CHAPITRE 4: LES LIMITES À L'IMPLEMENTATION DES
POLITIQUES PUBLIQUES DE GESTION DE LA DIVERSITE CULTURELLE DANS LA CONSTRUCTION
DE LA PAIX EN AFRIQUE CENTRALE.
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
L'action visant à la construction de la paix et du
vivre-ensemble renvoie à un ensemble de mesures instituées en vue
d'éviter tout éclatement des pressions, tensions et crises
susceptibles de mettre à mal la cohésion sociale et
l'équilibre sociétal. Elle sous-entend une corrélation
étroite entre les divers segments sociaux qui ont en charge la
définition et l'implémentation des politiques publiques au sein
de l'appareil étatique. Malgré la volonté des pouvoirs
publics de mettre en place des outils et des mécanismes de gestion de la
diversité culturelle, il demeure que certains comportements sociaux,
administratifs ou politiques entravent davantage l'implémentation des
politiques publiques favorables à cette dernière. L'on peut
relever ces facteurs aussi bien dans les faiblesses et les insuffisances
liées au cadre juridique et institutionnel d'une part (Section 1), et
les clivages, risques et obstacles aux politiques de gestion de la
diversité en Afrique Centrale (Section 2).
Section 1: Les faiblesses et les insuffisances
liées au cadre juridique et institutionnel
Elles peuvent se retrouver à la fois au sein des
politiques nationales de gestion de la diversité culturelle (Paragraphe
1), que dans l'inefficacité des bases juridiques et institutionnelles
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1: Les limites liées aux politiques
nationales de gestion de la diversité culturelle en Afrique Centrale
Ces limites et insuffisances engagent aussi bien la
désarticulation des politiques publiques de gestion de la
diversité culturelle au sein des environnements socio-culturels
complexes (A), suivie en aval par l'indifférence et la non prise en
compte des politiques sectorielles relatives à la diversité
culturelle au sein des Etats (B).
A- La désarticulation des politiques publiques
au sein des environnements socioculturels complexes
Une bonne politique publique est celle qui est
négociée et qui prend en compte les spécificités du
milieu, afin d'assurer une germination endogène avec les groupes sociaux
auprès desquels elle est implémentée. C'est en effet par
le biais des politiques publiques que l'Etat peut offrir à une
minorité un capital influent et lui permettre de s'affirmer tant au
niveau local, que national. Or pour la plupart des cas, dans l'espace public
des États en Afrique Centrale, la
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
transition démocratique ne s'est pas toujours
accompagnée d'une réforme adéquate des forces
institutionnelles longtemps accolées au modèle
jacobin-libéral de la forme de l'Etat dans un contexte de dictature
monopartite.
Dans la plupart de ces pays, il n'existe pas de
législation sur l'environnement socio-culturel qui soit à
même de décider de l'édiction de la politique publique
appropriée à la gestion de la différence. Des institutions
sensibles dans la mise en oeuvre des politiques publiques sont sujettes
à de nombreuses frustrations, ce qui traduit l'état de
délabrement de l'unité nationale et focalise les fléaux du
clientélisme et de l'impunité. Très souvent, ce qu'on
appelle souvent dans la sous-région la « géopolitique
» consiste en une répartition des pouvoirs entre groupes
ethno-régionaux, condition sine qua non du fonctionnement
pacifique de l'Etat. L'habileté des gouvernants réside dans leur
capacité à satisfaire les représentants issus de chaque
groupe, chefs traditionnels, notables, élites formées à la
modernité par l'école. Mais aucun pays de la sous-région
n'est véritablement à l'abri de revendications pouvant
dégénérer en violences lorsque les responsables politiques
mobilisent leurs forces pour un combat où les affrontements
interethniques se substituent à la négociation.
Analysant les conflits liés à la gestion des
ressources par une partie de la population, sorte d'élites
prévaricatrices, Côme Damien Georges AWOUMOU souligne le risque de
conflits dits de « localisation » ou d'«
expropriation »163. À juste titre, il fait
remarquer que dans la mesure où la qualité de la gouvernance
n'est pas de nature à améliorer les conditions de vie de la
population, il survient des mouvements de revendications liés au
sentiment d'expropriation et de spoliation d'une richesse puisée sur
leur territoire. À titre d'illustration, il évoque les
affrontements intercommunautaires dans la région
pétrolifère du sud du Tchad ; la guérilla cabindaise en
Angola ; les violentes manifestations des populations de Ndolou au sud-est du
Gabon ; les revendications de l'ethnie Bubi en Guinée-Équatoriale
et la plainte déposée par les ressortissants Bakweri contre
l'État du Cameroun auprès de la Commission Africaine des Droits
de l'Homme et des Peuples.
Ainsi, comme l'explique le juriste historien et
spécialiste des Relations internationales français Charles
ZORGBIBE une certaine légitimité s'inscrit au coeur du conflit
et, il s'installe
163 Damien Georges AWOUMOU, cité par le Premier rapport
d'évaluation stratégique sous régionale du PNUD, Mars
2017
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
progressivement un état de « guerre civile
froide »164, c'est-à-dire un climat de guerre
civile larvée entre les gouvernants, le système politique et le
peuple. Dans son analyse opérationnelle de la violence, le
spécialiste des relations internationales français Loup FRANCART
relève que: « Dans certains cas, c'est la disparition de
l'État qui crée une nouvelle fracture entre communautés
qui auparavant arrivaient à vivre ensemble. La violence engagée
est souvent le fait d'organisations politiques progressivement
constituées en milices, en groupes paramilitaires ou en mouvements de
guérilla. La motivation la plus fréquente est l'affirmation
identitaire. Mais celle-ci peut facilement dégénérer en
course au pouvoir ou en recherche de la richesse »165.
L'économie de ces pays est basée essentiellement sur un
modèle rentier: Les ressources tirées de l'exportation des
matières premières et de l'aide au développement. Ce qui
est naturellement source et objet de toutes sortes de convoitises: qui
tient l'État, tient les richesses.
Le contrôle de l'appareil de l'État est un enjeu
capital dans certains États de l'Afrique centrale. En effet, l'exercice
de responsabilités dans l'administration publique, de très loin
principal employeur au Gabon et au Cameroun par exemple est souvent une
solution toute trouvée en termes de recrutement et de promotion pour des
proches, le mérite y étant rarement la condition de la
réussite sociale. Cette dimension explique l'importance de la famille,
mais aussi de l'ethnie, la dérive identitaire faisant de l'appartenance
au même groupe la clef de l'ascension sociale. Dès lors, le
conflit politique devient aussi conflit entre familles et ethnies.
L'État et la chose publique sont gérés de façon
patrimoniale, il en résulte une rupture du lien entre État et
Nation, en tout cas, un rejet plus ou moins violent du modèle
étatique par une bonne partie de la population. Les groupes qui ne
profitent par des prébendes du système s'estiment léser
par un pouvoir assimilé à des familles, ethnies ou à une
région.
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