CHAPITRE 2: LE DISPOSITIF JURIDICO-INSTITUTIONNEL DE LA
GESTION DE LA DIVERSITE CULTURELLE EN AFRIQUE CENTRALE
64
Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
La question de la gestion de la diversité culturelle
trouve ses éléments essentiels dans la formulation des
théories politiques et des normes juridiques censées la
régir. La radioscopie des options développées dans ce sens
laisse entrevoir que ces théories et modèles juridiques ou
institutionnels se cristallisent autour de deux axes majeurs: Le souci qu'ont
les Etats ou les sociétés multiculturelles de construire des
modèles de citoyenneté multiculturelle d'une part, et la
reconnaissance des identités primaires ou communautaires d'autre part.
Si le débat reste loin d'être tranché au sein des Etats
d'Afrique Centrale, la solution toute trouvée reste l'aménagement
d'un cadre normatif conciliant à la fois un modèle de rechange de
l»Etat jacobin ou républicain, qui subsisterait à
côté de la reconnaissance des identités communautaires,
ceci en tentant de préserver les différences culturelles dans la
construction de la paix et du vivre-ensemble.
Tel que défini, il nous paraît nécessaire
d'établir le cadre normatif capable de soutenir la réflexion et
l'action en vue de la prise en compte de la diversité culturelle, tant
il est vrai que les politiques publiques doivent faire de la diversité
culturelle un outil de paix et de cohésion sociale. Il nous semble donc
opportun de présenter le cadre normatif des politiques de gestion de la
diversité en Afrique Centrale d'une part (Section 1), avant d'analyser
les dispositifs institutionnels d'autre part (Section 2).
Section 1: Le cadre normatif des politiques de gestion
de la diversité culturelle en Afrique Centrale
Les conflits de classes, d'intérêts et d'ethnies
sont des éléments naturels de la vie sociale. Ce qui importe
à la réalité, c'est qu'ils soient gérés
selon des procédures civiles, des règles équitables, le
dialogue et la négociation dans un cadre de gouvernance facilitant la
coopération et la réconciliation. Tout ceci doit être
précédé en amont par un cadre normatif qui lui soit des
plus favorables. Ce dernier intègre à la fois le droit
international (Paragraphe 1), et le droit interne ou national dans la prise en
compte de la diversité culturelle au sein des Etats (Paragraphe 2).
65
Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
Paragraphe 1: Le droit international, la reconnaissance et
la protection des groupes socio-culturels spécifiques
En droit international, la question du droit des
minorités et des groupes sociaux reconnus comme tels est
évoquée dans le cadre de la lutte contre toute forme de
discrimination, d'exclusion ou de traitement de ces dernières. Il s'agit
d'un droit qui vise la reconnaissance et la protection des groupes dits
minoritaires. L'on peut toutefois remarquer que, le droit international de
protection des minorités et des peuples autochtones a fortement
évolué, s'est diversifié et s'est épaissi avec le
temps. Il prend en considération les textes généraux sur
les droits de l'Homme (A), et ceux portant sur la diversité culturelle
proprement dite (B).
A- Les textes généraux sur les Droits de
l'Homme
Bon nombre d'instruments internationaux pertinents ont
été adoptés sur le plan universel en considération
de ce que la promotion et la protection des droits des personnes appartenant
à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et
linguistiques contribuent à la stabilité politique et sociale des
Etats dans lesquels elles vivent. Les Etats protègent l'existence et
l'identité nationale ou ethnique, culturelle, religieuse ou linguistique
des minorités, sur leurs territoires respectifs, et favorisent
l'instauration des conditions propres à promouvoir cette
identité. Plus directement, les droits de l'homme facilitent le respect
et la protection de la diversité dans les instruments du droit
international s'y rapportant. Ces instruments internationaux englobent
principalement la Déclaration universelle des droits de l'homme, et ses
pactes subséquents notamment le Pacte international relatif aux droits
civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels ainsi que la Déclaration sur
les droits des personnes appartenant à des minorités nationales
ou ethniques, religieuses et linguistiques de 1992.
Adoptée en 1948, la Déclaration Universelle des
Droits de l'Homme n'impose pas une norme culturelle, mais elle fixe
néanmoins un cadre juridique définissant un seuil minimal
en-dessous duquel la dignité humaine est bafouée. Cette
référence à la protection de la dignité humaine est
proclamée par la communauté internationale, et par l'ensemble des
pays quel que soit la culture ou la religion pratiquée. Après
avoir voté la Déclaration universelle des droits de l'homme,
l'Assemblée générale de l'ONU a souhaité une Charte
des droits de l'homme qui aurait force obligatoire. Après la
création d'une Commission des droits de l'homme chargée de la
rédiger, le projet a abouti après de longues négociations
dans le contexte de la guerre froide
66
Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
à deux textes complémentaires: Le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
L'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques dispose ce qui suit: « Dans les États où
il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les
personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être
privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur
groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre
religion, ou d'employer leur propre langue »115. La
question de l'existence de minorités est abordée par le
Comité des droits de l'homme en 1994 dans son Observation
générale sur les droits des minorités, qui énonce
que «l'existence dans un État partie donné d'une
minorité ethnique, religieuse ou linguistique ne doit pas être
tributaire d'une décision de celui-ci, mais doit être
établie à l'aide de critères objectifs».
Le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels est entré en vigueur en 1976 et compte actuellement
156 États parties. Les droits de l'homme promus et
protégés par ce Pacte comprennent notamment le droit à
l'éducation et le droit de participer à la vie culturelle et au
progrès scientifique de tous les membres d'un groupe social. Cet accord
prévoit l'exercice de ces droits, sans discrimination d'aucune sorte. En
1985, le Conseil économique et social a créé le
Comité des droits économiques, sociaux et culturels et l'a
chargé de suivre l'application du Pacte par les États parties.
La Déclaration sur les droits des personnes appartenant
à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et
linguistiques du 18 Décembre 1992 procède de la réflexion
du groupe de travail mis en place en 1978 par la Commission des Droits de
l'Homme de l'ONU. Elle rompt avec la pratique antérieure des
Nations-Unies et innove comme étant la force normative dans la pratique
de la protection des personnes appartenant à des minorités. Son
article premier dispose: « Les Etats protègent l'existence de
l'identité nationale ou ethnique, culturelle, religieuse et linguistique
des minorités sur leurs territoires respectifs et favorisent les
conditions propices à promouvoir cette identité
»116. Le texte réaffirme le droit pour les
personnes appartenant aux minorités le droit de participer aux
décisions nationales ou locales intéressant la vie du groupe et
leur survie.
115 Voir notamment l'Art. 27 du Pacte II de l'ONU sur les droits
civils et politiques.
116 Voir la Déclaration des Nations-Unies sur les
droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou
ethniques, religieuses et linguistiques du 18 Décembre 1992.
67
Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
|