b. Séjan et la politique : le premier des
empereurs appuyé par l'armée ?
Pour comprendre le règne de Tibère
à partir de la mort de Germanicus - où est-ce devenu le
règne de Séjan ?452 - il nous faut étudier le
rapport qu'entretenait son ministre avec la politique de l'époque, et la
manière dont il l'a influencée.
Cet homme avait, selon Linguet, « toutes les
qualités qui rendent ce qu'on appelle un grand Seigneur dangereux,
méprisable et puissant453». Par son charisme, il
s'est montré appréciable et efficace dans la tâche que
Tibère lui confiait. S'il en est arrivé à ce niveau,
c'est, semble-t-il, à cause du manque d'initiative du
Sénat454. Connaissant le sentiment de Tibère à
l'égard de cette assemblée, il lui proposa une nouvelle politique
dont elle pourrait être, en certains points, écartée,
permettant une plus grande liberté d'action pour le souverain - posant
ainsi les bases du principat tel qu'il fut régi par les princes de Rome
postérieurs à Tibère455. Séjan serait
alors, dans sa conception de la politique, le premier empereur de Rome, le
premier à prôner le pouvoir absolu, du moins le premier d'une
longue liste de princes faisant reposer leur légitimité sur
l'exercice autocratique et sur l'armée - ce au détriment d'un
Sénat composé de membres d'une haute société
écoeurée par cet « inférieur » qui les
dépasse.
447. Kuntz 2013, p. 60-61
448. Lyasse 2011, p. 159
449. Ibid., p. 161 : Emmanuel Lyasse nous fait
remarquer le manque d'informations concernant cette promotion plus
qu'impressionnante pour un chevalier. Il a probablement fallu négocier
les termes de cet accord avec le Sénat, mais les sources contemporaines
à l'événement sont perdues.
450. Kornemann 1962, p. 83
451. Lyasse 2011, p. 162-163
452. C'est le propos défendu par Jean-Louis
Voisin, entre autres
453. Linguet 1777, p. 111
454. Storoni Mazzolani 1986, p. 270
455. Kornemann 1962, p. 140
144
Car le « règne de Séjan »,
c'est l'avènement de la garde prétorienne dans la politique
impériale. Le propos est d'autant plus souligné par les auteurs
écrivant sous la monarchie ou l'Empire, dans la mesure où la
situation leur semble analogue à la situation qu'ils vivent
eux-mêmes. Ainsi, Linguet, à la fin du XVIIIe siècle, parle
des fonctions du Préfet du Prétoire comme de celles que son roi
attribuerait au Connétable ou au Chancelier456.
L'armée n'aura toutefois pas attendu Séjan pour tenter de
s'affirmer : on se rappelle des mutineries de 14 et des révoltés
nommant, contre son gré, Germanicus pour les représenter sur le
trône. Ce dont le préfet bénéficie, pour la
première fois, c'est son acceptation à assumer ce rôle de
« maître des armées », sentiment que partageront par la
suite les prétendants de « l'année des quatre empereurs
» et les militaires de la « crise du IIIe siècle ». En
lui succédant à la tête des prétoriens, Macron
devient un temps le maître de Rome dans l'ombre de Caligula. De par leurs
méthodes, leur absence de victoires militaires (rappelons qu'il s'agit
de la garde de Rome, dont le camp est situé sur une colline à
proximité, non d'une armée mobile) et leur implication dans des
complots sanglants, les prétoriens ne sont pas appréciés
par la postérité. Charles Beulé va jusqu'à en faire
le symbole de la déchéance de la liberté, des assassins
utilisant la
loi pour assiéger Rome : Tout à coup
le clairon sonne : retournez-vous, vous n'avez plus sous les yeux que la triste
arène du camp prétorien. Là fut l'arsenal le plus
formidable du despotisme; là fut ensevelie pour jamais la liberté
romaine ; là fut une armée d'oppresseurs organisée dans la
cité contre la cité ; là fut l'état de siège
perpétuel, l'ennemi campé en face de citoyens
désarmés; là régnèrent insolemment
l'oisiveté, la débauche, la cupidité, la rébellion
mercenaire et la soumission plus mercenaire encore; là on conspira
contre les bons princes et l'on adora les images des plus mauvais ; là
on mit le pouvoir à l'encan, jusqu'à ce que ce cancer
établi au sein de Rome eut tout affaibli, tout détruit, tout
dévoré457.
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