Section 2: Les clivages et obstacles aux politiques de
gestion de la diversité culturelle en Afrique Centrale
Les théories de l'unité et de
l'intégration nationale en Afrique Centrale se sont mises en place
à partir du modèle jacobin-libéral de l'Etat. Ce
modèle hérité de la colonisation considère
l'individu-citoyen, abstraction faite des particularismes et des appartenances
ethniques, religieuses, linguistiques ou socio-culturelles176.
Jusqu'ici, ce modus operandi n'a réussi ni à réconcilier
la plupart des entités étatiques de la sous-région, ni
réussi à les placer mettre sur le chemin de la paix et du
développement. La montée des revendications, les crises et les
tensions incessantes observées de part et d'autre dans la
sous-région dénotent d'une intégration poreuse et
insuffisante des « cadets sociaux » et des groupes
minoritaires dans le débat public sur la démocratisation des
sociétés africaines177. À côté,
les autres clivages et autres risques sont tout
175 William ZARTMAN cité par Béatrice POULIGNY,
« Ils nous avaient promis la paix: Opérations de l'ONU et
populations locales », Paris, Presses des Sciences politiques, 2004,
P50.
176 James MOUANGUE KOBILA, « Le droit de la participation
politique des minorités et des peuples autochtones : l'application de
l'exigence de la prise en compte de toutes les composantes sociologiques de la
circonscription dans la constitution des listes de candidats aux
élections au Cameroun », Revue française de droit
constitutionnel, n°75, 2008, PP. 629-664.
177 Ibrahim MOUICHE, « Démocratisation et
intégration sociopolitique des minorités ethniques au Cameroun
», Codesria Book series, 2012, P.212.
108
Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
aussi nombreux (Paragraphe 1), tandis que les obstacles et les
entraves existent également (Paragraphe 2).
Paragraphe 1: Les clivages liés à
l'implémentation des politiques de gestion de la diversité
culturelle en Afrique Centrale
Toute société humaine porte en elle des
données centrifuges. Très souvent, celles-ci restent à
l'état latent tant qu'elles ne font pas l'objet d'une
récupération par les différents acteurs sociaux qui
mettent au-devant des outils de mobilisation basés sur l'appartenance
ethnique, religieuse ou linguistique. La gestion de la diversité
culturelle forte de cette dynamique est susceptible de donner lieu à des
clivages et des risques de divers ordres. Il en est ainsi des risques
d'accentuation des particularismes (A), et de la mondialisation et des
mouvements migratoires (B).
A- Les risques liés à l'accentuation des
particularismes
La gestion des pressions sectaires (ethniques, raciales ou
religieuses) pose un problème difficile à de nombreux pays en
transition vers la démocratie. Elle représente un aspect
important des difficultés que les forces sociales doivent
résoudre pour influer sur le cours et la forme du régime
politique en pleine évolution. De ce fait, la gestion de la
diversité culturelle pourrait ainsi donner lieu à des
problèmes graves et déboucher sur la fracture et la fragmentation
des couches sociales au travers les risques d'accentuation des particularismes.
Très souvent présenté plus ou moins à juste titre
comme des signes de faiblesse des politiques d'intégration et de
participation des couches sociales dites vulnérables, les politiques
publiques au sein des Etats de la sous-région doivent se construire en
dépassant les revendications croissantes d'expression identitaire. Ces
risques concernent aussi bien le sectarisme, le communautarisme et
l'individualisme, l'ethnocentrisme et le tribalisme, ainsi que
Le népotisme, le clientélisme et la corruption ou le repli
identitaire.
La pratique du sectarisme consiste en «toute
expression orale, écrite ou tout acte de division, pouvant
générer des conflits au sein de la population, ou susciter des
querelles fondées sur la discrimination». Selon Amnesty
International, les termes ainsi employés sont généraux et
mal définis car, «la formulation vague des lois est
délibérément utilisée pour violer les
109
Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
droits de l'homme»178. La
réalité au sein de la plupart des Etats de la sous-région
Afrique Centrale laisse entrevoir que l'implémentation des politiques
publiques favorables à la diversité culturelle est susceptible de
mener au sectarisme, et donc déboucher sur la fracture et la
fragmentation des couches sociales.
Le communautarisme, quant à lui est très souvent
présenté comme étant le «cauchemar» de
la diversité culturelle. Il permet de rendre compte aujourd'hui du
rapport des « individus » aux communautés, et
à l'individualisme, cette « part la plus individuelle de
l'individu » dans les sociétés contemporaines d'Afrique
centrale.
