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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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c. Les Mémoires d'Agrippine , ou de l'importance des sources

Drusus ne broncha pas. Pour la première fois, il échangea avec son frère un regard d'adulte. Puis il affirma : « Une
seule chose m'inquiète, ce qu'on dira de nous dans deux ou trois cents ans. Ce sont les vainqueurs qui écrivent

l'Histoire584.

Nous avons établi précédemment que les Anciens, dont Suétone et Tacite, dépréciaient Tibère sans concessions et qu'il ne lui accordaient aucune estime dans leurs récits. Mais, au delà de préjugés liés à leur époque ou d'une volonté de caricaturer le mal, il est des sources qui dictent leurs textes. C'est notamment le cas des Mémoires d'Agrippine, dont la disparition peut frustrer l'historien : il semble une évidence que les Anciens s'en soient inspirés pour connaître les « ficelles » des intrigues familiales.

582. Martin 2007, p. 293

583. Syme 1958, p. 422

584. Siliato 2007, p. 115

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Le drame de la postérité directe de Tibère est d'avoir été le fait des descendants de la famille qu'il avait contribué à affaiblir par le meurtre - par volonté ou par complicité inconsciente. Des trois successeurs directs du prince, tous étaient des proches de Germanicus : Caligula était son fils, Claude son frère et Néron son petit-fils, et chacun avait intérêt à déprécier l'ennemi de la famille585. Par l'écriture de ses Mémoires, basées sur le témoignage de sa vie, Agrippine - si méprisée soit-elle par la postérité - semblait un auteur légitime du récit des actes viciés de Tibère. On ignore la teneur du propos, mais l'on ne doute pas que Pison, Livie ou Séjan ait été dépeints comme les plus horribles des personnages, comme les ambitieux et les monstres de cruauté que la postérité a retenu. Tibère, par son lien avec chacun d'entre eux, ce qui ne peut passer pour une coïncidence, n'a aucun mérite aux yeux d'Agrippine, et sa condamnation passe en grande partie par ce témoignage. Pourtant, les Modernes dénoncent une honteuse falsification historique586. Nous l'avons souligné auparavant, la famille de Germanicus, aussi appréciée était-elle par ses contemporains, a été soumise par la suite à des critiques quant aux actes des descendants du « vainqueur des Germains ». Doit-on prendre comme argent comptant le témoignage de la soeur de l'infâme Caligula, celle qui se livrait aux vices incestueux de son frère et enfanta d'un empereur honni ? Est-ce de ce modèle contestable de vertu que doit venir un jugement sur l'amoralité ? Pour Charles Beulé, non seulement les Mémoires d'Agrippine n'étaient en rien une source digne de confiance, mais elles ont enveloppé l'Histoire de Rome, à travers la lecture qu'en a fait Tacite notamment, dans la calomnie587. Kornemann revient sur ce texte au « souffle empoisonné », et élargit la responsabilité à Tacite : il avait besoin, pour contraster avec la brillante figure de Germanicus, de lui opposer un monstre infâme. Le Tibère des Annales est alors un fantasme, un bouc-émissaire des vices de son époque, volontairement créé par un auteur trop intelligent et sérieux pour prendre au mot le récit d'Agrippine, et ceux qui s'en rapprochaient, ne s'en servant qu'à titre d'information validant le propos qu'il comptait mettre en oeuvre588.

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