DEUXIEME PARTIE: IMPLEMENTATION ET LIMITES DES
POLITIQUES PUBLIQUES DE GESTION DE LA DIVERSITE CULTURELLE DANS LES PROCESSUS
DE CONSTRUCTION DE LA PAIX EN AFRIQUE CENTRALE
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
Mesurer l'impact d'un dispositif ou d'une politique publique
n'a rien d'évident. Dès lors qu'il est ainsi reconnu, la
nécessité de leur évaluation apparaît beaucoup plus
nettement. En effet, réussir une politique publique c'est aussi
l'évaluer, mais aussi et surtout utiliser les résultats de
l'évaluation pour l'améliorer137. L'objectif est donc
de permettre la compréhension des mécanismes sur lesquels
l'action publique cherche à peser et d'identifier les interventions les
plus efficaces au vu des objectifs souhaités138.
De manière spécifique, une politique de gestion
de la diversité est un projet de changement organisationnel. On y
retrouve ainsi plusieurs facteurs de succès liés au suivi des
rapports qu'entretiennent les groupes sociaux et les communautés. Au
niveau national, les politiques publiques sont « la boîte
à outils » qui traduit la volonté des autorités
et des pouvoirs politiques de satisfaire les populations
considérées comme minoritaires. Cela suppose que les objectifs et
les activités liés à la diversité culturelle soient
inclus dans les stratégies d'action et les contrats de
société avec l'Etat. En Afrique Centrale, malgré
l'élan entrevu dès les lendemains des décennies de
démocratisation dans les années 1990, la prise en compte des
groupes minoritaires par les politiques publiques ne semble pas toujours
à même d'influencer les dynamiques sociales d'uniformisation des
sociétés contemporaines. Il semble désormais
impératif d'imposer des stratégies de gestion et les
mécanismes d'implémentation des politiques publiques favorables
à la diversité culturelle (Chapitre 3), quoiqu'en proie à
un certain nombre de limites et insuffisances, obstacles et clivages qui
entravent leur implémentation (Chapitre 4).
137 Harold Dwight LASSWELL, The policy orientation in the
policy sciences: Recent developments in scope and method, Standford University
Press, 1951, P.71.
138 Antoine BOZIO, « L'évaluation des politiques
publiques : Enjeux, méthodes et institutions », Revue
française d'économie 2014/4 (Volume XXIX), PP.59 - 85.
Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
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CHAPITRE 3: LES STRATEGIES ET MECANISMES
D'IMPLEMENTATION DES POLITIQUES PUBLIQUES DE GESTION DE LA DIVERSITE CULTURELLE
EN AFRIQUE CENTRALE
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
Pour s'assurer de l'intégration et de la prise en
compte des communautés spécifiques dans la structure politique
des Etats d'Afrique Centrale, des stratégies et des répertoires
d'action vont être élaborés. Afin d'éviter que la
très grande diversité culturelle des sociétés ne
porte un coup au modèle de l'équilibre sociétal, ces
stratégies seront perçues comme des réponses
apportées pour garantir à tous les membres de la
communauté l'accès à la construction de la justice
sociale. Ces stratégies d'action englobent tout aussi bien des
mécanismes politico-administratifs (Section 1), et les stratégies
d'implémentation de la diversité culturelle (Section 2).
