WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Processus d'autonomisation des jeunes pris en charge au titre de l'ase et accès aux droits


par Clément Reussard
Askoria (Rennes) - Diplôme d'Etat d'Educateur Spécialisé 2014
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2. Soutien à l'autonomie et accès aux droits : une contradiction ?

a) L'autonomie : éléments de définitions

Etymologie

L'autonomie du grec auto, soi-même, et nomos, pourrait être définie d'un point de vue étymologique et juridique comme la capacité à se forger ses propres lois, ses propres règles, ses propres valeurs106. C'est également de cette façon que François de Singly définit cette notion puisque, pour lui, il s'agit de la « capacité d'un individu de se donner lui-même sa propre loi, ses propres règles de conduites107 ».

L'autonomie relève donc d'une « liberté intérieure qui est mobilisée dans une capacité à choisir sans se laisser dominer par certaines tendances naturelles ou collectives, ni se laisser dominer de façon servile par une autorité extérieure108 ». Ainsi, l'autonomie renvoie à l'idée que l'individu se donne lui-même ses propres règles, elle est considérée comme une perception positive de soi vers laquelle l'individu tend. C'est une catégorie de l'identité qui implique que l'individu doit participer le plus possible dans l'élaboration de « son monde », de l'univers dans lequel il vit109.

Dans cette conception, l'autonomie n'est pas naturellement acquise : elle se construit dans l'éducation, d'où le terme d'autonomisation qui en souligne la dynamique.

Un processus dynamique

Cela induit selon moi le principe d'un processus que l'on acquiert tout au long de la vie. A ce titre, Edouard Durand souligne que cette acquisition de l'autonomie s'opère parallèlement au développement de l'être humain : « L'étymologie du mot enfant (infans : celui qui ne parle pas) ne laisse place à une quelconque autonomie. En revanche, celle du mot adolescent (adolescere : grandir) signale davantage le processus de construction de la personnalité auquel l'accès à l'autonomie semble pouvoir prendre part110 ». Irène Théry, sociologue, considère quant à elle que si « l'homme est par essence un être libre, il ne le devient véritablement qu'en accomplissant le processus éducatif qui le fait accéder à l'autonomie et à la responsabilité111. »

L'autonomie via autrui

L'autonomie ne se construit pas toute seule dans son coin. L'être humain, être social par excellence, a toujours besoin d'autrui pour s'exprimer, se réaliser, se comparer, se comprendre,

106 Picard A., « Le concept d'autonomie et l'épreuve des décisions de santé relatives aux mineurs » in Les paradoxes de l'autonomie sous la direction de Guillaume Nemer, Le sociographe, hors-série n°6, 2013.

107 De Singly F., « penser autrement la jeunesse », Lien social et Politique, n°43 83, 2000, p.13.

108 Ramos E., « Autonomie, indépendance et entrée dans l'âge adulte », in Accompagner les jeunes vers l'autonomie dans le dispositif ville, vie, vacances, Recherche-action effectuée avec la DDCS du Maine et Loire et quatre opérateurs du dispositif Résovilles, 2012, p.33-34.

109 Ibid., p.24

110 Durand E., « L'autonomie de l'enfant. Construire un passé positif », in Les paradoxes de l'autonomie sous la direction de Guillaume Nemer, Le sociographe, hors-série n°6, 2013, p.83.

111 Théry I., Le démariage, Odile Jacob, 1989, p.342.

36

s'identifier. C'est pourquoi Elsa Ramos, sociologue, dit du concept d'autonomie qu'il semble donc « être de nature à rendre compte de la capacité, théorique et pratique, de l'homme à prendre une décision responsable, sans pour autant faire abstraction de l'autre112 ».

François de Singly dit d'ailleurs que « c'est par la médiation d'autrui que l'individu peut être, peut avoir la sensation d'être lui-même113 ». Ainsi, pour devenir lui-même, le jeune a besoin du regard de personnes à qui il accorde de l'importance et du sens, ce que Mead appelle les « autrui significatifs ». Mead définit un autrui significatif comme « une personne qui entoure concrètement, spatialement, et affectivement, l'enfant ; il est celui par qui passe une part de sa définition propre et qui se trouve, pour cette raison, investi d'une importance singulière, celle d'un autrui qui compte dans le processus de socialisation114. » Acquérir la validation des « autrui significatifs » permet de « grandir » au sens d'affirmer sa réalité même si celle-ci n'est pas toujours semblable à celle des proches auxquels les jeunes vouent leur confiance. Ainsi, « ils acquièrent progressivement une définition de partenaires et d'égaux, et c'est à travers cette redéfinition que les jeunes pourront tendre à se définir eux-mêmes en tant que personne et à se définir comme responsables de leur propre vie115 ».

