B- L'exclusion de certaines créances de
l'assiette de l'hypothèque de certains droits de jouissance des
terres
En principe, toute garantie peut être constituée
pour assurer le paiement de quelque créance que ce soit. Dans ce sens,
le droit positif peut prévoir des garanties légales,
c'est-à-dire découlant des dispositions législatives et
règlementaires, pour certaines créances particulières.
Les garanties légales sont constituées avec ou
sans l'accord des parties. Il s'agit généralement des
privilèges généraux173 et
spéciaux174. Il peut s'agir aussi des hypothèques
légales175. Peut être ajouté à celles-ci
des garanties qui résultent des décisions de
justice176. C'est le cas des hypothèques
judiciaires177. L'ensemble des garanties forcées
confèrent, sans convention des parties, un droit de
préférence au créancier. Il s'agit souvent pour ces
172 C. DAUCHEZ, Le principe de spécialité en
droit des sûretés réelles, op. cit. n°83
173 Articles 179 à 181 de l'AUS.
174 Articles 182 à 189 de l'AUS.
175 Parmi les hypothèques légales reconnues en
droit OHADA aux articles 210 à 212 on a :
- L'hypothèque légale du vendeur d'immeuble, du
copartageant ou de l'échangiste ;
- L'hypothèque légale des architectes et
entrepreneurs ;
- L'hypothèque légale de la masse des
créanciers en cas de mise sous procédure collective.
176S. S. KUATE TAMEGHE, « L'efficacité
des sûretés judiciaires dans le droit issu de l'OHADA »,
Revue de droit africain, n°42, avril-juin 2007.
177 Article 231 de l'AUS.
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Jouissance des terres et garantie
garanties forcées d'attribuer une
préférence qui surpassent le rang des garanties
conventionnelles178.
Le cas des hypothèques forcées est
différent des privilèges puisque les premières ne prennent
rang qu'à leur inscription ordonnée d'ailleurs par
décision de justice. L'hypothèque de la jouissance des terres
domaniales, en vertu de la concession provisoire et d'une autorisation
d'occupation ou d'exploitation du domaine public artificiel de manière
spécifique, emprunte à ce mécanisme qui consiste à
constituer l'hypothèque sur la base d'un texte juridique.
L'hypothèque sur lesdites formes de jouissance n'est admise qu'au profit
des établissements de crédit ou aux emprunteurs dont la
créance est née en vue de la mise en oeuvre des investissements
relatifs179 auxdites jouissances. Concrètement, la
créance et la jouissance des terres doivent avoir un lien de
connexité.
Il s'établit qu'il s'agit d'hypothèques
légales dont la constitution peut impliquer
l'administration180 mais aussi la justice181 si les
parties n'ont pas convenue de telle garantie. En dehors de ces créances,
aucune garantie n'est possible au profit d'autres
créanciers182. La spécialité de la
créance à garantir par l'hypothèque de la jouissance des
terres serait en effet un prolongement du caractère limité de la
jouissance des terres, s'il n'en est vraiment pas une conséquence.
En bref, les caractéristiques de l'hypothèque de
la jouissance des terres sont empruntées aux caractéristiques de
la jouissance des terres elle-même. Cette dernière est temporaire,
précaire et limitée. Toutes les garanties sont instituées
pour renforcer le droit de gage général
178 Cas des privilèges généraux.
179 Article 21 du décret du 11 août 2015.
180 L'article 21 sus évoqué énonce ce qui
suit : « lorsqu'un crédit bancaire est sollicité en vue
de la mise en valeur d'une concession provisoire sur le domaine national, le
titre foncier peut être accordé immédiatement au
concessionnaire. Dans ce cas, l'organisme de crédit doit saisir à
cet effet le Ministre chargé des Domaines qui requiert le Conservateur
foncier territorialement compétent pour établir un tel titre avec
inscription à la même date et aux frais du
bénéficiaire, d'une hypothèque au profit de l'organisme de
crédit et de la clause résolutoire au profit de l'Etat.
»
181 L'article 14 alinéa 3 du décret du 11
août 2015 dispose ce qui suit : « les droits, ouvrages,
constructions et installations ne peuvent être hypothéqués
que pour garantir les emprunts contractés par le titulaire de
l'autorisation en vue de financer la réalisation, la modification ou
l'extension des ouvrages, constructions et installations de caractère
immobilier situés sur la dépendance domaniale occupée.
» L'hypothèque instituée ici est l'hypothèque
légale reconnue à ceux qui fournissent les deniers pour
l'acquisition des biens de caractère immobilier prévue à
l'article 211 alinéa 3 de l'AUS. La disposition du décret
camerounais institue une hypothèque à constituer par les
conventions des parties ou nécessairement par une décision de
justice en vertu de l'article de l'Acte Uniforme ci-avant mentionné.
182 Article 14 alinéa 4 du décret
sus-évoqué. Il y est ainsi disposé : « les
créanciers chirographaires autres que ceux dont la créance est
née de l'exécution des travaux ne peuvent pratiquer des mesures
conservatoires ou des mesures d'exécution forcée sur les droits
et biens mentionnés au présent article. »
Jouissance des terres et garantie
47
du créancier, c'est la marque de leur caractère
accessoire. Pour certaines hypothèques portant sur des droits
réels de jouissance particuliers, la créance à garantir
est spécifiquement désignée sous peine de nullité
de la garantie constituée.
En conclusion, le bail emphytéotique, le bail à
construction, le droit de superficie et les droits réels de jouissance
dit innomés constituent des démembrements du droit de
propriété qui peuvent valablement servir d'assiette à une
garantie. Dans les terres domaniales, divers droits de jouissance peuvent
être reconnus. Il s'agit des baux, des concessions provisoires, des
autorisations d'occupation ou d'exploitation du domaine public artificiel
déclassé et des droits des occupants ou exploitants du domaine
national avant le 05 août 1974. Ces droits sont aussi susceptibles de
garantie. En général, les garanties sont celles nommées
c'est-à-dire déterminées par les textes législatifs
et règlementaires, elles ne se créent pas par la volonté
des parties. Un auteur affirmait à juste titre, en justifiant cette
option, qu'« en matière de sureté, la liberté de
création des droits réels n'aurait pas la même
signification, puisque, à la limite, elle impliquerait que la convention
des parties confère au créancier bénéficiaire de la
sûreté un droit inédit de nuire aux créanciers
chirographaires. »183 D'ailleurs, le créancier
bénéficiaire est toujours en position dominante dans la
conclusion des conventions de garanties. Il n'est pas admis d'instituer une
garantie par convention des parties. Relativement aux droits de jouissance des
terres, leur garantie est identifiée comme hypothèque. C'est donc
l'hypothèque des droits réels de jouissance des terres ou plus
simplement l'hypothèque de jouissance des terres. Celle-ci emprunte
à l'hypothèque de l'immeuble ses caractéristiques et en
plus, elle a des caractéristiques qui lui sont spécifiques.
Celles qui lui sont spécifiques tiennent aux caractères
précaire, temporaire et limité des droits de jouissance
eux-mêmes, à la spécialité de la créance
à garantir par certains d'entre lesdits droits. L'hypothèque
portant sur ces droits emprunte de même à l'hypothèque de
l'immeuble son régime tant dans ses règles de constitution que
dans ses effets.
183 L. d'Avout et B. Mallet-Bricout, « La liberté
de création des droits réels aujourd'hui. » Recueil Dalloz,
2013, n°24. Facilité de consentir les propriétés
sûretés puisqu'elles découlent des conventions des
parties.
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