B- La décentralisation et le
développement local
Selon Pascal TOUOYE, la décentralisation est le
« premier facteur de réduction des tensions spatiales
»144. En droit administratif autant qu'en management, la
décentralisation est un mode d'organisation de l'Etat qui constitue une
solution aux problèmes de diffusion du pouvoir et de prise de
décision organisationnelle. Il s'agit d'un mécanisme
d'équilibre des relations et des pouvoirs entre gouvernants et
gouvernés dans la conception de la structure organisationnelle de la
société. Du point de vue de la doctrine du droit administratif,
la décentralisation consiste en une répartition verticale du
pouvoir et du partage des compétences entre l'Etat central et les
entités décentralisées. Elle engage la création des
régions et territoires autonomes, fondés sur des institutions
démocratiques et administrées par des autorités
légitimes que les populations locales se sont elles-mêmes
choisies. D'un point de vue pratique, la décentralisation permet la
participation de l'ensemble des composantes sociales à la gestion des
affaires publiques, par le recentrage de l'action publique sur les aspirations
des communautés qui de fait se sentent
«propriétaires» de leurs projets et initiatives de
développement. Elle favorise auprès des groupes la culture de la
tolérance et du respect de la différence en élevant en
chaque citoyen le sentiment d'appartenance à une seule communauté
de vie et de destin avec les autres groupes sociaux.
Au Cameroun par exemple, la Loi N0 96/06 du 18
Janvier 1996 a donné une nouvelle impulsion et un rôle accru aux
entités décentralisées pour améliorer et dynamiser
le développement politique, économique et social des
communautés locales à la base. Elle dispose à son article
premier, alinéa 2 : «La République du Cameroun est un
Etat unitaire décentralisé». Le dispositif
institutionnel de mise en oeuvre de la décentralisation est
constitué des collectivités
143 International Social Science Journal, UNESCO, Gouvernance,
administration publique et globalisation, Paris, Blackwell Publishers,
N0 155, Mars 1998.
144 Pascal TOUOYE, « Dynamiques de l'ethnicité en
Afrique, Eléments pour une théorie de l'Etat multinational
», Langaa et Centre d'Etudes Africaines, 2014, P.91.
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territoriales décentralisées que sont
respectivement les communes et les régions, des organes consultatifs et
des organes opérationnels145. En favorisant l'implication et
la prise en compte des acteurs locaux dans les politiques gouvernementales, la
politique publique de décentralisation permet de contenir les
revendications et les frustrations des franges de citoyens qui se
considèrent de « seconde zone»146, et
ainsi prévenir les tensions et les conflits de divers ordres. Cela
déborde sur le concept non moins englobant du développement
local. Dans cette recherche, le recours à un autre principe s'est
avéré nécessaire. Il s'agit du principe de la
subsidiarité qui est un concept totalisant et essentiellement politique
dans la répartition des pouvoirs qui consiste à «
privilégier le citoyen d'abord, puis à défaut, les
différentes communautés qu'il constitue »147.
À cet égard, le principe de subsidiarité renforce
beaucoup plus celui de la décentralisation en lui donnant un sens et un
contenu plus larges.
L'économiste Bernard PECQUEUR analysant le
développement local définit la gouvernance locale comme
étant « un processus institutionnel et organisationnel et
organisationnel de construction d'une mise en comptabilité des
différents modes de coordination entre acteurs géographiquement
proches, en vue de résoudre les problèmes productifs
inédits posés aux territoires »148. À
ce projet d''essence néolibéral, est venu se greffer l'adjectif
«bonne», pour désormais faire place au concept de
bonne gouvernance qui entend instituer un Etat souple,
régulateur du système et très peu interventionniste. Ce
dernier existerait alors à côte des autres acteurs tels que la
société civile149.
145 Loi N02004/017 du 22 Juillet 2004 portant
orientation de la décentralisation, Loi N02004/018 du 22
Juillet 2004 portant sur les règles applicables aux communes ; Loi
N02004/019 fixant les règles applicables aux régions.
Voir aussi le Décret N2008/013 du 14 Janvier 2008 portant organisation
et fonctionnement du Conseil National de la Décentralisation ;
Décret N0 2008/014 du 14 Janvier 2008 portant organisation et
fonctionnement du Comité Interministériel des Services locaux ;
Décret N0 200/0365 du 11 Décembre 2000 modifié
par le Décret N0 2006/182 du 31 Mai 2006 portant
réorganisation du Fonds Spécial d'Equipement et d'Intervention
communale (FEICOM) ; Décret N0 77/494 du 07 Décembre
1977 portant création et organisation du Centre de Formation pour
l'Administration Municipale (CEFAM).
146 Manassé ABOYA ENDONG, « Menaces
sécessionnistes sur l'Etat camerounais », Journal le Monde
diplomatique, Décembre 2002, N0385.
147 Antoine DELCAMP, « Les problèmes de la
déconcentration dans les pays européens, Revue française
de droit administratif », Juillet-Aout 1995, PP.730-740.
148 Bernard PECQUEUR, Le développement local,
Syros, 2ème édition revue et
complétée, 2000.
149 Catherine BARON, « La gouvernance, débats
autour d'un concept polysémique », Droit et sociétés,
numéro 54, 2003, P. 330.
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