Section 1: Les mécanismes et
procédés politico-administratifs de la gestion de la
diversité culturelle en Afrique Centrale
Parler de la prise en compte de la diversité culturelle
dans les processus de construction de la paix c'est faire allusion aux
mécanismes culturels de transformation des conflits. Jadis, il
était question des démarches traditionnelles de
négociation et de médiation, des mécanismes de justice
participative, de justice populaire ou d'institutions judiciaires
auxiliaires139. De plus en plus, dans la définition des
politiques publiques, l'aménagement d'un cadre politique et juridique se
veut propice à l'expression des différences culturelles. Ceci
impose l'utilisation des mécanismes politico-administratifs (Paragraphe
1) et la mise en oeuvre d'un certain nombre de stratégies
d'implémentation nécessaires pour répondre à cette
fonction (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les mesures politico-administratives de la
gestion de la diversité culturelle en Afrique Centrale
La constitution des sociétés
démocratiques en Afrique se veut un processus lent et évolutif
dont la trajectoire historique a été marquée par des
déterminants endogènes et exogènes140. De ce
fait, parler des mesures formelles de gestion de la diversité culturelle
en Afrique Centrale consiste à aborder des stratégies d'action
mises sur pied par les différents Etats comme des
139 Filip REYNTJENS et Stef VANDEGINSTE, «
Démarches traditionnelles de négociation et de médiation
au Burundi, Rwanda et Congo » in Construire la paix sur le terrain,
mode d'emploi, Editions GRIP, FID et Complexe, 2000. P.152.
140 Ibrahim MOUICHE, « Mutations sociopolitiques et
replis identitaires en Afrique: Le cas du Cameroun », Revue Africaine de
Sciences politiques, African Journal of Political Sciences, Vol.1,
N02, Décembre 1996.
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
systèmes de gouvernance des sociétés. Le
régime juridique laisse entrevoir les stratégies de gouvernance
locale, adossées à la décentralisation et au
développement local d'une part (A), ainsi que les techniques de
discrimination positive et les politiques de quota d'autre part (B).
A-La gouvernance locale
À ce niveau, il faut relever avec Ibrahim MOUICHE que
« le départ de l'administration coloniale a posé avec
acuité le problème de l'intégration politique des pays
africains qui dès leur berceau portaient déjà les
stigmates de l'Etat segmentaire ; Etat où généralement le
pouvoir central coexiste avec les unités périphériques et
centrifuges de pouvoir sur lesquelles il n'exerce qu'un contrôle relatif
»141. Cette tendance tend de plus en plus à
s'inverser avec la politique de la gouvernance locale. La gouvernance locale
est devenue en effet le versant pratique de la démocratie qui est
susceptible de permettre à un échelon plus bas la participation
des communautés locales dans la gestion de la vie politique, sociale,
économique et culturelle du pays. Elle suppose le respect de la
diversité culturelle des sociétés, et de sa prise en
compte dans la définition et l'implémentation des projets et
programmes des pouvoirs politiques. La tâche ardue pour les pouvoirs
publics consiste donc à ne pas opposer unité de l'Etat et
diversité des groupes sociaux, mais de réussir à les
articuler pour parvenir à une société
équilibrée et exempte de conflits. La gouvernance locale apparait
dès lors comme un outil approprié dans les stratégies
d''action de la gestion des différences.
Cela dit, le niveau local est un axe stratégique dans
la prévention des tensions, troubles et conflits que l'on connait
aujourd'hui concernant les groupes sociaux minoritaires au sein des Etats de
l'Afrique Centrale, tant il est vrai que la majorité des conflits
concernent différentes communautés dans l'Etat142.
Pour être une politique publique véritablement
opérationnelle, la gouvernance locale pose comme postulat de base une
véritable décentralisation du pouvoir au niveau des
communautés locales, et pour aller plus loin une véritable
autonomie reconnue aux
141 Ibrahim MOUICHE, « La question nationale,
l'ethnicité et l'Etat en Afrique: Le cas du Cameroun », Verfassung
und Recht in Ubersee / Law and Politics in Africa, Asia and Latin America,
Vol.33, N0 2, 2000, P.212.
142 Hugues François ONANA, Pratique de la
gouvernance au Cameroun, entre désétatisation et
démocratisation, L'Harmattan, Yaoundé, Février 2012,
P114.
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
institutions à l'échelon
régional143. Elle cumule avec la décentralisation pour
être un véritable outil d'intégration de l'ensemble des
couches sociales et des populations qui naguère n'avaient pas
accès aux centres de pouvoir et de prise de décisions visant
à améliorer leurs conditions de vie et ainsi lutter contre la
pauvreté de manière plus directe.
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