Selon les termes de Pierre André TAGUIEFF,
l'ethnocentrisme signifie «voir le monde et sa diversité
à travers le seul prisme privilégié et plus ou moins
excessif des ides, des intérêts et des archétypes de notre
communauté d'origine, sans regard critique sur
celle-ci»179. Une autre définition fait du concept
«un comportement social et une attitude inconsciemment motivée
», qui amène en particulier à «surestimer le
groupe racial, géographique ou national auquel on appartient,
aboutissant parfois à des préjugés en ce qui concerne les
autres peuples»180 .
L'instrumentation de l'ethnie par les politiques en Afrique
Centrale a fait naître le tribalisme qui apparaît de nos jours
comme étant une source potentielle des guerres civiles et ethniques.
Cela interroge la dimension philosophique du tribalisme comme négation
d'autrui et parvient à soulever des problématiques fortes autour
de la question de l'autre et de la capacité de ces ethnies à
vivre ensemble en paix et en harmonie. La sociologie l'explique par
l'auto-affirmation d'un groupe ou individu comme étant «
supérieur » ou « meilleur » dans un
environnement socioculturel partagé avec les autres groupes, ou par des
représentations sociales particulières qui influencent activement
la production et la consommation des idées motivées par des
élites représentatives ou constructrices des
réalités sociopolitiques. Les cas du Rwanda, du Congo-Brazzaville
et de la RDC montrent que le tribalisme fait partie de ces nombreux maux qui
minent les Etats de la sous-région dans sa longue marche vers
l'unité sociétale. Au Cameroun, les appels à la
pénalisation du tribalisme se font de plus en plus entendre, au regard
de nombreuses dérives auxquels les débats sur l'évolution
politique, socio-économique et
178 Rapport de l'ONG Amnesty International, Il est plus
prudent de garder le silence: Les conséquences effrayantes des lois
rwandaises sur l'«idéologie du génocide» et le
«sectarisme», Londres, 2010, P. 7.
179 Pierre André TAGUIEFF, (Dir.), Dictionnaire
historique et critique du racisme, PUF, 2013.
180 Dictionnaire, Le trésor de la langue
française, Troisième édition, 2012.
110
Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
culturelle du pays donnent très souvent lieu, notamment
dans les réseaux sociaux ou sur les plateaux des chaines de radio ou de
télévision.
Dans la plupart des Etats de la sous-région Afrique
Centrale, les risques majeurs encourus par l'implémentation des
politiques publiques de gestion de la diversité culturelle se trouvent
être le népotisme, le clientélisme ou encore la corruption.
Cela se traduit dans la répartition des postes, les
responsabilités publiques, les avantages politiques et matériels
y afférents qui se font non pas sur la base de la compétence ou
du mérite républicain, mais plutôt sur celle de
parenté ou de la récompense à une certaine «
fidélité »181. Ces pratiques
antirépublicaines trouvent leur terreau fertile au sein de l'appareil
bureaucratique de l'Etat, ou dans celui des entreprises publiques,
parapubliques ou privées dans lesquels les recrutements et les
promotions se font en privilégiant les « frères »
ou les «soeurs» du village ou de la tribu, de la
famille, ou des réseaux, et ce en dehors de toute
objectivité182. Il s'agit d'une entorse au principe
républicain de la justice, l'équité ou
l'égalité des chances dans l'accès aux charges publiques
et l'exercice du pouvoir politique au sein de l'Etat.
Le repli identitaire est aussi un moyen de se prémunir
contre les risques et aléas, face à l'absence de la protection de
l'État. Ces modes de représentation et de mobilisation sociale se
développent d'autant plus que les acteurs sont en situation de forte
vulnérabilité. Il s'agit d'une expression donnée par une
victime de discrimination, y compris de diffamation face à la
singularité ou au caractère unique de sa propre
expérience. Elle se traduit par des conflits, mais aussi et surtout par
des pratiques discriminatoires visant l'exclusion ou le renfermement des
communautés, des ethnies, des religions et autres traditions
spirituelles. Avec le mouvement de mondialisation, la dynamique du repli
identitaire entraine le rejet du non national, de l'immigré et du
refugié, mais également des groupes ethniques, culturels ou
religieux nationaux qui seraient différents ou minoritaires, ainsi que
la discrimination à leur regard.
181 Diallo AMADOU, « L'Afrique ne produit pas assez pour
sérieusement faire face aux grandes problématiques auxquelles
elle est soumise », in Contrepoint pauvreté et mal gouvernance en
Afrique, 02 Juillet 2014.
182 Jean François BAYART, Op. Cité
111
Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
|