B. L'effritement de la conscience collective et la
méconnaissance des enjeux de la diversité culturelle en contexte
multiculturel et pluriel
Le colonialisme a réifié les identités
ethniques et fabriqué des « citoyens ethniques
»171. Il a en outre aiguisé la concurrence et les
rivalités ethniques dans de nombreux pays de la sous-région. Au
lieu d'encourager l'émergence d'une nouvelle génération de
« citoyens multiculturels »172 conscients
à la fois de leur culture civique aux plan local, national, sous
régional et sensibles aux problématiques de la différence
dans les nouvelles formes de vie commune, la gestion de la diversité
culturelle a plutôt servi de justificatifs pour amener les
différentes entités à épouser la citoyenneté
commune de l'État-nation.
Par cette approche, on a tenté de résoudre la
question des diversités en la dissolvant dans le mythe de la
citoyenneté commune et des droits individuels. Avec la montée en
puissance des revendications identitaires en Afrique Centrale, il devient
difficile de réaliser une véritable synthèse nationaliste
ou de réaliser « l'unité de l'appartenance culturelle et
du cadre politique»173 pour reprendre GELLNER. En effet,
le sentiment d'appartenance au groupe ethnique, religieux ou linguistique
semble être plus sacré, plus légitime que celui
d'appartenir à l'Etat qui confère la nationalité. La
violence d'appartenance interethnique, la véhémence religieuse
est davantage renforcée par les clivages ethnoculturels, tandis que, la
conjugaison de tous ces facteurs aboutit à une sorte «
d'empêchement national ». Ainsi, plusieurs valeurs communes
dont l'Etat prétendait être l'expression sont rejetées, et
les règles et les politiques publiques qu'il édicte ne sont plus
respectées.
L'appartenance au groupe social minoritaire détermine
l'identité et l'essence des individus,
leurs préférences et leurs choix. Etant
donné que le groupe est généralement plus étroit
que l'ensemble politique auquel les individus appartiennent, l'attention
qu'ils portent aux intérêts particuliers les détourne de
l'intérêt général et affaiblit la construction d'une
conscience collective nécessaire au fonctionnement harmonieux de la
collectivité-nation174. Ce phénomène
171 J.L. AMSELLE, et E. MBOKOLO, Op. Cité P.34-38.
172 Miche! WIEVIORKA et a!, Une société
fragmentée ? Le multiculturalisme en débat, Paris, La
Découverte, 1996, P. 35.
173 Ernest GELLNER, Nation et nationalisme, Paris, Ed.
Payot, 1989, P.11.
174 Jean NJOYA, « Identités et minorités :
Vivre et agir ensemb!e dans !a diversité », 4ème forum des
droits de l'Homme Nantes-France, 2010.
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
se caractérise par une perte de
légitimité de l'Etat et des politiques publiques qu'il met en
place dans la gestion de la diversité aussi bien dans la sphère
juridique, que socio-politique. Le respect de ces politiques publiques n'est
plus observable et la revendication identitaire devient la phase transitoire
entre la violence et la non-violence. C'est dans cette situation que se
trouvent aujourd'hui confrontées les régions du Nord-ouest et du
Sud-Ouest au Cameroun où les revendications socio-politiques ayant
débouché sur la crise dite «anglophone »
traduisent davantage une remise en cause de la prise en compte de la
réalité sociologique, ainsi que l'effritement des politiques
publiques censées la régir. La conséquence majeure est une
volonté manifeste pour les dissidents de déstructurer l'ordre
étatique aussi bien dans son versant fonctionnel que juridique, voire
politique. Cela traduit l'idée suivant laquelle non seulement le droit
et l'ordre politique se sont émiettés, mais aussi et surtout, ont
besoin d'être recomposés175.
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