La distinction entre autonomie et dépendance

Elsa Ramos rappelle l'importance de distinguer les notions de dépendance et d'autonomie. « L'indépendance se définit à partir de catégories objectives : c'est un état dans lequel se trouve l'individu lorsqu'il dispose de ressources suffisantes pour gérer sa vie sans le soutien financier et matériel parental. D'une certaine façon, c'est une définition statutaire que le jeune acquiert : être indépendant de ses parents, avoir un travail, avoir une famille. Cependant, on ne peut réduire l'autonomie à l'indépendance : les adolescents, les jeunes adultes chez leurs parents malgré la cohabitation et un degré plus ou moins fort de dépendance avec leurs parents peuvent se déclarer adulte et/ou autonome, et il s'agit aussi de comprendre ces déclarations. « Etre dépendant » ne signifie pas nécessairement ne pas être autonome, ne pas être adulte116. » Les jeunes pris en charge au titre de l'ASE sont parfois relativement indépendants de leurs parents, mais pas de l'institution. Notons donc que leur situation d'indépendance relative vis-à-vis de leurs parents n'en fait pas forcément des individus autonomes.

112 Ramos E., Op. Cit., p.24.

113 De Singly F., Sociologie de la famille contemporaine, Nathan, 1993.

114 Mead G. H., L'esprit, le soi et la société, PUF, 2006.

115 Ramos E., Op. Cit., p.27.

116 Ibid., p.24.

37

b) Un constat : l'injonction (paradoxale) à l'autonomie (financière) des jeunes majeurs

Une injonction paradoxale...

Pauline Girardot le souligne bien, « l'APJM conduit à une réelle injonction à devenir rapidement autonome117 ». Cette injonction à l'autonomie relève pourtant un caractère paradoxal, à deux niveaux. D'une part, « Les professionnels ont conscience de la pression exercée sur les jeunes et du cadre contradictoire dans lequel ils se trouvent : rendre le jeune autonome plus rapidement que d'autres jeunes alors même qu'il est pris en charge par l'ASE.118 » D'autre part, ce cadre est particulièrement contradictoire jusque dans sa nature même, puisqu'il relève d'une pratique contractuelle. Or, comme le souligne Pauline Girardot, « le contrat inhérent à la mesure ne permet pas cette autonomie puisqu'il introduit nécessairement une dépendance institutionnelle119 ». Guy Hardy, thérapeute familiale, reprend la notion de double-lien pour comprendre l'injonction paradoxale120, c'est-à-dire une injonction qui contient deux affirmations qui se contredisent (exemple : « sois spontané ! »). « Exiger des jeunes d'être autonome, au travers d'un contrat de prise en charge physique constitue une injonction paradoxale. L'injonction est « je veux que tu veuilles être autonome ». Demander à quelqu'un qu'il devienne ce qu'on souhaiterait qu'il devienne est d'emblée voué à l'échec.121. » C'est un peu ce que dit en d'autres termes Paul Fustier, qui relève un caractère paradoxal à la pratique éducative. « On pourrait la formuler ainsi : pour qu'il y ait effet de changement, ou effet thérapeutique, il faut qu'il n'y ai pas de thérapie. C'est à la condition que celle-ci soit absente qu'elle peut manifester sa présence122. » Pour lui, « On ne rééduque que celui dont on pense qu'il n'a pas besoin de l'être123 ».

