaction internationale
face à la crise.
De leur côté, les partenaires africains de la
France dans cette opération font montre d'un volontarisme certain. La
MISCA compte 2.500 hommes venus des pays voisins (Gabon, Cameroun, Congo et
Tchad) et doit être portée à 3.600 soldats africains,
épaulés par un millier de soldats français, dans les
prochaines semaines. Il a même été annoncé que la
force africaine coordonnée par l'UA devrait atteindre 6.000 hommes, ce
qui semble être un objectif de plus long terme.
La France a obtenu le soutien de l'Union européenne,
Hermann VAN ROMPUY ayant notamment témoigné son adhésion
à l'action française. L'UE a également annoncé
qu'elle entendait soutenir la MISCA, notamment financièrement. Le
déploiement du Battle group européen aurait
également été évoqué dans les discussions
mais ne serait pas à l'ordre du jour, la France n'ayant pas
sollicité une telle aide. Le Royaume-Uni va de son côté
fournir des avions de transport militaire pour soutenir l'intervention
française. L'Allemagne a également proposé son aide
à la France en matière de transport aérien.
Les Etats-Unis sont très réticents au possible
basculement de la mission en force de maintien de la paix de l'ONU,
considérant que les forces africaines de la MISCA pourront gérer
seules la situation, dans une logique affichée de sécurisation de
l'Afrique par les Africains. Mais le Secrétaire général de
l'ONU Ban Ki-moon a fait part de ses préoccupations, affirmant que 6.000
à 9.000 hommes correctement entraînés et
équipés seraient nécessaires pour ramener la situation
sous contrôle.
Les affrontements entre chrétiens et musulmans,
essentiellement dans la partie Nord du pays, sont très violents et ont
fait des milliers de morts et des dizaines des centaines de milliers de
déplacés (un dixième de la population centrafricaine selon
les dernières estimations). La situation sécuritaire est telle
que les journalistes ne sont plus autorisés à s'y rendre ; les
comptes rendus concernant cette partie du pays émanent donc d'ONG de
défense des droits de l'homme telles que HumanRights Watch. Les milices
d'auto-défense chrétiennes, appuyées par une partie des
anciennes forces armées demeurées fidèles au
président BOZIZE, disposent aujourd'hui des mêmes armes que la
Séléka et les combats entre les groupes paramilitaires sont
extrêmement violents.
A Bangui, la situation est également très
tendue, des pick-up transportant des combattants de groupes difficilement
identifiables paradant et semant la terreur dans la ville. Les restes des
forces loyales à l'ancien président BOZIZE, alliées avec
les milices chrétiennes, s'opposent notamment aux combattants de
l'ex-Séléka. Les centaines de corps jonchant les rues de Bangui,
évacués par la Croix Rouge, témoignent de ces combats
à l'arme lourde. La crainte est qu'une insurrection
générale ait lieu à Bangui contre
l'ex-Séléka, avec pour résultat des pogroms contre la
population musulmane considérée par les chrétiens comme
proche et complice de la Séléka. Les agences des Nations unies se
sont dites particulièrement préoccupées par la
dégradation de la situation humanitaire en Centrafrique, qui pourrait
entraîner davantage encore de déplacements de population et une
aggravation du chaos ambiant.
L'Etat centrafricain ne survit depuis mars que grâce
à l'aide très substantielle fournie par la République du
Congo de Denis SASSOU NGUESSO, et un redressement même relatif de la
situation d'ici aux élections générales annoncées
pour 2015 semble très improbable. La situation sécuritaire
empêche la plupart des ONG humanitaires qui étaient
précédemment présentes d'oeuvrer en Centrafrique. Les deux
dernières qui sont restées sont MSF et le CICR, ce qui est
insuffisant pour faire face à la crise.
Des ONG de défense des droits de l'homme comme
HumanRights Watch font état depuis plusieurs mois, d'attaques et de
pillages systématiques contre des villages, notamment au Nord, et du
recours par les bandes armées à des enfants de moins de 15 ans
pour des tâches diverses en lien avec les attaques (transporter le
matériel, les armes, participer aux attaques, etc.). De nombreuses mises
en garde ont été lancées par ces acteurs pour
prévenir de la possibilité de la mutation du conflit en guerre
interreligieuse et de la sanctuarisation terroriste de la partie nord du
territoire, ce qui semble une menace réelle. Les razzias visant les
populations villageoises, principalement les non-musulmanes, ainsi que les
pillages et agressions sont en effet très fréquents. Les forces
de sécurité et les représentants des autorités
étatiques et locales sont inexistants, faisant de la RCA une zone de
non-droit où le chaos ne trouve aucune entrave.
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