PREMIERE PARTIE: CONTEXTE ET DISPOSITIF
JURIDICO-INSTITUTIONNEL DE GESTION DE LA DIVERSITE CULTURELLE POUR LA
CONSTRUCTION DE LA PAIX EN AFRIQUE CENTRALE
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
Au cours de ces dernières décennies, la
dynamique socio-politique de l'Afrique Centrale est caractérisée
par une prolifération des pressions, crises et tensions qui en font une
importante « zone de concentration de conflits » 81.
La sous-région affiche un bilan mitigé en termes de
développement économique, mais aussi de stabilité
politique. Etant un espace marqué par une pluralité de
réalités, et une zone de grande concentration des
identités ethniques, religieuses ou linguistiques, l'Afrique Centrale en
contexte géopolitique reste difficile à cerner avec pertinence et
intelligence.
Pour la plupart, ces troubles, tensions et crises sont mus par
la détermination des rapports qu'ont les différents groupes
sociaux avec la gestion de la diversité culturelle au sein des Etats
depuis les années des indépendances. Elles ont connu une
accentuation avec les mouvements de libéralisation intervenus au
début de la décennie 1990, sans que toutefois des réponses
définitives y soient apportées. Aujourd'hui encore, la prise en
compte de la diversité culturelle et les différentes interactions
qu'elle est censée susciter devient un enjeu essentiel dans la
prévention et l'apparition de nouveaux foyers de tensions, et crises
dans une sous-région considérée plus ou moins à
juste titre comme étant essentiellement
«conflictogène»82.
Dans ce chapitre, il est question d'examiner les conditions et
les configurations par lesquelles l'Afrique Centrale intègre les
nouveaux défis et enjeux de la diversité culturelle dans la
recherche de la paix. À cet effet, il serait judicieux de faire de la
diversité culturelle un instrument majeur des processus de construction
de la paix en Afrique Centrale (Chapitre 1). Cela soutend que des politiques
publiques soient favorablement édictées et
implémentées par un cadre normatif et institutionnel soucieux de
la préserver au mieux (Chapitre 2).
81 Patrick QUANTIN, Idem
82 Paul ANGO ELA, "La prévention des conflits en
Afrique Centrale: Prospective pour une culture de la paix", Presses de la
nouvelle imprimerie Laballery, 2001, PP. 23-27.
Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
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CHAPITRE 1: CONTEXTE ET ENJEUX DE LA DIVERSITE
CULTURELLE DANS LES PROCESSUS DE CONSTRUCTION DE LA PAIX EN AFRIQUE
CENTRALE
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
L'Afrique Centrale apparaît comme une zone
fragmentée et divisée, en proie à différentes
communautés où les rivalités locales sont
entremêlées de conflits géostratégiques, politiques
et religieux. L'actualité récente et l'histoire de cette
sous-région ne peuvent qu'attester de ce phénomène.
Pourtant, la diversité culturelle y est presentée comme un
construit social, un concept englobant et multiforme faisant appel à un
ensemble d'hétérogénéité raciale, ethnique,
religieuse, de genre, ou de pouvoir entre les différents groupes
sociaux.
Il convient toutefois pour garantir une lecture
appropriée de la conflictualité en Afrique Centrale de ne pas
occulter «l'obsolescence de la culture» comme source de paix
ou de guerre entre les Etats83. En effet, l'enjeu que
revêt la dimension culturelle des processus de construction de la paix
est tributaire du fait que les tensions, crises et conflits sont le produit
d'une exploitation considérable du capital culturel en Afrique. À
côté des mécanismes traditionnels de résolutions des
conflits et de sortie de crise, la dimension culturelle des processus de paix a
été la marque d'une utilisation de la diversité culturelle
dans de nombreux cas recensés dans la sous-région.
Cette dimension des processus de construction de la paix
laisse entrevoir une capitalisation des enjeux de la gestion de la
diversité culturelle. Dans ce chapitre, il est question dans un premier
temps de ressortir les champs et les répertoires de la diversité
culturelle en Afrique Centrale comme outils de paix (Section 1), même si
dans un second temps, la diversité culturelle peut être source
d'exacerbation de la conflictualité (Section 2).
Section 1: Les champs et les répertoires de la
diversité culturelle en Afrique Centrale
En Afrique Centrale, la diversité désigne la
pluralité de groupes d'identités qui habitent un pays. Aux plans
ethnique, religieux et linguistique, très peu de pays ou de
sociétés sont parfaitement homogènes. Leur
diversité tient au large éventail de relations d'association ou
de groupe qu'entretiennent les individus ou groupes à certains marqueurs
d'identité, tels que l'appartenance ethnique, la langue, et la religion,
selon lesquels ils sont classés84. Cette diversité
83 Mwayila TSHIYEMBE, « Les principaux
déterminants de la conflictualité », in Paul ANGO ELA,
La Prévention des conflits en Afrique centrale. Prospective pour une
culture de paix. Paris, Karthala, 2001, P.14.
84 David BARRETT, Liste établie des groupes ethniques
en Afrique par pays, rapport de mission publié dans the Africa Mission
Resource Centre, 2003.
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
s'explique aussi à la fois par la multiplicité
des milieux favorisant les processus d'individualisation culturelle par
l'histoire du peuplement et des migrations d'une part, et par la
complexité historique qui présente la sous-région comme
l'un des espaces «carrefours» du continent d'autre part.
Elle est à la fois d'ordre ethnique (Paragraphe 1), religieuse
(Paragraphe 2) et linguistique (Paragraphe 3).