...à une autonomie préconstruite et avant tout financière

Comme le souligne Céline Jung, « l'objectif affiché par les professionnels de la protection de l'enfance est l'accession à l'autonomie. En réalité cette autonomie fait partie des compétences pré-requises, et l'objectif à atteindre est une autonomie financière vis-à-vis des services sociaux124. » En effet, Juliette Petit-Gats observe quant à elle que le CJM se situe « entre le danger encouru en cas d'arrêt de la prise en charge et les injonctions à l'autonomie125. » Les projets des jeunes sont donc centrés sur cette question, « sur les moyens les plus rapides pour stabiliser la situation financière

117 Girardot P., Op. Cit., p.34.

118 Ibid.

119 Ibid., p.29.

120 Hardy G., S'il te plait ne m'aide pas I L'aide sous injonction administrative ou judiciaire, Ed. Erès, 2012.

121 Girardot P., Op. Cit., p.29.

122 Fustier P., L'enfance inadaptée, repères pour des pratiques, presses universitaires de Lyon, 1983, p.19.

123 Ibid., p.20.

124 Jung C., Op. Cit., p.151.

125 Guimard N., Petit-Gats J., « Ecrits de jeunes en quête de statut », Recherches familales, 2010/1, n°7, p.115125.

38

(formation courtes) sans poser la question du projet de manière plus générale126. » Au final, ce « projet qui doit permettre au jeune de décider pour lui, d'être acteur, d'être au centre de la relation, semble prédéfini, et laisse peu de place aux aspirations personnelles. [...] Ce projet clé en main laisse peu de place à l'expérimentation et à une évolution, et semble favoriser une certaine reproduction sociale127. » Celine Jung regrette que « le principe de réalité est imposé sans que les jeunes puissent en faire leur propre apprentissage128 » et que « souvent cantonnés dans des trajectoires prédéterminées, une partie des jeunes est confrontée à des échecs menant à une fin de mesure129 ». Finalement, il semble que l'enjeu soit moins de réussir un « projet » que de s'affranchir de l'aide sociale facultative.

c) Accompagner vers l'autonomie et l'accès aux droits : la prise en compte du sujet

On l'a vu, être autonome, c'est être capable de décider seul, face à une situation donnée. Mais cette aptitude à prendre des décisions ne signifie pas la négation de l'autre. Pour Maëla Paul, docteure en science de l'éducation, « l'essentiel est que la personne concernée ait le sentiment que c'est elle, et pas une autre, qui se détermine, même si le choix qu'elle adopte consiste à suivre une obligation, dont on dira alors qu'elle est assumée. Être autonome, c'est alors être capable d'analyser la situation, d'inventorier les obstacles, d'envisager des solutions, de repérer des moyens et de faire des choix d'action, avec et en présence d'un autre.130 »

Dans le même temps, on peut considérer comme contraire à l'autonomie « le fait de suivre des modèles tout faits, d'obéir sans réflexion à des injonctions ». Il en résulte que « l'autonomie des jeunes ne peut trouver de seule réponse dans la simple qualification professionnelle mais réside plus largement dans celle de la participation citoyenne, autrement dit le pouvoir d'agir dans un environnement donné131 ». Selon cette conception, « la tâche d'un accompagnant serait de faciliter la distanciation : car, en créant de l'extériorité, il aide une personne à « sortir » de la situation dans laquelle elle est prise. Plus on diversifie les modalités de décentration et d'aide à la prise de conscience, plus on facilite l'intégration d'une posture intérieure de prise de recul et d'analyse de son propre fonctionnement, à la base de l'autodétermination (capacité à prendre librement ses propres décisions), l'autoréférenciation et l'autorégulation (capacité à utiliser et adapter ses ressources en cours d'expérience) 132 ».

Maëla Paul insiste donc sur le rôle à jouer des professionnels censés soutenir les jeunes dans leur accès à l'autonomie : « On ne saurait concevoir que les professionnels accompagnant, quelles que soient leurs structures, puissent exercer leur fonction sans développer un regard critique sur ce qu'ils

126 Jung C., Op. Cit., p.84.

127 Ibid., p.96.

128 Ibid., p.151.

129 Ibid.

130 Paul M., « Ce qu'accompagner veut dire », in Accompagner les jeunes vers l'autonomie dans le dispositif ville, vie, vacances, Recherche-action effectuée avec la DDCS du Maine et Loire et quatre opérateurs du dispositif Résovilles, 2012., p.34.

