Section 2: Les enjeux de la diversité culturelle
dans l'exacerbation de la conflictualité en Afrique Centrale
L'ancien Secrétaire Général des
Nations-Unies Ban KI-MOON en 2011 relevait déjà que « si
la diversité peut être source de créativité et de
croissance, il n'en reste pas moins qu'elle donne souvent lieu, faute d'une
gestion appropriée, à une concurrence malsaine, des conflits et
de l'instabilité ». Il en est ainsi notamment lorsqu'elle est
source d'incompréhensions et d'erreurs d'interprétations.
En Afrique, la gestion de la diversité sociale et
politique s'est révélée être un défi colossal
que les États nouvellement indépendants étaient mal
préparés à affronter. Il n'est donc pas étonnant
que la plupart des Etats de la sous-région ait souffert de conflits,
notamment la République Centrafricaine, la République
démocratique du Congo, le Burundi et le Rwanda101. Faut-il
parler d'ethnie, de statut religieux dans le déclenchement et
l'implosion de ces conflits? Sans entrer dans le détail d'un
débat extrêmement complexe, on peut cependant considérer
que la posture qui consiste à nier les différences entre
communautés conduit à une
101 CEA, Elections et gestion de la
diversité en Afrique, note conceptuelle de la Commission
économique pour l'Afrique, Addis-Abeba, 2010, PP 34-52.
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
impasse et à un report ou engrenage des cycles de
violences. Il ne nous semble point abusif d'aborder les enjeux de la
diversité culturelle susceptibles de provoquer des crises et conflits en
Afrique Centrale (Paragraphe 1). De ce fait, la diversité culturelle
peut légitimement être pensée comme une entorse à la
paix et au vivre-ensemble en Afrique Centrale (Paragraphe 2).
Paragraphe 1: La diversité culturelle comme source
des tensions et de crises en Afrique Centrale
Dans la sous-région Afrique Centrale, la culture a
très souvent été à l'origine d'innombrables
conflits. Dans la région des Grands lacs, BEDOUM remarque que «
la crise rwandaise, par le nombre de victimes qui en a résulté, a
fait des rapports entre Tutsi et Hutu, une référence sur la
question des conflits ethniques en Afrique ». L'origine des conflits
ethniques dans cette région est liée à
l'instrumentalisation des ethnies à des fins de domination politique.
Ainsi la diversité culturelle peut être source d'exclusion et de
désintégration (A), notamment lorsqu'elle fait l'objet d'une
instrumentalisation accrue dans le déclenchement des conflits (B).
A-La diversité culturelle, facteur d'exclusion
et de désintégration: Dichotomie autochtones, étrangers
et allogènes
Si la culture est porteuse de valeurs et de croyances, elle
peut également constituer un cadre de référence pour
interpréter une situation susceptible de malentendus pouvant rapidement
déboucher sur des tensions, voire des conflits. Selon DUPRIEZ, ignorer
la diversité culturelle et ses enjeux comme une représentation
dans un système social peut conduire à des « mis
management », c'est-à-dire des erreurs de gestion lorsqu'elle
s'accompagne d'une faible intégration de certaines composantes. La
situation actuelle de la République centrafricaine avec la
dernière décennie des tensions et des crises s'exprime par une
forte aspiration d'identité commune s'appuyant sur une
multiplicité de références ethniques et religieuses
plutôt que d'appartenance.
La question des autochtones et étrangers ou
halogènes se veut dès lors très cruciale dans la prise en
compte de la diversité culturelle comme source d'exclusion et de
désintégration. Elle pose des problèmes d'une
extrême complexité concernant les relations entre autochtones et
étrangers, sitôt que le statut de la terre et l'exercice du
pouvoir sont en cause. Ces questions ne
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
sont pas nouvelles en Afrique Centrale: Dans les années
1990, des violences récurrentes jalonnent l'histoire du Kivu depuis la
fin de la période coloniale. Les migrants Banyamulengue et Banyarwanda,
qu'ils soient Hutu ou Tutsi, sont restés des
«étrangers» pour les groupes ethniques qui se
considèrent comme autochtones : Nande, Tembo, Hunde, Havu, Shi, Bavira,
Bembe etc. L'Etat lui-même a entretenu la confusion en modifiant la
législation sur la nationalité avec pour effet de retirer la
nationalité à de nombreux résidents originaires du Rwanda.
La Conférence nationale a encore envenimé les relations
intercommunautaires en privant de représentativité des
populations du Kivu présumées de « nationalité
douteuse ». Les massacres interethniques au Masisi en 1993 ont
montré à quelles violences les conflits entre autochtones et
étrangers pouvaient conduire102.
L'afflux de réfugiés hutus en 1994, puis les
opérations militaires de l'AFDL ont aggravé
l'insécurité régionale et rendu la situation plus confuse
que jamais. Aujourd'hui, des bandes armées hutues, constituées
d'anciens militaires rwandais et de miliciens interahamwé qui ont
survécu en se dissimulant dans les forêts après la
destruction des camps de réfugiés, entretiennent un climat de
violence. Les combattants Maï Maï n'ont rien perdu de leur ardeur
combattive ; ils prennent les armes dès que leur
prééminence et leurs droits sur leurs terroirs sont
menacés. Leur « patriotisme local » les dresse contre
toute forme d'occupation étrangère, actuellement contre les
forces rwandaises et leurs alliés du RDC Goma103.
Au-delà de l'imbroglio politique et militaire et de la
confusion qui règne dans l'est du Congo, aucun règlement
pacifique durable n'est envisageable sans un éclaircissement du statut
des personnes vis-à-vis de la nationalité, du droit au sol, de la
citoyenneté. Le défi est énorme car les strates
successives de migrations ont rendu le panorama particulièrement
embrouillé. C'est dans cet espace frontalier que s'est noué le
noeud gordien de la crise politique dans laquelle cette partie de l'Afrique
centrale est plongée depuis de longues
décennies104.
102 Mwamba SINONDA, « Situations conflictuelles et
instabilité politique en RD Congo », in Conflit et violence
dans l'histoire contemporaine de l'Afrique Centrale, Presses
universitaires de Lubumbashi, Lubumbashi, 2006, P.270.
103 Idem
104 Paul MATHIEU, MAFIKIRI TSONGO et autres, « Cohabitations
imposées et tensions politiques et guerres au Kivu et dans les
régions des Grands Lacs », in P. MATHIEU et J. WILLAME (dir),
« Conflits et guerres au Kivu et dans la région des Grands Lacs
», Cahiers africains et Afrika Studies, N0 39-40, 1999.
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
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