Paragraphe 2- Le droit interne des Etats et
l'aménagement des normes en faveur des groupes minoritaires
Au sortir des indépendances, les Etats africains se
sont livrés à l'inhibition des particularismes socioculturels,
socioreligieux et sociolinguistiques qui jadis caractérisaient les
sociétés précoloniales. Pour la plupart, les
législations nationales étaient muettes quant à la mise
sur pied des outils de promotion et d'encadrement de la diversité
culturelle. Il a fallu attendre les mouvements démocratiques des
années 1990 avec la poussée des revendications identitaires pour
que des politiques favorables à la diversité culturelle soient
envisagées comme panacée aux différentes crises
socio-politiques qui bâillonnaient le développement au sein de la
sous-région. Si le débats ont continué sur la question de
son opérationnalisation ou son opportunité,
122 Son contenu a un champ d'application plus vaste que celui
de la seule protection des minorités nationales.
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
le droit interne des Etats s'est enrichi par
l'aménagement des normes constitutionnelles d'une part (A), et
législatives et règlementaires d'autre part (B).
A- Les dispositions constitutionnelles et l'encrage des
groupes minoritaires
Le constitutionnalisme multiculturel, ou encore la gestion
multiculturelle de la diversité a été la voie dans
laquelle se sont engagés de nombreux pays d'Afrique Centrale à
partir des années 1990123. Ce type de gestion cherche
à faire cohabiter dans un même cadre juridico-institutionnel une
diversité de régulations, en octroyant des droits de
citoyenneté revendiqués comme des droits historiques et originaux
aux groupes minoritaires et marginaux, notamment les peuples autochtones.
Solution identifiée comme nécessaire à un
moment donné face à une crise ou situation particulière,
l'ingénierie constitutionnelle de la prise en compte de la
diversité permet d'ouvrir le statu quo et d'éviter un
déphasage avec les évolutions politique, sociale et
démographique du pays. Si l'outil ingénierie institutionnelle ne
peut être une fin en soi en termes de gestion de la diversité, il
constitue un moyen incontournable à intégrer dans une
stratégie réfléchie sur le temps long. Cela est d'autant
plus vrai que la question ethnique est concernée. Autour de la question
de la diversité culturelle et des risques d'explosion d'un pays qu'elle
peut entraîner si elle n'est pas prise en compte, il apparaît que
la consécration d'un système constitutionnel apporte une
réponse ouvrant la pacification de la société par la prise
en compte ou la reconnaissance des groupes sociaux spécifiques. Le cas
du Cameroun et du Burundi sont forts intéressants de ce point de vue.
Dans la perspective de l'inclusion sociale, la
libéralisation politique des années 1990 au Cameroun s'est
singularisée par une réforme constitutionnelle en date du 18
janvier 1996 qui institue un Etat unitaire décentralisé,
reconnaît les droits des autochtones et protège les
minorités. Cette garantie des droits des minorités et des
populations autochtones figure explicitement dans le préambule de la
constitution124. En plus, dans le titre X consacré aux
123 Léopold DONFACK SOKENG, « Le droit des
minorités et des peuples autochtones », Thèse non
publiée pour le doctorat en droit, Université de Nantes, 2001.
124 Ibrahim MOUICHE, Version provisoire du document
intitulé « Les minorités ethniques et les défis de la
représentation politique au Cameroun» présenté lors
de la 13ème Assemblée générale du
CODESRIA sous le thème l'Afrique et les défis du
XXème Siècle, Rabat-Maroc, 2011.
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
collectivités territoriales
décentralisées, l'article 57 (2) dispose en effet que le Conseil
régional qui est l'organe délibérant de la région
« doit refléter les différentes composantes
sociologiques de la région ». Avant cette réforme
constitutionnelle, les lois portant organisation des élections
municipales et législatives votées dans les années 1990
avaient déjà institué cette exigence de respect des
« différentes composantes sociologiques » dans les
circonscriptions électorales: L'article 5 alinéa 4 de la loi no
91/020 du 16 décembre 1991 fixant les conditions d'élection des
députés à l'Assemblée nationale et l'article 3
alinéa 2 de la loi no 92/002 du 14 août 1992 fixant les conditions
d'élections des conseillers municipaux.
Cette notion de « composantes sociologiques »
se ramène essentiellement aux «différentes
composantes ethniques de la population ». C'est d'ailleurs le sens
que lui attribuent les justiciables camerounais dans le cadre des recours
contentieux relatifs aux élections municipales depuis 1996. Dans son
préambule la Constitution camerounaise du 18 Janvier 1996 dispose que:
«L'Etat assure la protection des minorités et préserve
leurs droits des populations autochtones conformément à la loi
». Malgré de telles avancées, une incertitude plane
aujourd'hui sur le sort des minorités ethniques au Cameroun car avec le
renouveau législatif et constitutionnel des années 1990, cette
interrogation lancinante demeure: Le multipartisme et la démocratisation
constituent-ils une ouverture ou un prétexte de subversion de la
position des minorités ethniques ? On peut juste remarquer que
qu'au-delà les dosages sociologiques et nonobstant ces dispositions
législatives et constitutionnelles, la condition sociopolitique des
minorités ethniques demeure préoccupante au
Cameroun125.
Suite à plus de treize ans de guerre civile
particulièrement violente et meurtrière, et sous haute pression
extérieure, un processus de transition a été entamé
au Burundi avec la signature des accords d'Arusha en août 2001, puis en
août 2005. Ces accords sont un exemple type d'ingénierie
constitutionnelle mise en place dans le but précis d'apporter une
solution à un problème bien déterminé : La
représentativité des différents groupes ethniques au sein
des institutions de l'État (Présidence, gouvernement,
administration, parlement, ou encore armée et police). Les
négociations qui ont permis à ces accords de mettre en place un
système spécifique et adapté de gestion de la
pluralité ethnique. Elles avaient comme objectif une reconnaissance
concrète de la diversité, garantie par des mécanismes et
des dispositifs institutionnels spécifiques.
125 Idem
72
Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
La Constitution burundaise permet d'envisager l'adoption de
mesures positives, mais pas expressément fondées sur l'origine
ethnique. Elle dispose en son article 22 que « Nul ne peut être
l'objet de discrimination du fait de son origine, de sa race, de son ethnie, de
son sexe, de sa couleur, de sa langue, de sa situation sociale, de ses
convictions religieuses, philosophiques ou politiques ou du fait d'un handicap
physique que mental ou du fait d'être porteur du VIH/SIDA ou toute autre
maladie incurable»126. Plus loin, il est dit que
« l'État, dans les limites de ses capacités, prend des
mesures spéciales pour le bien-être des rescapés des
personnes handicapées, des personnes sans ressources, des personnes
âgées ainsi que d'autres personnes
vulnérables»127.
Aux termes de l'article 9 de la Constitution, l'État
rwandais «s'engage à lutter contre l'idéologie du
génocide et toutes ses manifestations, à éradiquer les
divisions ethniques, régionales et autres et à promouvoir
l'unité nationale », tandis que la Constitution de la
République d'Angola établit le principe d'égalité
et de non-discrimination dans son article 23 comme l'un de ses droits
fondamentaux. Cet article établit en outre que tous sont égaux
devant la Constitution et la loi. Nul ne peut être lésé,
privilégié, privé de tout droit ou exempté de toute
obligation en raison de la descendance, le sexe, la race, l'ethnie, la couleur,
le handicap, la langue, le lieu de naissance, la religion, les convictions
politiques, idéologiques ou philosophiques, la condition
économique ou sociale ou la profession.
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