131 Ibid., p.34.

132 Ibid.

39

font quand ils disent « accompagner les jeunes », au regard de la commande inscrite dans des dispositifs d'accompagnement. Car c'est cette dimension de réflexivité et de critique qui est éminemment émancipatoire. Elle soulève avec elle les insatisfactions et les préoccupations des acteurs, contribue à ce qu'ils en rendent compte et, par là, modifie leur rapport à la réalité sociale en même temps qu'elle les inscrit dans le monde. [...] C'est qu'on ne saurait accompagner des jeunes pour devenir acteur sans se positionner soi-même en tant que professionnel dans un monde social, en s'y adaptant mais aussi en le modifiant133 ». Rolland Janvier dit d'ailleurs qu'il « en va aussi de notre engagement d'acteurs sociaux à développer, auprès des personnes accompagnées, la connaissance du droit, la reconnaissance des capacités propres à chacun et la mise en oeuvre démocratique des lieux d'accueil où espace public et espace privé cohabitent134. »

L'accès aux droits comme soutien au processus d'autonomisation

Un accès aux droits nécessaire et légitime :

Rappelons le, la situation des jeunes sortants de la Protection de l'Enfance est spécifique à bien des égards du fait du peu de soutien familial et amical dont ils disposent souvent et d'une histoire familiale qui les a fragilisés. L'histoire institutionnelle des jeunes dans leur parcours de prise en charge n'est également pas neutre pour leur trajectoire d'insertion. Les pouvoirs publics qui ont assumé les actions de suppléance familiale à leur égard ont bel et bien une responsabilité particulière envers eux pour préparer et accompagner leur départ.

La question du soutien au passage à l'âge adulte des jeunes sortants interroge à ce titre la relation entre droit commun et droit spécifique. Elle « met en tension le risque d'aboutir à des réponses insuffisantes et partielles ou au contraire le risque d'aboutir à des pratiques d'aide massives qui peuvent se révéler stigmatisantes. Pour résoudre cette tension, on peut concevoir ce soutien spécifique pour les jeunes issus de dispositifs de protection de l'enfance, ou accueillis dans ce cadre à leur majorité, comme transitoire, palliatif à une évolution du droit commun en direction de l'ensemble des jeunes en difficultés135, tout en s'assurant que les difficultés spécifiques des jeunes issus de dispositifs de protection de l'enfance soient adéquatement prises en compte dans le droit commun. En effet, si les besoins des jeunes issus des dispositifs de protection de l'enfance ne trouvent pas de réponses suffisantes dans le droit commun, ils doivent pouvoir bénéficier d'une aide spécifique, sans pour autant être stigmatisés136 ».

133 Paul M., Op. Cit., p.36.

134 Janvier R., Matho Y., Mettre en oeuvre le droit des usagers dans les établissements d'action sociale, Dunod, 2002, p.21.

135 La proposition 16 du Livre Vert de la commission de concertation sur la politique de la jeunesse parle de « refonder les mesures existantes et de créer une mesure de protection dont le pilotage pourrait être assurée par le Conseil général et la responsabilité partagée entre le Conseil général et l'Etat. [...] Cette mesure serait accessible à tous les jeunes sans ressource et sans soutien familial, qu'ils aient ou non fait l'objet d'une mesure éducative ou de protection judiciaire ou administrative pendant la minorité

136 Rapport de l'ONED, Op. Cit., p.12.

40

Tant que le droit commun ne répondra pas dans une optique d'aide universelle à l'ensemble des besoins des jeunes sortants des dispositifs de protection de l'enfance, le maintien d'un dispositif transitoire et palliatif est plus que nécessaire. En attendant, l'ONED rapporte qu' il est « important de renforcer le droit commun en faveur des jeunes de moins de 25 ans sans soutien familial et en situation de grande précarité, dans l'intérêt de tous, y compris dans celui des jeunes sortants de la protection de l'enfance137. »

Le savoir est un droit, leur droit est de savoir...

