4. Renforcement des classes passerelles après
2014
4.1. Extension des classes passerelles Save The
Children
Selon l'ONG Save The Children (2016), « dans les
régions du centre, du nord et du sud-Ouest de la Côte d'Ivoire,
1.171 enfants dont 625 filles, précédemment en rupture scolaire,
ont intégré le système scolaire formel et
bénéficient de leur droit à l'éducation grâce
à l'approche des classes passerelles mise en oeuvre.287
» Quand les familles ne pouvaient pas satisfaire à la scolarisation
de leurs enfants, Save the Children leur est venu en appui à travers 33
projets écoles. Cela a permis le maintien dans le système
scolaire, de 1.000 Orphelins et autres enfants vulnérables du fait du
VIH (OAEV) venant des régions d'Agboville, Tias-salé,
Bouaké 1 et 2, Dimbokro, M'bahikro, Daoukro, Bongouanou, Bocanda,
Abengourou, Abidjan 1,2 et 4, Yamoussoukro, Adzopé -Akoupé.
De 2013 à 2016, l'innovante approche Literacy
Boost, expérimentée dans l'IEP d'Akoupé, a permis de
booster les performances des groupes scolaires Ahéoua et Yadio. Les
filles et les garçons à Ahéoua et Yadio ont un
accès égal à l'école primaire. Plus de la
moitié des enfants sont en moyenne inscrits au CP1
287 Save The Children, 2016, Rapport annuel 2016, p.
16
226
dans chacune des 2 écoles de Yadio. La parité
filles /garçons est de 0,98 à Ahéoua et 1,19 à
Yadio. Ces chiffres sont au-dessus de la moyenne nationale de cette
période (0,9) et montrent une bonne proportion de la scolarisation des
enfants et surtout des filles dans les écoles primaires soutenues par le
projet. En ce qui concerne le niveau de lecture, les évaluations
montrent une progression nette des enfants dans l'école
expérimentale.
En effet, dans chacune des 5 compétences (la
connaissance des lettres, la conscience phonologique, la fluidité de la
langue, le vocabulaire et la compréhension), on constate que les enfants
des écoles cibles connaissent une amélioration des acquis. Le
taux de réussite en lecture au CE1 et au CE2 connait un accroissement
remarquable dans les deux groupes scolaires Yadio et Ahéoua. Il est
passé de 6% à 86% pour la lecture des lettres, de 0% à 79%
pour la lecture des mots et de 13 % à 52% pour la lecture des phrases.
On constate que les classes passerelles contribuent à établir la
parité entre fille et garçons à l'école, à
améliorer les taux de réussite tout en donnant de l'espoir aux
couches sociales les plus vulnérables.
4.2. Atelier de revue et d'harmonisation de l'approche
« classes passerelles » en Côte d'Ivoire en 2017
Selon le rapport de la Direction de l'Alphabétisation
et de l'Éducation Non Formelle (2017),288 un atelier de revue
et d'harmonisation de l'approche « classes passerelles » en
Côte d'Ivoire a été organisé du 8 au 9 juin 2017
à Abidjan. Cet atelier a bénéficié de l'appui
financier du programme Transformer l'Education dans les communautés de
cacao (TRECC) de la Fondation Jacobs. Cette approche constitue un programme
d'éducation basé sur l'apprentissage
accéléré, permettant aux enfants hors du système
scolaire de s'insérer dans l'école formelle. Cet atelier a
réuni des participants issus de divers horizons, à savoir :
- les directions du MEN ayant un rôle dans le pilotage et
la supervision des classes passerelles sur les plans pédagogique et
organisationnel ;
288 DAENF, 2017, Atelier de revue et d'harmonisation de
l'approche classes passerelles, Rapport final, Abidjan, DAENF, pp. 1-7
227
- les ONG nationales et internationales impliquées dans
la mise en oeuvre des classes passerelles en Côte d'Ivoire ;
- les partenaires techniques et financiers qui soutiennent la
politique du gouvernement dans le développement d'offres
éducatives alternatives ;
- la Fondation Stromme, une organisation qui met en oeuvre la
stratégie de scolarisation accélérée au Niger, au
Mali et au Burkina Faso ;
- et River Tide, une organisation qui a
développé dans les zones rurales et défavorisées
d'Inde, un programme unique pour l'enseignement élémentaire
composé d'un programme à base communautaire.
