C - Séjan
Dans l'Histoire, il n'y a que peu de personnages aussi
détestés que Séjan. Là où chaque individu,
même un tyran, peut admettre un instant de répit dans sa
méchanceté ou témoigner d'une bonne action, lui n'est que
traîtrise, cruauté et lâcheté. Et, par son existence,
il pervertit l'image de son bourreau, qui fut autrefois celui qui lui avait
permis d'affirmer son goût de la violence et de persécuter Rome.
Nous allons ainsi établir l'utilité politique qu'avait
Séjan dans le gouvernement de Tibère, car il se rendait
indispensable aux yeux du prince, puis revenir sur les crimes qui lui sont
attribués et, enfin, voir que ce qui aurait pu être une punition
acclamée est devenue une débauche de terreur et de
cruauté, indigne et impardonnable.
I - Une figure incontournable
a. Un personnage indispensable
A la mort de Germanicus, la succession est
bouleversée. Seul Drusus II a l'âge nécessaire pour
épauler son père, qui se retrouve presque seul pour gérer
le principat. Haï par le peuple et dépassé par les
événements, il doit trouver d'urgence un soutien. C'est alors
qu'apparaît Aelius Séjan, un chevalier étrusque qui
s'avère autant indispensable, à ce moment, que dangereux par la
suite444. Par l'importance qu'il prit dans la
postérité de Tibère, les Modernes ont cherché
à restituer au mieux la vie de cet homme, presque absent des sources
antiques à la suite de la damnation prononcée contre son nom,
dans l'espoir de mieux comprendre la perversion graduelle du règne du
prince, qui semble aller de pair avec sa promotion445.
Pour Lidia Storoni Mazzolani, Tibère
éprouvait à l'égard de Séjan « non
seulement l'attachement des vieillards pour qui les soulages des tâches
les plus écrasantes et qui semble les protéger » mais
aussi « la certitude que celui-ci était une des rares personnes
qualifiées dont il disposait »446. En effet, le
prince était seul face au poids des actes à accomplir, et l'aide
d'un tiers était la bienvenue. Tibère a été
déçu de sa famille, déçu du Sénat,
déçu du peuple et il trouve en cet homme autant un ami qu'un
sauveur. Et il se fait un devoir de le remercier en lui permettant de
s'élever au dessus de sa condition sociale - Séjan est un simple
chevalier - et de briguer à des responsabilités plus importantes.
En somme, il rappelle au souvenir d'Agrippa, dont le rang à la naissance
était loin
444. Zeller 1863, p. 55-56
445. Linguet 1777, p. 109-110
446. Storoni Mazzolani 1986, p. 274
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d'égaler celui d'un fils de patricien, mais
dont les services rendus à Auguste et l'amitié qu'ils
partageaient lui ont permis d'accéder à plus d'égards que
bien des élites romaines447. Ainsi, il eut le
privilège d'être statufié dans bien des villes de
l'Empire448. Cette distinction n'est pas la seule à lui
être accordée et, en l'an 31, il accède à la plus
grande distinction politique : il est nommé consul pour
l'année449 avec, pour collègue, Tibère
lui-même. La même année, il est fiancé à la
petite-fille du prince, et rejoint ainsi sa famille450. Et quand
Tibère quitte Rome pour partir en retraite à Capri, il est plus
qu'un successeur non officiel du prince : il est officieusement le prince
lui-même, bénéficiant du pouvoir de décision
à Rome avec, comme seule barrière à sa toute-puissance,
les missives de l'empereur451.
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