Pour aider les jeunes à prendre connaissance des droits qu'ils peuvent solliciter, je recommande l'ouvrage d'Hélène Dubouis, Les jeunes dans la société138. L'éditeur de l'ouvrage fait remarquer à juste titre dans son introduction que « Du couple droits-obligations, ce sont souvent les obligations des citoyens vis-à-vis de la Nation qui sont mis en avant. Les droits des citoyens doivent être également connus et respectés. [...] La loi est devenue complexe et sa connaissance monopolisée par les « professionnels du droit ». Cette distance oblige les citoyens à toujours se placer en « demandeurs » de leurs droits. Le fossé s'est creusé entre les principes fondamentaux de la solidarité nationale, toujours affirmés par le monde politique, et la réalité de la vie des citoyens. Or, si la solidarité nationale s'est réduite au fil des aléas politiques, les droits continuent de devoir être honorés. »

L'ouvrage explique en des termes simples, les différents dispositifs et les différentes aides de droit commun, auxquels les jeunes peuvent avoir recours en termes de logement, de santé, d'emploi, etc. pour pallier aux difficultés qu'ils peuvent rencontrer. Des dispositifs qui peuvent être des appuis provisoires dans leur processus d'autonomisation en l'absence de soutien familial.

Un accès au droit qui n'est pas une fin en soi :

Toutefois, l'accès aux droits des jeunes majeurs pris en charge par l'ASE n'est pas une fin en soi. Certes, elle est souvent nécessaire et légitime, pour autant, il convient de ne pas enfermer ces usagers dans une situation d'assistance et de dépendance qui ne permet pas la mobilité sociale. Comme le remarque Rolland Janvier, « ce serait tomber dans le piège de créer une catégorie à part de citoyens susceptible de réclamer des droits particuliers du fait de leurs difficultés. Cette logique serait à l'encontre de tout projet d'intégration sociale des personnes marginalisées, en rupture sociale, ou en voie de l'être139. » C'est pourquoi il faut réfléchir à comment mobiliser l'usager. Rolland Janvier croit à la transformation de l'usager-roi en l'usager-sujet : « L'usager-roi, c'est l'individu-problème déguisé en citoyen, c'est une parodie d'égalité de droits qui cache une discrimination. C'est la négation de la dimension politique de tout acteur social et, dans ce cas, de la dimension politique des personnes en difficultés. L'usager-sujet c'est la combinaison de l'autonomie de l'individu et de sa transcendance citoyenne. L'individu est une entité originale, jouissant d'une capacité créatrice singulière. Cependant,

137 Rapport de l'ONED, Op. Cit., p.35.

138 Dubouis H., Les jeunes dans la société, Edition des citoyens, 2011.

139 Janvier R., Matho Y., Mettre en oeuvre le droit des usagers dans les établissements d'action sociale, Dunod, 2002, p.23.

41

il ne peut être réduit à cette seule dimension. La dimension citoyenne vient traverser la particularité individuelle en la reliant à ce qu'il y a de commun entre les hommes, à ce qui fait sens dans une vie en société. Nous jouissons également d'une capacité créative collective. Refuser de chosifier l'usager par l'artifice de droits réducteurs, c'est faire le pari qu'il est possible de combiner l'individuel et le collectif c'est restaurer une dimension politique.140 »

La place du jeune dans la quête de sa propre autonomie

Rolland Janvier clame qu'il faut que les institutions « cherchent à se définir non plus par le plein mais par le vide, c'est-à-dire aux espaces qu'elles laissent ouverts afin de donner une chance aux usagers de conserver, voire de conquérir, les places qu'ils peuvent occuper dans leur fonction sociale. Dans cette démarche, le cadre institutionnel est un atout car il structure la prise en charge et permet de repérer ce qui est possible ou non141. » Il s'agit bien là de mobiliser les ressources de l'usager pour qu'il soit l'acteur de son accès à l'autonomie. Toutefois, il convient au préalable de réfléchir à mettre en place des conditions qui peuvent permettre cela. Il faut notamment penser à : comment informer le jeune, et quels supports lui donner pour qu'il puisse être capable de se mobiliser seul à la fin de sa prise en charge qui, rappelons-le, intervient au plus tard à ses 21 ans. D'après Reynald Brizais, « une des conditions pour être autonome est d'identifier le pourvoyeur potentiel qui peut répondre à son besoin. La condition suivante sera d'être capable d'entrer en contact avec celui-ci142 ». C'est pourquoi il faut que les jeunes soient capables de pouvoir situer les ressources dont ils peuvent se saisir sur leur territoire. C'est quelque chose qui doit être travaillé durant leur prise en charge.

