B-De la cohabitation religieuse en Afrique Centrale
Dans de nombreux pays africains, la religion est la «
ligne de fracture »96 qui a fragilisé la
transition. Même si elle ne représente pas un facteur
décisif dans la politique de beaucoup de pays d'Afrique sub-saharienne,
elle peut provoquer des tensions et même conduire à des troubles
et des conflits. Le caractère de la mosaïque religieuse y est
souvent considéré comme source de conflits, pourtant la plupart
des religions qui sont recensées se sont juste incrustées dans
l'imaginaire des africains au point d'être un référent de
la cohabitation religieuse.
Dans la plupart des Etats, aux Églises
chrétiennes présentes depuis les débuts de la colonie,
plusieurs autres religions et mouvances religieuses diverses sont venues
s'ajouter, dans une société où les personnes
déclarant n'avoir aucune affiliation religieuse constituent maintenant
le second groupe en importance De plus, avec la montée de courants
fondamentalistes au sein des diverses religions, tant chrétiennes que
non-chrétiennes, le dialogue est d'autant plus important que depuis une
vingtaine d'années, la présence de groupes religieux minoritaires
au sein des grands groupes religieux (islam, sikhisme, bouddhisme)
soulève de nouvelles interrogations et interpelle97.
Dans un contexte où la diversité religieuse fait
partie du tissu social, la séparation entre l'État et les
religions permet d'assurer à chaque individu un traitement
équitable. Elle contribuera par exemple, à garantir
l'impartialité religieuse des institutions étatiques dans le
sillage de la laïcité. La notion de laïcité fait partie
de la théorie de la démocratie, la laïcité de
l'État et des institutions communes d'une société
démocratique étant le garant du traitement
96 Samuel HUNTINGTON, Le choc des civilisations,
Flammarion, Paris, 1992.
97 En effet, de tels courants existent dans toutes les
religions : le protestantisme compte les adventistes du 7e jour, les
témoins de Jéhovah et les « Born Again Christians »,
les catholiques ont l'Armée de Marie et l'Opus Dei, l'islam, le sunnisme
et le chiisme. Aucun grand groupe religieux n'échappe à cette
tendance qui se caractérise généralement par une
interprétation très littérale des textes sacrés.
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
pluraliste de la diversité religieuse (potentiellement
vulnérable à la discrimination) en son sein. Un principe qui doit
nécessairement s'appuyer sur les droits individuels.98
La laïcité constitue en effet un corollaire des
droits et libertés. Elle ne signifie donc pas que les diverses religions
et croyances n'ont plus de place dans l'espace public civique, ni que les
manifestations de croyances dans l'espace public pourraient être
interdites. Les individus, en tant que porteurs de croyances et de convictions
ont le droit reconnu d'exercer leur liberté de conscience et de
religion, et de l'exprimer dans l'espace public. La laïcité
s'impose donc aux institutions afin que les individus puissent jouir pleinement
de leurs droits et de leurs libertés. De manière
générale, il s'agit en contexte par une stratégie globale
de prise en compte de la diversité visant à éviter toute
forme de discrimination ou d'exclusion ainsi que par une approche de
l'intégration qui veut éviter à la fois le repli
identitaire et l'anomie.
La liberté de religion est un droit individuel qui se
traduit collectivement par le droit pour les membres d'une même religion
de se réunir et de manifester leur foi. La liberté de religion
comprend le droit de la professer, de l'enseigner et de la propager, donc par
voie de conséquence, le droit du fidèle de fréquenter un
lieu de culte et sur le plan collectif, le droit pour la communauté
religieuse de construire et de posséder un lieu de culte pour se
réunir et pratiquer les rites de ses croyances
religieuses99.
La prise en compte de la diversité religieuse fait
partie d'une saine gestion des rapports sociaux. Il faut d'une part
éviter que la croyance ne devienne un prétexte d'exclusion, et
d'autre part, créer les conditions pour favoriser la pleine
participation des personnes de toutes confessions afin d'éviter
l'auto-exclusion. Or, c'est bien au gouvernement qu'incombe la
responsabilité de s'assurer que toutes les conditions sont
réunies pour que tous les citoyens quelles que soient leurs convictions
religieuses ou leur origine ethnique entretiennent entre eux des relations
marquées par le respect, la tolérance et l'ouverture. À
partir de ce cadre où l'expression de la religion dans la sphère
publique est acceptée comme une réalité sociale, comme
l'expression des droits reconnus à tous par les lois et les
règlements en vigueur, et
98 Guy BOURGEAULT, « L'espace public et la dimension
politique de l'expression religieuse », in Les relations ethniques en
question : Ce qui a changé depuis le 11 septembre, sous la
direction de J RENAUD, L. PIETRANTONIO et G. BOURGEAULT, Presses de
l'Université de Montréal, Montréal, 2002, PP. 213-227.
99 José WOEHRLING, « L'accommodement raisonnable
et l'adaptation de la société à la diversité
religieuse », in Revue de droit de McGill (1998) 43, 325, PP.
401-473.
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
comme une modalité du vivre-ensemble, découlent
pour les institutions publiques certaines responsabilités:
Développement, formation, et adaptation des services à la
diversité religieuse.
Ces adaptations sont alors consenties non pas au nom d'une
tolérance mal définie ressemblant à une démission,
mais au nom de la laïcité des institutions au sein de l'Etat.
L'accommodement raisonnable, est une obligation juridique qui se traduit par
une attitude de négociation où chaque partie se doit de
reconnaître l'Autre dans sa spécificité au nom du
vivre-ensemble. Cependant, parce qu'il a une dimension strictement
individuelle, l'accommodement raisonnable ne peut à lui seul suffire
pour assurer une saine gestion de la diversité religieuse.
L'identité religieuse n'a pas seulement besoin d'être
accommodée, elle a aussi besoin d'être reconnue comme une part de
l'identité des citoyens, une part qui ne nuit en rien au
vivre-ensemble100.
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