Cette panoplie de participants a permis d'enrichir le
débat sur la base des expériences vécues. Faisant un
diagnostic de la situation, le MENET affirme qu'en 2016, 432.268 enfants sur
3.569.000 enfants âgés de six à onze ans n'étaient
pas inscrits à l'école primaire. Pour la même année,
seuls 811.844 enfants étaient effectivement inscrits au collège,
tandis que 1.186.838 enfants âgés de douze à quinze ans n'y
étaient pas. Pour relever le défi de la scolarisation de ces
enfants hors du système scolaire, le Plan Sectoriel Education/Formation
pour la période 2016-2025 préconise le recours aux classes
passerelles. Ledit plan vise l'intégration à l'école
primaire, des enfants âgés de dix à treize ans
déscolarisés ou n'ayant jamais été
scolarisés.
Faisant le bilan de la mise en oeuvre des classes passerelles,
la DAENF affirme que celles-ci ont permis la réinsertion dans
l'enseignement formel de plus de vingt mille enfants non scolarisés ou
déscolarisés. Puis, la DAENF indique que depuis leur introduction
en Côte d'Ivoire, plusieurs ateliers de réflexion se sont tenus
avec l'ensemble des parties prenantes afin de formaliser cette offre
d'éducation alternative, et d'harmoniser les pratiques. Ledit atelier
s'inscrit dans le contexte de la scolarisation obligatoire tout en visant le
renforcement des mécanismes existants des classes passerelles, afin de
garantir le respect des normes de qualité requises et d'assurer une
transition réussie vers l'enseignement formel. Il s'agit notamment :
228
- de passer en revue les différentes approches de
classes passerelles mises en oeuvre en Côte d'Ivoire ;
- d'informer et former les participants sur la
Stratégie de Scolarisation Accé-lérée/Passerelle
(SSA/P) initiée par la Fondation Stromme au Mali, Burkina Faso et
Niger;
- de définir les rôles et les
responsabilités des acteurs et partenaires intervenant dans la mise en
oeuvre des classes passerelles ;
- et d'adopter un dispositif pertinent de suivi et
d'évaluation de la mise en oeuvre des classes passerelles.
La Fondation Jacobs a réaffirmé son engagement
ainsi que celui de ses partenaires de l'industrie du cacao et du chocolat en
faveur du financement des projets de classes passerelles à travers le
programme TRECC. Cela devrait permettre, à terme, de renforcer ce
dispositif en vue d'atteindre les objectifs du plan sectoriel. Pour contribuer
à la réflexion, la Fondation Stromme a été
invitée pour illustrer la Stratégie de Scolarisation
Accélérée/Passerelle (SSA/P), dont le dispositif se
caractérise par une forte implication des gouvernements concernés
(Mali, Burkina Faso, Niger) dans le pilotage et la supervision de la mise en
oeuvre. La Fondation Stromme a donné un aperçu des termes du
partenariat autour de la SSA/P, de l'implication des gouvernements des pays
précurseurs dans sa mise en oeuvre, et des accords qui balisent ce
partenariat au niveau sous régional, national et local. Dans ce
contexte, la création du Secrétariat sous-régional de la
SSA/P est un instrument de concrétisation du partenariat avec,
notamment, son Conseil d'Orientation regroupant les Ministres en charge de
l'Éducation des pays, le Secrétaire Général de la
Fondation Stromme et les O.N.G. partenaires des trois pays.
Procédant à la présentation de son
programme, la Fondation Stromme a indiqué que la SSA/P est une formule
accélérée d'éducation bilingue visant à
offrir une seconde chance à des enfants qui n'ont jamais
été à l'école, ou à des
déscolarisés précoces dont l'âge ne permet plus une
scolarisation dans le système classique. Ces derniers peuvent
intégrer ou réintégrer le système scolaire
classique à
229
partir de la quatrième année (CE2) du primaire.
