c. La purge
Mais la mort de Séjan ne calme pas la
colère des foules. Après avoir disposé de l'ennemi
désigné, on en vient à mener une purge contre ses
alliés : amis, famille, personnages soupçonnés d'avoir
éprouvé de la sympathie pour lui, tous deviennent les cibles de
ce que Linguet compare à la Saint-Barthélemy, massacre des
protestants dans un pays catholique. Cette scène d'horreur paraît
dans la série Moi Claude, empereur, ou le personnage principal
verse des larmes amères à la vue de l'horreur de la situation,
devant les cadavres sanglants entassés sur les marches des
Gémonies par Macron et ses hommes. Cette situation, c'est Tibère,
sur conseil de Caligula, qui l'a permis et, même, en a
éprouvé du plaisir.
Les mois suivant l'exécution de Séjan
furent marqués par cette purge où ceux qui étaient
soupçonnés d'être liés au condamné
étaient exterminés sans ménagements. De premières
condamnations visant sa famille et ses amis proches, l'horreur devint
l'occasion une « chasse aux
533. Laurentie 1862 II, p. 476-477
534. Juvénal, Satires, X.,
LIV-LXXXI
535. Laurentie 1862 II, p. 478-479
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sorcières », un carnage au cours duquel
s'amoncelaient les corps de victimes innocentes. Roger Caratini, pour
décrire crûment cette purge, rapporte qu'il «
était interdit à leurs parents et à leurs amis de les
approcher, de verses des larmes ; bientôt on vit flotter sur le Tibre des
centaines de corps en état de complète décomposition, et
il était interdit à quiconque de les brûler, ou même
de les toucher.536». Même ordre d'idée chez
Lenain de Tillemont à l'évocation des « corps deja tout
pourris », « tantost dispersez, tantost par
morceaux537». La peur règne alors à Rome. Il
n'y a plus un jour sans exécution, pas un jour où l'on ne voit,
au détour d'une promenade, un corps en décomposition flotter
entre deux eaux. Le bourreau a toujours l'arme à la main, tant on lui
offre de victimes à éliminer. Les prisons se vident, et jusqu'aux
enfants et aux femmes sont sacrifiés à la colère des
Romains538. Les soldats ne peuvent plus faire régner l'ordre,
partagés entre l'envie de se mêler à cette anarchie
naissante et la peur d'être brisés par le peuple
révolté539. Les vieillards vont jusqu'à se
remémorer les images des guerres civiles, où l'on clouait la main
de Cicéron à une porte tandis que Fulvie collectionnait les
têtes des proscrits540.
Blessé par la trahison, Tibère aurait
éprouvé de la joie en voyant Séjan détruit à
travers même ses amis. N'estimant être entouré que de
coupables, il frappe à l'aveugle, laisse les Romains se faire justice
eux-mêmes, comme pour se faire pardonner auprès de lui - un rappel
des mutineries de Germanie, où Germanicus avait laissé les
soldats rendre eux même la justice. Ainsi raisonne le prince
enragé de la Mort des dieux, trouvant l'exil trop doux pour les
partisans de son ancien ami541. Comble de la cruauté, il ne
laisse Séjan mourir qu'après lui avoir montré les cadavres
de ses jeunes enfants, comme pour le punir par cette dernière image
désespérante :
SEJAN Ils ont tué mon fils, tué ma
fille... Mes enfants, mes enfants ! TIBERE Va donc, il
s'égosille... Je t'ai vaincu
Séjan. SEJAN Hélas !... Les yeux
crevés... Les bras coupés... hélas !... les genoux
énervés... Les tronçons de mes bras tâtant leurs
places vides, Les pieds embarrassés dans ces chers corps
livides,
536. Caratini 2002, p. 262-265
537. Lenain de Tillemont 1732, p.
146-147
538. Zeller 1863, p. 65
539. Caratini 2002, p. 265-266
540. Ibid., p. 268-269
541. Strada 1866, p. 173
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J'erre, tombe et me traîne au sang de mes
enfants. - Ne me les ôtez pas. - Grâce ! - Je vous
défends. - Le glaive est dans mon sein... Ah !... Maudit soit
Tibère. HUMANUS Horrible, horrible sort
!542
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