Paragraphe 2: Les limites liées à
l'ineffectivité des textes juridiques et des bases institutionnelles
La gouvernance en Afrique se veut le reflet de la
démocratie telle que conçue et développée dans les
sociétés occidentales. Ce mimétisme aveugle n'a
jusqu'à présent pas permis au continent d'être à
l'abri d'un « Etat importé » qui a du mal à
trouver ses repères, et un système
166 Rapport de l'experte indépendante sur les questions
relatives aux minorités, Gay MC DOUGALL présenté au
Conseil des droits de l'homme sur l'ordre du jour Promotion et protection de
tous les droits de l'homme, civils, politiques, économiques, sociaux et
culturels, y compris le droit au développement, Dix-neuvième
session 31 janvier-7 février 2011.
167 Idem
104
Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
autocratique qui le plonge dans la léthargie et des
guerres incessantes. C'est ce qui explique selon Jean François BAYART
les revendications qui se sont exprimées dans certains Etats sous la
bannière identitaire168. La principale conséquence qui
en découle est l'inadaptation de la personnalité des
sociétés que traduit l'affaiblissement des bases juridiques et
institutionnelles (A) et la participation des populations à sa
construction, ce qui rend la gouvernance et la gestion de la différence
très difficile en contexte multiculturel (B).
A- L'ineffectivité des textes juridiques et des
bases institutionnelles
Dans une monographie stimulante intitulée «Les
droits fondamentaux dans un conflit culturel », le Pr. Walter
KÄLIN appelle de ses voeux une discussion de fond sur les questions de
désarticulation des bases juridiques et institutionnelles de
première importance pour des sociétés plurales,
c'est-à-dire celles dont « les membres sont divisés en
catégories ou groupes en fonction de facteurs tels que la langue, la
race, l'appartenance ethnique, la communauté de départ ou
d'origine, la religion, les institutions sociales spécifiques ou la
culture »169. KÄLIN différencie entre les
sphères étatique, publique et privée, qui pré
structurent de manière différente la discussion autour des droits
culturels. Dans la sphère étatique, où les individus sont
soumis à l'influence directe de l'autorité de l'Etat, il s''en
suit en première ligne l'égalité de droit.
Concrètement, cela signifie l'interdiction stricte de la
discrimination des membres d'une minorité culturelle et une jouissance
égale des droits culturels telle qu'accordée aux membres de la
majorité.
Dans la sphère privée, les interventions de
l'Etat sont normalement proscrites. Toutefois, même dans une
société libérale, la tolérance doit être
limitée. Certaines normes du droit font notamment partie de ces
critères délimitant les interventions légitimes de l'Etat
dans une pratique culturelle. D'après KÄLIN, c'est la question de
la sphère publique qui pose le plus de difficultés, une
sphère où sont notamment évoquées les
problématiques liées à la prise en compte des
particularismes et des individualismes. La pesée d'intérêts
entre une intégration structurelle réussie et le respect de
l'autonomie des différentes cultures représente le coeur d'un
difficile débat.
168 Jean François BAYART, L'Etat en Afrique, la
politique du ventre, Paris, Fayard, 1989, P.23.
169 SMITH M. G., « Pluralisme, violence et l'Etat moderne
: Une typologie », in Ali KAZANCIGIL, L'Etat au pluriel, Paris,
ECONOMICA, 1985, PP. 207- 228.
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
Analysant le cas du Cameroun, Louis-Marie NKOUM pense que le
« message identitaire anglophone semble s'articuler autour de
l'auto-identification et du positionnement dans l'arène politique ou en
dehors de celle-ci...»170. En effet, l'expression de ce
ressentiment est marquée par des crises mineures avant de connaitre une
certaine escalade sous fond de processus de libéralisation politique.
À ce stade, une partie de l'élite anglophone s'organise pour
protester contre sa position dans l'espace public notamment le pouvoir
politique, avant d'adopter des positions sécessionnistes devant le refus
du gouvernement d'une réforme des politiques publiques et de la
constitution de la forme de l'Etat. Les lois et les politiques
aménagées sur le processus de la décentralisation sont
restées jusqu'à cette date lettre morte et ineffectives depuis
leur entrée en vigueur. Ainsi, sur le double plan politique et social,
ce qu'il est convenu d'appeler le « problème anglophone »
au Cameroun, serait d'abord fondé sur des raisons historiques,
même si à côté, il pourrait être
avantageusement prévenu par une articulation profonde des structures
gouvernantes administrées de façon autonome sous le
contrôle de l'Etat tel que prévus par les textes sur une
décentralisation territoriale effective, le principe de la
proportionnalité, la protection des minorités et autres
mécanismes tels que la décentralisation ou le
fédéralisme.
Dans l'espace communautaire d'une manière
générale, les questions relatives aux dimensions socioculturelles
sont sous-traitées. L'on note un engagement de la part des Etats membres
de la CEEAC de s'intéresser davantage au projet global
d'intégration et de construction d'un marché au détriment
d'un espace culturel commun. Contrairement à l'Afrique de l'Ouest, la
CEEAC ne dispose pas encore de bases institutionnelles suffisamment
encrées dans les problématiques de la diversité
culturelle. En s'appuyant sur la perspective de la construction de la paix, il
convient de s'interroger dans quelle mesure les citoyens de la
sous-région partagent des normes, des valeurs et des identités
fédératrices en vue de contribuer de manière directe
à l'intégration sous régionale? Cette question
mérite d'être posée si l'on s'en tient au fait qu'elle
illustre l'effritement de la conscience collective et la méconnaissance
des enjeux que la diversité culturelle recèle dans le mouvement
d'uniformisation des sociétés avec la mondialisation.
170 Louis-Marie NKOUM-ME-NTSENY, « Les anglophones et le
processus d'élaboration de la Constitution du 18 Janvier 1996, Aspects
juridiques et politiques », Fondation Friedrich Ebert AASP/GRAP,
Yaoundé, 1996, P.16.
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culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
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