La stratégie ne prévoyant pas de redoublement, tous les enfants,
selon leur niveau, sont insérés dans les classes du formel (CP,
CE1 ou CE2). Pour le respect du continuum «
élémentaire-moyen », même les enfants
âgés peuvent être orientés en classe de
sixième. En principe, l'année scolaire dans les centres SSA/P
dure 8 mois (Novembre - Juillet). La taille des classes ne doit pas
excéder trente élèves.
Les acteurs de la société civile
impliqués dans la mise en oeuvre de classes passerelles en Côte
d'Ivoire que sont les ONG Ecole pour Tous (EPT), la Mission Evangélique
Luthérienne de Côte d'Ivoire (MELCI) et le Bureau National de la
Fondation International Cocoa Initiative (ICI) ont mis en exergue les points
forts et les points faibles du dispositif actuel des classes passerelles.
Concernant les points forts, elles indiquent que :
- les classes passerelles ont répondu à une
demande d'éducation durant la crise et jusqu'à présent, en
offrant des opportunités de réussite a des enfants qui, pour des
raisons diverses étaient en dehors du système éducatif
;
- le pilotage par les ONG internationales et nationales a
permis la mise en place d'un dispositif opérationnel efficace et plus
proche des bénéficiaires ;
- les contenus des formations et les formations ont
été élaborés en partenariat avec les services
techniques du MEN ;
- les évaluations des enfants et leurs orientations
dans les écoles formelles ont été réalisées
par les inspecteurs d'école primaire.
En outre, l'atelier a permis de montrer que les points faibles
concernent :
- le « Guide de mise en oeuvre des classes passerelles en
Côte d'Ivoire », fruit de la collaboration entre les services du MEN
et les partenaires techniques et financiers, est très peu utilisé
par les promoteurs des classes passerelles et peu connu des services
déconcentrés du MEN ;
- la transition des enfants issus des classes passerelles vers
les écoles formelles présente souvent des difficultés
liées, notamment à la mauvaise perception des classes passerelles
par les enseignants, à l'insertion tardive
230
des élèves des classes passerelles ou encore au
manque d'extraits de naissances ;
- l'inexistence de données statistiques sur les classes
passerelles en termes d'offre, d'infrastructure, d'effectifs et de performance
empêche un pilotage effectif de cette offre d'éducation
alternative par le MEN ;
- la faible implication des collectivités locales et
l'insuffisance de l'internalisation des expériences par le MEN
n'oeuvrent pas en faveur de la pérennisation de la stratégie et
de l'appropriation du modèle par l'État ;
- l'on constate l'absence de ressources gouvernementales dans
le financement des classes passerelles ;
- la modicité des indemnités, le retard dans
leur paiement et l'absence de plan de carrière incitent à la
mobilité des animateurs des classes passerelles ;
- le taux d'abandon est élevé pour les enfants
de niveau CMU car ils sont plutôt intéressés par la
formation professionnelle ;
- le taux de fréquentation baisse là où
il n'y a pas de cantine scolaire ou d'appui alimentaire.
- les classes passerelles ne sont pas inscrites dans un cadre
institutionnel et réglementaire suffisamment structuré.
- le Guide énumère toutes les parties prenantes
en attribuant à chacune des rôles et responsabilités, mais
ne désigne pas clairement quelle structure est la principale
responsable. Ce flou engendre des dysfonctionnements, notamment au plan de la
supervision pédagogique avec un chevauchement des fonctions entre
conseiller à l'alphabétisation et conseiller pédagogique
secteur.
- l'inexistence de données statistiques sur la
situation de référence des enfants déscolarisés et
l'absence d'une cartographie des initiatives locales rendent difficile toute
planification et programmation d'actions ciblées par les acteurs non
étatiques.
- et au niveau du suivi et l'évaluation, il y a un vide
juridique dans le Guide.
231
Au regard des acquis et des faiblesses, l'atelier a fait des
propositions en vue d'améliorer le dispositif des classes passerelles.