Pour résumer, c'est bien l'avenir d'un individu inscrit dans la société qui se pose. Or Guimard et Petit-Gats soulignent que « pour pouvoir maîtriser son avenir, se projeter, anticiper, prévoir, il faut avoir une certaine maîtrise du temps et ne pas être dans l'urgence d'un besoin143 ». De plus, l'individu doit pour cela avoir suffisamment de supports, définit par Castel et Haroche comme « la capacité de disposer de réserves qui peuvent être de type relationnel, culturel, économique, etc. et qui sont les assises sur lesquelles peut s'appuyer la possibilité de développer des stratégies individuelles »144. Pour ces auteurs les supports permettent ainsi à l'individu de « développer des stratégies personnelles, de disposer d'une certaine liberté de choix, dans la conduite de sa vie parce que l'on n'est pas dans la dépendance d'autrui »145.

140 Ibid., p.174.

141 Ibid., p.167.

142 Brizais R., « l'Autonomie en question », intervention à l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE) de Loire-Atlantique,

2003.

143 Guimard N., Petit-Gats J., Op. Cit., p.14.

144 Castel R., Haroche C., Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi : entretiens sur la construction de l'individu moderne, Fayard, 2001.

145 Ibid.

d) Les préconisations de l'ONED... qui coïncident avec mes observations de terrain L'ONED établit plusieurs recommandations dans son rapport sur les jeunes majeurs146. Ces recommandations coïncident très fortement avec les questionnements qu'avaient suscités les situations de Yasmine, Gaëlle, Abu et Ajmal.

Les préconisations générales de l'ONED :

? Concevoir le passage à l'âge adulte comme un parcours marqué par la date symbolique et juridique des 18 ans mais qui se prépare en amont dès 16 ans et peut s'échelonner au-delà de 21 ans.

Ceci afin d'éviter dans les dispositifs les effets de seuils et d'évictions ainsi que les ruptures brutales de prise en charge et de permettre une plus grande cohérence et continuité des parcours en laissant plus de temps aux jeunes pour construire leurs trajectoires d'insertion. Cette préconisation est largement partagée par les jeunes interrogés qui regrettent d'avoir été peu préparés à la vie d'adulte et d'avoir effectué des choix à court terme, notamment concernant la formation, faute d'aides au-delà de 21 ans. ? Etablir des passerelles entre droit commun et droit spécifique tout en maintenant un accent

éducatif spécifique pour les jeunes sortants de la protection de l'enfance et en adaptant les

dispositifs de droit commun aux besoins spécifiques des jeunes sortants.

Toujours dans un souci de cohérence, le groupe de travail recommande de fédérer les ressources sur un territoire en direction des jeunes en articulant les dispositifs de droit commun et les dispositifs de droits spécifiques, le dispositif de droit commun étant conçu comme premier et celui de droit spécifique comme subsidiaire ou complémentaire au droit commun quand celui-ci se révèle insuffisant. Par cette articulation, il s'agit de rendre disponibles les ressources à l'ensemble des jeunes sur le territoire, de garantir la lisibilité des dispositifs et de proposer une approche globale.

A mon grand étonnement, ces recommandations font échos à ce que j'avais pu observer sur le terrain, et répondent presque point par point aux pistes d'action que j'avais en tête quant au projet que je souhaiterais impulser sur le service extérieur.

42

146 Rapport de l'ONED, Op. Cit., p.16-19.

43

Projet

1. Qu'est-ce qu'un projet éducatif spécialisé ?

Définitions

Le projet est une projection dans l'avenir rendue possible par nos connaissances, nos observations et nos analyses de situations passées. Jacques Papay définit le projet comme « une représentation construite de quelque chose que l'on veut faire, sur la base de données multiples concourant à l'évaluation des situations considérées et proposant des hypothèses de compréhension et d'action pour atteindre des objectifs préalablement définis147 ». De plus, il a une finalité qui est d'impacter positivement les personnes qu'ils ciblent. C'est pourquoi, « un projet doit prendre appui sur l'expérience de l'individu qui apprend à mobiliser ses savoirs, ses émotions, ses croyances, et ses valeurs dans un objectif favorable à l'accomplissement de lui-même148. ».

Méthodologie

Le projet représente un processus, une démarche méthodologique, organisé généralement en quatre étapes. Dans un premier temps, un diagnostic est réalisé de manière à pointer la finalité de celui-ci. Dans un deuxième temps, il s'agira de proposer des axes de travail à partir d'objectifs généraux puis opérationnels. La troisième étape décrit la mise en place des actions éducatives. Enfin la dernière étape correspond à évaluer le projet de manière à pouvoir réajuster les actions réalisées.