Paragraphe 1: La diversité ethnique en Afrique
Centrale
La notion d'ethnie est controversée au sein de
l'anthropologie contemporaine, notamment francophone. Pour Michel FOUCHER,
l'ethnie est « un ensemble social composé d'individus qui se
reconnaissent en commun un certain nombre de traits (origine,langue) et qui
dispose d'un terme spécifique pour nommer ainsi le groupe formé
»85. À en croire Eric HOBSBAWN, l'ethnie a deux
caractéristiques: Soit le groupe ethnique se donne lui-même un nom
qui lui permet de se distinguer par rapport à d'autres entités,
soit les caractéristiques retenues pour définir un groupe
proviennent de l'extérieur86. Il s'agit d'une variable qui
pendant longtemps a permis de définir l'Afrique comme un continent aux
identités plurielles.
En termes d'analyse géopolitique, une double question
se pose : la diversité ethnique est-elle un obstacle à la
formation de l'unité nationale ? la présence de groupes ethniques
en position transfrontalière est-elle un facteur d'instabilité
régionale ? Pour mieux appréhender la question de la
diversité ethnique en Afrique Centrale, il faut dans un premier temps
analyser son aire ethnoculturelle originelle (A), et faire ressortir dans un
second temps la diversification qu'a entrainé le fait de la colonisation
(B).
A- L'aire ethnoculturelle et la diversité
originelle en Afrique Centrale
L'étude des ensembles qui servent d'assise
ethnoculturelle au sein des Etats de l'Afrique Centrale n'est pas dissociable
des réalités sociopolitiques des études anthropologiques
des sociétés africaines depuis les
indépendances87. Les ensembles ethnoculturels sont pour la
85 Michel FOUCHER, Fronts et frontières, un tour du
monde géopolitique, Fayard, 1991, P.34.
86 Eric HOBSBAWM, « Qu'est-ce qu'un
conflit ethnique?, Actes de la recherche en Sciences sociales », Volume
100, Décembre1993, PP.52.
87 Bruno MARTINELLI, « Diversité et convergence
culturelle en Afrique Centrale », in Patrimoine esthétique et
artistique Centrafricain, Revue Centre Africaine d'Anthropologie, No4,
PP.3-33.
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
plupart issus des processus de décomposition et de
recomposition historiques provoqués par la dynamique des
sociétés et des Etats. Ils sont le produit des
déplacements migratoires de plus ou moins grande envergure, plus ou
moins volontaires, ainsi que des contacts interculturels qui résultent
des situations de confrontation et de coexistence. L'Afrique centrale se
caractérise par une extraordinaire diversité ethnique : Les
ethnologues ne répertorient pas moins de 250 groupes différents
pour la seule RDC et près de 300 pour le Cameroun. Ces dynamiques
d'échanges posent des hypothèses de « parenté
esthétique »88 entre les ensembles culturels du
Cameroun oriental ou septentrional au nord de la République
Centrafricaine, entre les hautes-terres du Cameroun et la République
Démocratique du Congo, voire la région des Grands Lacs.
Il existe certes plusieurs exemples d'espace culturel commun
dans les différentes régions frontalières des territoires,
notamment parmi les groupes ethniques Baka (Cameroun, Gabon, République
du Congo), Béti-Pahouin (Cameroun, Gabon, Guinée
équatoriale, République du Congo et Sao Tomé-et-Principe),
Peul (peuple nomade vivant sur un vaste territoire qui englobe le Cameroun, la
République centrafricaine, le Tchad et de nombreux autres pays hors
Afrique centrale), Kanuri (Cameroun, et Tchad), Sara (Cameroun,
République centrafricaine et Tchad) et Zande (République
centrafricaine, République démocratique du Congo et
Congo-Brazaville). Des groupes ethniques répartis sur plus d'un pays
sont plus importants numériquement que la population de certains pays:
Les Haoussas, près de 10 millions au Tchad, au Cameroun, et au Congo;
les Ibos, 30 millions au Cameroun. La plupart des groupes ethniques ont
été éclatés entre plusieurs pays. Au nombre des
exemples figurent les Banyarwanda repartis entre le Rwanda, l'Ouganda, la
République démocratique du Congo, le Burundi et bien d'autres.
Les présumés Bantou occupent le Sud-Ouest de la
sous-région au contact des Pygmées. Outre les Mbuti de la
forêt de l'Ituri divisés en trois groupes dans l'Est de la
République Démocratique du Congo, l'on recense les Aka et les
Mbenzele en République Centrafricaine, le Babinga au Gabon et à
l'ouest du Congo, les Twa au Burundi, au Rwanda, au Sud-Ouest et au
centre-Ouest de la RDC89. Les Groupe Bantou (80 % de la population:
Groupe soudanique central et ancienne population de Nubie Groupe nilotique :
Alur, Kakwa, Bari ; Groupe chamite : Hima-Tutsi Groupe pygmée : Mbuti,
Twa, Baka, Babinga.
88 Jean Loup AMSELLE et Eliki'a MBOKOLO, Au coeur de
l'ethnie: Ethnies, tribalisme et Etat en Afrique, Ed. La
Découverte, Paris, 1985, P.34.
89 Voir la liste de groupes ethniques en Afrique par pays
établie par David BARRETT, rapport de mission publié dans the
Africa Mission Resource Centre, 2003.
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Les politiques publiques de gestion de la diversité
culturelle dans les processus de construction de la paix en Afrique centrale
Toutefois, la question de savoir dans quelle mesure les liens
ethniques peuvent déboucher sur une fusion plus large de normes, qui
pourrait à son tour contribuer à constituer une identité
sous régionale positive ou plurielle est un sujet complexe90.
En effet, comme cela apparaît clairement, ces liens ethniques traversent
également les frontières vers d'autres sous-régions et
peuvent alimenter certains discours et tendances déjà longtemps
entretenus par la colonisation.
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