Au titre des animateurs, Il s'agit de :
- renforcer le dispositif de formation initiale et continue
des animateurs, notamment en impliquant le MEN et en consacrant trente jours
à la formation initiale, pour qu'ils puissent maîtriser les
contenus et la méthodologie d'enseignement ;
- renforcer le suivi pédagogique par les services
compétents du MEN, ainsi que la collaboration entre les animateurs des
classes passerelles et les enseignants des écoles conventionnelles ;
- développer des outils pédagogiques
harmonisés pour les classes passerelles, tels qu'un guide des
animateurs, un manuel des élèves, etc ;
- motiver les animateurs en offrant des perspectives
d'engagement au-delà des huit mois d'exercice, notamment en mettant
à contribution les animateurs pour des cours de remédiation ou
pour d'autres projets. A cet effet, une base de données a
été constituée, de concert avec tous les animateurs
formés depuis 2007.
Au titre des sites d'implantation des classes passerelles, il
s'agit de :
- s'assurer que le choix du site devant abriter la classe
passerelle, est principalement basé sur l'existence de besoin en
matière d'éducation et la planification de la carte scolaire;
- s'assurer que le choix du site découle d'un processus
inclusif et participatif qui implique la communauté et les
autorités éducatives.
Concernant les rôles, les responsabilités des
parties prenantes et les indicateurs de performance, il faut :
- pour toutes les parties prenantes, se doter d'indicateurs de
performance pour assurer le contrôle de qualité des classes
passerelles ;
- mettre en place un comité de pilotage de l'initiative
classe passerelle sous la présidence du MEN comme cadre de concertation
et organe officiel d'orientation, de supervision et de décision
concernant la mise en oeuvre des classes passerelles ;
232
- designer au sein du MEN la structure de coordination
opérationnelle de la mise en oeuvre des classes passerelles ;
- élaborer, valider et vulgariser auprès des
promoteurs des classes passerelles et des autorités éducatives
décentralisées, un cahier de charges (signature du
Ministre/officialisation par un arrêté ministériel) pour la
création, la mise en oeuvre, le suivi et évaluation des classes
passerelles en précisant toutes les modalités. Ce cahier de
charges s'imposerait à tous les promoteurs de la classe passerelle et
aux autorités éducatives au plan local ;
- créer au sein du ministère, des
compétences sur le curriculum des classes passerelles qui puissent
constituer une référence pour le suivi et l'assurance
qualité des initiatives ;
- investir des ressources gouvernementales dans le financement
des classes passerelles pour marquer l'intérêt du gouvernement
pour l'initiative et encourager les partenaires qui y interviennent
déjà ainsi que ceux qui pourraient y être
intéressés.
Au titre de la rétention des apprenants dans les
classes passerelles, il a été proposé de :
- renforcer la sensibilisation des communautés à
travers l'implication du gouvernement, des élus et des autorités
éducatives, pour que les parents adhèrent à la politique
d'école obligatoire et à la stratégie des classes
passerelles ;
- prendre en compte des élèves des classes
passerelles dans la dotation des cantines scolaires ou solliciter la
contribution de la communauté pour un appui alimentaire ;
- renforcer la formation des animateurs pour qu'ils puissent
assurer le suivi des élèves ;
- prévoir le transfert vers des structures de formation
professionnelle, pour les enfants les plus âgés.
En somme, pour la DENF, l'atelier de revue et d'harmonisation
de l'approche des classes passerelles en Côte d'Ivoire a permis aux
participants de
faire un bilan du dispositif actuel, à la
lumière des directives du Guide et de la pratique. Des lacunes et des
dysfonctionnements ont été identifiés tant au niveau
stratégique qu'opérationnel, et les participants ont fait des
propositions pour y remédier. Au-delà des recommandations
spécifiques, les participants étaient unanimes pour souligner la
nécessité de voir l'Etat, à travers le MEN, assumer un
rôle plus actif, que ce soit au niveau des orientations, de la
supervision, de la coordination ou au niveau du financement des classes
passerelles. Dans le présent contexte de la scolarisation obligatoire en
Côte d'Ivoire, les classes passerelles se présentent comme un
atout dont la consolidation exige davantage d'engagement de la part de
l'Etat.
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