B- L'indifférence et la non prise en compte des
politiques sectorielles relatives à la diversité culturelle
Tout d'abord, les Etats de la sous-région sont
confrontés à la difficulté de pouvoir évaluer les
résultats des politiques publiques menées en faveur de la
diversité culturelle. À titre
164 Charles ZORGBIBE, Paix et guerres en Afrique, un
continent en dehors de l'histoire ? Tome 1, Bourrin Editeur, 2009,
P.146.
165 Loup FRANCART, Maitriser la violence, une option
stratégique, Deuxième édition, Paris, Economica,
1999, P.195.
102
Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
illustratif pour de nombreuses sources non gouvernementales,
il ressort des recherches indépendantes et de données
qualitatives que les personnes appartenant à certains groupes
identifiables sont défavorisées ou font face à des
inégalités. Faute de statistiques ventilées, les
difficultés rencontrées par les groupes minoritaires, notamment
leur précarité socioéconomique, et leur déclin
démographique n'apparaissent pas dans les données officielles. La
politique du gouvernement au Rwanda refusant de reconnaître les
catégories ethniques fait qu'on ne dispose pas de données
officielles provenant d'enquêtes démographiques, de recensements
ou d'autres études ventilées par origine ethnique.
Quand bien même cela serait fait, les autres
difficultés se trouvent aussi au niveau du management qui, malgré
la multiplication des accords et des chartes pour promouvoir les politiques de
la diversité culturelle restent souvent démunis d'application
dans la plupart des Etats. Cela montre qu'une fracture peut naître entre
les gouvernements qui initient des politiques de la diversité, et les
différents segments sociaux censés les recevoir et les mettre en
oeuvre. Ces difficultés liées à la concrétisation
des politiques de diversité montrent que les politiques de gestion de la
diversité dans les Etats sont souvent superficielles et ne touchent pas
l'ensemble de l'organisation sociale.
L'interprétation des dispositifs politico-ethniques est
en outre rendue compliquée parce qu'ils sont à
géométrie variable. Ils constituent pourtant une grille d'analyse
obligée pour la compréhension du jeu politique. Plusieurs
initiatives locales sont lancées en vue de la promotion de la
diversité culturelle, le plus souvent portées par l'une ou
l'autre personne convaincue que l'égalité et la diversité
sont des valeurs importantes pour l'administration. Le problème est que
ces initiatives restent souvent assez confidentielles. En effet, les acteurs
impliqués travaillent souvent seul sans beaucoup de reconnaissance en
interne, même si ils ont de la visibilité en externe. Il a peu de
valorisation interne de ces initiatives et expertises, peu de partage
d'expériences hormis parfois des réseaux de responsables de la
diversité ou d'égalité. L'investissement consenti sur ces
projets est rarement intégré dans les évaluations
annuelles et dans les objectifs mis en place dans le cadre des nouveaux modes
de management des services publics. Les lenteurs administratives dans la mise
en place de certaines actions, comme les aménagements pour les personnes
handicapées, constituent également un frein à la
mobilisation et à l'action.
En sus, il se note une certaine réticence face à
ces pratiques d'actions et de discriminations positives. Certains pensent que
c'est contraire au principe d'égalité et de reconnaissance des
103
Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
compétences, d'autres pensent que cela peut stigmatiser
les membres de ces groupes-cibles, voir les instrumentaliser. Certains pointent
aussi que la gestion de la diversité passe par une forme
d'individualisation des pratiques, ce qui rentre parfois en conflit avec le
modèle de gestion des ressources publiques dominant en contexte
démocratique.
Au Rwanda par exemple, la Constitution prévoit un
système décentralisé qui donne une autonomie aux
administrations locales élues pour la planification et la mise en oeuvre
des programmes. Si cette politique de décentralisation administrative
permet aux localités de mieux répondre aux conditions locales,
elle ne tient pas compte des besoins de certains groupes exclus, tels que les
Batwas qui sont mal représentés et participent insuffisamment
à la vie politique, même locale166. L'ethnie des Batwa
présente à la fois au Rwanda et au Burundi représente
typiquement un angle mort du champ politique consacrant la mise en oeuvre des
politiques sectorielles relatives à la diversité culturelle.
Malgré les tentatives raisonnées des représentants de
cette minorité pour se faire entendre, le gouvernement demeure
impassible face à leurs multiples revendications. De ce fait, l'ethnie
demeure invisible sur la scène politique et médiatique. Cette
réticence persistante du gouvernement à donner une voix aux
Batwas a des conséquences importantes, au-delà de la simple
absence de représentation au gouvernement. En effet, c'est tout le futur
des jeunes Batwas qui est remis en question car ces enfants de l'Afrique
"oubliée" ont très peu accès à
l'éducation et aux soins de base, sur lesquels repose pourtant l'avenir
de cette minorité. Le récit de ce peuple opprimé est loin
d'être un cas isolé et soulève la question de l'avenir de
ces populations censurées par leur propre gouvernement. Ceci rend
très difficile toute mesure de la diversité culturelle au sein de
l'Etat167.
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