2. Diagnostic

Il s'agit de synthétiser ici ce qui a été évoqué plus haut dans notre travail d'analyse.

Cadre législatif

La loi du 2 janvier 2002 indique que « l'action sociale et médico-sociale repose sur une évaluation continue des besoins et des attentes des membres de tous les groupes sociaux [...]. L'action sociale et médico-sociale est conduite dans le respect de l'égale dignité de tous les êtres humains avec l'objectif de répondre de façon adaptée aux besoins de chacun d'entre eux et en leur garantissant un accès équitable sur l'ensemble du territoire149 ».

Ainsi, pour Papay, les lois témoignent de nouvelles orientations législatives qui « ont pour objectifs l'intégration et l'inclusion sociale avec comme finalité ultime la participation au monde social150 ». Le projet éducatif doit alors contribuer à atteindre ces finalités.

147 Papay J., DC 2 Conception et conduite de projet éducatif spécialisé, Dunod, 2010, p. 2.

148 Bernatet C., Oser réussir l'insertion, Les Editions de l'atelier, 2005, p.135.

149 Code de l'Action Sociale et des Familles, Dalloz, 2010.

150 Papay J., Op. Cit., Dunod, 2010, p.8.

44

Objectifs du service

La mise en place d'un projet ne peut être développée sans la prise en compte des objectifs que se donne le service auprès des jeunes accueillis. Ils sont résolument tournés vers l'accès à l'autonomie. Ainsi, le projet d'établissement de la MDC résume que « le passage en appartement de proximité est une étape importante de la préparation à la vie autonome. Cette forme de suivi a comme objectif de poser des apprentissages sociaux151 ». Toutefois, les méthodes d'accompagnement pour y parvenir sont peu étayées du fait de l'absence d'un projet de service.

Le désir des usagers

De ce que j'ai pu observer pendant mon stage, c'est que les jeunes accueillis sur le service expriment pour la plupart ce désir d'autonomie. Ils souhaiteraient ne plus dépendre de la MDC, ou comme le dit Gaëlle : « ne plus avoir d'éducateurs sur le dos ». Ils sont souvent pressés de prendre leur envol dès que les conditions de cet envol deviennent favorables.

Un contexte social difficile

Les conditions de passage à la vie adulte sont rendues difficiles par les conditions d'accès au marché de l'emploi. Elles le sont d'autant plus difficiles pour les jeunes accueillis au titre de l'ASE, car ils possèdent moins de ressources et de réseaux pour surmonter les difficultés qui peuvent survenir, et peuvent donc rapidement se retrouver en situation de vulnérabilité.

Des dysfonctionnements institutionnels

Parallèlement à cela, comme le rapporte des études départementales ainsi que mes propres observations, les jeunes majeurs pris en charge au titre de l'ASE, tout comme l'ensemble des professionnels qui les accompagnent, disposent de peu de visibilité concernant les différents dispositifs spécifiques ou de droits communs qu'ils pourraient solliciter pendant ou après leur prise en charge. De plus, la prise en charge est soumise à un certain nombre de paradoxes, comme la contractualisation ou encore les limites d'âge qui font qu'à 21 ans tout juste atteint, le jeune ne sera plus accompagné au titre de l'ASE alors même qu'on constate un allongement de la jeunesse.

Des forces en présence

Il faut également tenir compte des forces en présence lorsque l'on souhaite impulser un projet. Tout d'abord, notons que malgré les dysfonctionnements mis en évidence dans ce mémoire, les accompagnements éducatifs proposés aux jeunes majeurs démontrent dans bien des cas la pertinence et l'efficacité des pratiques professionnelles. Toutefois, les professionnels qui accompagnent ces jeunes sont généralement conscients des limites qu'induisent ce type de prise en charge, quelque soit la place qu'ils y occupent. Ils sont pour la plupart ouverts à la remise en question. C'est d'ailleurs bien l'orientation que souhaite impulser le département en voulant « innover pour l'autonomie des jeunes majeurs ».

151 Projet d'établissement de la Maison du Couesnon.

45

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon